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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
17 janvier 2022

Éric Zemmour et les enfants en situation de handicap : la mauvaise conscience ?

« Je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux enfants et à ces enfants-là qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants, et aux enseignants. » (Éric Zemmour, le 14 janvier 2022).




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Le candidat Éric Zemmour a créé une nouvelle polémique ce vendredi 14 janvier 2022. Il a dû s’autojustifier, revenir sur ses propos, parfois solennellement devant une caméra pendant tout le week-end où il pédalait dans la semoule, mais à chaque explication, il s’enfonçait encore un peu plus, le fond de sa pensée réelle se dévoilant, ouverte à tout vent, plutôt odieux.

À chaque fois, je m’interroge toujours sur l’intérêt de réagir à ces gros pavés dans la mare, comme c’était le cas pour les prénoms, mais le sujet me tient à cœur et je vais donc aborder ce sujet avec une profonde révolte sur la pensée du polémiste Zemmour qui, je veux bien le croire, n’a pas voulu faire dans la provocation, ce qui me paraît d’ailleurs pire.

Dans la classe politique, les réactions étaient unanimes, de l’extrême droite à l’extrême gauche, ce qui, pour Éric Zemmour, invité le 16 janvier 2022 sur France 3, serait le signe qu’il aurait raison (!). Même Marine Le Pen a été choquée, et elle l’est régulièrement avec la candidature de l’éditorialiste, si bien que dans ses interventions, elle se montre plus consensuelle, voire plus présidentielle que précédemment (mais elle n’a rien changé sur le fond). Éric Zemmour serait "l’idiot utile" de Marine Le Pen que cela ne m’étonnerait pas, mais je connais trop l’importance des ego pour que ce soit réellement le cas, en tout cas de manière concertée.

De quoi s’agit-il ? De l’inclusion des enfants en situation de handicap à l’école. Le mot "inclusion" est un gros mot pour Éric Zemmour, donc, il vaut mieux l’éviter. Il s’agit de considérer qu’une personne en situation de handicap, le plus important, dans l’expression, c’est "personne" et pas "handicap". C’est pour cela que je déteste qu’on parle des "handicapés" car cela réduit les personnes à leur seul handicap alors qu’elles sont beaucoup plus riches que cela. Elles sont d’abord des personnes, et doivent être respectées de la même manière que les autres.

Maintenant, les enfants, c’est encore plus important : les enfants en situation de handicap doivent être respectés comme des personnes, mais plus encore doivent être protégés et aidés, comme tous les enfants. Ils sont riches du devenir. Ils sont une promesse, ils sont plus un avenir qu’ils ont un avenir. C’est cela, la République. Dans la phrase qui a suscité tant de réactions, mise en début d’article et mille fois amendée, justifiée, modifiée par son auteur lui-même, en s’enfonçant, je l’ai dit, au point même d’en donner un aspect même pécuniaire… le candidat polémiste (qui n’a pas volé cette caractéristique) a au fond divisé la société, les enfants, en deux catégories, les "enfants", c’est-à-dire, sous-entendu, les "enfants normaux", et "ces enfants-là", c’est-à-dire, les enfants en situation de handicap, je remarque qu’il en parle avec un "respect" qui en dit long.

C’est important d’introduire la notion de "normalité" avec Éric Zemmour, car tout son problème est là : la normalité a évolué depuis les années 1950 (car il s’est à peu près figé à la décennie de sa naissance, peut-être parce qu’il l’a magnifiée, idéalisée dans l’adolescence ou un peu plus tard ?), et ce qui n’était "pas normal" n’est aujourd’hui peut-être pas devenu "normal", mais "banal". Plein de choses de la société : le divorce, l’homosexualité, le non-mariage, le mariage gay, etc.

Faut-il définir le handicap comme une "non-normalité" ? Peut-être. Mais il y a une certitude : autour de 7% voire 10% des personnes ont une "anomalie" génétique à la naissance, et sans doute autant ont, par accident, maladie, etc., acquis un handicap au cours de leur vie, sans compter ceux qui ont eu un handicap temporaire (une jambe cassée par exemple). Cela en fait beaucoup.

Le handicap inné paraît émané d’une statistique irréductible des espèces vivantes. L’anomalie génétique est même le seul moyen pour permettre l’évolution des espèces, au sens darwinien du terme (Darwin a été très visionnaire, puisqu’à l’époque, il ne savait pas que chaque être avait son empreinte génétique, l’ADN). Le handicap acquis provient plutôt du type de la société dans laquelle on évolue. Une société avec peu d’automobiles comporte des personnes handicapées par un accident de la route en moins grand nombre qu’une société très mécanisée, etc.

Dans une bande dessinée de Guy Deslile qui raconte son séjour en Corée du Nord, le dessinateur observateur évoque une discussion avec son guide. Il ne comprend pas pourquoi il ne voit aucune personne en fauteuil roulant dans les rues de Pyongyang. Son accompagnateur gouvernemental lui explique : c’est parce qu’en Corée du Nord, tout le monde naît parfaitement, sans handicap, parce que tout le monde a une vie saine.

