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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
6 juillet 2021

Les valeurs de George W. Bush

« C’est peut-être la plus américaine des questions et elle devrait être celle qui nous unit. Je reconnais que l’immigration peut être une question émotionnelle mais je rejette l’idée qu’il s’agit d’une question partisane. » (George W. Bush, introduction à "Out Of Many, One").



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Ce mardi 6 juillet 2021, l’ancien Président des États-Unis George W. Bush (fils) fête son 75e anniversaire. Je dois avouer que j’ai du mal à avoir une opinion tranchée sur ce personnage qui s’est retrouvé, dès le début de son premier mandat, dans la tempête du terrorisme islamiste qui n’est toujours pas terminée.

Captivé par la vie politique intérieure de certains pays étrangers, ce qui, dans les faits, pourrait être qualifié d’ingérence puisque citoyen français, je n’ai pas à faire de choix pour d’autres pays, j’ai bien sûr eu souvent des préférences lors des élections présidentielles américaines. À part peut-être Ronald Reagan, je suis généralement "démocrate", en ce sens que ce courant politique se situe dans une tendance de centre droit favorable à l’entreprise.

Avec l’élection présidentielle du 7 novembre 2000, je me suis plongé dans un clivage qui n’était pas seulement politique. Certes, pour moi, c’était une évidence, Al Gore devait être le prochain Président des États-Unis. Il avait déjà l’expérience de l’État en ayant assuré pendant huit ans les fonctions de Vice-Président des États-Unis de Bill Clinton entre 1993 et 2001, mais en fait, je l’avais déjà repéré dès la campagne des primaires démocrates en 1988, il faisait partie de ceux qu’on appelait les "sept nains" qui n’avaient jamais pu vraiment inquiéter la candidature de George H. W. Bush, lui-même huit ans Vice-Président de Ronald Reagan de 1981 à 1989.

La famille Bush devait être abonnée aux grands bouleversements mondiaux : le père, la chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’URSS et l’invasion du Koweït par Saddam Hussein ; le fils, les attentats du World Trade Center et ses conséquences (désastreuses) sur l’Irak.

Certes, George W. Bush avait été élu deux fois gouverneur du Texas, en 1994 et en 1998, mais sa personnalité, sa réputation, ne m’enchantaient guère. Peu instruit malgré son diplôme dans une prestigieuse université, souvent gaffeur, il ne me paraissait pas indiqué pour s’occuper des affaires complexes du monde.

Au contraire, Al Gore avait développé sa propre spécificité tout au long de sa carrière politique, en se montrant très porté sur les interrogations écologiques (ce qui lui a valu un Prix Nobel). Le clivage était assez simple à comprendre, car les Américains, et on le voit encore beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a vingt ans, est un peuple très hétérogène, il est faux de dire qu’il y a une homogénéité entre New York, Salt Like City, Miami, Los Angeles, etc. Or, ce clivage était clairement entre l’homme de Washington, de "l’etablishment" et l’homme du Texas, l’homme du peuple, l’homme de l’Amérique profonde.

Une dernière considération m’encourageait dans mon choix pour Al Gore : la république n’est pas une monarchie, et cela me paraissait inconvenant que les Présidents se succèdent de père en fils dans une démocratie aussi grande que les États-Unis. Cela se passe suffisamment dans des États moins intégrés démocratiquement comme (au choix et entre autres) la Syrie, la Corée du Nord, etc.

J’ai vécu cette élection comme les attentats quelques mois plus tard, en quelque sorte, de l’intérieur. En effet, à l’époque, je travaillais pour un groupe américain et à ce moment-là, j’étais en mission quotidienne avec une collègue américaine que j’appréciais beaucoup, en ce sens que nous avions développé un peu plus que des relations purement professionnelles. Ce qui, du reste, est très facile quand on travaille avec des Américains ; si vous vous trouvez seul dans un hôtel aux États-Unis, un collègue peut vous inviter à fêter chez lui avec sa famille la fête de Thanksgiving (dernier jeudi du mois de novembre), qui a le même caractère sacré que la nuit de Noël pour les familles.

Nos échanges étaient donc, au-delà des considérations professionnelles, également culturels. Elle adorait la France, avait visité la Corse, et s’était même mise à apprendre le français (apparemment plus difficilement que moi l’anglais). Je connaissais même son chat et quand elle l’a perdu un jour, c’était le drame, ce que je comprenais et qui montrait que cette femme avait un cœur, au-delà d’être très instruite.

