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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
23 août 2021

Roland Dumas, le sauveur de la République ?

« J’ai pensé à mon pays. Je suis un homme de devoir. Nous avons finalement décidé, par esprit républicain, de confirmer, à l’unanimité au deuxième tour, son élection présidentielle. Je suis convaincu que j’ai sauvé la République. » (Roland Dumas, "Le Figaro" le 27 janvier 2015).




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L’ancien ministre Roland Dumas fête son 99e anniversaire ce lundi 23 août 2021. Un âge qui en fait l’un des doyens (il en reste encore quelques autres) de la Cinquième République. Très proche de François Mitterrand à une époque où personne n’aurait misé un kopeck sur le futur Sphinx présidentiel, il a été élu député UDSR de Haute-Vienne en janvier 1956 (jusqu’à novembre 1958), puis député FGDS de Corrèze en mars 1967 (il a battu Jean Charbonnel à Brive), jusqu’en juin 1968, puis député PS de Dordogne de 1981 à 1993 (sauf lorsqu’il était au gouvernement).

Une carrière parlementaire très chaotique et nomade qui montre avant tout sa proximité avec François Mitterrand qui a été le parrain d’un de ses enfants. Mais son parcours politique était plutôt dans les hautes sphères de État, au Ministère des Affaires européennes du 18 décembre 1983 au 7 décembre 1984 puis des Affaires étrangères du 7 décembre 1984 au 20 mars 1986 et du 10 mai 1988 au 28 mars 1993, et enfin, Président du Conseil Constitutionnel du 8 mars 1995 au 29 février 2000.

Homme des manœuvres politiques, Roland Dumas a même réussi, probablement malgré lui, à se faire élire président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale du 9 octobre 1986 au 6 avril 1987, succédant au "géant" Jean Lecanuet, finalement réélu sénateur. Et cela malgré une majorité UDF-RPR. Comment cela a-t-il été possible ? En principe, lors du choix du nouveau président de la commission, le 9 octobre 1986, Bernard Stasi aurait dû être élu, car il avait été désigné comme le candidat de la majorité UDF-RPR, mais sans doute par des défections parmi quelques députés RPR et par un soutien plus ou moins implicite des 36 députés FN au socialiste, Roland Dumas a eu une victoire inattendue. Lors de la session suivante, la discipline a mieux régné au sein de la majorité et Valéry Giscard d’Estaing fut élu nouveau président de cette commission le 6 avril 1987.

Nommé en février 1995 par François Mitterrand à la succession d’un autre avocat, Robert Badinter, à la tête de la plus haute juridiction (cette qualification fait encore débat chez les juristes et les constitutionnaliste), Roland Dumas a été rapidement confronté à son premier problème institutionnel : valider les comptes de campagne de l’élection présidentielle de 1995. Or, selon lui (et selon d’autres membres du Conseil Constitutionnel de l’époque), les comptes de campagne des candidats Édouard Balladur et Jacques Chirac étaient « manifestement irréguliers » (selon lui-même le 28 janvier 2015 dans "Le Monde"), avec des recettes et des dépassements irréguliers.

Or, invalider les comptes de campagne d’Édouard Balladur aurait pu lui coûté cher (comme Nicolas Sarkozy en juillet 2013) mais n’aurait eu aucune conséquence sur le plan électoral puisqu’il avait été battu. Ce n’était pas le cas de Jacques Chirac qui avait été (largement) élu (52,6% des voix). Il était donc impossible de valider les uns sans les autres. Encore que… cela n’a pas empêché le Conseil Constitutionnel d’invalider les comptes de campagne d’un (très) petit candidat, Jacques Cheminade.

Dans "Le Figaro" du 27 janvier 2015, Roland Dumas a expliqué ainsi pourquoi, le 11 octobre 1995, il a réussi à convaincre ses confrères du 2 rue de Montpensier, de fermer les yeux sur les irrégularités financières : « Que faire ? C’était un grave cas de conscience. J’ai beaucoup réfléchi. Annuler l’élection de Chirac aurait eu des conséquences terribles. J’ai pensé à mon pays. Je suis un homme de devoir. Nous avons finalement décidé, par esprit républicain, de confirmer, à l’unanimité au deuxième tour, son élection présidentielle. Je suis convaincu que j’ai sauvé la République. ».

C’est sûr qu’il faut imaginer le contexte : en mai 1995, Jacques Chirac est élu Président de la République, et en octobre 1995, il serait déclaré invalidé et donc désinvesti de la charge suprême. C’était peu de temps avant l’une des plus grandes grèves contre la réforme de la sécurité sociale par Alain Juppé. On pourrait imaginer les conséquences politiques mais aussi électorales : René Monory serait devenu Président par intérim en qualité de Président du Sénat, et une nouvelle élection présidentielle aurait dû être organisée d’ici à la fin du mois de décembre 1995. Qui aurait alors été candidat ?

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C’est assez troublant de comprendre la position de Roland Dumas. Il faut se rappeler que François Mitterrand était toujours vivant et aurait pu aussi guider ou conseiller son ancien compère. D’un point de vue strictement politique, une invalidation des deux grands candidats RPR ne pouvait qu’avantager le troisième grand candidat, celui du PS, Lionel Jospin (pas sûr que François Mitterrand ait beaucoup apprécié son droit d’inventaire). Quant à son propre avenir politique, cette décision ne l’a pas aidé à se maintenir en fonction : acculé par les affaires judiciaires, Roland Dumas a fini par démissionner le 29 février 2000 (jour d’année bissextile !).

