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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
25 mars 2021

Jean Royer est mort il y a 10 ans, le 25 mars 2011

« Je déjeune avec Joseph Comiti. Il a rencontré Jean Royer qui lui a dit qu’il était le meilleur et qu’il ne se retirerait pas. Il a dit la même chose, paraît-il, à Valade, qui dirige la campagne de Chaban et n’en est pas encore revenu. » (Michèle Cotta, 11 avril 1974, "Cahiers secrets").



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L’ancien député-maire de Tours Jean Royer est né il y a 100 ans, le 31 octobre 1920 à Nevers. Qui aujourd’hui se rappelle Jean Royer ? Mort le 25 mars 2011 à 90 ans, près de Tours, Jean Royer fut un curieux défenseur de l’ordre moral, celui d’Albert de Broglie du début de la Troisième République, tombé dans les temps mythiques du début de la Cinquième République. S’il fallait résumer sa carrière politique, on pourrait le faire en trois mots : Tours, commerces, candidature.

La ville de Tours, d’abord, qui fut son fief, sa ville, sa passion. Enseignant, il fut élu député d’Indre-et-Loire sans discontinuité de novembre 1958 à juin 1997, restant toujours parmi les non-inscrits (entre 1993 et 1997, pour bénéficier des avantages matériels d’un groupe politique, l’ensemble des députés non-inscrits a créé un groupe administratif, appelé "République et Liberté", que Jean Royer a présidé). Après avoir quitté le gouvernement, il a provoqué une élection partielle et fut réélu le 9 mai 1976. Prenant sa retraite en politique en 1997, il a laissé sa circonscription à Renaud Donnadieu de Vabres, ancien directeur de cabinet de François Léotard et futur ministre de Jacques Chirac. Son ancien suppléant est devenu le suppléant de Renaud Donnadieu de Vabres, montrant ainsi le soutien qu’il a apporté à Renaud Donnadieu de Vabres.

Quelques mois après sa première élection comme député, soutenu par les gaullistes (car il fut un délégué du RPF dix ans plus tôt), Jean Royer fut élu maire de Tours, en mars 1959, et il le resta jusqu’en juin 1995. Trente-six ans d’une histoire particulière entre Tours et Jean Royer. Il fut également conseiller général de Tours-Ouest de 1961 à 1988 et président de l’Établissement public Loire (Établissement public d’aménagement de la Loire et de ses affluents) de 1983 à 1995.

Beaucoup de projets ont été menés par Jean Royer pour sa ville, dont une extension territoriale avec la fusion de certaines communes dans la commune centre, et surtout, les aménagements des bords du Cher. Il fut apprécié pour avoir mis en valeur le centre historique de Tours (en cela, il a été en avance de bien des grandes villes de France), mais il a aussi accepté la coupure brutale de l’agglomération de Tours par l’autoroute A10 (Paris-Bordeaux), un tronçon que connaissent tous les automobilistes voulant prendre leurs vacances dans le Sud-Ouest (avec une zone à radars pour obliger les véhicules à rouler à faible allure pour ne pas trop gêner les habitants). De même, Jean Royer a réussi à faire passer le TGV par Tours (ce qui n’est pas le cas d’Orléans), et à construire un palais des congrès. En revanche, il n’a pas pu empêcher l’hémorragie industrielle de la ville (en particulier, le plan social chez SKF).

En juin 1995, Jean Royer avait sollicité aux habitants de Tours un septième mandat. Il fut battu au second tour dans une triangulaire, par le candidat socialiste Jean Germain (ce dernier est resté maire de Tours jusqu’en mars 2014 puis s’est suicidé le premier jour de son procès après avoir été mis en examen dans une affaire judiciaire). Ce fut une cuisante défaite (Jean Royer n’a obtenu au second tour que 33,9% avec un candidat RPR dissident qui a "pris" 23,5% de son électorat). Cela l’a conduit à se retirer progressivement de la vie politique en ne sollicitant pas le renouvellement de son mandat de député lors de la dissolution de 1997.

