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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
28 avril 2021

Anicet Le Pors, l‘un des quatre ministres communistes

« Il fallait les voir aujourd’hui, arriver ensemble et en avance au conseil des ministres. Charles Fiterman, pourtant particulièrement peu jovial, s’est montré le plus souriant ; Anicet Le Pors, le plus à l’aise. Il fallait encore les voir affronter, toujours groupés, photographes et caméras dans la cour de l’Élysée ! Tous les autres ministres sont verts de rage : on ne parle pas, ou à peine, d’eux ! » (Michèle Cotta, le 24 juin 1981).



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Il fête son 90e anniversaire ce mercredi 28 avril 2021. Qui ? L’ancien ministre Anicet Le Pors. Sénateur des Hauts-de-Seine élu en septembre 1977 (il avait 46 ans), Anicet Le Pors s’est fait connaître avec la victoire de la gauche en 1981, car il a été choisi par Georges Marchais pour être l’un des quatre ministres communistes nommés par François Mitterrand. Comme souvent, la confrontation aux réalités du pouvoir …l’ont fait quitter un parti idéologique qui se soucie peu (se souciait peu, à l’imparfait ?) des réalités économiques, sociales et même politiques.

De formation ingénieur, docteur en économie, Anicet Le Pors a commencé sa carrière professionnelle à la Météorologie nationale. À partir de 1965, il a travaillé au Ministère de l’Économie sur divers sujets (industrie, immigration, développement économique, etc.) et a enseigné à l’Université de Paris-Villetaneuse et à l’ESSEC (école de commerce).

Syndiqué d’abord à la CFTC puis à la CGT (à partir de 1955), il a adhéré au PCF en 1958. Le passage de la CFTC à la CGT était assez rare, et le passage au PCF aussi, il avait initialement adhéré au mouvement Jeune République qui reprenait les idées de Marc Sangnier dans la continuation politique du Sillon (ce qui expliquait le choix de la CFTC en 1953). Il fut élu sénateur en 1977 et a exercé son mandat pendant trois ans et demi au sein du groupe communiste et de la commission des finances (il a aussi été membre de la commission d’enquête sur le naufrage de l‘Amoco Cadiz). Son élection parlementaire lui a permis de siéger au comité central du PCF à partir de 1979. À la campagne présidentielle de 1981, il a fait campagne activement pour la candidature de Georges Marchais, le très imposant secrétaire général du PCF de l’époque.

Pendant la campagne de l’élection présidentielle et même des élections législatives qui ont suivi, au printemps 1981, François Mitterrand avait refusé obstinément d’annoncer s’il nommerait des ministres communistes ou pas. L’ambiguïté le servait : un électorat de centre gauche agacé par les divisions de la majorité d’alors ne pouvait rejoindre un candidat lié par un pacte communiste. Et de l’autre côté, faire entrevoir des ministres communistes, sans précédent depuis la Libération, c’était donner à des gens très à gauche l’idée d’un nouveau Front populaire, plus à gauche même, car en 1936, le PCF avait refusé de participer à l’action gouvernementale même s’il la soutenait. Cette ambiguïté pouvait aussi être sincère car il refusait de négocier et même de contacter les communistes avant les élections pour ne pas être prisonnier d’eux ou d’un quelconque accord.

Cette ambiguïté se leva à l’issue du second tour des élections législatives du 21 juin 1981 : le PS avait conquis la majorité absolue des sièges (285 sièges sur 491), ce qui était historique, et pouvait donc se permettre de faire une alliance avec le PCF (44 sièges) sans être lié ni inquiété par lui, puisqu’une rupture d’alliance ultérieure n’aurait pas, le cas échéant, de conséquence arithmétique dans le soutien des parlementaires au gouvernement socialo-communiste.

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Cette entrée des communistes s’est concrétisée lors de la formation du deuxième gouvernement de Pierre Mauroy le 23 juin 1981. François Mitterrand a réservé quatre ministères aux communistes dans le nouveau gouvernement, à charge pour eux d’indiquer les noms et les portefeuilles, à l’exclusion des ministères régaliens. Le PCF voulait initialement cinq ministres et lui a proposé Gisèle Moreau au Travail, Jack Ralite à la Culture, Anicet Le Pors aux PTT et Guy Hermier, député de Marseille depuis 1978 et future tête de liste du PCF aux municipales de 1983 à Marseille.

