Le front républicain est-il encore d'actualité ?
« Il y avait là toute l’ironie du monde, songeait-il : à suivre aveuglément la lumière, on finit plongé dans le pire des ténèbres. » (Maxime Chattam, "Que ta volonté soit faite", éd. Albin Michel, 2015).
Cet article a pour but de présenter les rapports de force peu avant le second tour des élections régionales ce dimanche 27 juin 2021 : pour ceux qui n’auraient pas percuté, il y a encore un second tour (aussi pour les élections départementales) et donc, ce n’est pas interdit d’imaginer un sursaut de participation de ceux qui n’avaient alors pas compris que des élections avaient lieu en ce moment.
C’est clair que quoi qu’on en dise, quoi qu’en pensent les (trop rares) électeurs, il y a une évidente "nationalisation" du scrutin régional (pas départemental beaucoup plus délicat à interpréter politiquement) car c’est le dernier scrutin avant le désert… avant la prochaine élection présidentielle, c’est-à-dire que les rapports de force vont se figer jusqu’au nouveau bouleversement politique, comme la France en connaît à chaque nouveau quinquennat (même en cas de réélection).
Le premier constat est qu’il est très difficile de donner une idée très claire des rapports de force en raison des stratégies électorales parfois très différentes des uns et des autres dans les régions. À part les listes du RN relativement claires (sans alliance), tous les autres partis ont fait parfois des alliances, parfois des listes autonomes. Même LREM qui, en dehors de l’exemple flagrant de la région PACA où ce parti n’était même pas présent au premier tour, mais soutient la liste LR de Renaud Muselier, LREM, donc, est souvent avec le MoDem (en tant que majorité présidentielle) mais parfois aussi avec l’UDI, le MR, c’est-à-dire le Mouvement radical (ou pas, ces partis centristes pouvant aussi être en alliance avec LR, comme dans le Grand Est, en PACA, etc.).
Le plus compliqué concerne la gauche, qui est désormais représentée par trois grands courants : la gauche traditionnelle, celle de l’ancienne union de la gauche, incluant le PS et souvent le PCF (plus les radicaux de gauche qui, en principe, étaient "fondus" dans le Mouvement radical mais dont le courant s’est recréé par ailleurs), les écologistes (étiquetés EELV, il y a plein d’autres partis écolos d’appellation non contrôlée et complètement mineurs électoralement, souvent des coquilles vides de certaines personnalités), enfin des listes FI (insoumis) qui sont souvent partie seules, parfois avec les communistes, etc. Et parfois, il y a des listes qui ont regroupé ces trois courants.
Les journalistes de l’hebdomadaire "Le Point" ont cependant réussi le 21 juin 2021 à calculer un semblant de rapport de force en prenant l’étiquette des têtes de liste. Et cela donne ceci : LR et alliés centristes (UDI notamment) : 28,4% ; RN : 19,25% ; PS : 15,8% ; EELV : 13,0% ; LREM et MoDem : 10,6% ; enfin, FI : 5,2%. J’insiste sur le fait que ces données ne sont qu’une estimation et une interprétation des résultats du Ministère de l’Intérieur qui, eux, sont bien plus compliqués car ils prennent en compte les listes d’union partielle ou globale à droite, au centre et à gauche.
Néanmoins, cela donne une bonne vision du paysage électoral, du moins du paysage électoral partiel puisque seulement un électeur sur trois a voté. Précisons qu’il faudra attendre longtemps avant d’avoir les conclusions d’études qui ne manqueront pas de démarrer sur le sujet, mais dans le cas d’autres précédents scrutins avec une abstention forte, des études électorales ont montré que l’abstention n’avantageait aucun parti en particulier car la répartition des affinités électorales restait à peu près la même entre les abstentionnistes et les électeurs votants. Cela reste à démontrer évidemment pour ce scrutin des régionales.
