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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
27 novembre 2021

Gary Hart touché au cœur

« J’ai vu les journalistes devenir des bêtes, littéralement. » (Gary Hart évoquant la campagne de 1987 dans "The New York Times" du 22 mars 1998).



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L’ancien homme politique américain Gary Hart fête son 85e anniversaire ce dimanche 28 novembre 2021. Né dans le Kansas, cet avocat de Denver (dans le Colorado) a été élu deux fois sénateur du Colorado de 1975 à 1987 et il est surtout connu sur le plan international pour avoir été deux fois candidat à l’élection présidentielle et même, il était le grand favori de l’élection présidentielle de 1988.

En 1972, Gary Hart a été le directeur de campagne de George MacGovern aux primaires démocrates puis, après son succès, à l’élection présidentielle qu’il a perdue face à Richard Nixon. Il a ensuite battu le sénateur républicain sortant en novembre 1974 avec 57,2% des voix, et a été réélu de justesse en novembre 1980 avec 50,3% (contre 48,7% à sa concurrente républicaine : moins de 20 000 voix les séparaient). Au Sénat, Gary Hart a dirigé l’enquête concernant l’accident nucléaire de Three Mile Island.

À une époque peu propice aux démocrates, dans les années 1980, Gary Hart a créé la surprise chez les démocrates. Les primaires démocrates de 1984 se déroulaient à la fin du premier mandat du Président républicain Ronald Reagan fort populaire (1984, la Reaganmania avait traversé l’Atlantique et déteint sur Jaques Chirac mais aussi François Mitterrand !) et il était largement favori à sa réélection. L’ancien Président démocrate Jimmy Carter, battu en 1980, avait laissé son parti dans une absence durable de leaders.

Parmi les concurrents à ces primaires de 1984, trois candidats se sont détachés : l’ancien Vice-Président de Jimmy Carter, à savoir Walter Mondale qui avait le plus de légitimité et était présenté comme représentant de l’aile progressiste à un moment où les sociétés européennes et américaines avaient toutes basculées dans le néo-libéralisme (sauf la France !), le pasteur Jesse Jackson qui a fait une bonne campagne de représentation des minorités, et un homme politique "sorti de nulle part" qui a fait sensation par son charisme, Gary Hart. Le "sorti de nulle part" est une expression pas vraiment exacte car il était au Sénat depuis près d’une dizaine d’années, mais il n’avait pas à l’époque une forte notoriété. Parmi les autres concurrents, il y avait des "losers" comme John Glenn et George MacGovern dont la crédibilité était passée (leur temps était plutôt les années 1970).

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Gary Hart correspondait au portrait idéal d’un Président, ne serait-ce que par l’âge (autour de 50 ans), pas trop jeune mais aussi pas trop vieux, et l’âge était un élément important mis en avant en 1984 par les démocrates, car Ronald Reagan avait déjà 75 ans et sollicitait un second mandat (Joe Biden, à cet égard, a battu tous les records de vieillesse). Gary Hart a été soutenu par des personnalités comme Stephen King.

Parce qu’il se voulait le représentant des minorités, Jesse Jackson ne constituait pas la plus forte menace pour Walter Mondale, tandis que Gary Hart était l’élément perturbateur : non seulement il était plus jeune que lui (de seulement 8 ans quand même), mais Gary Hart proposait une politique démocrate plus recentrée, moins "gauchiste" (dans le sens français, donc moins "progressiste"). Il faut imaginer un équivalent du futur Tony Blair par exemple. Gary Hart voulait mobiliser la jeunesse américaine qui voyait dans la Silicon Valley l’avenir des États-Unis et qui avait été captée par le discours moderniste (économiquement) de Ronald Reagan.

Walter Mondale a gagné les primaires dans les États industriels du centre mais il n’avait pas encore la majorité des délégués lors de la Convention démocrate de San Francisco le 16 juillet 1984. Les résultats aux voix étaient serrés : la différence était de moins de 450 000 électeurs. Walter Mondale avait obtenu 6,95 millions de voix (38,3%) et Gary Hart 6,50 millions de voix (35,9%) tandis que Jesse Jackson 3,28 millions de voix (18,1%). Mais c’est le nombre de délégués qui comptait.

C’est seulement avec les super-délégués, c’est-à-dire, les représentants de l’appareil du parti dévoués à Walter Mondale, que ce dernier a obtenu 2 191 délégués, soit la majorité absolue (Gary Hart a eu 1 201 et Jesse Jackson 466). L’échec de Walter Mondale à l’élection a définitivement montré que l’aile progressiste des démocrates n’avait aucune chance aux élections générales (encore aujourd’hui, c’est la raison des échecs répétés de Bernie Sanders). Ronald Reagan, en outre, avait fait de son âge un atout pour rassurer les classes dirigeantes.

