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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
20 janvier 2022

Enfin, une vision européenne !

« Je veux ici vous dire que la Présidence française sera une Présidence de promotion des valeurs qui nous font et qui, à force d’être considérées comme des acquis, ont fini ces dernières années par se fragiliser. Nous sommes cette génération qui redécouvre la précarité de l’État de droit et des valeurs démocratiques. » (Emmanuel Macron, le 19 janvier 2022 au Parlement de Strasbourg).



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Le Président de la République française Emmanuel Macron s’est rendu au Parlement Européen à Strasbourg ce mercredi 19 janvier 2022 pour y prononcer son discours de "lancement" des priorités françaises en tant que Président du Conseil de l’Union. C’était pour la France un moment fort pour commencer ce premier semestre de la Présidence française.

Avant d’évoquer le contenu du discours, finalement peu commenté en raison du double contexte, je m’attarde quelques lignes sur ces circonstances.


Roberta Metsola élue Présidente du Parlement Européen

Le contexte est institutionnel car il s’agit véritablement de la première séance formelle de la nouvelle Présidente du Parlement Européen Roberta Metsola. En effet, elle a été élue au perchoir européen la veille, le 18 janvier 2022, avec 458 voix sur 616 dès le premier tour, sans surprise en raison de l’accord des trois groupes qui constituent la majorité fonctionnelle (PPE, S&D et Renew). Ce n’était pas la première fois que Roberta Metsola présidait des séances à l’assemblée européenne puisqu’elle était première vice-présidente depuis le 12 octobre 2020 (elle remplaçait une députée européenne irlandaise nommée à la Commission Européenne) et qu’elle a assuré l’intérim de cette Présidence depuis la mort de son prédécesseur italien David Sassoli le 11 janvier 2022.

Après deux Françaises, Simone Veil et Nicole Fontaine, Roberta Metsola est la troisième femme à occuper ce poste important dans les institutions européennes et la première personne de nationalité maltaise (Malte a adhéré à l’Union Européenne le 1er mai 2004). Elle est une jeune femme de 43 ans (le 18 janvier, c’était justement son anniversaire), docteure en droit et diplômée du Collège d’Europe, mariée à un Finlandais et mère de quatre enfants, membre du PPE (démocrate-chrétienne) et députée européenne depuis avril 2013 où elle a travaillé dans deux commissions, celle des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures et celle sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux, et elle appartient en outre à la délégation parlementaire pour les relations avec les Balkans, candidats à l’adhésion à l’Union Européenne. Le 1er décembre 2019, elle a demandé la démission du Premier Ministre de son pays Joseph Muscat, soupçonné d’ingérence dans l’enquête sur l’assassinat le 16 octobre 2017 de la journaliste d’investigation Daphne Caruana Galizia qui faisait des recherches sur la corruption (Joseph Muscat a finalement démissionné le 13 janvier 2020).

En France, on lui reproche d’avoir une position contre l’avortement (qui est interdit à Malte), alors que parallèlement, elle a souvent soutenu des positions plutôt progressistes comme la défense des droits des personnes LGBT ou l’importance d’aborder le thème de l’immigration sous un regard humaniste et juridique.

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Parlement Européen devenu une arène franco-française

Enfin, le contexte est surtout politique et certains élus européens français ont perdu l’occasion de se taire car ils ont montré à leurs collègues européennes une piètre image de la vie politique française. Effectivement, à la suite du discours du Président Emmanuel Macron qui n’a évoqué aucun sujet de politique intérieure française, plusieurs députés européens français, dont un candidat à l’élection présidentielle française, ont pris la parole, parmi d’autres députés européens. En particulier, les députés européens Jordan Bardella, président du RN et bras droit de Marine Le Pen, Manon Aubry, ancienne tête de liste FI et proche de Jean-Luc Mélenchon, et surtout Yannick Jadot, candidat écologiste, qui, tous les trois, n’ont fait qu’interpeller Emmanuel Macron, brutalement, sur des sujets de politique franco-française, court-circuitant le débat européen et faisant entrer dans l’enceinte européenne la campagne présidentielle française. Les élus non-français se retrouvaient comme des amis d'un couple en pleine scène de ménage.