Précisons enfin que les rapports de force ne peuvent être étudiés qu’au premier tour, car le second tour est pollué par le jeu des alliances ou les désistements sans fusion qui donnent un aspect fictif de la réalité électorale au second tour dont l’objectif est de gagner et pas de se compter. Par exemple, il serait intéressant à calculer le total des voix du premier tour de l’ensemble des listes présentes au second tour. Cela donne une idée de la représentativité électorale des combattants du second tour.
La première réflexion, c’est de dire que les partis de l’ancien monde ont gagné (LR et alliés et PS et alliés) tandis que les partis du monde post-2017 ont perdu, à savoir LREM et alliés, RN et FI. J’exclus en revanche EELV qui se situe à la marge entre ancien et nouveau monde et c’est sans doute là la vraie performance : malgré un scrutin qui privilégie les sortants, donc l’ancien monde, EELV a gardé son niveau assez élevé des élections européennes de 2019. Cela ne préjuge de rien pour 2022, vu que la situation de 2019 était l’inverse de 2021 : LR et PS coulés, RN et LREM très forts. Seule constante de 2019 et 2021 en dehors de EELV : FI coulé. Probablement en raison des déclarations de plus en plus affligeantes de son leader Jean-Luc Mélenchon. Ce naufrage n’est donc pas politique mais plutôt personnel.
À ce propos, on ne s’étonnera pas qu’un nouveau parti soit exclusivement affilié à son leader (FI, LREM, RN), tandis que les partis traditionnels (ou pas) qui sont les héritiers de courants philosophiques existent en dehors de leur leader (PS, LR, UDI, MR, EELV), au risque d’ailleurs de ne plus avoir de leader ou d’en avoir trop, ce qui revient au même (ce qui est nouveau pour le mouvement gaulliste qui avait généralement un seul chef malgré les divisions internes qui ont toujours existé).
On pourrait évidemment rappeler prudemment que chaque région est un univers politique particulier, ce qui est vrai. Néanmoins, il y a les invariants qui sont nationaux : ceux qui ont réussi à mobiliser étaient les équipes des exécutifs sortants, de droite comme de gauche. Certains peuvent dire qu’il y a eu des divisions à droite et au centre, mais sans beaucoup de conséquences idéologiques, tandis que la gauche, très divisée idéologiquement, a parfois été capable de faire l’union, au second tour mais aussi au premier tour.
Comme j’indiquais précédemment, les listes LR dans les régions où LR était aux commandes, ont été particulièrement fortes. Il faut cependant bien se garder de surinterpréter les résultats. Par exemple, dans les Hauts-de-France, où la gauche était traditionnellement très forte, le score de Xavier Bertrand (41,4%) ne signifie pas que c’est le potentiel électoral de LR. Il est possible (et même probable) que des électeurs de gauche aient voté dès le premier tour pour Xavier Bertrand car sa liste était la plus capable de battre la liste RN. Cela s’est déjà observé en 2015. Le score très faible de 19,0% de la liste d’union de la gauche de Karima Delli est l’une des conséquences de ce probable vote utile (voter à gauche serait alors considéré comme un vote inutile).
Avant le premier tour, certaines régions pouvaient être gagnées par le RN. C’était déjà le cas en décembre 2015 (dans quatre régions : PACA, Hauts-de-France et Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté). Cependant, dans la configuration du deuxième tour en 2021, seule la région PACA pourrait être gagnée par le RN. Dans les autres, la liste RN est nettement devancée par la liste de l’équipe sortante, du moins en comptant les listes qui ont fusionné.
La stratégie générale est ainsi la suivante, avec parfois quelques exceptions à gauche. À gauche, les listes de gauche se réunissent pour se retrouver unies face à la droite et au centre, et aussi face au RN. Les listes LR ont refusé toute fusion avec d’éventuels autres partenaires (en particulier LREM). Les listes RN et LREM restent au second tour quand elles le peuvent, sans aucune union supplémentaire au second tour.
