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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
7 avril 2021

Jean-Louis Borloo l’atypique, boîte à idées …et à occasions perdues

« Je n’ai pas, en l’état, toute l’énergie nécessaire pour remplir complètement mes responsabilités (…). J’ai donc décidé de mettre un terme à mes fonctions et mandats. » (Jean-Louis Borloo, le 6 avril 2014).




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Quand j’ai lu la teneur de cette lettre où il démissionnait complètement de la vie politique, j’ai eu très peur. Des frissons. Sa santé vacillait et les rumeurs les plus folles laissaient comprendre le pire absolu. Alors, quelle joie, exactement sept ans plus tard, quelle merveilleuse joie de pouvoir lui souhaiter un joyeux anniversaire ! Jean-Louis Borloo fête en effet son 70e anniversaire ce mercredi 7 avril 2021. Mine de rien, il fait partie de ceux qui ont été ministres parmi les plus longs de la République…

Comment évoquer Jean-Louis Borloo si ce n’est ouvrir tous les tiroirs en même temps d’une vie si riche qu’il y a plusieurs Borloo en un. Son look un peu négligé pouvait servir de repoussoir, mais l’esprit brouillon aide à la liberté de créer, d’imaginer. Distrait ? Simple. Je me rappelle une minute extraordinaire : je l’écoutais dans un meeting lors d’une université d’été, il me semble, et soudain, son téléphone se mit à sonner (ou quelqu’un est venu lui apporter un petit papier, j’ai un doute avec les dates). Il s’est alors interrompu et a lu le papier (ou écouté son combiné). Grand silence. Des larmes et un sourire ont alors envahi son visage. Il venait de devenir, pour une nouvelle fois, père. Joie simple mais efficace. Son discours ? Il ne l’a jamais repris !

Toutes les portes s’ouvrent chez lui. Une attention particulière à l’humain. Un touche-à-tout dans sa vie professionnelle qui l’a conduit autant au football qu’à la politique. Un vrai acteur. Un créateur. Pas un théoricien, mais un homme de terrain, un homme du concret, simple, finalement, même s’il est beaucoup plus intellectuel qu’il ne le montre. Marié à la Reine Zabo de l’audiovisuel public. Scout fasciné par la Chine de Mao.

Des études déjà touche-à-tout : certes, avocat, mais aussi MBA à HEC, et encore des études d’histoire, de philosophie, d’économie, de finances. Une incroyable volonté de s’ouvrir. Pas scientifique mais bossant avec des ingénieurs qu’il a recrutés. La trentaine à peine effleurée, le voici un avocat d’affaires parmi les plus rémunérés du monde, selon "Forbes" ! Il a enseigné à HEC l’analyse financière. Spécialisé dans les entreprises en difficulté, les transmissions, fusions, acquisitions. Parmi ses clients, une célèbre grande gueule qui a récemment fait parler d’elle, à Pâques, bien involontairement : Bernard Tapie.

Très vite, les succès se sont enchaînés. En 1986, il fut appelé pour sauver le club de football de Valenciennes, en faillite, ce qu’il fit. Valenciennes était alors une ville en perdition. Chômage à 40% (de mémoire, ordre de grandeur). Le virus de la politique fut inoculé : le voici menant une liste apolitique aux élections municipales de Valenciennes en mars 1989, et il a gagné au second tour avec 76%. Toujours réélu. Jean-Louis Borloo fut donc maire de Valenciennes de mars 1989 à juin 2002, puis élu premier adjoint ou simple conseiller municipal jusqu’en mars 2014 (il ne voulait pas cumuler avec ses fonctions ministérielles).

Grâce à Jean-Louis Borloo et à ses mandats ultérieurs (européens et nationaux), le Valentinois a bénéficié tant des aides européennes que d’une réindustrialisation (implantation de l’usine de Toyota en 1999 dans l’agglomération de Valenciennes). En juin 1989, il a étonné tous les centristes lorsque fut révélée la composition de la liste centriste de Simone Veil aux élections européennes : son numéro deux était cet inconnu de la classe politique, Jean-Louis Borloo, tandis que les candidatures se bousculaient, après l’épisode des Rénovateurs. Comme en juin 1984, les élections européennes de juin 1989 ont été l’occasion de mettre en piste dans la vie politique nationale de jeunes maires plein d’avenir. C’était le cas pour Jean-Louis Borloo qui fut ensuite élu député (national) du Nord de mars 1993 à sa démission, en avril 2014, réélu sans discontinuer pendant cette vingtaine d’années.

