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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
23 octobre 2017

Bruno Mégret et son héritier

« Se pose aussi notre capacité à traiter des sujets les plus sensibles, notamment ceux qui touchent à "l’humain" : sommes-nous vraiment aussi clairs et précis qu’on le croit sur l’immigration ? Pourquoi tant de nos compatriotes sont-ils encore persuadés que ce discours est "raciste" ? Comment doit-on parler aux Français issus de l’immigration ? » (note de Florian Philippot sur l’échec du FN diffusée le 17 juillet 2017).



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Le président du parti Les Patriotes Florian Philippot fête son 40e anniversaire ce dimanche 24 octobre 2021. C’est une occasion de m’attarder sur ce énième candidat à l’élection présidentielle qui pourrait faire paraphraser le Général De Gaulle par une nouvelle version du naufrage : la jeunesse est un naufrage !

Il aurait pu donner un coup de vieux à Marine Le Pen, mais Emmanuel Macron, un peu plus âgé, lui a volé la vedette. Florian Philippot a été la pièce maîtresse de Marine Le Pen pendant les premières années de celle-ci à la présidence du Front national. Souverainiste d’origine de gauche (il a voté pour Jean-Pierre Chevènement en 2002), Florian Philippot a été le premier énarque à aider le FN dans son combat politique (et comme François Hollande, il est diplômé à la fois de HEC et de l’ENA). Difficile de se prétendre anti-système lorsqu’on est énarque puisque ce sont bien les énarques qui sont au sommet de ce système. À l’Intérieur, Florian Philippot avait accès à beaucoup de données sur la délinquance et l’immigration pour les tordre et avoir des éléments tangibles en faveur des propositions sécuritaires du parti des Le Pen.

Dès son entrée au FN en 2011 (alors que Marine Le Pen venait d’en prendre la présidence), il a été très rapidement le principal conseiller de la fille Le Pen et ensuite le numéro deux officiel du FN (dès juillet 2012). Il a contribué à l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du FN et à la gauchisation du discours de l’extrême droite. Grâce au FN, il a été élu député européen en mai 2014 et conseiller régional du Grand-Est en décembre 2015.

Très médiatique, d’allure plutôt sympathique et joviale (le sourire par exemple), Florian Philippot comptait conquérir le pouvoir avec ou sans le FN. L’incompétence de Marine Le Pen et sa nullité au cours du débat du second tour en 2017 ont convaincu le jeune ambitieux que son avenir était ailleurs (il a certes estimé que le débat n’y était pour rien, mais les discours anxiogènes contre l’immigration).

En septembre 2017, il a quitté le FN avec armes, bagages et quelques cadres. Pas beaucoup, mais suffisamment pour croire qu’il y a eu une scission. Les Patriotes, son nouveau parti qu’il préside, avait son nom protégé à l’INPI dès 2015, ce qui montre que cette séparation n’était pas spontanée mais calculée de longue date. Ont quitté le FN avec lui 2 députées européennes, Sophie Montel et Mireille d’Ornano, 30 conseillers régionaux (sur 358, dont deux qui étaient aussi députés européens, donc ici comptés deux fois) et 2 conseillers départementaux. C’est une scission donc assez limitée, encore plus limitée si on regarde le nombre de dirigeants du FN qui l’ont suivi (3 sur 124).

L’élection présidentielle de 2022 est donc cruciale pour Florian Philippot puisque c’est la première élection présidentielle après cette scission. Cependant, on sait à peu près quel est son niveau d’audience électorale dans l’électorat français puisqu’il a mené une liste nationale aux élections européennes de mai 2019 et qu’il n’a obtenu que 0,6%, même pas 150 000 voix ! Il n’a donc pas été réélu député européen, alors qu’avec l’étiquette du FN, il avait recueilli 29,0%, la première liste de sa circonscription, en menant la liste de la circonscription Est aux européennes de mai 2014 (au niveau national, le FN avait obtenu 24,9%, également à la première place). Du reste, la perte du mandat européen est une joie pour les contribuables européens car il faisait partie des députés européens qui ont le moins bossé pendant leur mandat (idem au conseil régional du Grand-Est).

Il faut être clair : la grande période du FN, "premier parti de France" en 2014, fut paradoxalement le FN de Florian Philippot. C’est pour cela qu’il s’est cru autosuffisant et qu’il a quitté la maison mère pour fonder sa propre boutique. Mais si la maison Le Pen est une PME, alors, lui, il n’est qu’un micro-entrepreneur (au sens fiscal du terme).

Plus dure encore est la comparaison aux deux élections régionales où il a mené une liste. En décembre 2015, on disait même qu’il pouvait gagner la région Grand-Est. Il était arrivé au premier tour en tête avec 36,1% des voix, et s’il a gagné 150 000 voix entre les deux tours, il n’a pas amélioré son pourcentage de voix (36,1%) grâce à une mobilisation plus forte de l’électorat contre lui, tandis que la liste PS du président sortant du conseil régional de Lorraine (Jean-Pierre Masseret) avait refusé de se désister au second tour en faveur de la liste LR-UDI-MoDem malgré le danger du FN (au contraire des régions Hauts-de-France et PACA). En juin 2021, la comparaison est cruelle : Florian Philippot, sur sa seule étiquette personnelle (et avec le soutien du parti de Jean-Frédéric Poisson), n’a obtenu dans le Grand-Est que 6,9% (dix fois moins de voix), alors que la liste RN (menée par Laurent Jacobelli) a obtenu 21,1% au premier tour et 26,3% au second tour.