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Sur le plan national, Jean Royer a toujours été un indépendant, pas les indépendants en termes de parti (le parti de Valéry Giscard d’Estaing et Antoine Pinay), mais en absence de toute appartenance partisane même s’il était très proche des gaullistes. Probablement que l’une des raisons de cette neutralité fut la rivalité avec le Premier Ministre de l’époque, Michel Debré, qui fut maire d’Amboise, ville peu éloignée de Tours, d’autant plus qu’après être parti de Matignon, Michel Debré a échoué pour se faire élire député d’Indre-et-Loire en novembre 1962. Beaucoup pensent que Michel Debré serait à l’origine de la désignation d’Orléans comme chef-lieu de la région Centre (devenue Centre-Val-de-Loire) pour empêcher Tours de le devenir.

Une anecdote de la petite histoire dans la grande histoire de la télévision. Le 13 décembre 1971, l’écrivain Maurice Clavel (qui est né exactement dix jours après Jean Royer) était l’invité de l’émission "À armes égales" à la première chaîne de la télévision française. S’apercevant que son film avait été coupé d’un mot, Maurice Clavel s’est mis en colère et quitta le plateau en lâchant son fameux : « Messieurs les censeurs, bonsoir ! ». Or, cette émission politique était un duel entre deux invités. L’autre invité, un peu interloqué, c’était Jean Royer qui jouait le rôle du moralisateur. Mais on pouvait difficilement lui reprocher d’avoir été le censeur à cette occasion.

Le soutien aux commerces de proximité, aux petits commerçants a caractérisé l’engagement politique national de Jean Royer. Le Président Georges Pompidou l’a en effet nommé au gouvernement de Pierre Messmer du 5 avril 1973 au 11 avril 1974, d’abord comme Ministre du Commerce et de l’Artisanat (Yves Guéna lui succéda), ensuite, à partir du 27 février 1974, comme Ministre des Postes et Télécommunications (il succéda à Hubert Germain).

Beaucoup de ministres de second plan ne laissent guère de souvenir de leur passage. Jean Royer, au contraire, a marqué l’histoire économique de la France par cette fameuse "loi Royer", autrement dite, loi n°73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat qui réglemente l’urbanisme commercial depuis de nombreuses décennies en France. Son objectif était de protéger les petits commerçants en empêchant la formation de trop grandes surfaces concurrentes.

Le clivage était intéressant car la gauche s’est retrouvée alliée aux partisans du libéralisme économique (ces derniers favorables au développement de la grande distribution), pour s’opposer au projet du gouvernement qui était plutôt d’inspiration étatique.

Il est intéressant à relire les "Cahiers secrets" de Michèle Cotta sur l’opinion des socialistes (François Mitterrand) et des radicaux de gauche (Maurice Faure). Le 16 octobre 1973, en plein examen parlementaire de ce texte, la journaliste a noté : « Mitterrand et Maurice Faure s’installent à la buvette. Ils parlent de la loi Royer sur le petit commerce. "Pas même le plus minable des gouvernements que la Quatrième République, dit Mitterrand, n’aurait osé signer la loi Royer. Pas même Bourgès-Maunoury, qui était le roi des cloches !". Maurice Faure reste calme : "Remarquez, on peut se permettre de ne pas voter la loi : de toute façon, les commerçants ne votent pas pour nous !" »

D’inspiration étatique, en effet, car la loi Royer oblige les grandes surfaces de plus de 1 000 ou 1 500 mètres carrés, selon la taille de la commune où elles désirent s’installer, à obtenir, au-delà du permis de construire habituel, une autorisation d’installation auprès d’une commission chargée des grandes surfaces, cela afin d’éviter un développement anarchique des grandes surfaces. Cette loi, qui est toujours applicable malgré quelques modifications, a conduit à réduire les acteurs du marché de la grande distribution puisque, dans l’impossibilité de construire de nouvelles grandes surfaces, les plus gros ont choisi de racheter les surfaces existantes, renforçant ainsi la concentration des groupes de la grande distribution.

Les modifications de la loi Royer furent l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986, la loi n°96-603 du 5 juillet 1996, la loi n°2001-420 du 15 mai 2001, la loi n°2003-590 du 2 juillet 2003, la loi n°2004-804 du 9 août 2004, la loi n°2008-776 du 4 août 2008, la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 et la loi n°2012-387 du 22 mars 2012.

