Abus sexuels : l’Église reconnaît sa responsabilité institutionnelle
« Je suis retourné dans ma tente pour me coucher en me disant que cela était peut-être normal (…). Le week-end a fini, je suis rentré ne disant rien à mes parents, puis j’ai pris une douche. Dans mon cerveau, j’avais l’impression que des cadenas s’étaient verrouillés, me disant que cela était peut-être normal. » (témoignage d’une victime, rapport Sauvé, 5 octobre 2021).
Les évêques de France sont réunis en assemblée plénière du 2 au 8 novembre 2021 à Lourdes. C’est la seconde fois qu’ils se réunissent en 2021, selon le calendrier ordinaire de la Conférence des évêques de France (CEF). La session conclut l’année liturgique et démarre la nouvelle année liturgique. Et bien sûr, au cœur des sujets d’attention, les abus sexuels dont l’ampleur a été révélée par le rapport Sauvé le 5 octobre 2021. Les évêques avaient ainsi prévu de communiquer sur le sujet ce vendredi 5 novembre 2021 à 15 heures, ce qu’ils ont fait après un vote important.
Sans pour autant faire des analogies oiseuses, toute chose égale par ailleurs, la déclaration des évêques du 5 novembre 2021 est l’équivalent, pour ces crimes et délits sexuels, de la reconnaissance par le Président Jacques Chirac de la responsabilité de la France dans la rafle du Vel’ d’Hiv’.
En effet, ce vendredi matin, les évêques venaient de « reconnaître la responsabilité institutionnelle de l’Église dans les violences qu’ont subies tant de personnes victimes ». Ils venaient également de « reconnaître la dimension systémique de ces violences : au sens où elles ne sont pas seulement le fait d’individus isolés, mais ont été rendues possibles par un contexte global. Des fonctionnements, des mentalités, des pratiques au sein de l’Église catholique ont permis que ces actes se perpétuent et ont empêché qu’ils soient dénoncés et sanctionnés ». Enfin, ils ont reconnu que « cette responsabilité entraîne un devoir de justice et de réparation qui ouvre la possibilité de demander pardon en vérité ».
C’est une avancée notable, indispensable pour ensuite tourner la page et reprendre les relations entre l’Église catholique, d’une part, et les fidèles, d’autre part, sur une base nouvelle, plus saine, plus vraie. Lors de la précédente assemblée plénière des évêques de France en mars 2021, les évêques avaient reconnu leur responsabilité en tant qu’évêques, chargés de prévenir les éventuels problèmes avec prêtres et religieux de leur diocèse, mais cela restait de la responsabilité individuelle, pas, comme ici, une responsabilité institutionnelle.
Je m’en réjouis. Nul ne peut nier que maintenant, l’Église de France veut faire le ménage avec sa part la plus obscure. C’est difficile, car pendant des décennies, on a surtout voulu éviter de faire scandale là où il y avait victimes et crimes. Elle a été très courageuse de demander et financer le rapport qui a révélé toute la gravité de la situation, 300 000 personnes victimes depuis soixante-dix ans. C’est aussi l’époque qui veut cela, plus de transparence, et plus de parole, plus d’écoute aussi, que ce soit dans l’Église comme dans la société en général (MeToo, etc.).
Il faut noter d’ailleurs deux choses : la volonté générale du Vatican, avec le pape François, de faire toute la lumière sur ces violences, et la volonté particulière de l’Église de France d’en faire autant, avec un rapport accablant, mais nécessaire, pas de perspective sans diagnostic, suivant en cela certains autres pays et à l’avenir, d’autres pays feront ce même travail d’état des lieux. La position du Vatican a été sans ambiguïté dès le pape Jean-Paul II, mais Jean-Paul II et Benoît XVI non seulement étaient dépassés par ce phénomène, mais ne savaient non plus comment faire, que faire pour arrêter les violences et protéger. Cela fait une dizaine d’années (cela date d’avant le pape François) que cette préoccupation est au cœur de l’attention des évêques, en multipliant des structures d’écoute, de dialogue, etc.
Ce rapport aurait dû être rédigé bien plus tôt, évidemment, mais il est une base solide pour l’avenir, sur laquelle pourront intervenir non seulement les évêques mais aussi les victimes, car le plus important en plus d’éviter que cela se reproduise, c’est de s’occuper des victimes.
À l’issue de l’entretien de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, avec le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin le 12 octobre 2021, à la suite d’une maladresse de communication de l’évêque à la radio, la CEF avait publié un communiqué en exprimant notamment ceci : « Mgr Éric de Moulins-Beaufort a tenu à redire la détermination de tous les évêques et, avec eux, de tous les catholiques, à faire de la protection des enfants une priorité absolue, en étroite collaboration avec les autorités françaises. (…) Les évêques de France réunis en assemblée plénière (…) travailleront ensemble (…) sur les mesures et réformes à poursuivre et à entreprendre (…). La réalité des violences et agressions sexuelles sur mineurs au sein de l’Église et dans la société invitent les femmes et les hommes de bonne volonté, croyants ou non, à travailler ensemble au service de la protection des plus jeunes, de l’accueil et de l’accompagnement des personnes victimes. Devant ces faits, Mgr Éric de Moulins-Beaufort redit sa honte, sa consternation, mais aussi sa détermination à mener les réformes nécessaires pour que l’Église, en France, mérite la confiance de tous. ».