Même chose aux élections municipales à Forbach. En mars 2014, il a été élu conseiller municipal après avoir mené sa liste municipale en tête du premier tour avec 35,7% (mais seulement 35,2% au second tour), alors qu’en mars 2020, arrivé en cinquième position avec seulement 9,7%, n’était même plus en situation d’être élu simple conseiller. Aux élections cantonales de juin 2021, il s’est infligé la même débâcle avec 7,9% au premier tour.

Aux élections législatives, Florian Philippot a été candidat FN en juin 2012 et en juin 2017. En 2012, il a obtenu 26,3% au premier tour et 46,3% au second tour, c’est le candidat socialiste (maire de Forbach) qui a été élu, et le député UMP sortant Pierre Lang n’avait obtenu que 25,0% et n’a pas pu se maintenir au second tour (en juin 2002, le FN faisait 16,7% et en juin 2007, seulement 7,8%). En quatrième position, un rival de Florian Philippot (FN dissident), qui était le candidat FN aux législatives en 2007 (voir parenthèses précédentes), avec 4,1% (avec qui il s’est allié aux municipales à Forbach en 2014). En 2017, Florian Philippot faisait partie des candidats FN susceptibles de se faire élire députés. Bien qu’arrivé en tête du premier tour avec 23,8% (Pierre Lang toujours en troisième position avec 16,3%), il s’est fait battre largement par le candidat LREM au second tour, ne recueillant que 43,0%.

L’étiquette Philippot ne fait pas vendre. Plus instructive est la différence du score de Sophie Montel (voir plus bas) avec ou sans étiquette du FN : à l’élection législative partielle du 28 janvier 2018 à Belfort, elle n’a obtenu que 2,0% (le candidat du FN : 7,5% ; le même en juin 2017 : 17,5%). Auparavant, Sophie Montel s’était présentée cinq fois aux élections législatives dans le Doubs, à Sochaux (la circonscription d’Huguette Bouchardeau et de Pierre Moscovici, avec l’étiquette FN. En juin 2002, elle a obtenu 19,6% ; en juin 2007, 8,4% ; en juin 2012, avec 23,9%, elle a été qualifiée pour le second tour (où elle a obtenu 24,5%) ; à la législative partielle des 1er et 8 février 2015, elle s’est retrouvée en première position au premier tour avec 32,6% mais a été battue de justesse par le député PS sortant avec 48,6% (elle n’a pas été loin de remporter l’élection) ; enfin, en juin 2017, Sophie Montel a été qualifiée au second tour avec 24,1% mais a été très largement battue par le même concurrent député sortant PS devenu LREM avec seulement 38,4%.

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Les trois fois où Florian Philippot a été élu (député européen, conseiller municipal, conseiller régional), c’était avec l’étiquette FN. Il a cru que la marque Philippot valait plus que la marque Le Pen, c’était une grave erreur : c’est ce que j’appelle le syndrome Bruno Mégret.

Bruno Mégret était un jeune polytechnicien qui avait plein d’avenir et plein d’ambition politiques (là aussi, difficile de se dire anti-système), engagé originellement au RPR, mais déçu par des refus d’investiture, il s’est tourné vers Jean-Marie Le Pen au début des années 1980, au moment où, la gauche aidant, le discours démagogique du FN prenait sur un électorat désorienté par les décisions prises par le gouvernement socialo-communiste.

Intelligent et rapide, Bruno Mégret était devenu le numéro deux du FN (délégué général), sans doute l’apparatchik le plus influent de ce parti en 1998 quand une véritable lutte contre le "père" a eu lieu sur un désaccord stratégique : Jean-Marie Le Pen n’avait aucune intention de conquérir le pouvoir et préférait se faire plaisir en lâchant de temps en temps des paroles de provocation ou de victimisation. Alors que Bruno Mégret, au contraire, voulait prendre le pouvoir. D’un côté, un FN refusant obstinément toute alliance avec la "droite parlementaire", isolationniste, toujours dans l’opposition, de l’autre côté un numéro deux voulant le pouvoir, au prix d’un alliance de rassemblement des droites (on retrouve le même conflit entre la fille et la nièce). Ce fut donc la rupture.