On comprend bien l’intérêt électoral des listes fusionnées. LR a voulu montrer de la clarté politique, d’où aucune fusion de listes LR avec d’autres listes entre les deux tours, au contraire de la gauche. D’un côté, un programme déterminé, de l’autre, des marchands de tapis qui veulent se répartir les postes mais qui ne sont en accord sur rien sinon se partager le gâteau électoral.
Rappelons la règle du jeu (on peut lire le tableau en fin d’article) : une liste qui a obtenu au moins 10% des suffrages exprimés peut se maintenir au second tour et une liste qui a obtenu au moins 5% peut fusionner avec une autre liste qui peut se maintenir au second tour. La position d’une liste qui a obtenu entre 5 et 10% est donc délicate puisqu’elle ne peut plus gêner les listes du second tour. En revanche, une liste qui fait entre 10 et 15% peut se maintenir et rendre plus difficile l’élection d’une autre liste susceptible de gagner, puisque la majorité relative suffit.
L’un des principes électoraux doit être pris en compte : il n’y a pas de logique arithmétique qui tienne dans les élections. La fusion de deux listes ne fait pas automatiquement venir la somme des électeurs de ces deux listes. Pour trois raisons. La première, c’est l’abstention, si elle est différente (moins ou plus, sursaut ou chute de participation), alors les calculs du premier tour son caducs. La deuxième raison, c’est que l’union de plusieurs listes, lorsqu’elle est portée par un sentiment populaire, fait plus que la somme des listes. Mais paradoxalement, quand il n’y a pas d’élan populaire (ce qui semble être le cas partout pour ce scrutin), alors, la liste unifiée a des risques de rassembler moins que l’ensemble des listes prises individuellement.
Je m’explique plus précisément, car cela concerne la gauche. Il s’agit ici de la constitution de listes d’union de la gauche totalement artificielle puisqu’ils ne sont en accord sur rien. Le PS, le PCF, EELV et FI. Inutile de dire qu’il y a au moins deux gauches irréconciliables (dans compter les deux ailes de EELV et du PS). Or, l’union, au lieu de rassembler, pourrait mécontenter tous les électeurs : la gauche sociale-démocrate ne pourra jamais voter pour une liste soutenue par Jean-Luc Mélenchon ou par des écologistes dogmatiques. Et réciproquement.
Cela conduit à un autre principe électoral : les électeurs respectent rarement les consignes de vote. Même s’ils votent comme les consignes, ce n’est pas par ces consignes qu’ils auront fait leur choix, mais selon leur propre raisonnement. Ce qui est heureux, chacun doit avoir son libre-arbitre. Là,c ‘est du côté des électeurs. Du côté des candidats ou des responsables politiques, évidemment qu’il faut qu’ils prennent leurs responsabilités et prennent position. Même si cela a peu d’influence électorale.
Un exemple, l’Île-de-France où les trois listes de gauche Bayou (12,9%), Pulvar (11,1%) et Autain (10,2%) ont fusionné sous la direction de Julien Bayou qui, de toute façon, aura gagné beaucoup en notoriété et leadership au sein de EELV (face à Yannick Jadot et Éric Piolle, par exemple). Valérie Pécresse garde encore une avance mais insiste sur un score serré afin de mobiliser son électorat, tandis que les deux autres têtes de liste, Jordan Bardella (RN) et Laurent Saint-Martin (LREM) ont déjà déclaré forfait en disant par avance que Valérie Pécresse sera réélue. Inutile de dire qu’un tel discours de candidats perdus d’avance, qui ne croient pas en leurs chances, est très démobilisateur. Valérie Pécresse a même reçu le soutien inattendu du socialiste Jean-Paul Huchon, ancien président du conseil régional d'Île-de-France et ancien collaborateur de Michel Rocard, qui considère que la liste de gauche ne correspond plus aux idées traditionnelles du PS et est trop à gauche pour lui.
Certaines listes LREM n’ont pas franchi la ligne de 10%, pour les listes LR concurrentes, c’est autant de potentiel de voix qui ne coûtent rien, c’est-à-dire, qui ne se négocient pas puisque ces listes ne peuvent pas se maintenir et que la décision claire de refuser toute fusion évacue tout idée de marchandage.