Centriste Jean-Louis Borloo ? Assurément… mais avant tout, atypique. Il encouragea la création de Génération Écologie par Brice Lalonde et Noël Mamère (avec Haroun Tazieff) au début des années 1990. Il se présenta aux élections régionales du Nord-Pas-de-Calais le 22 mars 1992 en menant une liste centriste écologiste. Les résultats furent très confus en l’absence de majorité. Cinq grandes forces se partageaient le conseil régional : sur 113 sièges, la gauche menée par un ministre important, Michel Delebarre, avait 42 sièges ; l’alliance UDF-RPR menée par Jacques Legendre 26 sièges ; le FN mené par Carl Lang 15 sièges ; les listes de Jean-Louis Borloo 14 sièges ; Les Verts 8 sièges et Génération Écologie 6 sièges (et 2 sièges pour Chasse pêche nature et traditions). Aucune majorité absolue. Après deux tours d’un duel entre candidat PS et candidat RPR à la présidence du conseil régional, Jacques Legendre a eu l’idée de s’effacer derrière Jean-Louis Borloo qui pouvait attirer vers lui les élus écologistes. Michel Delebarre a alors été le plus malin en s’effaçant aussi derrière Marie-Christine Blandin, élue Vert, qui a ramené à elle toute la gauche et tous les élus écologistes et fut couronnée présidente de région (la première femme et la première écologiste).

À cette époque, Jean-Louis Borloo a montré un talent politique exceptionnel, faisant bouger les lignes politiques, renversant le jeu politique classique. Il a tenté une seconde fois de conquérir le conseil régional le 15 mars 1998, il est arrivé en deuxième position, devant les listes UDF-RPR "officielles", faisant en tout 35 sièges, tandis que la gauche en a obtenu 42 (comme dans le conseil régional sortant), le FN 18 sièges, Les Verts 9, LO 7 et CPNT 2. Jean-Louis Borloo fut ainsi, par sa performance électorale, belle mais insuffisante, le champion du centre droit, battu par la gauche.

Les expériences locales ou régionales de Jean-Louis Borloo ne pouvaient que déboucher sur des responsabilités nationales. Pendant longtemps, il a été jaloux de son indépendance politique, au point de siéger entre 1993 à 1997 dans le groupe parlementaire présidé par Jean Royer rassemblant administrativement les "non inscrits" (constituer un groupe apporte davantage de moyens pour exercer le mandat de député). À partir de juin 1997, toutefois, Jean-Louis Borloo s’est engagé au sein de l’UDF, avec l’étiquette Force démocrate (qui a succédé au CDS en 1995). Parti qui lui ressemblait le plus : démocrate-chrétien avec des aspirations sociales. Jusqu’en 2002, il fut l’un des piliers de la Nouvelle UDF et en 2001, le porte-parole du candidat François Bayrou à l’élection présidentielle de 2002.

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"Récupéré" par le Président Jacques Chirac, le mot est fort ("récupéré") mais c’était un peu le sentiment de l’époque, car ce fut un véritable divorce avec François Bayrou. Ce dernier avait démarré une stratégie autonomiste qui allait aboutir à l’élection de l’électron libre Emmanuel Macron en 2017, alors qu’au contraire, l’électron libre Jean-Louis Borloo "se rangeait". Le "oui" à un poste ministériel, tout à fait compréhensible pour un homme d’action, l’a fait quitter l’UDF pour rejoindre l’UMP et (en 2003), le Parti radical qui était un parti satellite de l’UMP.

A commencé alors une longue carrière ministérielle sous la Présidence de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy, les deux séduits par la personnalité de Jean-Louis Borloo. Il fut ainsi nommé Ministre délégué à la Ville et à la Rénovation urbaine du 7 mai 2002 au 31 mars 2004, puis Ministre de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale du 31 mars 2004 au 18 mai 2007, puis Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi du 17 mai 2007 au 19 juin 2007, enfin, Ministre d’État, Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire du 19 juin 2007 au 13 novembre 2010 (de l’Énergie à partir du 18 mars 2008, de la Mer à partir du 23 juin 2009).

Parmi ses actions ministérielles, Jean-Louis Borloo a fait adopter la loi n°200-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine (plus connue sous le nom de loi Borloo), qui a apporté un budget massif pour rénover les logements dans les quartiers délaissés. Le plan de cohésion sociale présenté le 30 juin 2004 ainsi que la loi n°2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale ont permis de faire redescendre le chômage de 10% à 7,7%. Ces actions l’ont rendu très populaire dans l’électorat.

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En 2007, son soutien à la candidature de Nicolas Sarkozy lui a assuré son maintien au gouvernement. D’abord à l’Économie et aux Finances, mais sa maladresse de parler de TVA sociale entre les deux tours des élections législatives de juin 2007 ont fait perdre à la majorité plusieurs dizaines de sièges et il fut donc "exfiltré" de Bercy comme le fut, en 1995, Alain Madelin. Ce poste va mal aux bouillonnements d’idées. Il fut recyclé comme numéro deux du gouvernement de François Fillon à l’Écologie, avec titre de Ministre d’État, et c’est à partir de lui que l’Écologie est devenue (parfois) une attribution ministérielle très politique. Il remplaçait Alain Juppé qui, ayant échoué dans sa circonscription bordelaise, devait quitter le gouvernement parce que désavoué par les électeurs.

