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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
14 janvier 2022

François Perigot et l’internationalisation des patrons français

« François Perigot n’a pas son pareil pour effacer les distances. (…) Il met à l’aise et parle rond, car il a le réflexe des idées, mais la prudence de les habiller de relatifs. Il fréquente la planète comme un VRP sillon sa zone de chalandise. (…) [Il] s’accommode mal des frontières quelles qu’elles soient : géographiques, idéologiques ou autres. Il se lit "libéral non excessif", se veut légitimiste et se présente en homme d’apaisement. » (Émile Favard, "Les Échos", le 3 juin 1994).




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Un homme d’apaisement, ce qui, pour un dirigeant d’entreprises qui a commencé dans la dentelle, n’est pas un vain mot ! L’ancien chef d’entreprise François Perigot est mort le 7 janvier 2022 à l’âge de 95 ans (né le 12 mai 1926 à Lyon). Les plus anciens peuvent se rappeler qu’il a été le patron des patrons, à l’époque président du CNPF (Conseil national du patronat français, ancêtre du Medef) de 1986 à 1994.

Diplômé de l’IEP Paris, François Perigot fut entrepreneur et dirigeant d’entreprises, ce qui l’a amené à présider le groupe Unilever d’abord en Espagne puis en France (Unilever était alors un groupe anglo-néerlandais de 200 milliards de francs de CA employant 300 000 personnes dans 75 pays). Il s’est beaucoup impliqué dans les instances représentatives des chefs d’entreprise et a présidé aussi l’Institut de l’entreprise de 1983 en 1986.

Lorsqu’il fut élu président du CNPF, en décembre 1986, c’était dans un combat contre Yvon Chotard, ancien résistant, président des éditions France-Empire, déjà candidat favori en 1981. François Perigot, se disant posé et courtois, diplomate et dynamique, succédait alors au "consensuel" Yvon Gattaz qui, durant un mandat particulièrement difficile, avait dû batailler contre la gauche socialo-communiste arrivée au pouvoir avec, dans son programme, des nationalisations, la semaine de 39 heures de travail, de nouveaux impôts et taxes, et une véritable culture anti-entreprises.

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En 1986, au contraire, la droite est revenue aux affaires avec un programme affichant un néo-libéralisme de revendication. François Perigot a exercé deux mandats de quatre ans jusqu’en juin 1994, avec des gouvernements de droite ou de gauche d’une culture plus raisonnablement pro-entreprises. J’écris "plus raisonnablement" car sans entreprises qui font des profits, pas de possibilité de redistribuer la richesse pour la solidarité nationale. L’argent ne vient que dans la création de valeur et celle-ci doit être encouragée pour maintenir de fortes ambitions sociales.

Le journaliste Patrick Bonazza, dans "Le Nouvel Observateur" du 12 décembre 1986, a décrit ainsi le nouveau patron des patrons : « Unilever, c’est une culture qui privilégie les carrières sans histoire, récompense la fidélité et pas seulement la compétence, sécurise ses poulains. C’est une méritocratie, une société de managers cooptés. Quand Unilever vous prend sous sa coupe, il ne peut vous arriver malheur. (…) François Perigot n’a donc rien d’un aventurier : il a fait toute sa carrière dans l’univers tranquille de la multinationale. Pour l’essentiel d’ailleurs, dans des tâches bien plus administratives qu’entrepreneuriales. (…) Dans le jardon maison : un "fonctionnel" qui ne se frotte pas au marché comme les "opérationnels". (…) Perigot, avant de donner un avis, s’entoure de mille conseils, il excelle dans les réunions où s’expriment les autres. ». Ce qu’allait résumer sept ans plus tard son confrère Émile Favard : « Perigot assume mieux qu’il innove ; c’est un responsable davantage qu’un créateur. ».

François Perigot a conquis le CNPF avec le patron Michel Maury-Laribière (1920-1990), président du groupe industriel qui est devenu Terreal, nommé premier vice-président du CNPF. Michel Maury-Laribière avait été présent aux accords de Grenelle en mai 1968 pour conseiller les représentants du patronat et il a obtenu en 1982, du gouvernement de gauche, l’exonération de l’outil de travail dans le calcul de l’impôt sur les grandes fortunes.

Durant son double mandat, des enjeux internationaux furent très importants : le cycle d’Uruguay du GATT pour le commerce international, la préparation du Traité de Maastricht pour le commerce communautaire, mais aussi la chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’URSS, la guerre du Golfe, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, les Accords d’Oslo, etc. François Perigot a compris très tôt l’importance des marchés internationaux (notamment européens) et il a encouragé les entreprises françaises à conquérir le monde, au moins l’Europe (sa carrière de chef d’entreprise était elle-même internationale).

Il a ainsi créé en 1989 la branche du CNPF International (qui est devenue Medef International), présidée d’abord par l’ancien ministre gaulliste François-Xavier Ortoli, président de la Compagnie française des pétroles, jusqu’en 1997, puis François Perigot en a pris la présidence lui-même de 1997 à 2005. Enfin, de 2005 à sa mort, il fut président d’honneur du Medef et de Medef International.