C’est évidemment faux, mais la question, une véritable question de société, c’est de savoir si on accepte de "les montrer" ou pas, pas les montrer comme des phénomènes de foire, bien entendu, mais que les personnes en situation de handicap puissent vivre aussi dehors, comme les autres, avec les autres. Il faut évidemment pour cela que les équipements urbains soient adaptés, ce qui était le cas en Suède il y a déjà cinquante ans : mettre les accès au métro à la même hauteur que le quai, faire un petit bruit différent pour indiquer si le feu est rouge ou vert (c’est le cas aux Pays-Bas), installer les notices de musée en braille, etc. Regardez les rues de Paris, regardez le nombre d’entrées dans les habitations surélevées, avec une ou deux marches pour atteindre le hall, c’est pratiquement 100%. C’est systématique. Et dans les vieux immeuble, inutile de dire que l’ascenseur, pas prévu à l’origine, est trop étroit pour les fauteuils roulants.

Bref, veut-on accepter que la société française soit aussi celle des 12 millions de Français qui sont touchés par un handicap ? ainsi que celle de leurs familles, et je pourrais même élargir aux bébés dans les poussettes et même, car je ne sais pas si elles sont considérées comme en situation de handicap, les personnes très âgées en bonne santé mais qui ont besoin d’un déambulateur pour faire leurs courses (quand j’habitais à Paris, je croisais souvent un homme très âgé, très lent à marcher pour faire ses courses, et j’admirais son courage, sa persévérance et son dynamisme ; pas sûr que dans ces conditions, je fasse une sortie moi-même).

Dans un documentaire qui a été diffusé par France 3 il y a huit ans qui retraçait les débuts politiques de Jacques Chirac en Corrèze, il montrait un Chirac adorable, consensuel, apprécié même des communistes en Corrèze alors qu’il était le jeune loup mordant et tueur à Paris, et on le voyait visiter une ferme corrézienne, il quittait ses hôtes pour aller au fond de la grande salle de vie, un peu à l’ombre, il y avait là le fiston dans un fauteuil roulant, il lui a pris la main avec beaucoup de chaleur humaine et a dit à ses parents qu’il fallait le mettre à la lumière, il avait droit à une vie sociale comme un autre.

Ce n’est donc pas étonnant que Jacques Chirac a été sans doute celui qui a le plus fait pour les personnes en situation de handicap, pour que la société s’ouvre, les accepte et les aide comme les autres, avec la solidarité nationale que sous-tend la devise de la République. Le 14 juillet 2002, il en avait fait l’une des priorités concrètes de son second mandat, ce qui a abouti à la loi n°2005-102 du 11 février 2005 qui a été une avancée sociétale très forte, tant dans les choses concrètes que dans la philosophie politique de rendre solidaire toute la société.

La société a toujours évolué très lentement, et si le mot "inclusion" fait peur car préempté par des mouvements vaguement "wokistes" qui anéantissent la raison par leur idéologie, l’insertion des personnes en situation de handicap dans la vie sociale a été une avancée essentielle des vingt dernières années. Et il faut bien insister : tout le monde peut être touché par le handicap, tout le monde peut devenir en situation de handicap, et du jour au lendemain, il "suffit" d’un accident de la route, ou de faire naître un enfant avec des "anomalies".

Bref, se préoccuper des personnes en situation de handicap, ce n’est pas seulement de la solidarité, de la justice sociale, de la générosité, la main sur le cœur, c’est aussi l’intérêt de chacun, c’est aussi l’intérêt égoïste bien compris de chacun, même des "bien portants", des soi-disant personnes "normales", car cette situation peut changer (comme un jeune devient âgé, un salarié peut devenir demandeur d’emploi, une personne en bonne santé peut devenir malade, etc.).

Alors, comme pour d’autres sujets, Éric Zemmour clive, il y a les "bons" et les "méchants", ou les "à protéger" ("à encourager") et les "ceux qui ennuient" (à "laisser de côté"). En gros, Éric Zemmour affirme que les enfants "normaux" sont ennuyés, freinés, plombés, par les enfants en situation de handicap lorsqu’ils partagent la même classe à l’école. L’élitiste voudrait que les enfants parfaits soient dans des classes parfaites pour aller au sommet de leur "perfectude". Et les autres, ma foi, tant pis, ce sont des laissés pour compte de la société zemmourienne, ce sont des "pas d’chance".

Éric Zemmour parle et pense en idéologue. Il considère que les enfants en situation de handicap sont un frein à son élitisme et que mélanger les genres, ça va deux minutes, mais il faut être sérieux, laissez les "normaux" tranquilles, en gros. Et il insiste sur le fait que c’est l’idéologie de l’Éducation nationale qui veut que les enfants en situation de handicap soient dans les classes "normales".

Ce qui est évidemment n’importe quoi. D’ailleurs, si on parle d’une idéologie du genre pédagogisme, il faudrait dire qu’il y a autant d’idéologies que d’enseignants, c’est-à-dire autour de 2 millions ! Et ce n’est pas du tout l’Éducation nationale qui a été à l’initiative de la démarche, c’est la loi qui l’a contrainte. La plupart des enseignants seraient même plutôt contre, s’ils exprimaient discrètement le fond de leur pensée, théoriquement d’accord mais pas pour eux, car en pratique, c’est très compliqué et il y a un manque de moyens, de personnel, ce qui est vrai.

