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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
18 juin 2021

René Dumont, premier militant de l’écologisme politique à la française

« Les économies d’énergie coûtent beaucoup moins chères que de produire de l’énergie supplémentaire. » (René Dumont, 1988).




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Personne ne contredira vraiment cette phrase dotée du bon sens. Son auteur René Dumont est mort à Fontenay-sous-Bois il y a exactement vingt ans, le 18 juin 2001, à l’âge de 97 ans (né le 13 mars 1904 à Cambrai). Il a été enterré le lendemain au son de la vibrante chanson de Boris Vian, "Le Déserteur". Il est connu pour avoir été à l’origine de la première tentative de l’écologisme électoral.

René Dumont est même un peu une référence nostalgique pour les écologistes, comme une sorte de Gandhi, un prédicateur, voire, pour les antiécologistes, un Philippus, vous savez, dans Tintin, "L’Étoile mystérieuse", le prophète qui annonce la fin du monde…

Agronome, chercheur, expert à l’ONU et dans de nombreux pays, et, puisqu’il a voulu populariser un certain nombre de notions par de la vulgarisation scientifique, il en était devenu aussi une sorte de sociologue de l’écologie (et il n’hésitait pas à faire de la politique ou de la politologie, étudiant notamment le socialisme et le libéralisme), René Dumont effectivement, voulait alerter "l’opinion publique" des dangers qui guettent notre planète.

Il suffit de prendre quelques titres de ses très nombreux ouvrages pour s’en rendre compte : "Chine surpeuplée. Tiers-monde affamé" (1965), "Nous allons à la famine" (1968), "L’Utopie ou la Mort !" (1973), "À vous de choisir : l’écologie ou la mort" (1974), "Paysans écrasés, terres massacrées" (1978), "Finis les lendemains qui chantent" (1983), "Les Raisons de la colère. Ou l’utopie et les Verts" (1987), "Un monde intolérable" (1988), "Dans quinze ans les dés seront jetés" (1989), "Ouvrez les yeux ! Le XXIe est mal parti" (1995), "Famines, le retour" (1997), "La contrainte ou la mort" (1990), etc. Pas bien réjouissant !

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C’est peut-être cela qu’on peut reprocher à René Dumont, le catastrophisme. Il suffisait de voir les affiches des écologistes dans les années 1970, elles étaient catastrophistes. J’en ai revu quelques-unes au Centre Pompidou à Metz, à l’occasion d’une exposition intéressante : "Sublime, les tremblements du monde", du 11 février au 5 septembre 2016 (commissaire : Hélène Guenin), dans la partie "L’anthropocène et l’esthétique du sublime". Beaucoup d’affiches prédisaient la fin du monde avant cinquante ans, voire vingt ans. Avec le recul, on pourrait sourire. En 2021, le monde est toujours le monde, même s’il faut l’améliorer, même des dangers le guettent.

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Bien sûr, ce catastrophisme était compréhensible pendant les années Pompidou marquées par le tout-automobile, il suffit de voir l’aménagement du quartier de La Défense pour en avoir une approche : les piétons n’y sont pas les bienvenus. Il fallait donc alerter que la planète, l’environnement avaient besoin d’être choyés, d’être protégés, d’être précieusement maintenus pour durer.

Mais ce catastrophisme a été largement contreproductif. D’une part, l’excessif est toujours insignifiant. D’autre part, il était inutile car l’esprit du temps évoluait dans le bon sens pour des raisons économiques : le premier choc pétrolier a bouleversé les mentalités. Il s’agissait de faire des économies d’énergie. Vous vous souvenez sans doute des campagnes sur la chasse au gaspi, qui était finalement la première prise de conscience écologique du monde qui nous entourait. Et qu’elle passât par la préoccupation économique était intelligent car c’est la seule qui est efficace : on a bien vu avec la révolte des gilets jaunes que lorsque la politique écologique est antiéconomique, elle n’est pas pérenne.

Il y avait évidemment un biais chez René Dumont, militant universel : il luttait aussi contre le libéralisme, et donc, il avait aussi des préoccupations politiciennes. Il voulait coller au libéralisme non seulement la cause de la pauvreté dans le monde mais aussi la maltraitance de l’environnement. D’autres titres d’ouvrages sont assez éloquents à ceux sujets (certains sont les mêmes que déjà cités, mais en sous-titre) : "Cuba. Socialisme et développement" (1964), "Développement et socialismes" (1969), "Paysanneries aux abois" (1972), "La Croissance de la famine !" (1975), "Seule une écologie socialiste…" (1977), "Le libéralisme en question" (1988), "Quel nouvel ordre mondial" (1992), "Misère et chômage. Libéralisme ou démocratie" (1994), Désordre libéral et démographique non contrôlée" (1997), etc.

Pour son travail d’agronome, René Dumont a visité de nombreux pays du monde, en particulier les plus pauvres, pour étudier leur agriculture. Il était favorable à des aides massives aux pays en développement, à la protection des sols, aux économies d’énergie et au contrôle des naissances pour limiter la démographie. Il soutenait aussi l’émancipation des femmes qui devait favoriser de meilleures relations et améliorer le développement des pays pauvres.