Et il y a le cas de la région PACA où, après bien des hésitations, et sommé par les états-majors parisiens, Jean-Laurent Félizia, tête de la liste d’union de la gauche, a finalement annoncé son retrait et son vote sans condition pour la liste LR de Renaud Muselier afin de faire barrage à la liste RN de Thierry Mariani. Au nom du "front républicain".
Attardons-nous sur le front républicain. On en parle souvent depuis 1983. L’expression historique exacte est l’alliance entre les radicaux et les socialistes face à une coalition de centre droit, en janvier 1956. Ce front républicain a été mené par Pierre Mendès France, il a gagné les élections législatives de janvier 1956, mais le Président de la République a nommé Guy Mollet, chef du plus grand parti de la majorité (SFIO) à la tête du gouvernement. On voit bien que cela n’a aucun rapport avec le barrage contre le RN.
L’expression front républicain provient en fait de la tradition de la "discipline républicaine" à une époque où les conservateurs étaient monarchistes. Il s’agissait, au début de la Troisième République, du désistement mutuel au second tour des candidats républicains au profit du candidat républicain ayant obtenu le plus de voix. À partir du milieu des années 1920, avec l’arrivée du Cartel des gauches puis du Front populaire, la discipline républicaine s’est transformée en désistement au profit d’un candidat de gauche unique (radicaux, SFIO, PCF). Une pratique qui s’est poursuivie avec le programme commun de la gauche à partir de 1972 à une époque où la SFIO revenait d’une longue période anticommuniste (les socialistes préféraient l’élection d’un candidat centriste à celle d’un candidat communiste ; c’est François Mitterrand qui a rompu avec cet atavisme pour adapter le PS aux institutions de la Cinquième République).
Dans notre cas de barrage au RN, je crois qu’il faut prendre la pratique originelle où étaient incluses toutes les formations politiques républicaines, et pas seulement la gauche même si cela s’appelait la gauche républicaine à l’époque, par exemple, le parti de Raymond Poincaré (Alliance républicaine, d’abord située à gauche puis au centre droit de l’échiquier politique). Il n’est donc pas scandaleux, historiquement, que des formations dites républicaines fassent barrage à un mouvement qu’elles ne considéreraient pas républicain (là est d’ailleurs sujet à discussion). Mais dans tous les cas, les jeux d’alliance, de désistements, de soutiens sont libres et n’ont pas forcément à se justifier, si ce n’est par les urnes.
Le retrait de la liste Félizia entraîne-t-il la victoire inéluctable de la liste de Renaud Muselier ? La réponse est clairement non. D’ailleurs, un sondage publié le 23 juin 2021 le donne gagnant avec …51% contre 49% à Thierry Mariani. Autant dire que ce n’est pas significatif quand l’erreur est de l’ordre de 4%. Des électeurs de gauche pourraient en effet voter pour Renaud Muselier pour ne pas faire élire une liste RN, mais d’autres électeurs pourraient s’abstenir (on ne les distinguera pas avec ce climat d’abstention massive), ou encore voter pour la liste RN qui a récupéré beaucoup de votes ouvriers (mais peut-être pas en PACA où le RN ratisse surtout dans la droite dure et peu à gauche comme dans le nord de la France).
Réciproquement, le maintien d’une troisième liste (de gauche) n’avantagerait pas forcément une liste RN face à une liste LR. L’exemple du Grand Est en 2015 est assez clair : malgré les nombreux appels de l’appareil du PS, la tête de liste socialiste Jean-Pierre Masseret (PS), président du conseil régional sortant de Lorraine, sénateur et ancien ministre, a refusé de se désister, considérant que l’absence totale d’élu socialiste serait pire qu’une éventuelle victoire de Florian Philippot. Donc, il a maintenu sa liste au second tour …mais ses électeurs ne l’ont pas suivi et ont en partie voté pour la liste LR de Philippe Richert. Jean-Pierre Masseret est passé de 16,1% au premier tour à 15,5% au second tour, et Philippe Richert l’a largement emporté avec 48,4% face à Florian Philippot 36,1%.
