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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
23 mai 2021

Robert Marchand, centenaire et champion du monde !

« La petite reine est veuve. De cette longue vie de records, de sport et d’engagements, la France gardera le souvenir d’un homme de cœur, dont les proches et les admirateurs, d’Ardèche et d’ailleurs, continueront de suivre la roue. Adieu champion ! » (Jean Castex, Twitter le 22 mai 2021).



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Un retraité, Robert Marchand, s’est éteint ce samedi 22 mai 2021 à Mitry-Mory, une commune de Seine-et-Marne où il habitait depuis longtemps. Peut-être que son nom ne vous dira rien, mais j’avais évoqué l’un de ses exploits il y a maintenant plus de quatre ans au détour d’une histoire de centenaire.

Son premier exploit, qui n’est pas vraiment un exploit mais qui est remarquable tout de même, c’est l’âge de sa disparition : il vient de partir à l’âge de 109 ans et demi (il est né le 26 novembre 1911 à Amiens), à quelques mois près, il aurait même pu être considéré comme un "supercentenaire", ce qui est rare dans le monde, mais de moins en moins rare à une époque où la médecine fait des miracles et l’espérance de vie progresse heureusement.

Ses autres exploits, c’est qu’il est un grand sportif, il est le champion du monde du cyclisme des centenaires. Et cela, c’était de véritables exploits sportifs.

Revenons à la vie de Robert Marchand. Il a connu une enfance assez difficile, obligé de travailler très petit à cause de la Première Guerre mondiale (il habitait sur le front et la famille a dû déménager et se réfugier chez des hôtes peu scrupuleux). Il a quitté l’école très tôt (à 11 ans) et il a voulu faire du sport. En 1924, il a été champion de France de la pyramide, et champion aussi de France de gymnastique en 1933. Quant au cyclisme, il a commencé à en faire à l’âge de 14 ans, il a participé à une course en truandant son nom car elle était réservée aux plus de 15 ans. Il aurait voulu être cycliste professionnel, mais il était trop petit, 1 mètre 50.

Si on en croit sa trajectoire, Robert Marchand n’avait pas eu beaucoup de bagages (études) mais il était une forte tête et débrouillard, savait ce qu’il voulait ou ne voulait pas et ne semblait pas du tout être un assisté. Pourquoi je dis cela ? Parce qu’il a su rebondir, changer de métier, se débrouiller, alors qu’il a adhéré au parti communiste français quand il avait une vingtaine d’années, parce qu’il croyait au Front populaire et voyait dans ce parti un parti des ouvriers, qui défendait les ouvriers et les travailleurs. Il a même reçu la médaille d’honneur de la CGT en novembre 2016 pour avoir été syndiqué pendant… quatre-vingt-dix ans ! Cela laisse songeur.

Son côté forte tête, on pouvait la sentir quand il a reçu la médaille de la jeunesse et des sports en 2009 : pas question pour lui que la ministre en titre la lui remît, à cause de l’étiquette politique de ladite ministre, à savoir Roselyne Bachelot (UMP). Ce fut donc la maire communiste de sa commune qui la lui donna.

Pompier, mais viré pour indiscipline, puis parti après la guerre au Venezuela pour divers métiers (éleveur de volailles, conducteur d’engins, cultivateur de canne à sucre, etc.), puis un séjour au Canada comme bûcheron (mais le métier était trop difficile pour lui), et revenu en France comme maraîcher, vendeur de chaussures, négociant de vin, etc. Sa fiche Wikipédia, qui s’alimente d’heure en heure après son décès, précise mystérieusement qu’il n’a pris sa retraite qu’à 89 ans, ce qui n’est pas étonnant vu la force et la forme du personnage, mais quand même curieux pour un communiste fidèle aussi durablement dont l’idéologie attend tout de l’État.

Tout cela n’aurait pas valu sa notoriété actuelle, sinon localement, s’il ne s’était pas remis au cyclisme à l’âge de 67 ans. Les carrières de champion peuvent être tardives, c’est très rassurant et cela apporte l’espoir à bien des sédentaires non sportifs comme moi qui pourraient ainsi commencer une carrière sportive tardive (cela dit, la procrastination a des limites, à un moment, il faut quand même décider à se bouger le derrière !).

Ainsi, ce fut un "senior" qui a multiplié les courses (les distances parcourues sont indicatives et variables selon l’année) : douze Ardéchoises (entre 85 et 630 km), huit Bordeaux-Paris (600 km), quatre Paris-Roubaix (250 km), et même un Paris-Moscou (2 800 km) en 1992. Lors d’une "Ardéchoise", en 2011 (il avait 98 ans), Robert Marchand a eu un accident, à Saint-Félicien, sur le col du Marchand (un camion a reculé, il a chuté et a été blessé), si bien qu’on a rebaptisé le col à son nom, col Robert Marchand (à 911 mètres d’altitude).