Le Ministre de l’Économie et des Finances Jacques Delors et le secrétaire général de la CFDT Edmond Maire ont recommandé à François Mitterrand de ne pas accepter la nomination de Gisèle Moreau au Travail (poste de Jean Auroux nommé le 22 mai 1981). Le Travail fut alors proposé à un autre communiste, Marcel Rigout, mais finalement, Jean Auroux conserva son portefeuille et l’on attribua à Marcel Rigout la Formation professionnelle (poste de Marcel Debarge, apparatchik du PS, nommé le 22 mai 1981 que François Mitterrand croyait vouloir démissionner).

De son côté, le Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, numéro deux du gouvernement et très influent maire de Marseille, ne voulait absolument pas la nomination d’un concurrent communiste dans sa ville, Guy Hermier, qui fut donc rejeté de la liste.

François Mitterrand voulait aussi conserver Jack Lang, nommé le 22 mai 1981, à la Culture et proposa à Jack Ralite la Santé (poste d’Edmond Hervé nommé le 22 mai 1981). Après lui avoir refusé les PTT (poste de Louis Mexandeau nommé le 22 mai 1981), il proposa à Anicet Le Pors la Consommation, que ce dernier refusa. Finalement, Anicet Le Pors fut nommé Ministre délégué auprès du Premier Ministre chargé de la Fonction publique et des Réformes administratives (poste de Catherine Lalumière nommée le 22 mai 1981) du 23 juin 1981 au 17 juillet 1984 (lors de la formation du troisième gouvernement de Pierre Mauroy le 24 mars 1983, Anicet Le Pors fut relégué de ministre délégué à secrétaire d’État).

Quant au quatrième communiste, ce fut Charles Fiterman, numéro deux du PCF, qui fut bombardé Ministre d’État, Ministre des Transports (portefeuille de Louis Mermaz nommé le 22 mai 1981 et qui allait se faire élire au perchoir), au quatrième rang du gouvernement dans l’ordre protocolaire, derrière Gaston Defferre et Michel Jobert, et devant Michel Rocard et Jean-Pierre Chevènement.

Ce qu’en écrit Michèle Cotta dans ses "Cahiers secrets" est intéressant. Du côté des communistes, elle raconte : « Un accord programmatique entre PC et PS a été au préalable signé le 22 juin [1981]. (…) Les dirigeants du PC, Georges Marchais et Roland Leroy, ont choisi de ne pas en être, sans doute pour préserver l’unité du parti. Au comité central, en effet, deux tendances se sont exprimées : une tendance favorable à la participation, fût-ce au prix fort, c’est-à-dire en acceptant de passer sous les fourches caudines mitterrandiennes, et une tendance plus dure, finissant par accepter l’accord gouvernemental et l’entrée des communistes au gouvernement, mais mettant en garde le parti sur le danger de perdre sa personnalité s’il n’affirme pas sa différence. ».

Du côté des socialistes, Michèle Cotta est assez claire : « [Mitterrand] a préféré son image personnelle, celui de l’homme qui a mis fin à des années de rupture entre le PS et le PC, qui a fait ce qu’il avait annoncé dans son programme, aux dangers qui menacent le franc et l’équilibre monétaire de la France. Ce n’est un mystère pour personne que Michel Jobert et Jacques Delors pensent et disent que la présence des communistes à leurs côtés risques d’atténuer la confiance, combien fragile, que manifestent au nouveau gouvernement de la France les milieux financiers, nationaux et internationaux. ».

Et puis la motivation profonde (évidente) : « Peut-être, dans l’esprit de Mitterrand, y a-t-il surtout l’idée qu’il vaut mieux forcer les communistes à prendre leurs responsabilités au moment précis où ils sont les plus faibles depuis 1945. Les laisser en dehors de l’expérience gouvernementale en cours, ce serait risquer de les voir, à un moment précis, face à la première difficulté, reprendre leurs distances et tirer à boulets rouges sur les socialistes. (…) André Rousselet [directeur de cabinet à l’Élysée et futur patron de Canal Plus], avec qui j’en parle et qui n’est pas plus enthousiaste, m’assure : "C’est le seul moyen de les liquider !". Mauroy disait : les neutraliser. André Rousselet va plus loin. (…) Le monde politique, à droite, bien sûr, mais pas seulement, chez les rocardiens aussi, ne voulait pas y croire. La nomination des quatre ministres communistes est ce que la presse (…) retient de la formation du second gouvernement Mauroy. ».

