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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
9 février 2022

La repentance nucléaire : Emmanuel Macron à Belfort

« Ce dont il faut prendre conscience, c’est que l’électricité en France par des centrales nucléaires, c’est la condition même pour qu’on puisse avoir des énergies renouvelables. » (François Bayrou, note de synthèse du 23 mars 2021).



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Le Président Emmanuel Macron se rend toute la journée de ce jeudi 10 février 2022 sur le site d’Alstom à Belfort pour y exposer sa vision de la politique nucléaire de la France et devrait annoncer le lancement d'un programme de 14 EPR.

On peut dater du 23 mars 2021 l’évolution des mentalités au plus haut niveau de l’État. François Bayrou, "petit artisan" du Haut Commissariat au Plan, venait de remettre une note de synthèse au Premier Ministre Jean Castex sur les perspectives de la production d’électricité avec une alerte, être lucide, mieux, un devoir de lucidité.

Dans ce document assez court pour un sujet si dense et compliqué, le maire de Pau et président de MoDem se rendait compte que si l’on ne faisait rien, dans une trentaine d’années, on aurait de graves problèmes de production d’électricité.

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Le plan de construction du parc de centrales nucléaires français a été lancé non pas sous De Gaulle, mais à la toute fin de la Présidence de Georges Pompidou (il est mort le 2 avril 1974), au conseil des ministres du 6 mars 1974, annoncé par le Premier Ministre de l’époque Pierre Messmer (à une époque donc où l’on pensait que la prochaine élection présidentielle aurait lieu en 1976). Ce plan prévoyait la construction de 55 réacteurs, à raison de cinq à six réacteurs par an, pour 50 GW de production électrique. Valéry Giscard d’Estaing a confirmé le plan d’origine, mais François Mitterrand a ralenti les travaux avec un réacteur par an.

La dernière centrale nucléaire a été construite en 1991, et depuis cette date, la politique nucléaire de la France a été n’importe quoi. Seule, en 2007, la construction de l’EPR de Flamanville a été lancée, avec de nombreux retards (en principe, mise en service en 2023), des surcoûts énormes (environ 15 milliards d’euros) en raison de problèmes techniques (le réacteur était un prototype).

Le "n’importe-quoi", cela a été la primauté du politique sur la raison, avec pour ordonnateur en chef, le Président François Mitterrand. La forte audience des écologistes aux élections régionales de mars 1992 a considérablement bouleversé la politique de la France en la matière. Les Verts et Génération Écologie sont devenues une véritable force électorale, en totalisant 12% des voix (chacun, en concurrence, faisant autour de 6% ; par une manœuvre politicienne des socialistes, une élue écologiste a même été élue président du conseil régionale de Nord-Pas-de-Calais, Marie-Christine Blandin, à ce jour, la seule).

La principale victime a été Superphénix, construit en 1976 et mis en service en 1984 à Creys-Malville, dans l’Ain. La France était leader dans la surgénération, dont la technologie avait convaincu le Président Giscard d’Estaing qui disait le 25 janvier 1980 sur Europe 1 : « Avec ce type de réacteurs et ses réserves en plutonium, la France disposera d’autant d’énergie que l’Arabie Saoudite avec tout son pétrole. ».

J’étais à Grenoble à l’époque (dans les années 1990), j’avais des amis au CENG (Centre d’études nucléaires de Grenoble, le CEA à Grenoble) et je comprends bien aujourd’hui que le candidat communiste Fabien Roussel ait une vue diamétralement opposée à celle des écologistes sur ce sujet : la CGT protestait pour faire redémarrer Superphénix. À la suite d’incidents, le surgénérateur a été arrêté en 1990, mais le Premier Ministre Pierre Bérégovoy a refusé son redémarrage en juin 1992 et a commandé une étude qui a proposé d’en faire un incinérateur de déchets radioactifs. Le pire a été en effet de vouloir en faire une poubelle géante, avant d’abandonner définitivement toute velléité sur la surgénération le 19 juin 1997 par le Premier Ministre Lionel Jospin, nouvellement élu au nom de la gauche plurielle (socialiste, écologiste et communiste). Cela a été un gâchis technologique majeur. Une génération est passée, il n’y a plus la compétence.

