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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
18 août 2021

Bill Clinton, l’ami de la France

« Nous réalisons tous de meilleures choses lorsque nous travaillons ensemble. Nos différences comptent, mais l’humanité que nous avons en commun importe davantage. » (Bill Clinton).



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Ce jeudi 19 août 2021, Bill Clinton fête son 75e anniversaire, cinq ans de plus qu’un aspirant Président Jean-Luc Mélenchon, un jour de plus qu'un ancien aspirant, Laurent Fabius. Pour cet ancien jeune Président des États-Unis en exercice du 20 janvier 1993 au 20 janvier 2001, pendant longtemps, il n’a pas été question de retraite : son épouse Hillary Clinton lui a emboîté le pas et s’est lancée, elle aussi, à la conquête de la Maison-Blanche, en 2008 puis et en 2016. Sans succès.

Alors, quand, en 2007, Bill Clinton a entendu le Président de la République française en exercice Jacques Chirac affirmer son soutien à Hillary Clinton, il n’était pas difficile d’imaginer l’état d’esprit de celui qui croyait encore qu’il allait être le premier époux de la première Présidente des États-Unis. Lorsque le 30 septembre 2019, Bill Clinton est venu à Paris pour rendre un dernier hommage à Jacques Chirac, il se rappelait cet épisode de grande amitié : « Je me souviens de lui qui brandissait un pin’s de Hillary en 2007. C’était un risque politique, et il disait : " Ça m’est bien égal si tout le monde sait que c’est mon amie". J’ai adoré ça. Et je me rappelle aussi que c’est notre alliance dans l’OTAN qui a permis de mettre fin à la guerre des Balkans et d’empêcher un bain de sang ethnique au Kosovo. ».

En fait, la mort de Jacques Chirac a suscité peu de réactions diplomatiques de la part des États-Unis de Donald Trump (juste un communiqué très poli de Mike Pompeo) et aucune réaction de l’ancien Président George W. Bush (fils) qui avait regretté le manque de soutien de la France à la guerre en Irak. Par conséquent, ce fut Bill Clinton qui est venu représenter son pays aux funérailles de l’ancien Président français à l’église Saint-Sulpice (qui remplace Notre-Dame de Paris pendant les travaux) aux côtés de nombreux dirigeants du monde, actuels ou anciens (dont Vladimir Poutine, Gerhard Schröder, Abdou Diouf, Jose Luis Rodriguez Zapatero, Sergio Mattarella, Viktor Orban, Charles Michel, Saad Hariri, etc.).

Après un déjeuner à l’Élysée avec le Président Emmanuel Macron, Bill Clinton a répété qu’il venait de perdre un ami : « Tu me manqueras, Jacques ! Je l’aimais bien et il me manquera. J’aimerais bien que ce vieux Jacques soit encore là ! ». Et de compléter : « Il était toujours très français, très protecteur des intérêts français. Mais d’une manière qui réunissait les gens, pas qui les divisait. ».

Il faut dire que les deux hommes s’aimaient beaucoup parce qu’ils étaient de la même espèce, des animaux politiques qui n’abandonnent jamais même quand tout paraît incertain. D’ailleurs, l’une des formules de Bill Clinton, très américaine, c’est : « Si vous avez une longue vie, vous ferez des erreurs. Mais si vous apprenez d’elles, vous serez une personne meilleure. Il s’agit de la manière dont vous gérez l’adversité, pas de la façon dont elle vous affecte. La chose la plus importante est de ne jamais abandonner, jamais. ». La ténacité de Jacques Chirac fut d’ailleurs certainement supérieure à celle de Bill Clinton.

Les deux hommes ont su s’apprécier assez rapidement. Dans le livre "Dear Jacques, Cher Bill" de Gilles Delafon et Thomas Sancton, sorti en 1999 chez Plon, analysant les relations entre les deux hommes, voici une impression de Jacques Chirac parlant de Bill Clinton : « C’est un homme très ouvert. Moi-même je suis un homme de contact. Ça a tout de suite marché. Clinton est un homme d’ouverture, de vision, d’intelligence. C’est ce qu’on fait de mieux comme Américain. Il a toutes les qualités qu’un Américain peut avoir. Et pas ses défauts. ». Et les auteurs du livre d’ajouter : « Il y a cette admiration sincère que Jacques Chirac éprouve pour Hillary. Il apprécie son intelligence et son courage, et n’hésite pas à confier : "Elle aurait fait un bon Président". Bien qu’ils viennent d’horizons politiques apparemment opposés, Chirac et Clinton préfèrent des solutions pratiques aux principes idéologiques. ».