Dans ce quatuor communiste, Anicet Le Pors fut le seul sous-ministre délégué, ses trois autres collègues étaient ministres "plein", ce qui leur permettait d’assister à tous les conseils des ministres. La tenue du premier conseil des ministres le 24 juin 1981 a même failli provoqué un incident diplomatique : à la sortie de cette première séance, les quatre ministres communistes étaient réunis ensemble sur le perron de l’Élysée, comme des bêtes curieuses pour les photographes (c’était l’information de la journée).

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Au même moment, le Vice-Président des États-Unis, George H.W. Bush (Sr) était reçu par François Mitterrand dans le même palais. Or, le question des ministres communistes avait pollué les relations franco-américaines pendant les premières semaines du mandat de François Mitterrand qui a finalement dû rassurer les Américains en leur prouvant que ces ministres communistes n’avaient qu’un rôle subalterne et que le PS avait à lui tout seul une majorité absolue et ne dépendait donc pas des voix communistes. Pour éviter que le Vice-Président ne croisât les ministres communistes (cela aurait fait d’intéressantes photos), George Bush Sr est alors entré par la porte de derrière de l’avenue Gabriel.

Cette visite diplomatique était cruciale dans les relations entre Ronald Reagan et François Mitterrand. Bush Sr était venu à Paris pour clarifier l’état de ces relations et avait conditionné la rencontre avec François Mitterrand par la non nomination de ministres communistes. Les États-Unis avaient surtout peur que des informations stratégiques fussent livrées par les ministres communistes à Moscou. Pour bien montrer que les Américains n’avaient pas à s’ingérer dans les affaires intérieures de la France, ces ministres communistes ont été nommés la veille sans prendre ne compte les inquiétudes américaines.

Présent au repas officiel à l’Élysée en présence de François Mitterrand, Bush Sr et d’autres diplomates (comme le ministre Claude Cheysson), le Secrétaire d’État américain aux Affaires européennes Allen Holmes a écrit dans son compte-rendu : « Mitterrand a passé une bonne partie du déjeuner à nous décrire comment il allait étouffer les communistes en les intégrant au gouvernement et en les forçant à soutenir une politique contraire à la doctrine communiste. Au début du déjeuner (…), Bush semblait plutôt sceptique en écoutant ces explications. Au dessert, il avait l’air de considérer que ce Mitterrand avait peut-être raison et qu’il était vraisemblablement capable de réussir. ».

Dans la conférence de presse commune quelques heures plus tard sur le perron de l’Élysée, Bush, reprenant la langue de bois, a déclaré que la présence des ministres communistes « est certainement appelée à causer du souci aux alliés de la France », mais François Mitterrand l’a interrompu alors en disant martial : « La politique de la France est celle de la France et restera celle de la France. ». Par la suite, la France a toujours été très loyale aux États-Unis, dans la transmission de renseignements, et dans son soutien à la politique des missiles de Washington, ce qui expliquait les très bonnes relations entre Reagan et Mitterrand.

L’action d’Anicet Le Pors à la Fonction publique a été assez importante, même si elle pouvait être discutable. Il a ainsi étendu le statut de fonctionnaire à toutes les fonctions publiques : les administrations de l’État, les instituts de recherche publique (CNRS par exemple), et aussi les fonctionnaires hospitaliers et les fonctionnaires territoriaux (qui, avec la décentralisation, se sont multipliés). Cette très profonde réforme a été régie par quatre lois dont trois ont été initiées par Anicet Le Pors (loi n°83-634 du 13 juillet 1983, loi n°84-16 du 11 janvier 1984, loi n°84-53 du 26 janvier 1984 et loi n°86-33 du 9 janvier 1986). La réglementation sur la fonction publique a été également modernisée.