La démarche, au-delà de la loi, elle provient des parents eux-mêmes qui veulent assurer à leurs enfants un apprentissage comme aux autres, tant que c’est possible. Il y a effectivement des handicaps trop lourds qui ne peuvent pas être en "immersion" dans la vie sociale "normale" et qui nécessitent des structures spécialisées, mais beaucoup d’autres enfants peuvent l’éviter d’être "traités" à part.

Un enfant en situation de handicap voit évidemment sa condition s’améliorer s’il est intégré dans une classe ordinaire à l’école. Car il a besoin de l’apprentissage d’une vie sociale, du contact avec les autres, de l’ouverture par les relations. Mais les enfants qui ne sont pas en situation de handicap sont aussi enrichis par ce contact de quelqu’un de différent. Ils apprennent beaucoup à son contact. Bien sûr, au début, ce sera "l’enfant au fauteuil roulant". Mais ensuite, si celui-ci sait mieux les maths qu’un autre camarade, ce sera plutôt celui qui l’aide en maths, ou celui qui plaisante de la prof avec lui, ou plein d’autres choses, de complicités, de ce qui fait la camaraderie, bref, de la banalisation du handicap qui n’est plus l’unique identité, mais l’une parmi d’autres (ce handicap n’est évidemment pas nié, ne serait-ce que parce que pour vivre, ce n’est pas possible de le nier, il faut des personnes aidant à côté de l’enseignant).

Cet enrichissement, même De Gaulle l’a vécu de manière charnelle très fort. Le Président Emmanuel Macron l’a rappelé lors de la 5e Conférence nationale du handicap le 11 février 2020 : « Le Général De Gaulle avait une fille, Anne, qui était atteinte du syndrome de Down et dans ses mémoires, il a un phrase très belle dans laquelle il disait que sans elle, il n’aurait sans doute pas fait ce qu’il a fait. Cela dit quelque chose aussi de tout ce que les blessures les plus intimes apportent mais aussi de tout ce qu’on appelle aujourd’hui la résilience, en tout cas, la capacité à faire d’une morsure du destin une chance ou une possibilité de faire différemment, peut apporter à un homme, une école, une entreprise, une Nation. ».

Toujours est-il que les zélateurs d’Éric Zemmour pourraient toujours affirmer avec leur mauvaise foi habituelle qu’au moins, leur candidat met les pieds dans le plat et aborde ce sujet essentiel. C’est oublier un peu vite qu’on ne l’a pas attendu pour se préoccuper des enfants en situation de handicap. Heureusement pour ces enfants !

En particulier, le Président Emmanuel Macron qui a impulsé, le 11 février 2020 à l’occasion de cette 5e Conférence nationale du handicap, déjà évoquée, une véritable relance de cette politique d’insertion avec trois objectifs à la clef : que chaque enfant en situation de handicap soit scolarisé ; qu’aucun enfant, qu’aucune famille, qu’aucune personne ne soit oublié ; que tous les personnes en situation de handicap puissent avoir accès à une vie libre et digne, et ici, le mot dignité ne signifie pas euthanasie, évidemment.

Le bilan du quinquennat n’est pas mince en la matière, même s’il y a encore beaucoup à faire, et toutes les familles concernées le savent bien : 400 000 enfants en situation de handicap sont scolarisés, selon la députée Coralie Dubost, présidente déléguée du groupe LREM à l’Assemblée Nationale, soit une augmentation de 35%. Le gouvernement a en outre recruté 11 500 accompagnants scolaires supplémentaires (AESH : accompagnants d’élèves en situation de handicap), soit plus de 20% en plus, ainsi qu’a consolidé leur statut et augmenté leur salaire.

Le principe d’Emmanuel Macron est celui-ci : « Nous ne devons jamais nous habituer à ce que des enfants en situation de handicap soient privés (…) de la chance d’aller à l’école, de la joie d’apprendre et du bonheur de tisser des liens. ». C’était le même principe porteur de Jacques Chirac.

Nul doute qu’entre un candidat nostalgique qui souhaite détricoter toutes les solidarités nationales et les innovations sociales et un futur candidat qui, lui, au lieu de polémiquer, agit, et agit efficacement, il n’y a pas vraiment photo sur ce sujet de l’insertion des enfants en situation de handicap. Un candidat nostalgique et qui va probablement être condamné le lundi 17 janvier 2022 sur des propos haineux concernant les mineurs isolés. Décidément, les enfants ne lui vont pas.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le handicap ? Parlons-en !
Éric Zemmour et les enfants en situation de handicap : la mauvaise conscience ?
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Éric Zemmour, l’imposture permanente ?
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Les prénoms d’Éric Zemmour.
Le virus Zemmour.
Le chevalier Zemmour.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220114-zemmour.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/eric-zemmour-et-les-enfants-en-238730

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/01/16/39307696.html









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