Il y a eu, parmi les autres pays étrangers, une unanimité pour dénoncer les interventions plus qu’indécentes et inopportunes de ces députés européens français qui ont dénaturé le débat européen, et le groupe écologiste a même demandé une réunion d’urgence de son bureau pour évoquer l’attitude très politicienne de Yannick Jadot. Plusieurs députés européens ont fait des rappels au règlement pour éviter d’importer la campagne présidentielle française, et Roberta Matsola elle-même a condamné ces interventions qui privaient le débat européen. A contrario, les parlementaires européens ont ovationné Emmanuel Macron, et ont souligné sa très grande maîtrise des dossiers européens et la manière très "élégante" de répondre aux différents parlementaires européens, y compris ceux des Français qui voulaient polémiquer avec lui (il a répondu très sèchement à Jordan Bardella, et plus courtoisement à Yannick Jadot qui, pourtant, s’était adressé à lui avec une certaine vulgarité).

Il est vrai que la grande maîtrise des dossiers permet à Emmanuel Macron de briller dans les débats, cela s’était déjà passé lors des grands débats où il s’épanouissait à répondre aux citoyens. L’exploit ici d’Emmanuel Macron a été de ne rien lâcher sur le fond mais de rester toujours dans une attitude constructive de calme et sereine. Cette séance a duré presque de quatre heures au cours de laquelle l’ancienne tête de liste LR aux élections européennes de 2019, François-Xavier Bellamy, Nicolas Bay (RN) et Manuel Bompard (FI), à la tenue très négligée, sont également intervenus pour critiquer Emmanuel Macron. Ancien Premier Ministre belge, Guy Verhofstadt, député européen Renew, a vivement blâmé ces députés européens français qui faisaient campagne dans l’enceinte européenne : « Vous vous croyez sur Antenne 2 ou TF1 ? ». Cela dit, c’est un député européen allemand, ancienne tête de liste CDU/CSU aux élections européennes de 2019, Manfred Weber, président du groupe PPE au Parlement Européen, qui a commencé les hostilités en exprimant sa joie de voir Valérie Pécresse se présenter contre Emmanuel Macron.

J’évoque aussi la question sur : pourquoi Emmanuel Macron a-t-il voulu absolument conserver la Président française en pleine campagne présidentielle ? La question est assez stupide : cette Présidence revient à la France tous les treize ans, ce qui est long, et passer son tour aurait été d’autant plus irresponsable que la France est l’un des piliers de l’Union Européenne. Ce n’est pas Emmanuel Macron qui a initié les institutions européennes et cette règle de fonctionnement et il aurait été irresponsable de renoncer à cette fonction très importante pour la France (comme il n’a pas non plus initié le calendrier de la pandémie de covid-19 dont il se passerait volontiers pour sa future campagne électorale).

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Cette introduction écrite, j’en viens au discours assez long (entre trente et quarante minutes) du nouveau Président du Conseil de l’Union Européenne chargé d’exposer les perspectives de la Président française.

Dans son préambule, Emmanuel Macron en est venu directement aux enjeux cruciaux : « Cette Europe (…), notre construction européenne, repose sur trois grandes promesses. Une promesse de démocratie qui est née sur notre continent (…). Une promesse de progrès partagé par tous et une promesse de paix. Elle a tenu ses promesses durant cette décennie. Mais le moment que nous vivons, par le retour du tragique de l’histoire et de quelques évidences géographiques, l’ébranlement actuel que nous vivons, vient bousculer ces trois promesses. Je pense que le défi qui est le nôtre est de tâcher d’y répondre. ».

Il a abordé de nombreux sujets, lucidement mais sans sombrer dans un certain "déclinisme". Au contraire, il a dit en toute franchise ce qui allait bien, ou mieux que les autres, et ce qu’il faudrait améliorer.


1. Promesse de démocratie

Ainsi pour les démocraties dont on disait le régime « fatigué, incapable de faire face aux grands défis ». Pour Emmanuel Macron, ce n’est pas du tout le cas et la preuve par la crise sanitaire : « La gestion de la pandémie par les démocraties, avec du débat parlementaire, avec une presse libre, avec des systèmes de recherche et des systèmes académiques libres et ouverts, a conduit à des décisions beaucoup plus protectrices des vies et des économies que celles des régimes autoritaires. Nous avons in concreto, tous ensemble, démontré l’inverse d’une idée reçue qui était en train de s’installer. ».

