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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
3 décembre 2021

La colère du professeur Bertrand Guidet

« Es-tu incapable de concevoir qu’il y ait des gens qui n’aiment pas vivre ? » (Amélie Nothomb, 1995).



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Ce lundi 6 décembre 2021 dans la matinée, le conseil de défense sanitaire se réunit une nouvelle fois pour encaisser la mauvaise nouvelle de la semaine dernière : la France est submergée par la cinquième vague, et a besoin de renforcer ses protections dans l’optique des fêtes de Noël.

Avant tout chose, précisions deux choses. La première, c’est que cette cinquième vague n’a rien à voir avec le variant omicron (25 cas détecté à ce jour en France) et sans doute que les informations sur ce variant d’origine sud-africaine a pollué l’importance de l’urgence sanitaire provenant du variant delta. Si le variant omicron devait poser un problème, soit qu’il est très contaminant au point de l’emporter sur les autres variants, soit qu’il est très agressif, soit les deux à la fois, on est pour l’instant dans l’expectative, ce problème se poserait à l’éventuelle sixième vague, vers la fin de l’hiver ou au début du printemps 2022, comme le variant alpha l’a été au printemps 2021.

La seconde chose est qu’il n’y a aucune surprise à observer maintenant une forte hausse des paramètres de l’épidémie, puisque cette cinquième vague a démarré en France dès la fin du mois de septembre 2021, et son démarrage est toujours très lent et progressif. Pourquoi serions-nous épargnés du tsunami allemand, suisse, autrichien, néerlandais, belge ? Dans ces pays, on commence à prendre des mesures très restrictives.

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Les journalistes, qui sont incapables de regarder les données sanitaires au jour le jour (pourtant, il n’y a pas besoin de sortir de Saint-Cyr), sont retombés dans le complexe de supériorité française : ça ne peut pas nous arriver car… (car on a le meilleur système de santé, ça au début, plus maintenant ; car on est parmi les mieux vaccinés, ce qui est vrai ; car c’est bientôt Noël et il ne faut pas ennuyer les Français avec cela, etc.). En février 2020, on le disait aussi en voyant l’horreur sanitaire en Italie, quelques semaines avant d’être submergé aussi par cette horreur.

Depuis une semaine, nous en sommes à environ 50 000 nouveaux cas dépistés par jour (51 624 le 4 décembre, 42 252 le 5 décembre), ce qui est énorme : impossible de retrouver les chaînes de contamination, impossible de tracer, d’enquêter, d’isoler… Le taux d’incidence est près de 450 nouveaux cas par 100 000 habitants en une semaine (une augmentation de 50% en une semaine !). Nous ne contrôlons plus rien et encore, avec les tests dits de confort payants, ce nombre est probablement sous-estimé. Notre vrai atout, celui de toute l’Europe occidentale (l’Est s’est beaucoup moins bien vacciné), c’est la vaccination et globalement, c’est vrai : il y a bien moins de morts par dizaine de milliers de cas détectés dans les pays massivement vaccinés.

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La surprise étonnante des journalistes, c’est de ne pas avoir imaginé que l’augmentation du nombre de cas aurait une conséquence mécanique (et différée de deux semaines) sur le nombre d’hospitalisations, le nombre d’admissions en réanimation, et hélas, sur le nombre de décès. La seule et heureuse conséquence de la vaccination, c’est que les niveaux de ces trois derniers nombres sont inférieurs à ceux-là lors des vagues précédant l’été 2021.

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En ce sens, il faut s’attendre à connaître le même sort que le Royaume-Uni. Actuellement, il y a 11 526 patients hospitalisés pour cause de covid-19 (au début de la vague, la moitié) dont 2 066 patients en réanimation. Il y a eu 635 décès ces sept derniers jours, soit une augmentation de 50% par rapport à la semaine précédente. Le seuil de 120 000 décès en France depuis le début de la pandémie va être franchi cette semaine (119 535 au 5 décembre).

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Plus inquiétante est l’Allemagne qui est maintenant à un rythme très dangereux, plus de 70 000 nouveaux cas par jour et un rythme quotidien autour de 400 décès, ce qui est beaucoup (le Royaume-Uni est de l’ordre de 200 et la France de l’ordre de 100 mais en France, cela va mécaniquement monter les prochaines semaines). Ce n’est pourtant pas compliqué d’anticiper, de prévoir cette situation : c’est la cinquième fois que cela arrive et dès la remontée du taux d’incidence, à la fin du mois de septembre, c’était imaginable sans être devin.

