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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
5 février 2022

70 ans de règne d’une femme exceptionnelle

« Je suis encore en vie, en tout cas ! » (Élisabeth II, le 24 juin 2016, au lendemain du référendum sur le Brexit).




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Elle n’a jamais manqué d’humour. Il y a soixante-dix ans, le 6 février 1952, le roi George VI est mort et sa fille Élisabeth II lui a succédé. Jeune femme de 25 ans, elle s’était préparée à partir de l’âge de 10 ans à ce dur métier de reine. En effet, George VI n’était pas destiné à devenir un souverain, mais son frère Édouard VIII a préféré l’amour au trône (et peut-être tant mieux idéologiquement). Son renoncement le 11 décembre 1936 ont amené la future Élisabeth II, aujourd’hui 96 ans dans deux mois et demi, à prendre avec sérieux et professionnalisme son futur métier de reine. À sa majorité, le 21 avril 1947, Élisabeth annonçait ainsi par serment public à la BBC : « Je déclare devant vous tous que toute ma vie, qu’elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service et au service de notre grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous. ». En 1951, la santé de George VI était vacillante et sa fille se tenait prête, le remplaçant à l’occasion dans les rencontres protocolaires. Elle a appris la mort de son père au Kenya, lors d’une escale pour un déplacement en Nouvelle-Zélande et en Australie.

Elle a été couronnée reine le 2 juin 1953 à l’abbaye de Westminster. Comme c’est de coutume dans la famille royale, elle fêtera ses soixante-dix ans de règne à la fin du printemps, quand le temps sera plus clément (c’est le cas aussi des anniversaires, son 95e anniversaire a été fêté le 12 juin 2021) : en effet, son "jubilé de platine" sera célébré en grandes pompes du 2 au 5 juin 2022 et les peuples du Commonwealth seront invités à y participer.

C’est assez vertigineux d’imaginer que cette reine était déjà sur le trône en février 1952, à une époque complètement révolue de l’après-guerre. Elle a connu quatorze Premiers Ministres, de Winston Churchill à Boris Johnson en passant par Margaret Thatcher, Tony Blair et David Cameron. Staline régnait encore sur une Union Soviétique toujours existante, plus que jamais, prête à montrer sa puissance spatiale. Harry Truman terminait son mandat et le général Eisenhower allait lui succéder. En France, il n’est même pas possible de dire qui était au pouvoir, tant le pouvoir était dilué par le jeu instable du régime d’assemblée : René Pleven était Président du Conseil puis a laissé le job à Henri Queuille qui lui a refilé ensuite, Edgar Faure, Antoine Pinay, René Mayer, Joseph Laniel, etc. La Chine venait de s’offrir à Mao. L’Allemagne avait la chance d’avoir Konrad Adenauer pour ressusciter des cendres du nazisme et construire enfin l’Europe de la paix, etc.

À ce jour, dans le monde de 2022, Élisabeth II est la chef d’État à la fois la plus ancienne (70 ans) et la plus âgée (95 ans) en exercice. Depuis plus de six ans (depuis le 9 septembre 2015), son règne a surpassé celui de la reine Victoria, son arrière-arrière-grand-mère, qui était alors le plus long de l’histoire du Royaume-Uni. À cette occasion, la reine s’est contentée modestement de faire remarquer : « Inévitablement, une longue vie amène à passer par de nombreux jalons. La mienne ne fait pas exception. ». Autre jalon, le 18 juillet 2020, elle avait fêté en privé son 25 000e jour de règne au château de Windsor, dans lequel elle était confinée pour cause de pandémie de covid-19.

De tous les souverains du monde, pour peu que les informations soient connues, elle est parmi les souverains qui ont le plus longtemps régné de toute l’histoire de l’humanité. Si on exclut les principautés allemandes (nombreuses), les royaumes traditionnels africains ainsi que les États indiens qui ne constituent pas vraiment des nations au sens moderne, et hors de tout ce que les archéologues n’ont pas encore découvert des civilisations anciennes, seuls deux règnes semblent avoir duré plus longtemps que le sien : celui de Rama IX, roi (récent) de Thaïlande, mort le 13 octobre 2016 à 88 ans, dont le règne a commencé le 9 juin 1946 (soixante-dix ans et quatre mois) et celui de Louis XIV, roi de France bien connu, dont le règne s’est étendu du 14 mai 1643 (à l’âge de 4 ans) au 1er septembre 1715 (soixante-douze ans et trois mois). Louis XIV et son successeur direct Louis XV, son arrière-petit-fils, ont régné sur la France, à eux deux, pendant près de cent trente ans !