Très curieusement, une autre région est sous les radars, la Bourgogne-Franche-Comté. Le RN y est très implanté. Déjà à l’élection législative partielle de la 4e circonscription du Doubs les 1er et 8 février 2015, le FN avait montré une forte audience électorale au point d’être en capacité de remporter la circonscription. Aux élections régionales des 6 et 13 décembre 2015, le scrutin était très serré. Au premier tour, trois listes étaient dans la compétition : 31,5% à la liste FN de Sophie Montel (elle a quitté le FN depuis, dans le sillage de Florian Philippot), 24,0% à la liste UDI-LR de l’ancien ministre centriste François Sauvadet et 23,0% à la liste PS de Marie-Guite Dufay. En quatrième position, il faut ajouter la liste Debout la France (DLF) qui a fait 5,2%. Au second tour, Marie-Guite Dufay a gagné avec 34,7% contre 32,9% à François Sauvadet et 32,4% à Sophie Montel. On voit à quel point le scrutin était serré.
On peut comprendre donc qu’en 2021, la tête de liste LR ait fait alliance dès le premier tour avec DLF, le parti de Nicolas Dupont-Aignan. Cela n’a pas suffi à être en tête et quatre listes se disputent la victoire (en fait, trois seulement) : la liste PS-PCF de Marie-Guite Dufay avec 26,5%, la liste RN de Julien Oudol avec 23,2%, la liste LR-UDI-DLF de Gilles Platret avec 21,0%, enfin la liste LREM-MoDem-MR de Denis Thuriot avec 11,7%. Pour le second tour, ces quatre listes restent présentes, avec une fusion dans la liste de Marie-Guite Dufay de la liste EELV de Stéphanie Modde qui a obtenu 10,3%. Cette liste de gauche a aussi une réserve de voix avec la liste FI de Bastien Faudot qui n’a obtenu que 4,5% (sans possibilité de fusion). Notons que certains centristes ont refusé l’alliance LR-DLF et ont préféré rejoindre la liste LREM.
Comme on le voit, avant fusion de liste, il y avait un risque de victoire de la liste RN qui pouvait repasser devant la liste PS. Mais avec 15% de réserves supplémentaires de voix, ce qui ferait 18 points d’avance sur la liste RN, le risque d’une victoire du RN est donc désormais écarté. Cela explique le maintien des deux autres listes (LR et LREM).
Or, cette région a été le prétexte de faire de la récupération politicienne de la part de deux anciens partis, LR et PS, et cela dès le soir du 20 juin 2021 et encore les jours suivants, y compris après la fusion de la liste de gauche avec la liste écolo.
D’un côté, très solennellement, Christian Jacob, le président de LR, a mis sur le même pied d’égalité le front républicain contre le RN et un front contre une gouvernance avec l’extrême gauche, notamment FI. Et il a fustigé LREM de s’être maintenu avec ses 11,7%. Dans l’esprit de Christian Jacob, les électeurs LREM se reporteraient sur la liste LR-DLF qui pourrait arriver en tête et battre la liste de gauche (ce qui paraît impossible en fait, car en comptant LR et LREM, cela ne ferait encore que 31,7%, nettement insuffisant pour atteindre la première place). Christian Jacob a aussi appelé au retrait de la liste LREM de François de Rugy pour faire gagner le centre droit.
