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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
22 mai 2021

Fin de vie : la sérénité ultime du professeur Axel Kahn

« Étre homme, conscient à la fois de son animalité et de ses traits spécifiques fondant notre humanité, oser vouloir en réaliser pleinement ses potentialités, en communion avec autrui, s’en donner les moyens. Puis, parfois, se retourner sur son chemin et pouvoir se dire que, s’il n’est pas parfait, il n’est pourtant pas insignifiant. En ressentir quelque satisfaction, tenter d’être heureux, en somme… » (Axel Kahn, "L’homme, ce roseau pensant…", éd. NIL, 2007).



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Il a tout prévu, rien ne sera laissé au hasard. La musique des obsèques, aidé de son frère qu’il décrit comme un grand musicologue. Même le menu du repas d’enterrement, avec du champagne, parce qu’en Champagne, il y a toujours du champagne, même dans les enterrements. Il y a comme une gêne à écouter le professeur Axel Kahn qui était interviewé sur BFM-TV ce vendredi 21 mai 2021.

En fait, cette gêne existe depuis le début de la semaine, je ne sais pas s’il s’est répandu dans d’autres médias, mais il était l’invité de France Inter dans la matinale du lundi 17 mai 2021. Pour dire que, pour lui, tout était fini. Qu’il était atteint d’un cancer irrémédiable. Il partait à l’hôpital dans deux jours (le 19 mai 2021), et que ce ne serait qu’une question de semaines, peut-être de jours.

C’est la Ligue nationale contre le cancer, qu’il préside depuis le 28 juin 2019, qui l’a annoncé le 11 mai 2021 : la maladie s’est brutalement aggravée et il va devoir démissionner, tout laisser en plan. En fait, cette saleté de maladie, il a eu le premier diagnostic le 3 août 2020, mais il croyait pouvoir compter sur deux ou trois ans encore. Il voulait laisser son mandat de président de la Ligue contre le cancer en 2022, après une marche de Paris à Nice (c’est un grand randonneur). Il n’en aura pas le temps : en avril 2021, un brutal coup d’accélérateur de cette maladie terrible.

On ne présente plus le professeur Axel Kahn tant il est très souvent invité des plateaux de télévision et studios de radio. L’homme est volontiers cabotin et adore parler, adore expliquer, adore transmettre, et ma foi, pour une personne qui dit des choses sensées, parfois compliquées, toujours denses, c’est plutôt une bonne chose et cela change des vendeurs de vents et de rêves.

C’est un médecin et chercheur en génétique, il a travaillé notamment à l’INSERM et à l’Institut Cochin, il a aussi beaucoup enseigné, fut président de l’Université Paris-Descartes (Paris-5) de 2007 à 2011. Mais il est connu aussi pour ses ouvrages de vulgarisation et ses essais, ses réflexions qui dépassent largement sa seule sphère de compétences scientifiques, c’est un type qui réfléchit par lui-même et cela fait du bien de l’entendre ou de le lire, même si on n’est pas forcément d’accord avec tout ce qu’il exprime.

La science est toujours proche des limites de la philosophie dès lors qu’on réfléchit à l’éthique. Axel Kahn a d’ailleurs été l’un des éminents membres du Comité consultatif nationale d’éthique (CCNE) de 1992 à 2004, et c’est par cette qualité qu’il a eu sa notoriété médiatique, même si sa notoriété était déjà construite par ses travaux de recherche (près de 500 publications dans des revues prestigieuses à comité de lecture).

Ancien membre du parti communiste français, puis du parti socialiste, Axel Kahn a toujours été "de gauche" et s’est souvent engagé : auprès de Bertrand Delanoë à Paris aux élections municipales de mars 2008, aussi auprès de Martine Aubry lors de la primaire socialiste d’octobre 2011. Candidat socialiste lui-même aux élections législatives de juin 2012 dans la 2e circonscription de Paris, Axel Kahn a obtenu un score honorable au premier tour (dans les 5e, 6e et 7e arrondissements), 33,9% et fut battu au second tour avec 43,5% par l’ancien Premier Ministre François Fillon.

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Son frère aîné, le journaliste Jean-François Kahn (presque 83 ans), le "musicologue" selon son frère, lui, s’était plutôt engagé derrière François Bayrou, sur la liste du MoDem aux élections européennes de juin 2009 dans le Grand-Est.

À 76 ans (né le 5 septembre 1944), Axel Kahn jouissait jusqu’alors d’un statut confortable de mandarin, écouté par les médias qui lui ouvraient leurs portes quand il le voulait, à l’image d’un Albert Jacquard. Il n’était donc pas étonnant qu’avec la pandémie de covid-19, il fût parmi les premiers médecins à être au front médiatique pour commenter, conseiller, recommander, regretter…

Axel Kahn fut d’ailleurs parmi les médecins qui ont le moins compris la stratégie du gouvernement après Noël 2020, demandant un troisième confinement dès la fin du mois de janvier 2021 pour réduire ces quatre à cinq cents décès quotidiens du covid-19. Il a aussi mis en garde contre les retards de dépistage des cancers à cause de la crise sanitaire et a évalué une surmortalité d’environ 13 000 décès par cancer ce retard de prise en charge.