C’est ce concept monarchique même qui devient un peu controversé. Bien sûr, la monarchie britannique a été un grand facteur de stabilité depuis l’après-guerre, reposant d’ailleurs plus sur la personnalité exceptionnelle de la reine Élisabeth II que sur les institutions elles-mêmes (il suffit de rappeler le souvenir de son oncle roi), mais est-elle encore d’actualité et de modernité dans un monde qui bouge autant ?

L’évolution de l’espérance de vie va rendre, sauf accident, les souverains très âgés à leur arrivée au trône. C’est pour cela que dans certaines monarchies d’Europe "continentale" (au moins trois), le souverain a abdiqué pour laisser son enfant reprendre le trône à un âge "convenable", tel un patron d’un empire industriel qui laisse à son aîné le siège de président du conseil d’administration. Notons que même le pape Benoît XVI (bientôt 95 ans, il a juste un an de moins que la reine), dans sa fatigue et sa sagesse, a "renoncé" au trône de saint Pierre après près de huit ans de pontificat, car il savait qu’un nonagénaire n’était pas capable de remplir correctement sa mission.

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Élisabeth II semble avoir une tout autre vue. Certes, elle est désormais très fatiguée et quelques absences (notamment lors de l’ouverture de la COP26 à Glasgow le 1er novembre 2021) ont même inquiété les médias depuis un an qu’elle vit désormais seule, sans Philip parti quelques semaines avant son centenaire (le Prince Charles la remplace dans ses obligations de reine). Mais elle n’entend pas abdiquer, malgré les nombreuses rumeurs (on avait imaginé une telle abdication à son 95e anniversaire). Il ne faut en tout cas pas compter sur un tel événement avant le jubilé de platine qui est en pleine préparation.

Son tempérament est le légitimisme, à savoir, rester tant qu’on lui prête vie, comme c’est le cas généralement pour les monarques. C’est un peu comme le pape Jean-Paul II qui, malgré son épuisement, n’avait pas voulu démissionner car c’était à Dieu de décider.

Et son sentiment, si elle devait abdiquer, ce serait de transmettre la couronne directement à son petit-fils William, bien sûr, et pas à ce fils Charles si particulier. William est tout ce qui représente la monarchie parfaite selon Élisabeth, un futur roi lisse, une femme qui a tout de la reine, et des descendants, c’est important pour assurer l’avenir de la monarchie. Mais le légitimisme de la reine l’empêcherait évidemment de court-circuiter le dauphin en titre depuis soixante-dix ans, à savoir le Prince Charles, sauf si lui-même voulait laisser son fils aîné prendre la relève immédiatement.

Serait-ce une gérontocratie ? Il est vrai que devenir roi à 73 voire 74 ans n’a pas beaucoup de sens, un âge déjà à la retraite, fatigué, usé. Même William n’est plus très jeune, s’approchant dans quelques mois des 40 ans. La relève, c’est aussi George de Cambridge, l’arrière-petit-fils aîné d’Élisabeth, qui va bientôt avoir 9 ans et qui est la garantie d’un avenir institutionnel assuré pour la couronne (avec un frère et une sœur, ainsi que le frère Harry et ses deux enfants, tout est bien assuré pour la descendance de Charles).