Mais le Président français veut aller au bout de cette logique démocratique dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe prévue en mai prochain : « La Présidence française portera avec l’Allemagne, l’accord de coalition a été très clair sur ces termes, le droit d’initiative législative pour votre Parlement. ».

C’est un engagement très fort pour fortifier la parlementarisation de l’Europe. Le Traité de Lisbonne a déjà apporté beaucoup de pouvoir aux députés européens, en particulier celui de révoquer les membres de la Commission Européenne. Avec l’initiative des "lois européennes", les parlementaires auront les prérogatives habituelles d’un parlement démocratique. On est parti de loin. Quand les souverainistes nationalistes ont critiqué le manque de démocratie de l’Europe, c’étaient les premiers à s’être opposés à l’élection au suffrage universel direct du Parlement Européen. Petit à petit, on a commencé à donner du pouvoir à ce parlement alors que rien ne le prédisposait à en avoir. Et le Parlement Européen n’est pas la seule source populaire puisque la Commission Européen et le Conseil Européen émanent des choix démocratiques nationaux. L’initiative des lois serait une grande avancée démocratique. Maîtriser l’ordre du jour d’une assemblée délibérative est toujours la réalité du pouvoir.

Plus surprenant, Emmanuel Macron a proposé aussi de compléter la Charte des droist fondamentaux par deux points nouveaux : « Je souhaite que l’on consolide nos valeurs d’Européens qui font notre unité, notre fierté et notre force. Vingt ans après la proclamation de notre Charte des droits fondamentaux, qui a consacré notamment l’abolition de la peine de mort partout dans l’Union, je souhaite que nous puissions actualiser cette charte, notamment pour être plus explicite sur la protection de l’environnement ou la reconnaissance du droit à l’avortement. ».

On ne pourra pas exclure une arrière-pensée électorale dans la mesure où le Président Emmanuel Macron cherche à consolider le socle électoral de son aile gauche sur deux sujets "à la mode" (écologie et avortement). Je reviendrai probablement sur l’avortement, disons seulement qu’il s’agit aussi d’un clin d’œil à ceux qui ne comprennent pas pourquoi le groupe centriste Renew a voté pour Roberta Metsola (et cette disposition mettrait en difficulté Malte).

Emmanuel Macron a souhaité également renforcer le principe de solidarité et la lutte contre les discriminations hommes/femmes. Il a également initié la démarche de « rassembler nos meilleurs historiens (…) pour précisément bâtir ensemble le legs de cette histoire commune », celle de l’Europe de « la colline de Laponie jusqu’aux bulbes dorés de Cracovie ».


2. Promesse de progrès

Plusieurs défis ont été abordés dans cette partie du discours.

Défi climatique. Emmanuel Macron a voulu conserver l’Europe comme « un modèle d’avenir » : « L’Europe est le lieu où, à Paris en 2015, s’est levée une conscience climatique universelle. Elle est le continent qui, avec l’objectif de neutralité carbone en 2050, s’est donné le premier les objectifs les plus ambitieux de la planète. ». Cela nécessite de nombreuses transformations industrielles, mais aussi d’inclure dans les négociations internationales des « mesures miroirs dans les accords commerciaux », un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » et d’adopter « la première loi au monde contre la déforestation importée ».

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Défi numérique qui est double : « bâtir un véritable marché unique du numérique permettant de créer des champions européens » et aussi réguler le secteur pour « préserver cet esprit des Lumières, c’est-à-dire protéger nos droits, nos libertés, le respect de nos vies privées, lutter contre les discours de haine ».

Défi de sécurité : « L’Europe doit s’armer non pas par défiance vis-à-vis des autres puissances, non, mais pour assurer son indépendance dans ce monde de violence, pour ne pas subir le choix des autres, pour être libre. ». Cela signifie réformer l’Espace de Schengen, organiser notre défense européenne pour anticiper et ne plus seulement réagir aux crises internationales.


3. Promesse de paix

Pour Emmanuel Macron, l’Europe a une vocation universelle et doit avoir la responsabilité « de repenser quelques-unes de ses politiques de voisinage ».