De l’autre côté, avec une encore plus grande mauvaise foi, le PS (par la voix d’Olivier Faure) a appelé au retrait de la liste LREM pour éviter la victoire du RN. Or, cela ne trompe que ceux qui n’ont pas une idée précise de la situation électorale en Bourgogne-Franche-Comté. En effet, comme je l’ai indiqué plus haut, à partir du moment où la liste écolo qui a fait 10,3% a fusionné avec la liste PS, il y a peu de risque pour une victoire du RN dans cette région. Mais ce qui est étonnant dans la formulation, c’est que le PS demande le retrait de la liste LREM et pas le retrait de la liste LR, ce qui aurait été bien plus efficace pour éviter la victoire du RN. Surtout que le PS a fait la chose inverse en PACA au profit de la liste LR.
Cette demande socialiste est clairement du matraquage électoral pour le seul but de nuire à Emmanuel Macron dans l’optique de l’élection présidentielle de 2022. Pourquoi s’en prendre à la liste LREM et pas à la liste LR, si l’objectif est un front républicain et un barrage au RN ? C’est avec ce genre d’arguments fallacieux que l’on dégoûte les électeurs et qu’on encourage l’abstention. Honte au PS de jouer sur cette corde-là !
Le PS a le droit de dire que le front républicain est toujours dans le même sens, c’est-à-dire le retrait d’une liste de gauche au profit d’une liste de centre droit pour faire barrage à une liste RN. Il a même raison, c’est ce qui se produit généralement. Mais à qui la faute ? Certainement pas à la liste qui est le plus apte à battre le RN ! La responsabilité incombe à la liste de gauche qui a été incapable de convaincre les électeurs et de se placer en position, sinon de favorite, au moins d’adversaire principal. Après tout, si la liste de gauche est si bas dans les urnes, c’est peut-être que le problème se situe au sein de la gauche, pas de ses adversaires ou concurrents.
Je termine mon article par un (autre) coup de gueule contre tous les éditocrates qui commentent sans jamais travailler leurs sujets. Le café du commerce est accessible à tout le monde, on peut commenter sans rien connaître, seulement en ronchonnant contre des choses qui choquent et contrarient. Mais le travail d’un journaliste, c’est d’aller plus loin, de chercher les raisons pour lesquelles tel ou tel choix a été fait par ceux qui l’ont fait.
Je veux évoquer ici les problèmes de distribution des professions de foi électorales des candidats, certains électeurs (dans une proportion à déterminer) n’ont pas reçu ces documents électoraux (à temps), qui auraient pu leur avertir qu’il y avait deux scrutins les 20 et 27 juin 2021. Or, la distribution a été réalisée par deux entreprises choisies à la suite d’un appel d’offre. C’est donc une délégation de service public, et beaucoup de commentateurs de café du commerce ont pesté sur le fait que l’État ait fait appel à des entreprises extérieures (privées ou publiques, car l’une des deux est La Poste) au lieu de le faire lui-même.
Et d’imaginer que c’est encore l’illustration du supposé ultralibéralisme du Président Emmanuel Macron (j’insiste sur "supposé" car lorsqu’on injecte plus de 120 milliards d’euros d’argent public dans l’économie, je n’appelle pas cela du libéralisme, c’est même une politique encore plus étatique que celle proposée par Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière campagne présidentielle !).
Si les commentateurs avaient été un peu plus perspicaces et pris soin de bosser leur sujet, ils auraient compris que c’était devenu une obligation légale pour l’État, dans le cadre de la loi n°2005-516 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales. Une loi adoptée sous la Présidence de Jacques Chirac et signée également des membres du gouvernement suivants : Jean-Pierre Raffarin (Premier Ministre), Dominique Perben (Justice), Thierry Breton (Économie, Finances et Industrie) et Patrick Devedjian (Industrie). On pourra toujours discuter de l’origine de la loi (dérégulation européenne et réduction des dépenses publiques), mais à ce jour, à ma connaissance, aucun (grand) parti n’a proposé de la modifier, et si oui, il l’a fait très discrètement.