Parmi les nouvelles dispositions, la retraite obligatoire à 65 ans qui visait explicitement Pierre Desgraupes, le patron d’Antenne 2, comme le souligne Michèle Cotta le 3 octobre 1984 : « Conçue pour accélérer le renouvellement des responsables de la haute administration, la loi s’applique, sans ambiguïté cette fois, au cas de Pierre Desgraupes. D’autant qu’un paragraphe a été ajouté en séance publique, qui fixe la limite d’âge à 65 ans dans les établissements publics et autres sociétés dans lesquelles l’État, les collectivités ou les personnes publiques détiendraient ensemble plus de la moitié du capital, et dans lesquelles les nominations aux fonctions énoncées sont proposées par décret. Ce paragraphe, visant directement Pierre Desgraupes, a été ajouté par la majorité parlementaire à l’Assemblée Nationale. (…) Interrogé par [Agnès Chauveau] le 20 juin 1994, Jean-Claude Colliard, directeur de cabinet de François Mitterrand, confirme que le paragraphe ajouté en séance publique par les députés visait expressément Pierre Desgraupes). ».

Après la démission de Pierre Mauroy de Matignon, les communistes en ont profité pour quitter le navire gouvernemental. Pierre Mauroy avait insisté pour que le PCF restât dans la majorité en mars 1983 et il n’aurait pas accepté de continuer à diriger le gouvernement s’il n’était plus "d’union de la gauche".

Se retrouvant sans mandat parlementaire, Anicet Le Pors a été recasé par François Mitterrand au prestigieux Conseil d’État et il le resta jusqu’à sa retraite en 2000. Il faut savoir que François Mitterrand n’hésitait pas à utiliser justement l’une des réformes d’Anicet Le Pors dans la haute fonction publique, la capacité de nommer au tour extérieur des hauts fonctionnaires dans les grands corps de l’État, histoire de compenser des pertes de mandats parlementaires ou ministériels, ou d’autres fonctions trop importantes pour retrouver les fonctions précédentes. Ainsi, la journaliste Michèle Cotta s’est vue proposer par François Mitterrand d’intégrer le même Conseil d’État en 1986 après avoir été démise de ses fonctions de présidente de la Haute Autorité de l’audiovisuel (qui a été dissoute par la loi). Michèle Cotta a poliment refusé, voulant continuant à exercer son métier de journaliste (mais elle a parfois pu regretter ce refus).

Après le Conseil d’État, Anicet Le Pors est resté encore membre de nombreuses associations et organismes où il a eu parfois une action déterminante (par exemple, on l’appelait "Annulator" à la Commission des recours des réfugiés qui contestent un refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides). Il a rédigé plusieurs rapports sur des sujets très techniques (sur les travailleurs saisonniers du tourisme, sur les emplois jeunes, sur les pensions des anciens combattants de l’outre-mer, sur le statut des greffes des juridictions administratives, etc.). Il a aussi été membre de la Commission d’accès aux documents administratifs et du Haut Conseil à l’intégration.

Sur le plan électoral, Anicet Le Pors a été élu conseiller général des Hauts-de-Seine à Nanterre de mars 1985 à mars 1998 (réélu en mars 1992, il ne s’est pas représenté ensuite). Sur le plan politique, Anicet Le Pors s’est opposé à la ligne orthodoxe de son parti en réclamant une refondation, ce qui l’a amené à son éloignement puis démission du PCF en 1994. Il fut candidat aux élections européennes de juin 1994 sur la liste menée par Jean-Pierre Chevènement aux côtés de Gisèle Halimi pour s’opposer au Traité de Maastricht. Enfin, en 2017, il a refusé de choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 avril 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Anicet Le Pors.
Pierre Juquin.
Le congrès de Tours.
Trotski.
Le Pacte germano-soviétique.
Liliane Marchais.
Georges Marchais.
Fais les valises, on rentre à Paris !
Gaston Plissonnier.
Jean Ferrat.
Roland Leroy.
Georges Séguy.
Le communisme peut-il être démocratique ?
Karl Marx.
Claude Cabanes.
Michel Naudy.
Paul Vaillant-Couturier.
La Révolution russe de 1917.
Jacques Duclos.
Staline.
Front populaire.
Jean Jaurès.
Léon Blum.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210428-anicet-le-pors.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/anicet-le-pors-l-un-des-quatre-232567

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/04/23/38935928.html




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