Mais visiblement, l’institutionnel l’a emporté sur le politique. Roland Dumas ne se voyait pas transformer le Conseil Constitutionnel en juges électoraux qui rejetteraient le choix souverain des électeurs. Et pourtant, la question doit se poser : à quoi servirait-il de faire une règle si l’on était incapable de l’appliquer et de sanctionner les infractions ? Le cas aurait pu se reproduire si Nicolas Sarkozy avait été réélu en 2012. Qu’aurait alors choisi de décider le Conseil Constitutionnel, alors présidé par un homme peu suspect d’amitiés sarkozyennes, Jean-Louis Debré ? Je suis à peu près convaincu qu’il aurait invalidé l’élection !

Mais lâchons l’uchronie et revenons à Roland Dumas. Peut-être ce dernier a-t-il privilégié le "tordu" sur l’institutionnel ? En effet, Roland Dumas, bien qu’avocat, a toujours eu une conception qu’on pourrait appeler "florentine" du droit, bref, une conception tordue. Il l’a même confirmé le 29 novembre 2013 dans un portrait brossé par Céline Cabourg et Vincent Monnier pour "Le Nouvel Obs" : « C’est pas mal d’être tordu si on sait bien s’en servir. C’est l’apanage des bretteurs, l’instrument des cambrioleurs. Ce qui est droit, c’est emm@rdant ! ». Peut-être est-ce la raison du complotisme, battre l’ennui ?

Soutien précoce de l’agitateur Dieudonné, de l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo (il est même allé en Côte d’Ivoire en décembre 2010 pour y apporter son aide) et du dictateur libyen Mouammar Kadhafi, "parrain" au barreau de l’actuel maire RN de Perpignan Louis Aliot, Roland Dumas a depuis longtemps été repoussé par ses anciens amis du parti socialiste, au point de faire le 16 février 2015, sur BFM-TV, une boulette assez puante à propos de la supposée trop grande influence de la femme (de l’époque) du Premier Ministre (de l’époque) Manuel Valls.

Sur le plan des relations internationales, Roland Dumas a regretté la décision de Nicolas Sarkozy de réintégrer le commandent de l’OTAN : « Les Américains étaient beaucoup plus attentifs à nos positions auparavant. C’est logique : quand une jeune femme se refuse à vous, vous redoublez d’attention. ». Ou la diplomatie par la galanterie ! Cela n’en fait pas une politique étrangère sérieuse et durable.

Dans son quinzième ouvrage "Nouveaux enjeux internationaux" (éd. Le Cherche Midi, 2014), Roland Dumas a aussi pas mal égratigné son successeur Laurent Fabius sur la Syrie : « On ne peut pas régler le problème syrien sans parler aux Russes. Après des roulements de tambour, la France va être mise sur le côté. ».

Repoussé par le PS ? Pas étonnant car le vieil homme quasi-centenaire peut sortir de l’acide à propos de certains éléphants qu’il connaît bien. Laurent Fabius : « C’est un être intelligent, mais tellement infatué de lui-même qu’il pense que tous les autres se trompent. ». Arnaud Montebourg (qui voudrait participer à l’élection présidentielle de 2022) : « Jeune avocat, il était venu me voir. Il était très révérencieux. Je lui ai mis le pied à l’étrier dans des dossiers et l’ai aidé à trouver une circonscription. ». Mais les affaires judiciaires ont éloigné les deux hommes, puisque Arnaud Montebourg s’en est pris à Roland Dumas en réclamant sa démission : « C’est un garçon qui a besoin de se faire de la publicité. À l’époque, n’en trouvant pas par lui-même, il s’en est fait sur le dos de plus connus que lui. C’est malheureusement banal. » (citations du Nouvel Obs).

Dans sa retraite, Roland Dumas aime toujours jouer les transgressifs, se compromettre avec des relations sulfureuses, à l’instar d’un de ses grands amis avocats, Jacques Vergès (disparu en août 2013). Roland Dumas aime d’ailleurs rappeler la formule de Jacques Vergès : « Aux critiques de [Georges] Kiejman, il avait répondu : "Peut-on empêcher un nain de pisser sur les chaussures d’un géant ?" ». Nain, géant, je ne sais pas ce qu’est Roland Dumas, mais par sa verve, par ses missions secrètes, il est assurément l’un des acteurs inimitables de la Cinquième République. Bon 99e anniversaire !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Roland Dumas à deux pas du centenaire !
Roland Dumas, l'avocat sulfureux de la Mitterrandie triomphante.
Roland Dumas.
Laurent Fabius.
Louis Mermaz.
Marie-Noëlle Lienemann.
Jean-Luc Mélenchon.
François Mitterrand.
François de Grossouvre.
Le congrès de la SFIO à Tours du 25 au 30 décembre 1920.
Le congrès du PS à Épinay-sur-Seine du 11 au 13 juin 1971.
Le congrès du PS à Metz du 6 au 8 avril 1979.
Le congrès du PS à Rennes du 15 au 18 mars 1990.
Le congrès du PS à Reims du 14 au 16 novembre 2008.
Édith Cresson.
Pierre Joxe.
Patrick Roy.
Raymond Forni.
Georges Frêche.
Bernard Tapie.
Michel Delebarre.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210823-roland-dumas.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/roland-dumas-le-sauveur-de-la-235140

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