Bioéthique 2021 (10) : à partir de quand l’humanité commence ?
« Chers collègues, les divergences qui ont été exposées témoignent de la vitalité de notre débat démocratique. Elles sont cependant très profondes et nous empêchent de parvenir à un accord. Je propose donc que notre commission mixte paritaire constate qu’elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la bioéthique. » (Agnès Firmin Le Bodo, présidente de la commission mixte paritaire, à l’issue de ses travaux le 17 février 2021).
C’est l’échec de trouver un terrain d’entente entre l’Assemblée Nationale et le Sénat pour le projet de loi sur la bioéthique. Alors, on repasse dans la navette. La dernière.
En effet, le projet de loi sur la bioéthique, qui intègre l’élargissement de la PMA (procréation médicalement assistée) à toutes les femmes, a démarré son troisième round. Après deux premières lectures qui ont abouti à des textes différents adoptés à l’Assemblée Nationale et au Sénat, on en est arrivé cette troisième lecture. Auparavant, une commission mixte paritaire a été convoquée le 4 février 2021 pour tenter de mettre d’accord députés et sénateurs, elle s’est réunie le 17 février 2021 et a abouti sur un désaccord, d’où l’ultime troisième lecture à l’Assemblée Nationale qui aura le dernier mot.
À l’Assemblée Nationale, donc, le texte voté par le Sénat le 3 février 2021 a été examiné et amendé par la commission spéciale en six séances, du 1er au 3 juin 2021, plus une septième séance le 7 juin 2021, et, sur la base du texte amendé par cette commission, le projet est maintenant en discussion en séance publique du lundi 7 juin 2021 après-midi au vendredi 11 juin 2021. Cette semaine est donc cruciale pour la conclusion de cette loi. La commission spéciale a bien sûr repris les dispositions rejetées par les sénateurs, en particulier la mesure phare de PMA pour toutes les femmes.
J’insiste sur cette disposition. C’est mon dixième article sur le sujet. Le texte a été présenté et adopté au conseil des ministres le 24 juillet 2019. On ne peut donc pas dire que le processus est accéléré voire bâclé, non, on ne peut pas le dire, cela fait plus d’un an et demi que les parlementaires examinent ce projet de loi, et c’est heureux car les sujets de bioéthiques sont ultrasensibles et méritent qu’on y prenne du temps.
Néanmoins, c’est pour cela que je le répète, il y a une véritable imposture dans ce texte qui a cette disposition phare (PMA pour toutes), on est pour ou on est contre, mais le sujet est en lui-même un texte de loi. Avec quelques sous-sujets tout aussi importants et qui concernent aussi la PMA, comme toutes les mesures sur les conditions de la conservation des ovocytes ou sur la fin des dons anonymes afin de permettre à l’enfant issu d’un tel don de pouvoir connaître, à sa majorité, l’identité de son géniteur biologique.
Et permettre, pour la loi, cela signifie lui donner le droit de connaître l’identité, une mesure qui ne peut concerner que les dons à venir qui ne seront acceptés qu’en cas d’autorisation du donneur à révéler son identité plus tard (ce qui n’a pas été fait jusqu’à maintenant pour les dons antérieurs), d’autant plus que, paradoxalement : « Ce droit [d’accéder à ses origines] ne s’oppose pas au principe d’anonymat du don ». L’avis du Conseil d’État exprimé le 18 juillet 2019 constate d’ailleurs, de manière un peu tordue : « Le Conseil d’État considère que ces dispositions clarifient la distinction à opérer entre anonymat du don et droit d’accès aux origines. ».
On voit bien que tous ces sujets, très importants, et qui rendent la nécessité de légiférer, indépendamment du souhait d’élargir ou pas la PMA, auraient largement mérité un débat exclusif, sans autres sujets très différents de bioéthique. C’était du reste ce que réclamaient les associations qui militaient pour cet élargissement de la PMA, afin de ne pas noyer cette mesure dans d’autres mesures.