Il a voulu ainsi que l’Europe aille « proposer une nouvelle alliance au continent africain » : « C’est en Afrique que se joue une partie du bouleversement du monde, une partie de l’avenir de ce continent et de sa jeunesse, mais de notre avenir. ». Concrètement, il s’agit d’une aide à la fourniture de vaccins à court terme, mais surtout « un New Deal économique et financier avec l’Afrique ».

Il a voulu aussi que l’Europe porte attention aux Balkans occidentaux qui sont « au cœur du continent européen » dans « des perspectives sincères d’adhésion » : « Ils portent des cicatrices qui rappellent tout à la fois la précarité de la paix et la force de notre union. ». Mais pour ne pas paralyser une Europe à 31, 32 ou 33, il faut « repenser nos règles en profondeur pour les rendre plus claires, plus lisibles, pour pouvoir décider plus vite et plus fort ». En d’autres termes : « Il nous faut donc réinventer à la fois les règles de fonctionnement et la géographie de notre Europe. ».

Un bon voisinage aussi avec le Royaume-Uni pour « retrouver le chemin de la confiance » : « Rien ne remettra en cause le lien d’amitié qui nous lie au peuple britannique. Notre compagnonnage dans la défense de la démocratie libérale, de la liberté, du progrès économique et social est trop ancré, trop ancien. Mais suivre ce cheminement commun après le Brexit suppose du gouvernement britannique qu’il s’engage de bonne foi dans le respect des accords conclus avec notre union et que nous fassions respecter avec clarté les engagements pris. ».

Enfin, Emmanuel Macron conçoit l’Europe comme « une puissance de paix et d’équilibre » et voudrait donc construire un dialogue avec la Russie : « Ce dialogue, je le défends depuis plusieurs années. Il n’est pas une option (…). Nous devons, nous Européens, poser collectivement nos propres exigences et nous mettre en mesure de les faire respecter. Un dialogue franc, exigeant face aux déstabilisations, aux ingérences, aux manipulations. ». Il pensait en particulier à la situation de l’Ukraine, mais pas seulement.

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Reprenant les trois "promesses", Emmanuel Macron a conclu ainsi : « Tous ensemble, face à la tyrannie de l’anecdote et des divisions entre Européens, nous avons à retrouver le sens de l’unité, le goût du temps long qui font la nécessité de l’audace, le sens de ce que Robert Schuman appelait les efforts créateurs. (…) Notre capacité à inventer un rêve possible, à le rende tangible, à le faire réalité, à le rendre utile à nos concitoyens, est la clefs de notre succès. ».

Je ne suis pas certain que ce grand discours restera dans l’histoire, tant les préoccupations politiciennes et électoralistes des oppositions françaises, au Parlement Européen, l’ont emporté sur la discussion de fond sur l’avenir de l’Europe. En tout cas, les élus devenus observateurs étrangers ont pu constater qu’Emmanuel Macron avait bien du courage à vouloir développer une vision à long terme devant des opposants aussi bornés et à courte vue. Ce discours a développé ainsi l’agenda des six mois de Présidence française, déjà présenté au cours d’une conférence de presse à l’Élysée le 9 décembre 2021, et a impressionné tous nos partenaires européens : enfin, une vision européenne !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Enfin, une vision européenne !
Discours du Président Emmanuel Macron au Parlement Européen le 19 janvier 2022 à Strasbourg (texte intégral et vidéo).
Emmanuel Macron assume sur les antivax.
Emmanuel Macron dans "Le Parisien" le 5 janvier 2022.
Vœux d’Emmanuel Macron : protéger les Français et renforcer la France par l’Europe.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2021 à Paris (texte intégral et vidéo).
Introspectif et tourné vers l’avenir, Emmanuel Macron justifie (presque) tout.
Emmanuel Macron l’Européen, Président jusqu’au bout.
La France d’Emmanuel Macron.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 9 novembre 2021 à Paris (texte intégral et vidéo).
COP26 : face à l’alarmisme, le leadership mondial d’Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron, l’homme qui valait 30 milliards.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220119-macron.html

https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/enfin-une-vision-europeenne-238791

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/01/19/39310790.html




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