Et revenons à la genèse de leurs relations. Bill Clinton s’est rendu en France pour célébrer le cinquantième anniversaire du Débarquement le 6 juin 1994. C’était l’occasion de rencontrer les responsables politiques français à quelques mois de la prochaine élection présidentielle française. Bill Clinton avait donc prévu de rencontrer les principaux personnages français : le Président de la République François Mitterrand, en fin de mandat, le Premier Ministre Édouard Balladur que tous les sondages donnaient largement vainqueur de la prochaine élection, le Ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, très apprécié des diplomates américains, le fougueux Président de l’Assemblée Nationale Philippe Séguin.

Alors, pourquoi rencontrer aussi le maire de Paris, Jacques Chirac, que tous les sondages donnaient perdant ? Ce fut l’ambassadrice des États-Unis en France, Pamela Harriman, excellente observatrice de la politique intérieure française, qui a réussi à convaincre les conseillers diplomatiques de Bill Clinton de rencontrer Jacques Chirac : « Parce qu’il peut être Président ! ». D’ailleurs, la diplomate, qui avait rencontré le maire de Paris au cours d’un dîner en décembre 1993, avait été très séduite par le "coté entier" et "volontaire" de Jacques Chirac qui connaissait bien les États-Unis (il y avait fait un grand tour très formateur en 1953).

Pour Jacques Chirac, venu à l’ambassade américaine, près de l’Élysée, le 7 juin 1994, c’était une reconnaissance internationale bienvenue avec ces mauvais sondages. Il est arrivé, accompagné de trois conseillers dont Pierre Lellouche et Jérôme Peyrat. C’était sa première rencontre avec Bill Clinton, et assez vite, le courant est bien passé : « Les témoins notent immédiatement un certain mimétisme entre les deux hommes. Même taille, même carrure, même chaleur naturelle, même simplicité. Même savoir-faire de circonstance aussi. Celui des bêtes politiques. » (livre cité). Les deux "bêtes" ont alors évoqué les essais nucléaires français (que Jacques Chirac voulait reprendre en cas d’élection, au grand dam des Américains), le trafic de drogues, la situation dramatique en Algérie, etc.

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Bon contact en surface, car la réalité était moins évidente. De retour de cet entretien, Jacques Chirac qui admirait George H. W. Bush (père) pour son excellente connaissance des relations extérieures, n’était pas vraiment enthousiasmé par son successeur : « À l’arrière, Chirac grommelle et lance une plaisanterie peu flatteuse pour Clinton. En lui, il a reconnu un pro de la politique, guère plus. L’homme ne lui as pas paru préoccupé par les affaires de la planète. ». La réaction de ses conseillers : « Ce type est séduisant, mais il incarne le pur politicien américain. Le gars qui assène à chacun de ses interlocuteurs exactement ce qu’il a envie d’entendre. » (on dirait une critique à l’adresse d’Emmanuel Macron !). Un autre conseiller : « Ce n’est pas Bush [père]. Lui avait une vision du monde et connaissait parfaitement les relations internationales. Remarque, ce n’est pas Reagan non plus, avec son folklore et ses trois idées fixes. ».

Parmi les festivités, le 7 juin 1994, Bill Clinton s'est rendu au Palais-Bourbon. Témoignage de Michèle Cotta dans ses "Cahiers secrets" : « Bill Clinton est reçu aujourd’hui en grande pompe à l’Assemblée Nationale par Philippe Séguin. Après le roi d’Espagne, le voici donc face aux députés [français]. (…) Il commence, de sa voix légèrement voilée, reconnaissable entre toutes, par remercier François Mitterrand de son invitation en France : "Ce que j’ai vu hier en Normandie, dit-il, ce sont des souvenirs pour toute ma vie". Il évoque ensuite (…) la coopération entre les États, en Bosnie notamment (…). Lorsqu’il a fini de parler, les députés de tous bords se lèvent pour une standing ovation. Ce n’est pas tant ce qu’il a dit que la façon dont il l’a dit, la force qui émane de lui, son énergie, que l’on applaudit dans les travées ou dans les tribunes réservées au public (…). Joli coup de pub pour Philippe Séguin ! ».