Car le scandale, l’imposture, c’est que le texte est bien plus fourni que cela et concerne aussi d’autres dispositions très importantes, comme les dispositions sur l’utilisation des embryons humains dans la recherche scientifique, un sujet bien moins "sexy", parce que, il faut bien le reconnaître, très compliqué techniquement et juridiquement, mais qui doit répondre, à la va-vite, à une question fondamentale et philosophique de l’homme : à partir de quand l’humanité commence ?
Or, je considère que sur nos valeurs, sur le devenir de l’humain en tant que personne humaine, ces questions ont un enjeu bien plus grave que celui de la PMA. En quelque sorte, la PMA semble être l’arbre qui cache la forêt de ce texte.
Est-ce volontaire ? Je pense que ce qui est volontaire de la part du gouvernement, c’est de ne pas vouloir en faire un étendard qui puisse cliver le peuple français, nous avons suffisamment de difficultés comme cela pour rajouter une nouvelle guerre de religion. L’intention de ne pas vouloir cliver est louable, mais la conséquence, c’est que le débat sur le statut de l’embryon humain est passé par pertes et profits médiatiques dans le débat public, ce qui me paraît désolant, surtout quand certains le considèrent comme un amas de cellules.
À partir de quand un embryon humain est-il une personne humaine ? A priori, la grossesse est un processus continu depuis la fécondation jusqu’à la naissance, après environ neuf mois. On peut dire s’il y a douleur ou pas ; quand les centres nerveux ne sont pas encore formés, il ne peut pas y avoir de douleur, cela, c’est sûr, mais dire à partir de quelle date il y a conscience de l’humanité, c’est quasiment impossible (d’autant plus que pour la boutade, on pourrait dire que certains adultes n’ont toujours pas acquis de conscience humaine !).
Le sujet est difficile puisqu’il y a la possibilité de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) qui ne doit pas être confondue avec un homicide volontaire (comme le considèrent par exemple les chrétiens). Mais la conscience d’un individu est-elle créée dès la fécondation et la division de la première cellule ? Si oui, qu’en est-il alors des vrais jumeaux, ceux issus de la même fécondation, puisqu’au début, ils n’étaient qu’un et ensuite, après le début du processus, deux êtres humains totalement différents même si génétiquement similaires ?
Or, ce texte de loi pose implicitement toutes ces questions, et je regrette que ce débat n’ait pas lieu, car trop complexe. Je le reproche au gouvernement et au législateur, c’est-à-dire au Parlement, mais aussi aux médias, et plus encore, à certains collectifs principalement catholiques qui ne voient du projet de loi que la PMA sans voir les dispositions graves sur l’embryon humain.
En d’autres termes, tous les acteurs du débat, et en premier lieu le gouvernement qui en est l’initiateur, font la confusion entre le sociétal et l’éthique. L’éthique ou la bioéthique, prend en compte des considérations sur les valeurs qu’une société doit préserver pour avancer. On avance toujours plus vite sans valeurs, sans réglementation, sans normes, mais dans ce cas, on avance peut-être dans le mur.
Avoir une idée claire de nos valeurs, de ce qu’est l’humanité, au même titre qu’on souhaite préserver autant que possible notre environnement, notre planète, la biodiversité, qui sont d’autres valeurs, qui sont des contraintes dans les lois économiques et sociales. L’éthique, cela n’a rien à avoir avec le sociétal, qui est une considération tout aussi respectable, bien entendu, mais antagoniste, qui tient compte d’autres contraintes, plus sociales et économiques.
Rappelons que la plupart des arguments en faveur de ce projet de loi d’élargissement de la PMA sont des arguments d’égalité (entre femmes mariées à un homme et les autres femmes), de justice sociale (ne pas devoir aller à l’étranger pour faire sa PMA), de liberté individuelle (c’est un nouveau droit), etc. Ce sont des arguments tout à fait recevables mais qui n’ont rien à faire dans une loi qui traite de bioéthique où justement les valeurs éthiques s’opposent souvent au social et à l’économique parce qu’on considère qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir sur la notion du vivant.