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Il ne faut pas croire que cet aspect de la monarchie est anecdotique. C’est vrai que le mouvement républicain en Grande-Bretagne est ultraminoritaire, mais le soutien à la monarchie, qui me paraît être un vieux vestige de siècles anciens, s’est toujours basé sur la personnalité d’Élisabeth II qui a servi de repère politique dans tous les événements, heureux ou malheureux, que le Royaume-Uni a connus depuis trois générations. Le courant républicain peut très bien retrouver de l’audience après Élisabeth II et c’est pour cela qu’elle voudrait que William soit son successeur, pour qu’il s’installe dans une longue durée avec la même neutralité politique que sa grand-mère, ce qui n’a pas toujours été le cas avec Charles dont on connaît ses engagements notamment progressistes et écologiques.

Élisabeth II a quand même tenté de moderniser cette famille royale en réformant les règles dynastiques qui dataient de plusieurs siècles. Jusqu’au 28 octobre 2011, les femmes passaient toujours après les hommes dans une fratrie, même si elles étaient plus âgées. Désormais, l’ordre chronologique des naissances est respecté, ce qui est le moindre de réformes pour une monarque femme. De même, un conjoint catholique n’empêchera pas un héritier de succéder au monarque (mais seulement si les enfants ne sont pas eux-mêmes catholiques !). Enfin, le consentent du monarque à un mariage n’est imposé qu’aux six premières personnes dans l’ordre de succession, ce qui reste quand même un point important à une époque où la liberté d’aimer et de se marier est un droit individuel majeur. La reine a voulu que ses successeurs restent maîtres de l’évolution de la famille royale, tel un navire impérial qu’il conviendrait à mener à bon port.

Le risque est aussi dans le cas où le Premier Ministre ferait le pitre. Le scandale récent des fêtes successives en période de confinement a non seulement jeté le discrédit sur Boris Johnson en proie à des difficultés nombreuses (sortie de la crise sanitaire et Brexit) et à une contestation interne, au sein même de son parti, mais cela rejaillit aussi en discrédit sur la monarchie britannique elle-même.

Les Français n’ont pas l’équivalent de la reine Élisabeth II, ils n’ont pas cette sorte de pape intouchable et sage (ce qu’est aussi, en quelque sorte, la reine qui est la chef de l’Église anglicane), mais ils ne supporteraient pas un roi (ou une reine) très longtemps. Certes, les Britanniques ont exécuté un roi autant que les Français, et même avant eux, mais ils ont ce côté théâtral de la vie politique et même de la vie tout court (le flegme) que n’ont plus les Français depuis De Gaulle. Et quand un Président de la République se prend pour un roi ou un dieu, ils le conspuent alors même que ceux-là le critiquaient quand il était, selon eux, un candidat pas assez… régalien. God save the Republic !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 février 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
70 ans de règne d’une femme exceptionnelle.
Jane Birkin.
Jimmy Somerville.
Philip Mountbatten.
Élisabeth II.
La disparition du mari de la reine.
Victoria.
Le Prince Charles.
Winston Churchill.
Lord Louis Mountbatten.
Harry, un mari qui vous veut du bien.
Le mari de la reine.
Lady Di.
Édouard VIII et George VI.
La reine.
Un règne plus long que celui de Victoria.
Vive la République !
John Lennon.
Kim Wilde.
Alfred Hitchcock.
Le syndrome de Hiroshima.
Boris Johnson lutte contre le coronavirus.
Brexit Day : J – 3 …et De Gaulle dans tout ça ?
Brexit : enfin, l’Union Européenne prouve qu’elle n’y était pour rien !
La très belle victoire de Boris Johnson.
Les élections législatives britanniques du 12 décembre 2019.
Brexit : et en avant pour un nouveau tour (électoral) !
Brexit : Boris Johnson et Emmanuel Macron sur le même front commun.
Document : les trois lettres adressées le 19 octobre 2019 à l’Union Européenne.
Document : quel est l’accord UK-EU du 17 octobre 2019 ? (à télécharger).
Brexit : le nouveau deal, enfin, in extremis !
8 contresens sur le Brexit.
Boris Johnson, apprenti dictateur ?
Boris Johnson, le jour de gloire.
Union Européenne : la victoire inespérée du Président Macron.
Européennes 2019 (6) : le paysage politique européen.
Theresa May : Game over.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220206-elisabeth-ii.html

https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/70-ans-de-regne-d-une-femme-239168

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/02/04/39334229.html







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