Le bilan de Jean-Louis Borloo de trois ans et demi au Ministère de l’Écologie est probablement plus dense que celui de tous ses successeurs pour la plupart étiquetés écologistes. Il a en particulier organisé le Grenelle de l’Environnement en 2007, aboutissant à deux grandes lois de programmation (loi n°2009-967 du 3 août 2009 et loi n°2010-788 du 12 juillet 2010) qui ont le but de répondre à l’urgence écologique.

Le discours très sécuritaire de Nicolas Sarkozy le 30 juillet 2010 à Grenoble a refroidi les ardeurs des centristes à rester au gouvernement. Pourtant, pendant presque six mois à cette époque, les rumeurs disaient que Jean-Louis Borloo serait nommé à Matignon. Conseillé par Édouard Balladur, François Fillon s’est accroché et a eu finalement gain de cause, ce qui amena Jean-Louis Borloo à refuser de rester au gouvernement. Très attaché à lui, Nicolas Sarkozy lui aurait proposé d’aller aux Affaires étrangères, à la Justice ou encore de rester à l’Écologie.

Présidant le Parti radical à partir de 2005, Jean-Louis Borloo a fait quitter ce parti de l’UMP en avril 2011 mais il n’a pas franchi le Rubicon et très tôt, le 2 octobre 2011, il a renoncé à se présenter à l’élection présidentielle, son espace politique étant réduit entre Nicolas Sarkozy et François Bayrou. Le 22 octobre 2012, Jean-Louis Borloo a cofondé l’Union des démocrates et indépendants (UDI) dont il a pris la présidence, sous la bienveillance de Simone Veil, de Pierre Méhaignerie et de Valéry Giscard d’Estaing, et même des proches de François Bayrou. Le 5 novembre 2013, une alliance entre UDI et MoDem fut signée par Jean-Louis Borloo et François Bayrou pour présenter des listes communes aux élections européennes de mai 2014. Pour la première fois, les deux hommes, au lieu de rivaliser, ont ajouté leurs forces.

Son retrait brutal de la vie politique l’a dirigé vers une nouvelle vie après son lent rétablissement. Il s’est alors investi dans le continent africain, considérant qu’il était absolument indispensable que l’Afrique, le continent de l’avenir, avec une forte natalité, puisse avoir au moins l’eau courante et l’électricité courante. Il a mis en place des projets concrets ainsi qu’une fondation pour les financer. Par ailleurs, de décembre 2016 à mai 2020, Jean-Louis Borloo a été nommé membre du conseil d’administration de l’entreprise chinoise Huawei Technologies France, refusant toutefois d’en prendre la présidence qu’on lui avait offerte en juillet 2019.

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Le 30 avril 2017, Jean-Louis Borloo a soutenu très activement la candidature d’Emmanuel Macron (rappelons qu’un différent personnel séparait Jean-Louis Borloo de son ancien Premier Ministre François Fillon, candidat en 2017), et il fut missionné le 14 novembre 2017 par le nouveau (jeune) Président pour présenter un plan pour la politique de la ville mais son rapport, présenté le 26 avril 2018, ne fut pas suivi d’action.

J’ai mis en titre "boîte à occasions perdues" parce que Jean-Louis Borloo n’a pas su aller jusqu’au bout d’une démarche politique nationale, à savoir, une candidature à l’élection présidentielle ou la pérennisation d’une formation politique centriste. Lui était fédérateur et a presque su réunifier un centre lessivé sinon disloqué par trois élections présidentielles 2002 (UMP), 2007 (MoDem) et 2012 (victoire de l’opposition). Après son départ et avec l’arrivée d’Emmanuel Macron dans le paysage politique, qui a créé ex nihilo une formation centriste issue de nulle part, jamais les centristes n’ont été aussi divisés qu’en ce moment. On regrettera donc que le pouvoir actuel n’a pas su "utiliser" mieux et plus respectueusement la grande énergie créative de Jean-Louis Borloo. Bon anniversaire et bonne santé !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 avril 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Rapport Borloo remis le 26 avril 2018 sur le développement des quartiers en France (à télécharger).
Jean-Louis Borloo.
Vers un rassemblement des centristes.
François Bayrou.
Olivier Stirn.
Marielle de Sarnez.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210407-borloo.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-louis-borloo-l-atypique-boite-232115

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/04/04/38901526.html







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L'intégralité de mes articles (depuis février 2007) se trouve sur le site http://www.rakotoarison.eu
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