C’est en cela que je considère que ce projet de loi est une imposture intellectuelle qui aura de graves conséquences, car il y a mille débats en un dans cette discussion législative, et que certains sujets d’importance suprême sont traités très légèrement.
Lors de la séance du 17 février 2021 de la commission mixte paritaire évoquée plus haut, le sénateur Bernard Jomier (PS) résumait ainsi cette imposture : « Un accord sur la révision des lois de bioéthique était impossible dès lors qu’avait été fait le choix d’y inclure la révision sociétale de l’AMP [assistance médicale à la procréation]. Aucune évidence n’imposait que cette réforme sociétale soit mêlée à la révision générale des lois de bioéthique. En faisant ce choix, le gouvernement l’avait déjà quasiment condamnée à l’échec compte tenu de la configuration politique de l’Assemblée Nationale et du Sénat. (…) Il est donc regrettable de s’être condamné à l’échec en mêlant la réforme de l’AMP, que je soutiens, à la révision des lois de bioéthique. (…) On ne peut pas reprocher au Sénat de ne pas s’en être tenu à des modifications anecdotiques (…). Ce n’est pas l’objet d’une chambre du Parlement que de procéder à des modifications anecdotiques. Il ne fallait pas mêler le désaccord politique, que vous avez raison de signaler, à la révision des lois de bioéthique. ».
C’est cela aussi qui est grave : jusqu’à maintenant, les lois de bioéthique bénéficiaient d’un consensus parlementaire, car elles engagent la société durablement et doivent donc quitter le terrain confortable intellectuellement mais glissant juridiquement de la politique politicienne.
Quant au député Patrick Hetzel (LR), lui aussi membre de la commission mixte paritaire, il disait sa surprise : « J’avoue être surpris par l’organisation du calendrier parlementaire. Le gouvernement a reporté à la fin de l’état d’urgence sanitaire l’examen de textes tels que le projet de loi relatif au grand âge et à l’autonomie, la réforme des retraites, et bien d’autres. Pour les sujets de fonds, il apparaît donc que les conditions d’examen ne doivent pas être dégradées, ce qui conduit à reporter les débats. Mais pour la bioéthique, on va à marche forcée, comme le prouve la convocation de cette commission mixte paritaire. Nous comprenons bien que cette commission ne sera pas conclusive, et c’est heureux. (…) La première mesure d’apaisement consisterait justement à faire en sorte que des débats aussi importants, qui touchent aussi profondément l’éthique, se tiennent dans un contexte parlementaire normalisé. (…) Un débat serein, où l’ensemble des points de vue peut s’exprimer, est d’autant plus nécessaire que ce projet de loi engage une modification anthropologique profonde de notre société. Or, débattre quasiment dans la torpeur de l’été, comme cela a été fait à l’Assemblée Nationale il y a quelques mois, est indigne d’un sujet qui appelle, au contraire, à s’élever. Hélas, nous en sommes très souvent loin. ».
Comme la majorité est majoritaire à l’Assemblée Nationale et qu’elle aura le dernier mot dans ce débat parlementaire, je ne doute donc pas que, malheureusement, ce projet soit adopté dans les prochains jours ou semaines, d’autant plus que le Président Emmanuel Macron veut évidemment avoir un "bilan" suffisamment fourni à la fin de son mandat et que la crise des gilets jaunes et, plus encore, la crise sanitaire majeure ont paralysé toute tentative de réforme pendant plus de la moitié du quinquennat. Mais réformer pour réformer est une bien mauvaise méthode pour préparer l’avenir de notre nation…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 juin 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bioéthique 2021 (10) : à partir de quand l’humanité commence ?
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Protection des mineurs (2) : pas d’imprescriptibilité pour la pédocriminalité.
Protection des mineurs (1) : 15 ans, âge minimal du consentement sexuel ?
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En quoi le progrès médical est-il immoral ?
Bioéthique 2020 (8) : diagnostic préimplantatoire (DPI) et interruption médicale de grossesse (IMG).
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Texte du projet de loi sur la bioéthique adopté le 15 octobre 2019 par l’Assemblée Nationale (à télécharger).
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