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Mais sa carrière de champion, Robert Marchand l’a commencée à l’âge de 100 ans. Une sorte de revanche personnelle après avoir été repoussé de son souhait de devenir un cycliste professionnel quand il était jeune. L’avantage d’être un sportif centenaire, c’est de ne pas avoir beaucoup de concurrents, voire d’être le seul à concourir !

Ses performances se mesuraient alors sur la distance qu’il était capable de parcourir en une heure sur piste. Entraîné par deux coachs dont une double médaillée de bronze aux championnats du monde sur piste (Magali Humbert-Faure), Robert Marchand a ainsi accumulé les records dans la catégorie des plus de 100 ans, puis celle des plus de 105 ans, deux catégories spécialement créées pour lui !

Au-delà de pouvoir atteindre ces âgés-là, c’est un exploit physique d’être capable de pédaler pendant une heure sans discontinuer (et même quatre fois plus parfois !). Le 17 février 2012, à Aigle (Suisse), il a ainsi parcouru 24,100 kilomètres. Le 28 septembre 2012, à Lyon, il a parcouru 100 kilomètres en 4 heures 17 minutes et 27 secondes, soit une moyenne de 23,3 km/h, ce qui était à peine inférieur à sa performance du 17 février 2012, mais pendant plus de 4 heures. À 102 ans, le 31 janvier 2014 à Saint-Quentine-en-Yvelines, il a amélioré sa performance (peut-être grâce à un vélo conçu spécialement pour lui) en parcourant 26,927 kilomètres en une heure.

À l’occasion de ses anniversaires, Robert Marchand a aussi fait quelques exploits : à 103 ans, le 26 novembre 2014, il a grimpé le col Robert Marchand en Ardèche, en 56 minutes, sur 10 kilomètres avec 450 mètres de dénivelé (malgré le froid et la pluie). À 104 ans, le 26 novembre 2015, il a parcouru plus d’une vingtaine de kilomètres d’une étape du Tour de France 2016 en Ardèche, il me semble la 13e étape qui faisait 37,500 kilomètres (il faut insister sur le fait que l’Ardèche n’est pas un plat pays !). À 105 ans, le 26 novembre 2016, il a parcouru 26,927 kilomètres autour de sa ville de résidence, Mitry-Mory.

Nouveau record du monde pour Robert Marchand le 4 janvier 2017 à Saint-Quentin-en-Yvelines dans la nouvelle catégorie des coureurs de plus de 105 ans, en parcourant 22,547 kilomètres en une heure. Mais il s’était "bridé" car il n’avait pas vu qu’il était à la fin de l’heure où il aurait pu un peu accélérer : « C'est bien ! J'ai pas vu l'affiche des dix dernières minutes, sinon j'aurais été un peu plus vite, j'aurais fait mieux. ».

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Et il n’avait pas tort puisque le 27 août 2017 à Albi, il a parcouru 23 kilomètres en 55 minutes et 23 secondes (soit une moyenne de 23,9 km/h). Pour cet exploit, Gérard Mistler, le président de l’Ardéchoise, a expliqué au journal "Le Dauphiné libéré" : « C’était sa première participation à cette compétition internationale. Je l’ai trouvé très  l’aise, très fluide. Il était plus en forme que lors de l’Ardéchoise [en juin 2017] où il avait quelques problèmes de tension. Là, j’ai retrouvé le vrai Robert. (…) Il a eu droit à des ovations. C’est tellement phénoménal, ce qu’il est capable de faire. Je pense qu’il est unique au monde. ».

Robert Marchand n’était pas le seul à vouloir faire du vélo "vieux". Il a eu une concurrente qui aurait pu être sa fille, devenue championne du monde pour les femmes de plus de 80 ans : le 30 septembre 2017 à Saint-Quentin-en-Yvelines, Janet Augusto (82 ans) a en effet couru 28,226 kilomètres en une heure : « Je suis bien, je ne souffre pas. (…) En s’entretenant, on vit bien et longtemps. ». Cela dit, Janet Augusto en a fini et ne souhaite pas récidiver.