Le 11 avril 1974, Jean Royer a démissionné soudainement du gouvernement. La raison ? Redevenir indépendant du pouvoir et se consacrer pleinement …à sa candidature à l’élection présidentielle annoncée quelques jours plus tôt. En effet, Georges Pompidou est mort le 2 avril 1974 et, malgré une forte émotion populaire, cela se bousculait jusqu’à l’indécence pour lui succéder. À gauche, François Mitterrand est le seul à concourir, réussissant à incarner parfaitement "l’union de la gauche" (et les communistes étaient ravis de ne pas devoir se compter ! Mais dans la majorité, Jacques Chaban-Delmas, Pierre Messmer, Edgar Faure et Valéry Giscard d’Estaing étaient déjà dans les starting-blocks.

Face à ce désordre, Jean Royer a cru à sa bonne étoile, comme l’a écrit Michèle Cotta le 10 avril 1974 dans ses "Cahiers" : « Jean Royer (…) envisage lui aussi de se présenter, parce qu’il croit être l’homme libre que tout le monde attend. ». Le ton de sa campagne fut résolument déterminé : il serait le Président de l’ordre moral, le retour aux valeurs conservatrices, assez mises à mal par la révolution sexuelle consécutive à mai 68.

Malheureusement pour lui, Jean Royer n’avait aucun poids politique national (il n’émanait d’aucun appareil politique), mais fut une "curiosité" de campagne, comme le fut Marcel Barbu en décembre 1965. Connu pour avoir combattu la pornographie dans sa ville de Tours, Jean Royer fut régulièrement chahuté au cours de ses meetings, avec la mauvaise idée de répondre à ses contestataires, le plus marquant fut le meeting de Toulouse le 25 avril 1974 où une jeune femme s’est déshabillée et a dansé pendant une demi-heure devant lui pour le narguer. Deux jours plus tard à Lyon, le candidat, qui avait refusé de démarrer sa campagne avant le début de la campagne officielle, c’est-à-dire le 19 avril 1974, annonça qu’il ne ferait plus de meetings mais seulement des émissions de télévision ou de radio.

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Il faut rappeler que l’époque était au productivisme et Jean Royer, dans ce contexte, prônait ainsi le renforcement de la production de charbon : on était loin des préoccupations écologiques, même si l’élection de 1974 a marqué pour la première fois la présence d’un candidat écologiste (René Dumont) dans le débat politique.

Le maire de Tours a fait de nombreuses erreurs dans sa campagne, à commencer par démissionner du gouvernement (au contraire de son collègue VGE, candidat lui aussi), en refusant de prendre l’avion, ce qui l’empêchait d’être présent à son QG qui fut, en plus, installé à Tours au lieu de Paris, en ayant des goûts de toilettes pour le choix de ses couleurs de campagne, etc.

Jean Royer pouvait s’avouer déçu par ses seulement 810 540 voix, soit seulement 3,2% des suffrages exprimés le 5 mai 1974, des voix principalement locales d’ailleurs (les sondages prévoyaient plus d’audience, par exemple, l’IFOP le 22 avril 1974 l’a crédité de 6% d’intentions de vote), mais la mécanique présidentielle a toujours été rude (même De Gaulle a eu besoin d’un second tour), et finalement, en atteignant la quatrième position, Jean Royer s’est retrouvé comme le premier des "petits candidats", derrière les grosses têtes du scrutin (François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chaban-Delmas) mais devant tous les autres, dont Jean-Marie Le Pen, Arlette Laguiller, Alain Krivine, etc. Il apporta son soutien, au second tour, à Valéry Giscard d’Estaing.

Après son retrait politique en 1997, Jean Royer a pris position en faveur de la liste menée par Philippe de Villiers aux élections européennes de juin 1999 puis à la candidature de Jean-Pierre Chevènement à l’élection présidentielle de 2002.

Moqué pour son côté moralisateur, son côté "vieux jeu", "vieille France", ultraminoritaire dans le pays, illisible sur ses options politiques (le choix du souverainisme mâtiné de poujadisme et d’intérêts locaux), Jean Royer a cependant laissé à la postérité "sa" loi qui a été un texte fondateur dans la physionomie des paysages urbains d’aujourd’hui.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean Royer.
Hubert Germain.
Jacques Chirac.
Edmond Michelet.
Alexandre Sanguinetti.
Bernard Debré.
Christian Poncelet.
Albin Chalandon.
Jacques Soustelle.
Valéry Giscard d’Estaing.
Raymond Barre.
Simone Veil.
La Cinquième République.
Olivier Guichard.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Philippe Séguin.
Michel Droit.
René Capitant.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210325-jean-royer.html

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