J’écris cela un peu bizarrement, car dans nos conversations, elle se montrait comme on pourrait penser des Américains. Par exemple, au sujet de la peine de mort, je lui disais que je trouvais cela barbare et une infamie qu’on puisse tuer en mon nom. Elle, au contraire, trouvait cela normal : qu’un meurtrier soit puni de la même peine de celle qu’il a fait subir à sa victime.

J’ai compris nos différences par ce simple fait : je lui parlais des risques d’erreur judiciaire et de l’impossibilité de retourner en arrière, une exécution était irréversible (à l’époque, les analyses ADN n’étaient encore pas très répandues et restaient très coûteuses et trop parcellaires). Et là, elle m’a montré son étonnement : elle n’avait pas pensé à ce risque. Elle faisait confiance à la justice de son pays et ne pouvait pas imaginer qu’elle puisse se tromper. On a su plus tard que les preuves par ADN ont innocenté des dizaines de personnes condamnées à mort aux États-Unis, certaines d’ailleurs déjà exécutées, et que la condamnation d’un innocent est absolument abjecte. Néanmoins, même coupable avéré, je reste évidemment très opposé à la peine de mort qui n’a aucune valeur de dissuasion (la preuve aux États-Unis).

Bref, c’était le genre de conversation que j’avais avec elle, et lorsque la bataille présidentielle en automne 2000 a fait rage, bien entendu que nous avions nos opinions, très opposées encore. Il faut dire que tout le management du groupe américain en question, implanté dans la campagne de la côte Est, devait voter assurément pour Al Gore.

Le groupe américain, vieux de plus d’un siècle et demi, était international, il était présent à Paris, à Saint-Pétersbourg, à Sao Paolo, et aussi au Japon (je ne me souviens plus dans quelle ville, mais ce qui était sûr, c’est qu’il fallait toujours réfléchir quand on téléphonait à des collègues, à cause des décalages horaires, l’une des devises était que le soleil ne se couchait pas dans cet empire !). Pour le management, la diversité, loin de faire peur, était un enrichissement : ils cherchaient des collaborateurs issus de mondes différents, de milieux différents, de traditions différentes pour apporter quelque chose de nouveau aux méthodes et pratiques existantes.

Pour ma collègue, qui était d’origine texane (née à Dallas il me semble, et ayant fait ses brillantes études à Houston), la question ne se posait pas : Bush évidemment. J’avais du mal à comprendre pourquoi elle, une personne plutôt fine et très intelligente, pouvait soutenir un candidat aussi peu intelligent, qui faisait boulettes sur boulettes (et même incapable de mâcher correctement des bretzels), sans compter qu’il était "vendu" à l’industrie pétrolière.

S’il fallait caricaturer le débat, c’était le choix entre un cow-boy et un rond-de-cuir. Je préférais la prudence (internationale) à l’aventure (nationale). Mais pour ma collègue, il n’y avait pas d’hésitation car le charisme de George W. Bush était sans comparaison avec le caractère ennuyeux d’Al Gore. En clair, le frimeur l’emportait sur le précautionneux, même parmi l’élite.

Comme je savais qu’Al Gore n’aurait certainement pas le vote populaire, ouvrier, si, en plus, il n’était pas capable de rassembler toutes les élites, il n’aurait pas beaucoup de chance, à mon avis, de gagner même si, en théorie, il était le favori. Mes prévisions se sont avérées juste mais par hasard, puisque l’élection s’est faite en Floride à quelques dizaines de voix près (lire ici). La défaite d’Al Gore n’était donc pas inéluctable.

Nous avons vécu en direct et ensemble l’émotion de l’effondrement des deux tours à Manhattan, et le père de la collègue travaillait au Pentagone, qui lui-même a été détruit par le crash d’un avion (c’est pourquoi lorsqu’un tordu, toujours en cours chez les complotistes aujourd’hui, s’est distingué en prétendant que le Pentagone n’avait jamais rien eu, j’ai des raisons d’avoir de la haine contre les crédules qui l’ont cru, haine que mon esprit démocrate-chrétien est parvenu à canaliser au mieux).

L’image est connue de George W. Bush, qui visitait une école, et qui a appris en direct devant les caméras l’horreur des attentats. On ne s’improvise pas Président des États-Unis lorsqu’il y a de tels événements, mais Al Gore aurait-il fait mieux ? J’ai la persévérance de le croire encore aujourd’hui que jamais l’Irak n’aurait subi un tel carnage sans le gouvernement Bush Jr.

