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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
24 mai 2021

L'acteur Jean-Pierre Bacri est né il y a 70 ans, le 24 mai 1951

« Il était un homme en colère dans un monde qui lui convenait rarement. Il râlait bien. » (Pierre Arditi, le 18 janvier 2021).



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Le râleur au grand cœur. Bougon le Magnifique… On pourra user de tout le panel du vocabulaire français pour évoquer celui qui vient de s’éteindre ce lundi 18 janvier 2021 d’une maladie toujours aussi cruelle, Jean-Pierre Bacri. Il avait l’âge de 69 ans (né le 24 mai 1951), toujours trop jeune pour mourir, une génération, la même, à quelques semaines près, que Marielle de Sarnez, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon pour ne citer qu’eux.

À côté de la tristesse, il y a cet hommage unanime. Et ce n’était peut-être pas si évident que cela. Jean-Pierre Bacri n’était pas parmi les "stars", ou plutôt, ne se prenait pas pour une star (alors que d’autres croient l’être mais ne le sont pas) et lui a toujours su émouvoir ceux qui l’ont vu et apprécié.

Il y a l’image de lui, plus jeune mais finalement "déjà vieux" (c’est terrible le cinéma, en fonction des rôles, il y a des jeunes déjà vieux, c’était le cas de l’épatant Bernard Blier aussi), le râleur, le mauvais caractère, mais finalement, avec le petit sourire pudique qui refuse de se montrer. Un côté très français, presque "gaulois" si cela voulait dire quelque chose seulement par le cliché. Ce n’est pas très étonnant, cet hommage, un anti-héros bien français, qui a un cœur gros comme ça et qui le cache sous des dehors revêches, un peu énervés, agacés, un peu ébouillantés… Une carapace qui permet d’émerveiller ceux qui découvrent l’intérieur.

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En somme, Jean-Pierre Bacri a montré des personnages auxquels on pouvait tellement s’identifier qu’il était une autre version du "Français moyen", peut-être la plus lucide, et pourtant, non, il n’était pas le représentant des "franchouillards", mais plutôt, ce terme revient systématiquement, de ces Français râleurs. On râle pour dire non et l’on fait oui. Le dernier exemple flagrant, c’est la vaccination contre le covid-19 : on est contre (on râle contre le vaccin, contre la précipitation) et puis, on râle contre le rythme trop lent de la vaccination (mais que fait le gouvernement ?). Jamais contents. Comme ces internautes voyageurs qui écrivent en commentaires sur Tripadvisor de leur séjour à l’étranger que décidément, dans ces hôtels, il y a trop d’étrangers ou qu’ils ne parlent même pas français !

La "râlerie", c’est un état d’esprit. Il n’est pas coordonné par la raison, il est juste coordonné par l’émotion. Cela fait du bien de râler. Grand sport national en France. On râle, c’est de l’hygiène mentale, quasiment.  L’ego est conforté par la "râlerie". On se rebelle à bon compte. Et l’on passe à autre chose. Il vaut mieux râler que faire la guerre. C’est sûr que les "nice", trop "very nice" américains peuvent agacer lorsqu’on sympathise avec des Américains. Parfois, le trop lisse est l’anti-lisse. La "râlerie", c’est l’aspérité, les petits grains de sel qui assaisonnent la fadeur, les petits grains de sable qui nécessitent un peu de lubrification. C’est sans doute cela que les Français ont apprécié chez Jean-Pierre Bacri, ce droit de râler, soutenu, protégé par un personnage devenu célèbre, et même célèbre pour ses "râleries".

Râler n’empêche pas d’entreprendre, c’est le grand message de Jean-Pierre Bacri. Il a su captiver des millions de spectateurs avec ses scénarios, avec son jeu d’acteur et même, de comédien. Une collaboration inédite au théâtre et au cinéma avec Agnès Jaoui, tant sur les textes, les scénarios, que sur le jeu d’acteur. Que dans la vie privée, aussi, puisqu’ils ont vécu ensemble plusieurs décennies.

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En regardant les images les plus récentes de Jean-Pierre Bacri, j’avais un petit pincement au cœur. Il n’était plus ce râleur, ce "jeune" râleur, mais plutôt une personne déjà âgée, burinée par le temps et sans doute déjà la maladie, qui sentait la chaleur humaine, le regard bienveillant, une sorte de bonté qui se dégageait. Comment avoir été "bon" et avoir cette réputation de râleur ? Sans doute, comme je l’ai écrit plus haut, une couverture, une carapace, un voile pudique pour garder au chaud sa chaleur humaine et ses sentiments cachés.

C’est le problème des acteurs et comédiens, le grand public les voit par les filtres déformés de leurs rôles qui, parfois, sont récurrents, tandis que leur vraie personnalité intérieure peut être très différente. Qu’importe, c’est ce qu’ils représentent qui l’emporte sur la réalité personnelle.

Jean-Pierre Bacri, "on l’aime bien" pourraient dire de nombreux compatriotes. C’est celui qui casse le consensus poli des hypocrisies sociales. Il est un acteur qui a fait beaucoup de seconds rôles au point de risquer d’y être cantonné, mais non, il a su aussi trouver les opportunités pour être dans les premiers rôles. Il aurait pu n’avoir que des fades succès d’estime de sa profession, comme souvent pour les non-héros (je pense notamment à Jean Bouise, Jacques François, Michel Robin, à plein d’autres), alors qu’en fait, il a été très encensé par la profession, et notamment pour les deux distinctions phares du cinéma et du théâtre.