Très marqué par l’horreur de la Première Guerre mondiale (il était préadolescent), René Dumont était naturellement pacifiste, d’un "pacifisme intégral" au point de faire des tracts pacifistes au début de la Seconde Guerre mondiale en 1939, ce qui était illégal (en situation de guerre) et cela a sans doute entraîné son inaction pendant la guerre (il avait une quarantaine d’années), ce qu’il regrettait par la suite (le journal "Le Monde" évoqua ces zones d’ombre le 23 juillet 2001). Il était aussi naturellement opposé à la guerre d’Algérie et à l’arme nucléaire.

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René Dumont était connu du grand public comme le premier candidat écologiste à une élection présidentielle française en 1974. À la mort de Georges Pompidou, un certain nombre d’organisations écologistes (dont "Les Amis de la Terre") ont souhaité profiter de l’élection présidentielle pour amplifier leur communication auprès de la population.

Plusieurs personnalités ont été sollicitées pour être ce candidat : Jacques-Yves Cousteau (qui refusa), Théodore Monod (qui se trouva trop âgé), Philippe Saint-Marc (qui a aujourd’hui 93 ans), énarque de la Cour des Comptes et militant de l’écologie humaniste, auteur de la "Charte de la Nature" en 1972 qui l’a rendu célèbre. Philippe Saint-Marc ne croyait pas en l’écologie politique et préférait que l’écologie fût présente dans le programme de chaque parti politique. Ainsi, il a préféré influencer le candidat puis le Président Valéry Giscard d’Estaing par l’intermédiaire de son ami Jean Serisé, collaborateur à l’Élysée. Philippe Saint-Marc a notamment eu beaucoup d’influence auprès de Michel d’Ornano (qui fut Ministre de la Culture et de l’Environnement) et de Roland Nungesser (qui fut le rapporteur de la loi du 10 juillet 1976, la première loi de protection de la nature), dont il était le dircab (directeur de cabinet) lorsque ce dernier était ministre auparavant.

D’autres personnalités furent pressenties à ce rôle (il faut préciser qu’il n’y avait pas un mouvement écologiste mais une nébuleuse d’associations, souvent peu politisées et aucun "grand chef" qui pouvait s’imposer naturellement). Finalement, pour son expertise et son importance dans le monde des idées mais aussi de la politique, René Dumont, à plus de 70 ans, a été sollicité et il a accepté d’être ce candidat. Il a réussi à récolter les 100 parrainages d’élus locaux (à l’époque, la procédure, c’était seulement 100 et pas 500, changée par VGE), et a fait campagne, bénéficiant de la couverture télévisuelle de la campagne officielle.





À cette occasion, il a pu délivrer son message écologiste, en particulier son combat contre le gaspillage, contre la pollution, mais aussi un message plus politique contre la surpopulation, contre le consumérisme, contre le productivisme, contre les inégalités entre les pays pauvres et les pays riches, contre la faim dans le monde, etc.

Sur la forme, les coups médiatiques contrastaient avec la politique traditionnelle. Apportant de l’eau et une pomme devant la caméra de télévision, portant un pull rouge très reconnaissable, René Dumont lâchait des réflexions qui pouvaient choquer, comme : « La voiture, ça pue, ça pollue et ça rend con ! ». Son QG de campagne était dans un bateau-mouche, il se montrait en se déplaçant à vélo, etc.

Le résultat fut cependant décevant, probablement parce qu’on considérait que ce candidat était plus un candidat fantaisiste qu’un candidat politique sérieux : il n’a obtenu que 1,3% des suffrages au premier tour du 5 mai 1974 (337 800 voix), derrière Jean Royer (3,2%) et Arlette Laguiller (2,3%) et juste devant Jean-Marie Le Pen (0,7%).

Toutefois, il a posé la première pierre de l’écologie politique et les premières assises du mouvement écologique ont rassemblé plus de 2 000 militants issus de dizaines d’associations le 15 juin 1974 à Montargis (où la mère de René Dumont avait enseigné), ce qui a abouti à la fondation d’un premier mouvement politique écologiste.

Dans son article qui en faisait le compte-rendu, le journaliste Marc Ambroise-Rendu (qui a aujourd’hui 91 ans) racontait dans "Le Monde" le 18 juin 1974 : « René Dumont, qui possède une très belle demeure à Montargis, arrivait sur son vélo, crinière au vent, le torse barré d’une paire de bretelles. Avant que l’on se sépare, il a prononcé quelques mots : "J’avais accepté d’être le porte-parole de l’écologie à une condition : c’est que le mouvement ainsi créé continuerait après les élections. Voilà qui est fait. Maintenant, je repars au combat contre la faim dans le monde. Bonne chance !" ».

Son directeur de campagne, Brice Lalonde, lui, a repris le flambeau de l’écologisme électoral et a réussi à tripler le score le 26 avril 1981 (3,9%). L’écologisme politique était né.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 juin 2021)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
René Dumont.
Brice Lalonde.
Jacques-Yves Cousteau.
Jean-Louis Borloo.
Delphine Batho.
Barbara Pompili.
Greta Thunberg.
Al Gore.
François de Rugy.
Daniel Cohn-Bendit.
Nicolas Hulot.
Yannick Jadot.
La primaire EELV d’octobre 2016.
La primaire EELV de juin 2011.
Le retour des écolos au gouvernement.
Les écologistes et le TSCG.
Les écolo-pastèques.
Le cannabis chez les écologistes.
Cécile Duflot.
Jean-Vincent Placé.
Véronique Massonneau.
Eva Joly.
Corinne Lepage.
Stéphane Hessel.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210618-rene-dumont.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/rene-dumont-premier-militant-de-l-233656

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/06/11/39010710.html





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