La maladie renforce-t-elle la lucidité ? Quand Bernard Tapie, atteint du même mal et probablement pas en meilleure posture, intervient dans les médias, c’est surtout pour parler de ses affaires, de son histoire, de sa vie, alors qu’Axel Kahn, lui, aborde d’abord sa maladie, sa mortalité, son bout du chemin. Marielle de Sarnez préférait combattre dans la discrétion et loin des médias.

L’épreuve qu’Axel Kahn traverse est malheureusement aujourd’hui incontournable. Certes, c’est le destin de tout homme, mais savoir l’échéance très proche n’aide pas forcément à vivre les dernières semaines de son existence de manière sereine. Lui qui est athée, il sait qu’il survivra à son corps, de manière intellectuelle, grâce à tous les écrits qu’il a pu laisser ici ou là, et aussi dans le souvenir de ceux qui restent.

Ce qui frappe cette semaine, c’est ce besoin de s’épancher dans les médias, comme si, pour lui, c’était aussi le moyen de continuer à vivre jusqu’au bout. Ce sentiment de gêne que j’ai décrit au début, c’est une sorte d’impudeur de s’étaler ou d’étaler sa maladie. C’est aussi cette sorte de volonté de se montrer en exemple, non pas comme modèle (bien sûr que non), mais pour exprimer, se faire en quelque sorte le porte-voix de tous les malades du cancer en phase terminale qui vivent la même stupeur, la même angoisse, la même terreur.

Mais son exemple est individuel, personnel, particulier, singulier, spécifique, il ne peut représenter que lui-même dans ce dernier combat. Car lui, au contraire peut-être d’autres, semble avoir gagné une extrême, une ultime, j’oserais écrire, une sublime sérénité. Il va mourir dans quelques jours, quelques semaines, il sait qu’il va mourir bientôt, il est bien placé comme médecin pour n’imaginer aucun réel échappatoire, mais il veut vivre ses derniers moments le mieux possible, le plus serein possible, comme on termine un copieux repas, qui, à un moment, doit nécessairement s’achever.

Alors, son expression médiatique n’a qu’une valeur descriptive, qu’une valeur de témoignage, de précieux témoignage, d’angoissant témoignage, elle ne saurait être figure instructive, elle est indicative, elle n’est qu’une parmi tant d’autres mais lui, au contraire de tant d’autres, a un accès illimité aux médias, ce qui lui donne un caisse de résonance importante, aussi une certaine responsabilité.

À la question sur l’euthanasie, ce n’est plus une hypothèse d’école, Axel Kahn a répondu très clairement : pas question d’abandonner le combat, il se battra jusqu’au bout, il ne choisira pas son heure car il ne sait pas ce qu’il est encore capable de vivre des petits bonheurs. Il n’exclut pas, aux tout derniers moments, d’utiliser la possibilité d’une sédation profonde comme l’autorise la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016, mais il refusera toute euthanasie active parce qu’il ne veut rien rater de la vie. Il ne desserra la mâchoire qu’à son dernier souffle.

Aux autres malades comme à lui, il recommande d’utiliser tous les moyens pour éviter la souffrance, ce qui est possible avec les soins palliatifs, mais sans arracher à la vie qui n’est pas le rôle du médecin, comme il l’avait toujours prôné lorsqu’il était au CCNE, comme il s’était prononcé contre la réification de l’embryon humain.

Comme je l’ai prudemment écrit quelques lignes plus haut, son refus d’euthanasie n’a pas valeur d’exemple et un choix contraire n’aurait pas été plus un exemple, il n’est pas question d’un combat idéologique ni politique, mais du combat d’un homme, du choix d’un homme. Tandis que j’observe que certains lobbyistes de l’euthanasie n’avaient pas hésité, il y a quelques mois, à récupérer honteusement le suicide assisté de l’ancienne sous-ministre socialiste Paulette Guinchard-Kunstler décédée le 4 mars 2021 à Berne, dont le geste, respectable par ailleurs, a choqué, par son caractère militant, de nombreux aidants qui accompagnent des personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative, comme si seule la mort pouvait les soigner.

Face à son destin, en regardant les yeux dans les yeux l’échéance qui va arriver prochainement, Axel Kahn a montré un certain courage, une certaine dignité aussi, celle de vouloir encore un peu maîtriser ce qui n’est plus maîtrisable, une vie, qui vient et qui part, en tâchant de faire, entre les deux, ce que le devoir et l’envie lui ont dicté. Bon courage pour ce terrible voyage…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 mai 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Fin de vie : la sérénité ultime du professeur Axel Kahn.
L’intolérable du professeur Axel Kahn.
Jean-François Kahn.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.
Vincent Lambert.
Au cœur de la civilisation humaine.
Pr. Claude Huriet.
Pr. Jacques Testart.
Bioéthique 2021 (9).

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210521-axel-kahn-fdv2021cz.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/fin-de-vie-la-serenite-ultime-du-233230

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/05/21/38981028.html







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