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En fait, il a tout eu de ce qu’il a fait. Car ce n’était pas évident d’avoir un tel grand chelem, à savoir, être récompensé pour des talents très différents. Plusieurs vies en une seule. Au théâtre, il a été récompensé pour avoir écrit des pièces de théâtre avec le Molière de l’auteur en 1992 pour "Cuisine et Dépendances" (coécrit avec Agnès Jaoui), et il a aussi reçu le Molière du comédien en 2017 pour "Les Femmes savantes". Le théoricien et l’homme pratique, du théâtre. Auteur et acteur.

Au cinéma aussi, il a été récompensé pour ces deux talents très différents. Il a reçu quatre fois le César du meilleur scénario, en 1994 pour "Smoking, no smoking" (avec Agnès Jaoui), en 1997 pour "Un air de famille" (avec Agnès Jaoui et Cédric Klapisch), en 1998 pour "On connaît la chanson" (avec Agnès Jaoui) et en 2001 pour "Le Goût des autres" (avec Agnès Jaoui).

Et il a reçu le César du meilleur acteur dans un second rôle en 1998 pour "On connaît la chanson" (nommé pour la même distinction en 1986 pour "Subway"). Il ne lui a manqué que le César du meilleur acteur (dans un premier rôle) pour lequel il a été nommé six fois ! En 2000 pour "Kennedy et moi", en 2001 pour "Le Goût des autres", en 2004 pour "Les Sentiments", en 2013 pour "Cherchez Hortense", en 2016 pour "La Vie très privée de Monsieur Sim", et en 2018 pour "Le Sens de la fête". À ces (sept) nominations, il faut enfin ajouter une nomination pour un autre César du meilleur scénario, en 2006 pour "Comme une image" (toujours avec Agnès Jaoui).

Tiens, justement, ce film, "La Vie très privée de Monsieur Sim" de Michel Leclerc (sorti le 16 décembre 2015), dans lequel Jean-Pierre Bacri joue Monsieur Sim, aux côtés d’Isabelle Gélinas, Vimala Pons et Félix Moati notamment, fait penser que Jean-Pierre Bacri, bien que plus grand, pouvait faire penser, par sa "gueule" ("Elle est pas belle, ma gueule ?") à …Sim, justement, la version peut-être un peu plus "hargneuse" de Sim. (Bon, cela imagé, à la vie réelle, ce n’était pas la hargne qui guidait Bacri, plutôt le cœur).

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Quels sont les meilleurs films de/avec Bacri ? C’est difficile de tous les citer, de citer les comédies succulentes, ces chroniques sociales si vraies, si drôles, souvent accompagnées de Jean-Pierre Darroussin (l’un est râleur, l’autre est dépressif), comme "Cuisine et Dépendances" de Philippe Muyl (sorti le 7 avril 1993), "Un air de famille" de Cédric Klapisch (sorti le 6 novembre 1996), "Le Goût des autres" d’Agnès Jaoui (sorti le 1er mars 2000), "Le Sens de la fête" d’Éric Toledano et Olivier Nakache (sorti le 4 octobre 2017), etc. Son dernier film a été "Photo de famille" de Cécilia Rouaud (sorti le 5 septembre 2018), où il jouait un nouveau patriarche aux côtés de Vanessa Paradis, Camille Cottin, Pierre Deladonchamps (ses enfants dans le film) et Chantal Lauby (son ex-femme dans le film).

Terminer par Molière sur la scène. Jouer "Les Femmes savantes", la dernière pièce qu’il a jouée en 2016 au Théâtre de la Porte-Saint-Martin à Paris (mise en scène de Catherine Hiegel), c’était une manière moderne de déclarer son amour aux femmes. Il expliquait qu’il y avait encore beaucoup de progrès à faire pour l’égalité entre l’homme et la femme, notamment dans l’égalité salariale.

Jean-Pierre Bacri voyait aussi dans cette pièce (créée le 11 mars 1672 au Palais-Royal) cette critique sociale contre les pédants de Molière, qui reste encore d’actualité selon lui : « Ils habitent la télé, on a l’impression que c’est leur appartement tellement on les voit. Il y a des milliards de Trissontin, de gens qui ont tout compris, qui savent tout mieux que tout le monde. Ce sont surtout les vedettes, les philosophes, les chroniqueurs qui ont la science infuse, contrairement aux autres qui n’ont rien compris. ». "Des milliards" pour seulement 7,8 milliards d’habitants sur la planète, c’est un peu exagéré, certes, mais on a pu le voir avec la pandémie de covid-19. Et puis, on est toujours un peu le Trissontin de quelqu’un, aujourd’hui, à l’époque des réseaux sociaux.

Mais laissons-lui le mot de la fin à propos de son penchant râleur, car pointait derrière le dramaturge et le comédien un grand philosophe : « Pour moi, l’être humain est hyperfaillible et vulnérable. Je trouve ça dégueulasse de faire croire aux gens que le monde est binaire. Les gentils d’un côté, les méchants de l’autre. Ça ne m’intéresse pas. Je cherche des personnages humains. Pour certains, quand on n’est pas en train de sourire tout le temps, on est rabat-joie. Eh bien, soit ! ». En fait, Jean-Pierre Bacri avait de très jolis sourires. Mais la vie a été un peu moins souriante.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 janvier 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Louis Seigner.
Jean-Pierre Bacri.
Jacques Marin.
Robert Hossein.
Michel Piccoli.
Claude Brasseur.
Jean-Louis Trintignant.
Jean-Luc Godard.
Michel Robin.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210524-jean-pierre-bacri.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/05/15/38972143.html




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