Faut-il considérer que le gouvernement n’a pas anticipé ? Je ne le pense pas. Il ne doit pas répondre qu’à des impératifs sanitaires mais aussi politiques et surtout économiques. Tant qu’il n’y a pas à s’inquiéter (à l’hôpital), il veut permettre le déroulement normal de l’économie et de la société. Mais ne disons pas qu’il faudrait plus de place en réanimation : un patient en réanimation sur trois meurt encore du covid-19, il faut donc les empêcher d’être en réanimation, soit en se faisant vacciner, soit en se protégeant par les gestes barrières. Ce qu’il faut, c’est réduire le taux d’incidence, pas le laisser s’enflammer à des niveaux que connaît aujourd’hui l’Allemagne fédérale.

L’introduction du passe sanitaire a été un grand avantage français sur les pays voisins dans cette cinquième vague car elle a permis d’anticiper et de retarder l’arrivée exponentielle. Aujourd’hui, pas un député ne viendrait critiquer la prolongation du passe sanitaire et si le gouvernement ne l’avait pas demandée (et obtenue) au Parlement, l’opposition lui aurait reproché de ne pas avoir anticipé et elle aurait eu raison. Toute la politique sanitaire du gouvernement est de ne pas reconfiner ni proclamer le couvre-feu. Pour l’instant, contrairement à nos voisins, cela a tenu, mais il est maintenant clair que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour freiner la circulation du virus.

On peut faire dans le déni, ou en rendant coupable le gouvernement français de cette résurgence épidémique qui vient de l’Est, c’est une réaction d’enfant et il ne faut alors pas s’étonner que le gouvernement fasse dans l’infantilisation. Cette infantilisation a un cadre manichéen : soit tout va bien, au point d’oublier les gestes barrières, soit il faut de la gravité en donnant un coup de massue (confinement, couvre-feu). Il y a rarement de la demi-mesure, c’est-à-dire, laisser les gens libres tout en imposant le respect des gestes barrières. Pourtant, dans leur grande majorité, les "gens" sont responsables, ils répondent présents aux appels du gouvernement ou du Président de la République (on le voit pour la troisième dose, on le voyait aussi pour les premières doses en juillet, on le voyait pour les différents confinements). Le peuple français comprend et accepte les efforts, mais il a peut-être besoin d’avoir peur avant de réagir.

Deux ans après le début de la crise, le déni devrait passer à un autre stade, plus efficace, plus pragmatique : que faire pour éviter, contrôler, lutter contre l’épidémie ? Dès lors qu’il y en a qui ont politisé le covid-19 (Donald Trump le premier), il est de toute façon difficile de les sortir de cette impasse complotiste. Pour rassurer : c’est normal, dans toutes les épidémies, depuis mille ans, il y a eu ces mouvements irréfléchis ou irrationnels qui rendent la lutte collective plus compliquée, et c’est pour cela que le gouvernement, bien sûr, doit faire avec cette situation. La communication joue un rôle aussi important que la raison.

Insistons aussi sur le fait que le vaccin n’est jamais efficace à 100%. Donc, il y aura toujours des personnes vaccinées qui seront contaminées, voire hospitalisées et même en réanimation, mais la probabilité de s’y retrouver est bien plus faible que si la personne n’est pas vaccinée. De plus, la perte d’efficacité du vaccin au bout de cinq à six mois explique aussi la décision de faire une dose de rappel massivement dans toute la population (aujourd’hui, à un rythme quotidien d’environ un demi million, ce qui est une performance).

Vendredi 3 décembre 2021 sur LCI, le professeur Bertrand Guidet, chef du service de médecine intensive et réanimation de l’hôpital Saint-Antoine à Paris et membre de l’Académie nationale de médecine, habitué des plateaux de télévision, s’est montré sous un jour très différent, complètement ému, voire en colère. Trémolos dans sa voix, il en a marre d’être le service après-vente de l’irresponsabilité de ses contemporains !

Ses places dans son service se remplissent très vite pour soigner les malades du covid-19, son personnel est déjà épuisé et le pire est à venir puisque la situation hospitalière correspond à la situation épidémique d’il y a quinze jours, c’est-à-dire avant la "montée fulgurante". Il a pris l’exemple dans son service d’un enseignant qui refusait d’être vacciné et qui allait être intubé dans les heures qui venaient. Cette place aurait pu être occupée par un malade du cancer si ce patient avait été vacciné.