Tout le contraire de Robert Marchand qui est resté encore dans la course. Encore 16 tours de piste au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines le 11 février 2018, à 106 ans, à parcourir 4 kilomètres à l’occasion des finales de la Coupe d’hiver de cyclisme sur piste : « Je suis là pour montrer que tant que l’on a la santé, on peut encore faire ce que l’on veut. Je n’ai pas pris ma retraite. J’ai juste ralenti ! (…) C’est mieux que ce que je pensais. J’ai eu un peu peur au début. Mon principal problème, ce sont l’équilibre et les rhumatismes. C’est pas rigolo tous les jours. ». En fait, en refaisant encore du vélo à cette date-là, il outrepassait l’interdiction de son médecin qui lui avait ordonné d’arrêter en janvier 2018, ce qui lui a fait rater une course le 4 janvier 2018.

Le 26 octobre 2018 à Saint-Quentin-en-Yvelines, à un mois de ses 107 ans, Robert Marchand a encore couru une heure à vélo, sans qu’il ne fût possible d’établir un record car l’Union cycliste internationale n’a pas voulu prendre la responsabilité d’homologuer une performance pour un coureur de cet âge. Qu’importe ! À 107 ans, le 26 novembre 2018, le centenaire est reparti en Ardèche courir « près de 20 kilomètres à vélo entre Privas et le Pouzin, sur la voie douce de la Payre », indiquait "Le Dauphiné libéré".

Dans "Le Dauphiné libéré" du 13 juin 2012, Véronique Billat, chercheuse en physiologie, a expliqué les raisons des performances de Robert Marchand : « Contrairement aux idées reçues, des personnes âgées peuvent continuer, grâce à un entraînement physique, à améliorer leur capacité à consommer de l’oxygène (VO2 max). Ce qui représente le meilleur indice pour la prédiction de l’espérance de vie d’un individu. (...) Il a les capacités physiologiques et cardiaques d’un homme de 50 ans… Quand je l’ai vu, à la télé, battre son record de l’heure, je savais déjà qu’il était capable de faire mieux que 25 kilomètres dans l’heure. Il n’était pas essoufflé, s’exprimait avec une lucidité incroyable. Il est vrai qu’on lui avait interdit de dépasser les 105 pulsations cardiaques à la minute. Nous, en prenant soin de procéder par paliers et sous la surveillance d’un spécialiste de la réanimation, on l’a testé jusqu’à un seuil de 132 pulsations. Et il n’était pas à fond. Je le crois capable de réaliser 30 kilomètres dans l’heure. (...) La seule chose d’extraordinaire, c’est son éternel optimisme. Pour le reste, la part de la génétique n’est que de 30 %. Robert Marchand a pratiqué le sport dans sa jeunesse. Mais il a mené ensuite une vie plutôt éreintante. Il fut longtemps maraîcher (...). Il y a une forme de renoncement qui s’instaure avec l’âge. Beaucoup de gens s’ignorent. Trop de retraités se contentent de jouer aux cartes (...). De trop nombreux seniors déclarent un diabète à la retraite parce qu’ils ne bougent plus. (...) Le cyclisme n’est pas traumatisant. On peut organiser des stages à l’intention des seniors. Il faudrait fabriquer aussi des vélos plus confortables, plus stables. ».





Terminons par le secret de Robert Marchand, de sa longévité, de sa forme physique exceptionnelle. Il l’a dévoilé à son 107e anniversaire au "Dauphiné libéré" :  « Le jour où vous vous asseyez dans votre fauteuil en buvant du vin, héhé, eh bien, vous êtes foutu ! Il faut toujours faire rentrer la machine. Il ne faut pas la brusquer (…). Moi, dans ma vie, j’ai usé de tout et j’ai abusé de rien. ». Usé de tout et abusé de rien, quelle belle devise pour la vie d’un homme ! In medio stat virtus, disait le latiniste.

En automne 2020, Robert Marchand aurait dû donner le départ de l’édition 2020 de l’Ardéchoise, mais elle a été annulée à cause de la pandémie de covid-19. Robert Marchand, qui avait fait plusieurs mauvaises chutes l’année dernière, avait été placé dans un EHPAD de sa commune, mais continuait néanmoins à pratiquer le vélo d’appartement qu'on lui avait offert pour ses 109 ans. Sa disparition dans la nuit du 21 au 22 mai 2021 a bouleversé le milieu du cyclisme, encore épaté par cet homme à la vitalité extraordinaire.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 mail 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Robert Marchand.
Les Joyeux drilles de l'escadrille.
Michael Collins.
John Glenn.
Thomas Pesquet.
Youri Gagarine.
Quand Jacques Chirac sauva le Tour de France…
Raymond Poulidor.
L’exploit de Thomas Coville.
La France qui gagne.
Communion nationale et creuset républicain.
Faut-il haïr le football en 2016 ?
Les jeux olympiques de Berlin en 1936.
Les jeux olympiques de Londres en 2012.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210522-robert-marchand.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/robert-marchand-centenaire-et-233258

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/05/22/38982068.html



 





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