George W. Bush a été l’un des Présidents les plus populaires de l’histoire américaine, il a obtenu 89% de bonnes opinions à la fin de l’année 2001, ce qui est normal car les Américains sont patriotes et se rassemblent toujours derrière leur Président (on se demande pourquoi le peuple français n’est pas autant patriote). Il a été largement réélu le 2 novembre 2004, avec plus de 3 millions de voix d’avance (et surtout, 286 mandats de grands électeurs contre 251 au candidat démocrate John Kerrey). Mais la fin du second mandat a été lamentable, les Américains ont mis un certain temps avant de comprendre que la guerre en Irak avait été une terrible erreur que nous payons encore aujourd’hui (j'étais fier d’être français et du non de Jacques Chirac à la guerre en Irak). Sa cote de popularité était en berne : en avril 2008, seulement 25% d’opinions favorables (Gallup).

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Il faut dire qu’au gouvernement, à part le général Colin Powell aux Affaires étrangères (puis Condoleezza Rice), il n’y avait que des faucons pétroliers : Donald Rumsfeld à la Défense (puis Robert Gates) et Dick Cheney à la Vice-Présidence. Les deux ont organisé cette guerre en Irak et encouragé George W. Bush à parler de "croisades" contre "l’axe du mal", d’une manière plus messianique et idéologique que relevant simplement des intérêts des États-Unis, comme en jetant une allumette allumée dans une poudrière. Le choix de Donald Rumsfeld et de Dick Cheney, adversaires internes à George H. W. Bush, a été une manière, pour le fils, de prendre son indépendance politique par rapport au père.

Ce n’est que bien plus tard que j’ai (un peu) révisé mon jugement sur George W. Bush. La faute de la guerre en Irak était évidemment de sa responsabilité, mais il semble quand même n’avoir été qu’une marionnette de son entourage. En quelque sorte, le film "Vice" d’Adam MacKey, sorti le 25 décembre 2018, l’a rendu plus bête que méchant, et sur le plan des valeurs, c’est essentiel. Mais un film ne raconte pas forcément la réalité, d’autant plus si c’est un film engagé comme celui de "Vice" (excellent par ailleurs).

Ce qui m’a convaincu que George W. Bush avait des valeurs véritables, c’est lors de l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump. George H. W. Bush (père) a d’ailleurs reconnu qu’il avait voté pour Hillary Clinton, quittant le clivage républicain/démocrate pour d’autres considérations, sur les valeurs justement. Son fils a dû le faire aussi sans l'annoncer (aux primaires républicaines en 2016, il avait soutenu son frère, Jeb Bush, parti favori, et ensuite, il n'a soutenu ni Donald Trump, ni Hillary Clinton). En août 2020, George W. Bush (fils) est resté officiellement neutre dans la dernière bataille présidentielle.

Bush Jr a sorti le 2 mars 2021 un nouveau livre "Out Of Many, One" (éd. Crown) où il fait la leçon à Donald Trump en défendant l’immigration. Le livre a été un grand succès éditorial. George W. Bush a fait le portrait de quarante-trois citoyens américains, un portrait avec ses propres peintures, et aussi une biographie rédigée par lui (quarante-trois car il a été le quarante-troisième Président des États-Unis). Pour l’ancien Président, les immigrants ont contribué à l’enrichissement du pays : « J’espère que ce livre contribuera à attirer notre attention à tous sur les bienfaits que les immigrants apportent à notre pays. ». Une partie des droits d’auteur sera versée à des associations caritatives venant à l’aide pour l’installation des immigrants aux États-Unis.

La dernière double vie de George W. Bush est d’ailleurs peintre (il expose à Dallas) et auteur à succès : ses mémoires de Président "Decision Points", sorties en novembre 2010, ont été vendues à plus de trois millions d’exemplaires (il a assumé la guerre en Irak et a confié avoir hésité à remplacer Dick Cheney pour son second mandat), et il a sorti aussi deux autres livres à succès, "41" (2014), portrait de son père (quarante et unième Président des États-Unis), et "Portraits of Courage" (2017), sur la vie des vétérans.