Bill Clinton qui avait sablé le champagne le 10 mai 1981 pour fêter la victoire socialiste, était très apprécié de François Mitterrand : « Chez Clinton, Mitterrand aime l’intelligence, la capacité à écouter, la volonté de comprendre. Il déplore même que son attitude de quasi-déférence empêche leur relation de s’approfondir à travers une bénéfique confrontation. Il le trouve trop timide avec lui. ».

La consécration du président du RPR, ce fut un peu plus tard, lors de sa rencontre avec Bill Clinton à la Maison-Blanche le 20 septembre 1994. Une visite à la fois diplomatique et électorale, où le candidat gaulliste a aussi rencontré les deux leaders républicains du moment, Bob Dole (qui fut le candidat à l’élection présidentielle américaine de 1996) et Newt Gingrich, futur Président de la Chambre des représentants ("speaker") après la victoire des républicains au Congrès en novembre 1994, tous les deux très conservateurs.

Après cet entretien à la Maison-Blanche, Jacques Chirac a été "convaincu" par Bill Clinton. Et Pamela Harriman qui l’accompagnait « est aux anges. Le voyage monté par son staff se déroule parfaitement. Chirac et Clinton se sont bien entendus. Dès lors, l’équipe de l’ambassade américaine à Paris ne cache plus que dans la présidentielle française, elle aura "les yeux braqués sur Chirac". ». Belle preuve d’anticipation.

Après son élection à l’Élysée en mai 1995, Jacques Chirac a donc pu nouer des relations très proches avec Bill Clinton qui avait cru en ses chances d’être élu. En fait, si Bill Clinton ne connaissait rien en politique étrangère, il savait apprendre rapidement, et le sujet qui n’a jamais cessé d’obséder Jacques Chirac, c’était la guerre dans l’ex-Yougoslavie. Il voulait maintenir l’embargo des armes en Bosnie et créer au sein de l’ONU une force de réaction rapide (FRR) pour protéger les troupes de la FORPRONU ainsi que la population civile bosniaque.

Peu avant le sommet du G7 à Halifax, ce fut de manière très volontariste que Jacques Chirac a réussi, lors d’une rencontre à Washington le 14 juin 1995, à convaincre Bill Clinton de le soutenir au Conseil de Sécurité de l’ONU, dans un contexte de politique intérieure américaine très compliqué (la majorité était républicaine au Congrès et le vote de nouveaux crédits était difficile à obtenir).

Appréciation d’un diplomate américain : « Chirac est désormais perçu comme le leader avec lequel il va falloir compter, le futur interlocuteur européen : "Il est vu comme un partenaire très important, confie un diplomate américain. Il vient de remporter une énorme victoire et il a une immense majorité parlementaire. Clinton a aussi admiré la façon dont il a su se mettre au centre de la scène à Halifax. Il sait jouer des coudes". ».

Un autre diplomate américain : « Chirac veut réaffirmer les prérogatives présidentielles en matière de politique étrangère, après des années de cohabitation. Il a une dynamique, un désir de trancher, de prendre des décisions. Il est reaganien aussi dans le sens où ses discours témoignent d’une exaspération à l’égard de la technocratie de la politique étrangère. Il a la volonté de devenir un grand communicateur. ».