Après 1984, tout le monde estimait que Gary Hart serait le favori des élections suivantes, tant pour les démocrates que les élections générales pour la succession de Ronald Reagan. Il a même renoncé à se représenter au Sénat en novembre 1986 afin de se consacrer pleinement à sa campagne présidentielle. Sans forcément connaître le candidat républicain (George H. W. Bush et Bob Dole étaient les deux plus probables), ce dernier serait un sexagénaire bien passé, alors que Gary Hart pourrait incarner à la fois la jeunesse (une relative jeunesse de quinquagénaire) et l’expérience.

L’espoir des démocrates pour la Maison-Blanche était redevenu possible avec la victoire des démocrates au Sénat aux élections intermédiaires de novembre 1986 et l’Irangate qui plomberait la campagne des républicains. Mais encore fallait-il trouver le bon candidat.

Les primaires démocrates pour 1988 s’envisageaient donc de manière très simple : Gary Hart en favori, toujours Jesse Jackson mais sans espoir de les remporter, et d’autres personnalités ont renoncé à la candidature, en particulier le gouverneur très populaire de New York, Mario Cuomo, ou encore le sénateur Ted Kennedy, frère de John et Bob, qui n’a jamais pu réellement s’offrir un destin. D’autres personnalités quinquagénaires ou quadragénaires étaient aussi en piste, à tel point que certains journaux les appelaient les sept nains : le gouverneur du Massachusetts Michael Dukakis, le sénateur du Texas Lloyd Bentsen, le sénateur du Tennessee Al Gore, le député du Missouri Dick Gephardt, le sénateur de l’Illinois Paul Simon, l’ancien gouverneur de l’Arizona Bruce Babbitt …et un certain Joe Biden, sénateur du Delaware. C’était une nouvelle génération de leaders du parti démocrate qui allait émerger.

Gary Hart a annoncé officiellement sa candidature le 13 avril 1987. Il était le favori en 1987 car il avait créé la surprise en 1984 et la défaite de Walter Mondale a renforcé la justesse de son positionnement centriste. Son seul handicap était de taille : des rumeurs sur des relations extraconjugales (il aurait suivi par un détective privé en décembre 1986 en train d’aller chez une maîtresse). Comme toujours, c’est l’arrogance qui nuit aux politiques. Pour se défendre, Gary Hart a mis au défi les journalistes de trouver des preuves… et le 3 mai 1987, dans "The Miami Herald", le scandale a éclaté, selon lequel Donna Rice (qui n’avait pas encore été identifiée) avait eu une liaison extraconjugale avec Gary Hart la veille. Un autre article sur le sujet est sorti le même jour dans le "New York Times".

Lee Ludwig, qu’il a épousée en 1958 et qui l’avait toujours soutenu malgré ses écarts, est morte récemment, le 9 avril 2021 à 85 ans. Elle avait fait partie du dispositif de campagne de Gary Hart en 1984, s’affichant avec lui dans les meetings pour montrer la famille modèle, même si, avant même 1984, ils s’étaient séparés plusieurs fois (Lee avait même entamé une procédure de divorce) car Gary Hart ne s’occupait pas assez de sa famille.

Au départ, l’équipe de campagne de Gary Hart a négligé l’importance électorale du scandale car un sondage réalisé par Gallup pour "Newsweek" avait affirmé que 54% des sympathisants démocrates croyaient les démentis de Gary Hart et 44% expliquaient qu’ils s’en moquaient pour leur choix. 64% pensaient que Gary Hart avait été victime d’un mauvais traitement des médias, 70% désapprouvaient la surveillance de la vie privée du candidat par ces médias, et 53% estimaient que l’infidélité conjugale n’a rien à voir avec la capacité à gouverner.

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Mais en fait, c’était un véritable coup de massue médiatique et politique qui l’a fait suspendre la campagne le 8 mai 1987 pour préserver sa famille. Il est alors parti en Irlande avec son fils pour s’éloigner du scandale et il expliquait : « Seule une moitié de moi veut être Président. (…) L’autre moitié veut écrire des romans en Irlande. Mais les 50% qui veulent être Président sont bien plus importants que les 100% de l’autre moitié. ». Sa directrice de campagne Patricia Schroeder s’est en tout cas lancée dans la course des primaires, puis s’est finalement ravisée et retirée le 28 septembre 1987.