Par ailleurs, François Perigot a aussi donné une grande importance à l’entrée des jeunes dans la vie active, même si l’arrivée de la crise économique des années 1990 a rendu difficile cette entrée dans la vie active par le chômage des jeunes. Il a "cédé" sa place de président du CNPF (pour prendre celle de Business Europe) à Jean Gandois, le très ouvert patron de Péchiney.

Sous la présidence de François Perigot, le CNPF a vu toutefois réduire son influence sur l’économie française, notamment en raison de la crise économique, du chômage, de la fin du contrôle des prix et plus conjoncturellement, par de mauvaises relations avec le Premier Ministre de l’époque, à savoir Édouard Balladur.

Évoquant la fin de sa présidence du CNPF, le journaliste Émile Favard a décrit, dans "Les Échos" du 3 juin 1994, le président sortant du CNPF : « Entre deux voyages, il reçoit à domicile Lech Walesa, Nelson Mandela, Carlos Salinas, le roi de Suède et le Premier Ministre indien. "Pas un chef d’État ne vient désormais à Paris sans passer par le CNPF. J’ai donné une visibilité internationale à cette maison", commente-t-il, franchement satisfait de ce crédit accordé au patronat français. À la tête du CNPF, Paul Huvelin avait apporté de la modernité, François Ceyrac de l’autorité, Yvon Gattaz de la pugnacité, lui y ajoute de l’espace afin d’internationaliser l’économie française. ».

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Parmi les autres mandats ou responsabilités dans le cadre de son activité au service du patronat, François Perigot fut président de Business Europe (le patronat européen, alors Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe implantée dans 36 d’Europe) de 1994 à 1998 (il était vice-président de 1988 à 1994), organisation qui est présidée depuis 2018 par Pierre Gattaz (Ernest-Antoine Seillère en fut aussi président de 2005 à 2009). En 2004, il fut également membre de la commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation dans le cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT).

En outre, François Perigot fut nommé membre du Conseil Économique et Social (ensuite et Environnemental) de 1989 à 1999. Dans ce cadre, il a publié le 15 avril 1998 un rapport sur le rôle de la France dans les relations entre l’Union Européenne et les pays méditerranéens où il a précisé, en conclusion : « Avec la constitution d’une zone de libre-échange à l’horizon 2010 destinée à favoriser le développement économique et social et à accompagner l’intégration de ces pays dans l’économie mondiale et avec l’intensification des échanges et de la coopération dans le domaine culturel, social et humain afin d’instaurer un dialogue entre les cultures, [la conférence de Barcelone de novembre 1995] a introduit des innovations essentielles. ».

Dans sa retraite, François Perigot a créé en 2010 un petit groupe de réflexion au sein des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC), une émanation/transformation du Centre français du patronat chrétien (CFPC), sur la difficulté des patrons chrétiens à appliquer la doctrine sociale de l’Église, en particulier à comprendre et interpréter l’encyclique "Caritas in veritate" du pape Benoît XVI publiée le 29 juin 2009, qui évoque des thèmes économiques très actuels : la mondialisation, le bouleversement climatique et la crise financière. Le cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d’État du Saint-Siège (le numéro deux du Vatican) de 2006 à 2013, a décrit ainsi cette encyclique en mai 2008 : « Le pape ne veut pas répéter des lieux communs de la doctrine sociale de l’Église, mais veut apporter quelques éléments originaux, conformément aux défis de l’époque. ».

Il en est ressorti une intervention de François Perigot le 14 juin 2010 à Rome, lors de la "International conference on social entrepreneurship" qui s’est terminée par ceci : « La pratique authentique de la responsabilité sociale ne peut se faire que dans l’engagement personnel à partir des valeurs de références spirituelles qui sont très précisément celles que l’encyclique nous rappelle. Elles sont au cœur du message pontifical et nous conduisent à reconsidérer notre propre vision de notre responsabilité comme expression de notre valeur morale (art. 5) "sans vérité, sans confiance et sans amour il n’y a pas de conscience ni de responsabilité sociale". Elles constituent le grand défi que nous devons relever (art. 36) "montrer dans un contexte de plus en plus pressant qu’au niveau de la pensée comme des comportements que les principes traditionnels de l’éthique ne peuvent être ni négligés, ni sous-évalués". À côté des valeurs traditionnelles de solidarité et de fraternité, deux thèmes illuminent ce message : celui d’une "éthique amie de la personne" ; celui de la gratuité et de la logique du don comme expression de fraternité et fondement de la recherche du bien commun. "La gratuité qui nous apparaissait comme un plus ou un choix, devient le matériau constitutif, le tissu même de la vie sociale, politique, économique au quotidien". ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Perigot.
Alain Minc.
Jean Gandois.
Yvon Gattaz.
Bill Gates.
Carlos Ghosn.
Olivier Dassault.
Albin Chalandon.
Bernard Tapie.
Jouer avec les Lego.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220107-francois-perigot.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/francois-perigot-et-l-238545

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/01/08/39296301.html










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