Cette dernière phrase est essentielle, ce qui justifie mon agacement à voir continuer à être diffusés les spots proposant de faire des legs à l’Église : avant de demander quoi que ce soit, il faut renouer la confiance. Et les paroles d’il y a un mois n’étaient pas suffisantes : honte, consternation… les victimes s’en fichent.
Ce 5 novembre 2021, en revanche, on est arrivé à une étape bien plus déterminante, en mettant en cause le système, c’est-à-dire l’institution religieuse dans son ensemble, dans cette violence, par ce principe d’autorité et de convenances qui a fait que, pendant longtemps, c’était plutôt l’enfant victime que le prêtre prédateur qui fut puni, par les parents, lorsqu’il osait en parler.
Dans le point-étape de cette assemblé plénière au 5 novembre 2021, il est donc dit : « Bouleversés et accablés, nous comprenons et nous partageons le trouble et l’inquiétude ainsi que la colère que suscite l’institution ecclésiale qui n’a pas su voir ces terribles faits ni les dénoncer, et qui n’a pas prêté attention aux personnes victimes ni à leur souffrance. (…) Elles ont été victimes de la trahison inexcusable et intolérable d’évêques, de prêtres, de diacres, de religieux et de laïcs chargés de l’Évangile. ».
Les mots sont forts : « La première obligation de l’Église catholique contractée vis-à-vis des victimes est la reconnaissance de sa responsabilité institutionnelle, outre la responsabilité propre des auteurs des abus sexuels. Sa responsabilité est engagée vis-à-vis des personnes victimes, de la société et de Dieu. ».
Et vient alors cette deuxième étape, après la reconnaissance de responsabilité, qui est la réparation pour la victime. Les évêques citent Jésus que saint Marc fait dire à ceux qui sont blessés : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? ». C’est sur cela que planchent actuellement les évêques et leur travail sera loin d’être terminé le 8 novembre 2021. Il ne s’agit pas d’effacer, de mettre de la poussière sous le tapis en échange d’un chèque, mais de tenter, par un moyen ou un autre, que les victimes puissent y trouver un réconfort, et en tout cas, puissent retrouver un goût à la vie, car souvent, ils ont un enfer dans l’habitacle.
Ce processus d’ailleurs, comme c’est dit plus haut, peut être aidé de personnes même non-croyantes. Car finalement, ce que l’Église fait en ce moment, d’autres institutions devront bien le faire aussi, car ces abus sexuels n’ont pas été exclusivement commis dans un cadre religieux. D’autres lieux, essentiellement éducatifs ou sportifs, ont été le territoire de prédateurs sexuels contre des enfants qui ont été parfois traumatisés à vie.
Donc, il ne faut pas voir que cette affaire ne concerne que les catholiques, elle concerne tout le monde, inséré dans une société qui doit protection aux plus faibles, en particulier aux enfants et aux personnes dépendantes. Heureusement, les évêques de France sont en bonne voie. Il y aura encore du chemin à parcourir, mais au moins, on ne pourra plus dire en ricanant que l’Église est un bordel : ses dirigeants le savent maintenant mieux que personne d’autres. Si on le dit, on ne ricanera plus. On pleurera peut-être, et on tentera aussi de travailler pour assurer et organiser cette protection qui a fait tant défaut.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 novembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Abus sexuels : l’Église reconnaît sa responsabilité institutionnelle.
Legs et indécence.
Il y a un an, l’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice le 29 octobre 2020.
Aider les chrétiens d’Orient sur France Inter : l’hypersensibilité de la laïcité.
Les messes à l’épreuve du covid-19.
Pâques 2020, le coronavirus et Dieu…
Secret de la confession et lois de la République.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort.
Abus sexuels dans l’Église : honte, effroi et pardon !
Rapport de Jean-Marc Sauvé remis le 5 octobre 2021 sur la pédocriminalité dans l’Église (à télécharger).
Présentation du rapport Sauvé le 5 octobre 2021 (vidéo).
Discours du pape François le 24 février 2019 au Vatican (texte intégral).
La protection des mineurs dans l’Église.
Protection des mineurs (2) : pas d’imprescriptibilité pour la pédocriminalité.
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Le pape François demande pardon pour les abus sexuels dans l’Église.
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211105-abus-sexuels-eglise-catholique.html
https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/abus-sexuels-l-eglise-reconnait-sa-236998
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/11/05/39207646.html