Cela s’est soldé en décembre 1998 par le départ de Bruno Mégret du FN, avec plus de la moitié des cadres du FN (secrétaires fédéraux, etc.) pour créer le 2 octobre 1999 le très inconsistant Mouvement national républicain (MNR). Aux élections européennes de juin 1999, ce fut un désastre électoral pour le FN, avec seulement 5,7% (au lieu de 10,5% en juin 1984), derrière Robert Hue et Jean Saint-Josse (Charles Pasqua et Philippe de Villiers en furent les principaux bénéficiaires). On aurait pu croire l’hypothèque Le Pen levée, et finalement, à peine trois ans plus tard, Jean-Marie Le Pen a été qualifié au second tour de l’élection présidentielle de 2002 (à sa grande surprise !). À ce premier tour du 21 avril 2002, alors que Jean-Marie Le Pen a fait 16,9%, Bruno Mégret (détesté comme traître par le FN) n’a recueilli que 2,3% (encore derrière Robert Hue et Jean Saint-Josse). Sans aucun succès électoral par la suite, Bruno Mégret s’est (brièvement) expatrié en Australie à la fin des années 2000.

Comme Bruno Mégret qui tentait un rapprochement avec Philippe de Villiers, Florian Philippot a tenté sans succès un rapprochement avec François Asselineau, Nicolas Dupont-Aignan (et aussi Henri Guaino et Jean Lassalle) et seule, la proximité de Jean-Frédéric Poisson aurait pu être un succès …si la candidature du polémiste Éric Zemmour n’avait pas attiré l’ancien député-maire de Rambouillet. Tous ces personnages errent dans la même niche électorale même si Florian Philippot insiste plus sur la sortie de l’Europe que sur l’immigration.

Florian Philippot est isolé complètement, non seulement dans l’échiquier politique mais aussi en interne. Les quelques ralliements de 2017 n’ont pas duré longtemps : Sophie Montel est partie voir ailleurs après s’être aperçue que Les Patriotes n’était pas un parti mais seulement une émanation de Florian Philippot, une coquille vide. L’acteur Franck de Lapersonne, candidat FN aux élections législatives de 2017, l’a aussi quitté très rapidement (il faut voir le genre de soutien ou d’ami qu’a eu Florian Philippot : Franck de Lapersonne a voté pour Nicolas Sarkozy en 2007, pour François Hollande en 2012 et après avoir soutenu Jean-Luc Mélenchon, a voté pour Marine Le Pen en 2017 !). Ces deux personnalités, Sophie Montel et Franck de Lapersonne, étaient des vice-présidents de Les Patriotes. On voit toute la cohérence interne de cet égomouvement.

Après avoir échoué à récupérer le mouvement des gilets jaunes, Florian Philippot a foncé sur la brèche de la crise sanitaire. En s’opposant frontalement à la campagne de vaccination contre le covid-19 et en organisant de nombreuses manifestations contre le passe sanitaire, Florian Philippot a définitivement perdu tout espoir de conquête du pouvoir. Il cherche simplement à profiter d’une niche électorale, celle du complotisme sanitaire qui lui permettrait d’avoir assez de voix pour bénéficier d’un financement politique public. Bruno Mégret en avait bénéficié aux législatives de juin 2002, ce qui avait permis à son parti de vivoter financièrement pendant cinq ans. Rappelez-vous, une voix ne tombe jamais dans l’oreille d’un sourd.

Cela explique les excès en tout genre du comportement de Florian Philippot : il ne cherche qu’à être un repère aux désorientés de la vie politique, de la faillite sociale, de la crise sanitaire, un repère aux rétifs de la vaccination (ce qui est un calcul hasardeux car il n’y a plus qu’environ 5 millions d’adultes qui ne sont pas encore vaccinés). Plus qu’un militant, Florian Philippot est devenu un agitateur. Peut-être a-t-il une belle audience sur Internet, le moment venu, lorsqu’il y aura à glisser son bulletin dans l’urne, la simple sympathie, voire l’admiration, ne suffiront pas à faire confiance à un homme complètement irresponsable devant la menace pandémique et ses effets ravageurs sur la santé publique (120 000 décès, des traumatismes très longs pour ceux qui reviennent de réanimation, des centaines de milliers de covid long, etc.).

Comme Bruno Mégret, Florian Philippot fera probablement un score très faible à l’élection présidentielle s’il parvient, et ce sera déjà un exploit, à collecter les cinq cents parrainages nécessaires d’élus locaux pour se présenter. On l’oubliera probablement après quelques années encore de vaines agitations. Ce sera sans doute un gâchis, mais personne ne le regrettera.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Florian Philippot parti.
Florian Philippot.
Bruno Mégret.
Jean-Frédéric Poisson.
Éric Zemmour.
Jean-Marie Le Pen.
Arme de dissuasion présidentielle.
La proportionnelle en 2021 ?
Marine Le Pen et l’effet majoritaire.
Les Républicains et la tentation populiste.
Marine Le Pen piégée par des militaires apprentis sorciers.
La Vaine Le Pen.
Jean-Marie Le Pen a 90 ans.
Rassemblement oxymore.
La création de Debout la Patrie.
Le débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen du 3 mai 2017.
Les nationautes de la Marine.
Marion Maréchal.
Patrick Buisson.
Des sénateurs FN.
Nicolas Dupont-Aignan.
Ensemble pour sauver la République.
Choisis ton camp, camarade !
Fais-moi peur !
Peuple et populismes.
Les valeurs de la République.
Être patriote.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211024-bruno-megret.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/10/23/39189280.html








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