Gary Hart a étonné tout le monde en persévérant et en reprenant finalement sa campagne le 14 décembre 1987 (« Laissons le peuple décider. »), la menant à nouveau en tête dans les sondages avant de définitivement abandonner le 11 mars 1988, après des échecs successifs aux primaires dans les premiers États et au Super Tuesday du 8 mars 1988 (seulement 5% des voix). Finalement, Michael Dukakis fut désigné le candidat démocrate avec Lloyd Bentsen comme Vice-Président et Georges H. W. Bush a gagné.

Le film "Front Runner : le scandale" de Jason Reitman (sorti le 21 novembre 2018) évoque cet épisode de la vie politique américaine, film que je n’ai pas vu mais qui, selon les critiques, a bien traduit le climat politique et le lâchage sinon le lynchage des médias.

Quatre ans plus tard, c’est un obscur jeune gouverneur de l’Arkansas Bill Clinton qui est sorti du lot, une sorte de Gary Hart bis, et qui fut élu et réélu Président des États-Unis, et très étrangement, il a également été au centre d’un scandale de relations extraconjugales qui a failli lui coûter la Maison-Blanche.

À la fin de l’année 2002, Gary Hart a sondé pour voir la faisabilité d’une nouvelle candidature présidentielle, il a lancé un blog au printemps 2003, mais finalement, il a soutenu la candidature de John Kerry. En cas de victoire, John Kerry l’aurait nommé Ministre de la Défense ou Ministre de la Sécurité intérieure selon le "National Journal" du 23 octobre 2004. Entre 2005 et 2007, il s’est souvent opposé au Vice-Président Dick Cheney qu’il soupçonnait de vouloir déclarer la guerre en Iran.

Après l’amère expérience politique de 1988, Gary Hart a rebondi en reprenant ses activités d’avocat puis comme  journaliste et universitaire (il a soutenu une thèse de doctorat de sciences politiques en 2001 à l’Université d’Oxford sur le rétablissement de la république, et fut nommé professeur de l’Université du Colorado à Denver en 2006), commentant régulièrement la vie politique dans les médias et surtout, publiant plus d’une vingtaine d’ouvrages (dont une biographie du Président John Monroe en 2005), aussi des romans (sous pseudonyme). Là encore, il est amusant d’observer que Bill Clinton a également publié récemment un roman.

Par ailleurs, en 1998, il fut chargé par Bill Clinton d’étudier la sécurité intérieure des États-Unis. Gary Hart a prononcé un discours le 4 septembre 2001, une semaine avant les attentats du World Trade Center, où il annonçait que d’ici aux vingt-cinq prochaines années, il y aurait un attentat terroriste qui feraient beaucoup de morts sur le territoire national. Le 6 septembre 2001, il a rencontré la conseillère de la Maison-Blanche à la sécurité nationale Condoleezza Rice pour lui dire : « Vous devez rapidement renforcer la sécurité intérieure. Un attentat va se produire. ». Il a beaucoup critiqué George W. Bush pour ne pas avoir écouté ces avertissements. Sous la Présidence de Barack Obama, Gary Hart a repris des fonctions officielles. Il a été vice-président du Comité consultatif de sécurité intérieure du 5 juin 2009 au 8 février 2011, puis il fut l’envoyé spécial des États-Unis en Irlande du Nord du 21 octobre 2014 au 20 janvier 2017.

Ce n’est pas le premier ni le dernière présidentiable qui a gâché sa carrière politique avec ses mœurs. Il faut bien rappeler qu’il n’y avait rien d’illégal à entretenir une relation extraconjugale si c’était avéré, mais que c’était immoral pour la majeure partie de l’électorat. En France aussi, on a eu des candidats qui ont été plombé par leurs relations affectives. On peut évidemment penser à Dominique Strauss-Kahn, mais bien avant l’époque de MeToo, la candidature de Jacques Chaban-Delmas avait elle aussi été plombée par une affaire fiscale, qui n’avait rien d’illégal, et aussi par le simple fait d’avoir été divorcé, veuf et remarié (certains d’ailleurs ne supportaient pas le bonheur trop voyant de Jacques Chaban-Delmas et de Micheline). L’Amérique a sans doute perdu l’occasion d’un grand Président pour un détail somme toute mineur.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27  novembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Gary Hart.
Les attentats du World Trade Center.
Shailene Woodley.
Charles Bronson.
Adrian Monk.
Noël à la télévision : surenchère de nunucheries américaines.
Colin Powell.
Jesse Jackson.
Walter Mondale.
Marathonman.
Bob Kennedy.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211128-gary-hart.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/gary-hart-touche-au-coeur-237517

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/11/21/39229481.html


 



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