Le succès, ce fut les accords de paix. Voici comment a vu les choses Michèle Cotta le 20 décembre 1995 : « Juste quelques lignes (…) sur la fin de la première année de l’ère Chirac : j’en retiens surtout un état paradoxal, en particulier au mois de décembre [1995] qui s’achève. D’un côté, les grèves (…). De l’autre, presque aussi spectaculaire, les accords de paix en Yougoslavie qui viennent d’être signés à l’Élysée, par les Présidents de la Serbie, de la Croatie et de la Bosnie, sous le regard de bonnes fées qui ont pour noms Bill Clinton, Helmut Kohl, John Major et Felipe Gonzalez. D’un côté (…), la France qui râle. À l’Élysée, la réussite de la ligne Chirac dans le conflit yougoslave. ».

Bill Clinton est l’ami de la France, oui, mais il était d’abord l’ami de Jacques Chirac. Et c’était réciproque. La preuve : Jacques Chirac, le dimanche 13 septembre 1998, a appelé Bill Clinton pour un entretien téléphonique, dans le cadre classique d’échanges entre les deux chefs d’État. Mais cet appel était un peu particulier. Jacques Chirac voulait manifester à Bill Clinton son soutien personnel pour l’épreuve qu’il traversait. Deux jours auparavant, le procureur Kenneth Starr avait en effet rendu public son rapport qui a humilié le Président américain, l’accusant de mensonge lors de sa déposition sous serment le 17 janvier 1998 (dans l’affaire Monica). Étalage de la vie privée, et volonté de lynchage médiatique de la part du procureur et aussi des parlementaires républicains.

Gilles Delafon et Thomas Sancton ont précisé : « "Mais c’est incroyable !" s’est exclamé Jacques Chirac en découvrant vendredi ce déballage sur la chaîne américaine d’information permanente CNN. L’atteinte à la vie privée, caractérisée, que constitue cette affaire le révulse. (…) Depuis la publication du rapport, le Président [français] réfléchit à la façon dont il pourrait manifester son soutien à Bill Clinton. (…) Le Président américain fait pitié [depuis le 17 août], tant il multiplie les excuses publiques. (…) La publication du rapport Starr (…) constitue l’ultime humiliation qui pousse Chirac à réagir. Par solidarité, mais aussi parce que la tournure prise par les événements menace sérieusement l’autorité du plus puissant chef d’État. (…) Dès le début de leur conversation téléphonique, Chirac confie ainsi à Clinton : "Bill, je veux que tu saches combien je me trouve à tes côtés et je vais le déclarer officiellement. (…) Personne ici ne comprend comment la démocratie américaine a pu se dévoyer ainsi". ». La réponse de Bill Clinton : « Jacques, les mots que tu viens de prononcer ont une valeur inestimable. ».

Une très forte complicité liait effectivement les deux hommes : « À un moment, Clinton formule une requête : "Jacques, si tu faisais un communiqué précisant tout cela, cela m’aiderait". Le Président français n’y voit aucun inconvénient. Au contraire. Et les deux hommes se mettent d’accord, ensemble, sur la formulation de la déclaration française. Peu après leur entretien, dans la déclaration qu’il fera publier, Jacques Chirac renouvellera son soutien à Bill Clinton, mais ajoutera également une phrase d’importance : "Le monde, dans les épreuves qu’il traverse, a besoin d’une Amérique en état de marche". ».

En amitié comme en amour, il y a des choses intangibles : c’est d’en donner des preuves.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"Dear Jacques, Cher Bill. Au cœur de l’Élysée et de la Maison-Blanche, 1995-1999" par Gilles Delafon et Thomas Sancton, éd. Plon (1999).
Bill Clinton, le roi du charisme.
Bill Clinton, l’ami de la France.
Jeff Bezos.
L’exploit de Blue Origin, la fabrique du tourisme spatial écolo-compatible.
John Glenn.
George W. Bush (fils).
Il y a 20 ans : George W. Bush vs Al Gore.
George H. W. Bush (père).
Donald Rumsfeld.
Louis Armstrong.
Jim Morrison.
Ella Fitzgerald.
Michael Collins.
George Floyd : la vie d’un homme, l’honneur d’un pays.
Décollage vers l'ISS.
Deux faces des États-Unis : George Floyd et SpaceX.
Walter Mondale.
Covid-19 : Donald Trump, marathonman.
Bob Kennedy.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210819-bill-clinton.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/bill-clinton-l-ami-de-la-france-234620

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/07/23/39068971.html






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