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En plus symptomatique, Michelle Obama avait surpris les observateurs le 24 septembre 2016 lorsqu’elle a fait un câlin à George W. Bush à l’occasion de l’inauguration du Musée de l’histoire afro-américaine à Washington. Cette histoire étonnante des relations entre George W. Bush et Michelle Obama peut faire comprendre comment il a su séduire le peuple américain en 2000 (et ma collègue par la même occasion). Peut-être pourrait-on faire l’analogie entre Jacques Chirac et Édouard Balladur, l’un aimait les humains, l’autre les dossiers, comme respectivement Bush fils et Gore.

En fait, cela fait depuis 2009 que Michelle Obama et George W. Bush nourrissent une amitié d’une grande complicité, basée sur l’humour taquin et les mêmes valeurs. Le 11 octobre 2018, Michelle Obama expliquait sur NBC, à l’émission "Today Show" que dans les cérémonies officielles, elle était toujours placée à côté de George W. Bush selon le protocole, une occasion de faire une véritable déclaration d’amour : « Nous sommes amenés à nous côtoyer et je l’aime beaucoup. C’est un homme merveilleux. Et aussi très drôle. (…) Il est devenu mon "complice dans le crime" [partner in crime]. ».

En particulier, lors de l’enterrement de l’ancien candidat républicain John MacCain le 1er septembre 2018, où l’ancien Président a offert discrètement un bonbon à l’ancienne First Lady, comme quelques mois plus tard, le 5 décembre 2018, à l’enterrement de George H. W. Bush (père) : « La couleur de peau ou le genre ne nous sépare pas. (…) Et si, en adulte responsable, nous n’étions pas capables de maintenir des degrés de tolérance, nous ne pourrions pas l’espérer de nos enfants. », insistait la femme de Barack Obama à la télévision.





Michelle Obama a de nouveau confié le 9 décembre 2019 sur NBC, dans l’émission "Today" : « Nous parlons de nos enfants, de nos parents. Nos valeurs sont les mêmes. Nous ne sommes pas d’accord sur les politiques, mais nous n’avons pas de désaccord sur l’humanité. Nous n’avons pas de désaccord sur l’amour et la compassion. Je pense que c’est valable pour tout le monde, on se perd dans nos peurs de ce qui est différent. ». Son intervieweuse n’était autre que Jenna Bush Hager, une des filles de l’ancien Président.

Une autre manière de comprendre les valeurs de George W. Bush, ce fut en réaction non seulement à l’assassinat d’une jeune femme le 12 août 2017 par un suprémaciste à Charlottesville et aux manifestations parfois violentes contre le racisme, mais à la scandaleuse conférence de presse de Donald Trump, le 15 août 2017, qui renvoyait la responsabilité des violences dos-à-dos, « des deux côtés ». Dès le lendemain, 16 août 2017, George W. Bush et son père ont publié un appel à « rejeter le racisme, l’antisémitisme et la haine sous toutes les formes » dans un tweet qui a reçu le plus de "like" du réseau social, soit 3,4 millions !

Dans leur appel, les deux anciens Présidents républicains ont rappelé : « Alors que nos prières vont à Charlottesville, nous nous remémorons ces vérités fondamentales couchées dans la Déclaration d’indépendance par le plus éminent des citoyens de cette ville [Thomas Jefferson] : Tous les hommes sont créés égaux ; ils sont dotés par le Créateur de certains droits inaliénables (…). Nous savons que ces vérités sont éternelles parce que nous sommes les témoins de la décence et de la grandeur de notre pays. ». Ils ont réagi bien plus rapidement que les deux anciens Présidents démocrates Jimmy Carter (96 ans) et Bill Clinton (74 ans).

Mais il n’en reste pas moins que la guerre en Irak, déclenchée le 20 mars 2003 par George W. Bush, a provoqué la mort de 100 000 à 1,2 million de personnes jusqu’au 18 décembre 2011. Il y a valeurs …et valeurs.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 juillet 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
George W. Bush (fils).
Il y a 20 ans : George W. Bush vs Al Gore.
George H. W. Bush (père).
Donald Rumsfeld.
Louis Armstrong.
Jim Morrison.
Ella Fitzgerald.
Michael Collins.
George Floyd : la vie d’un homme, l’honneur d’un pays.
Décollage vers l'ISS.
Deux faces des États-Unis : George Floyd et SpaceX.
Walter Mondale.
Covid-19 : Donald Trump, marathonman.
Bob Kennedy.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210706-george-w-bush.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/les-valeurs-de-george-w-bush-234091

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/07/02/39040215.html







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