Bertrand Guidet fait partie généralement des médecins modérés qui souhaitent temporiser, ne pas faire peur mais alerter cependant, évitant toute polémique politique vaine. Or, ce soir-là, il s’est interrogé gravement. Bientôt, il va devoir répondre à la question : qui faudra-t-il choisir s’il y a trop de demandes en réanimation : un malade du cancer qui a fait l’effort d’être vacciné ou un malade du covid-19 non-vacciné ?

Il s’est en outre résolu à proposer trois pistes pour répondre à cette cinquième vague : l’obligation vaccinale, car l’irresponsabilité des personnes non-vaccinées met en danger les patients qui ont d’autres pathologies (le professeur Axel Kahn avait évalué à 13 000 décès les conséquences de la première vague sur les malades du cancer qui n’avaient pu être dépistés ou soignés à temps) ; la vaccination des enfants de moins de 12 ans (leur taux d’incidence est nettement supérieur à la moyenne, la contamination passe par les enfants avec l’école) ; enfin, de nouvelles restrictions pour les personnes non-vaccinées.

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Bien entendu, le professeur Guidet était lucide sur le fait que c’étaient des propositions sanitaires et qu’elles n’ont pas été analysées sous l’angle politique, admettant d’ailleurs que l’acceptation de nouvelles mesures restrictives est un élément majeur de leur réussite. Gabriel Attal, qui contrôlait les passes sanitaires le 4 décembre 2021 à l’aéroport de Roissy Charles-De-Gaulle (LCI titrait de manière très ambiguë : "Contrôles à Roissy : Gabriel Attal interpellé" !), a encore réaffirmé qu’il n’était pas question de prendre des mesures de confinement, de couvre-feu ou encore d’obligation vaccinale (comme compte le décider le futur Chancelier allemand Olaf Scholz et comme le réclame le parti socialiste en France).

En tout cas, le gouvernement est attendu ce lundi 6 décembre 2021 sur de nouvelles mesures sanitaires pour encaisser le mieux possible le nouveau choc hospitalier. Faudra-t-il agir sur le télétravail au risque de réduire l’activité économique ? réinstaurer des jauges dans les lieux fermés recevant du public ? généraliser la vaccination des enfants ? Le taux d’incidence est déjà supérieur à celui de la troisième vague, mais heureusement, ce n’est pas le cas encore sur le plan hospitalier. Ce nouveau tour de vis est particulièrement délicat à décider : les fêtes de Noël et l’élection présidentielle sont toujours en arrière-plan. Je ne doute pas que le gouvernement privilégie l’esprit de responsabilité sur toute autre considération, en particulier électoraliste.

Cet esprit de responsabilité, ce n’est pas ce qui transpirait chez Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour qui, en réunissant leurs milliers d’adeptes ce dimanche 5 décembre 2021, ont pris le grave risque de créer des foyers épidémiques mortifères. En renonçant à leur meeting de la Porte de Versailles prévu le 11 décembre 2021, Les Républicains et Valérie Pécresse ont au moins montré sérieux et sens des responsabilités, c’est heureux.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 décembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


(Les quatre graphiques proviennent du site de Guillaume Rozier : www.covidtracker.fr ; merci à lui !)


Pour aller plus loin :
Cinquième vague : de nouvelles restrictions sanitaires ce lundi 6 décembre 2021 ?
Professeur Bertrand Guidet.
Troisième dose et fulgurance.
Confinement ou obligation vaccinale : faut-il écouter le docteur Martin Blachier ?
Martin Blachier.
La France d’Emmanuel Macron.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 9 novembre 2021 à Paris (texte intégral et vidéo).
Témoignage : je suis (presque) vacciné !
Témoignage : au cœur d’un centre de vaccination contre le covid-19 (1).
7 idées fausses sur le passe sanitaire.
Covid-19 : 5 millions de décès dans le monde et la 5e vague en France ?
Covid-19 : faut-il vacciner aussi les enfants de moins de 12 ans ?
Infection ou vaccination : quelle est la meilleure protection contre le covid-19 ?
Prolonger la possibilité du passe sanitaire jusqu’au 31 juillet 2022 ?
50 millions de vaccinés contre le covid-19 en France !
Covid-19 : comprendre la situation épidémique en Israël.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211203-bertrand-guidet.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/12/06/39250120.html







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