Certes, on ne peut pas connaître toutes les lois, mais alors, on aurait pu écouter un peu les questions au gouvernement de la séance très attendue (après une élection) du mardi 22 juin 2021 sur ce problème important pour la démocratie. Répondant au président de l’UDI Jean-Christophe Lagarde, le Premier Ministre Jean Castex a déclaré : « Monsieur le Président Lagarde, votre question met en lumière un dysfonctionnement particulièrement regrettable. Permettez-moi de rappeler à la représentation nationale que le système de distribution de la propagande électorale est organisé conformément à la loi de 2005 relative à la régulation des activités postales qui impose, ainsi que vous l’avez rappelé, la mise en concurrence de cette prestation, ce que l’État a déjà fait à plusieurs reprises depuis la promulgation de la loi, à laquelle il se conforme. ». Jean-Christophe Lagarde avait déclaré dans sa question : « Alors qu’habituellement, l’État parvient à assurer dans de bonnes conditions la distribution de cette information, je n’ai jamais vu cela en trente-cinq ans d’engagement militant. ».
On pourrait aussi relire la réponse qu’a faite le Ministère de l’Intérieur le 13 mai 2021 à la question écrite n°22471 du sénateur Jean-Louis Masson publiée au journal officiel du 22 avril 2021 : « L’administration organise l’acheminement des enveloppes électorales aux électeurs du département concerné avec l’opérateur postal. L’acheminement de la propagande électorale est une opération désormais complexe qui fait intervenir une multiplicité d‘acteurs avec de nombreuses ruptures de charge dans des délais fortement contraints. La loi n°2005-517 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales et la loi n°2010-123 du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique Le Poste et aux activités postales visent à concilier l’existence et la viabilité du service universel postal avec l’introduction graduelle de la concurrence sur le marché des envois de correspondance. Il semblerait totalement anachronique d’empêcher l’État d’externaliser la distribution de la propagande jusqu’aux boîtes aux lettres des électeurs, secteur qui est aujourd’hui ouvert à la concurrence, alors que l’État s’efforce d’optimiser ses ressources dans le cadre d’une politique générale de meilleure gestion des deniers publics. ».
Une simple attention portée au sujet pouvait éviter de faire de gros raccourcis et de réels contresens sur le supposé libéralisme d’Emmanuel Macron. Le gouvernement n’a fait que respecter la loi, et probablement qu’en matière de marchés publics, le degré d’exigence n’était pas au rendez-vous. Là est sa responsabilité.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 juin 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Régionales 2021 (5) : vous avez dit front républicain ?
Suppression des professions de foi lors des élections (28 septembre 2016).
Régionales 2021 (4) : l’abstention, c’est grave, docteur ?
Régionales 2021 (3) : le premier tour, déconfiture ?
Régionales et départementales 2021 (2) : les enjeux.
Marine Le Pen et l’effet majoritaire.
Les Républicains et la tentation populiste.
Rapport de Jean-Louis Debré du 13 novembre 2020 (à télécharger).
Avis du Conseil scientifique sur la tenue des élections du 29 mars 2021 (à télécharger).
Régionales et départementales 2021 (1) : à propos de leurs dates et de l’âge du capitaine.
Municipales 2020 (5) : la prime aux… écolos ?
Municipales 2020 (4) : bientôt, la fin d’un suspense.
Municipales 2020 (3) : et le second tour arriva…
Municipales 2020 (2) : le coronavirus s’invite dans la campagne.
Municipales 2020 (1) : retour vers l’ancien monde ?
Régionales 2015 : sursaut ou sursis ?
Les enjeux du second tour des régionales de 2015.
Le premier tour des régionales du 6 décembre 2015.
Les enjeux des élections régionales de décembre 2015.
Les départementales 2015 au second tour.
Les départementales 2015 avant le second tour.
Départementales 2015 : le pire n'est jamais sûr.
Les 4 enjeux nationaux des élections départementales de mars 2015.
La réforme territoriale.
La réforme des scrutins locaux du 17 mai 2013.
Le référendum alsacien.
Le vote par anticipation.
Le vote proportionnel.
Le vote obligatoire.
Le vote électronique.
Vive la Cinquième République !
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210623-front-republicain.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/06/25/39030042.html