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La France possède 56 réacteurs nucléaires, mais beaucoup sont vieux, et même s’ils peuvent durer soixante ans au lieu des quarante prévus, cela signifie, comme l’a alerté François Bayrou, que dans quelques années, il manquera des réacteurs, d’autant plus que l’encouragement voire l’obligation des chauffages électriques, des véhicules électriques etc. vont rendre encore plus tendue la production d’électricité.

Plusieurs réacteurs sont actuellement arrêtés pour des raisons techniques, et ce n’est pas un hasard si Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a mis en garde, dans "Le Monde" du 20 janvier 2022 : « Cette accumulation d’événements mènent à la situation que nous redoutions : une tension sur le système électrique qui pourrait mettre des décisions de sûreté en concurrence avec des décisions de sécurité électrique. L’ASN a maintes fois exprimé le besoin de maintenir des marges dans le dimensionnement du système électrique et des installations, pour pouvoir faire face aux aléas. Or, aujourd’hui, il n’y a pas de marge ! ». Loin de considérer cette alarme comme une ode anti-nucléaire, l’objectif de l’ASN était plutôt d’alerter pour construire suffisamment de nouveaux réacteurs et faire face aux arrêts techniques éventuels.

Depuis quelques semaines, le nucléaire s’est invité dans la campagne présidentielle, comme à chaque campagne. Les candidats Marine Le Pen, Valérie Pécresse et Fabien Roussel ont prôné la construction de six nouveaux EPR. Le candidat Éric Zemmour, de son côté, quatorze. Ils donnent l’impression de faire leur marché et d’en prendre autant que leur cabas peut en contenir.

Selon toute vraisemblance (à confirmer, je ne suis pas madame soleil), Emmanuel Macron va annoncer à Belfort la construction de quatorze EPR pour 2050. À ce titre, il replace la filière nucléaire à l’honneur en France après trente années de réticence et d’errance politiciennes. On s’étonnera seulement sur le caractère tardif (à trois mois de la fin de son quinquennat) d’une telle décision, qui pourrait être d’ailleurs remise par son successeur en cause en cas de non-réélection.

On explique qu’il fallait une certaine maturité sociale pour faire accepter un tel choix, considéré comme indispensable. Ce nombre ne doit rien au hasard, c’était le nombre retenu dans le rapport de prospective de RTE publié le 25 octobre 2021, dans son scénario N03 : « Mix de production reposant à part égale sur les renouvelables et le nucléaire à l’horizon 2050. Fonctionnement étendu des réacteurs actuels tant qu’ils respectent les normes de sécurité, construction de nouveaux réacteurs selon un rythme volontariste avec diversification des technologies de la troisième génération (EPR2 + SMR) ». En clair : nucléaire actuel 24GW et nucléaire de la 3e génération 28 GW soit 14 EPR et quelques SMR (petites unités de production).

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On parle d’une dizaine d’années de retard, c’est vrai, mais en fait, c’est bien une trentaine d’années de retard, perdues en considérations purement politiques. François Hollande, à cause de son accord avec les écologistes, a refusé de compléter le parc nucléaire et curieusement, Emmanuel Macron a poursuivi la même politique d’inaction sur ce plan-là, jusqu’à comprendre que promouvoir les énergies renouvelables n’avait pas de sens sans soutenir le parc nucléaire.

Le financement ? Selon EDF, chaque EPR coûterait 8 milliards d’euros, beaucoup moins qu’à Flamanville qui est un prototype, ce qui ferait 112 milliards d’euros jusqu’en 2050. Cela peut paraître élevé mais il faut aussi comparer avec les subventions données pour l’éolien qui, entre 2001 et 2028, devraient coûter à l’État entre 70 et 90 milliards d’euros, ce qui n’est pas si éloigné.

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On en reparlera évidemment, ce sera sans doute l’un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle (l’éolien a beaucoup occupé les débats LR). Emmanuel Macron va donc en principe faire le choix de l’audace, hors de toutes idées reçues généralement admises contre le nucléaire. C’est peut-être le gros problème conceptuels de l’écologie politique depuis une dizaine d’années : la lutte contre le bouleversement climatique passe par l’obligation d’une économie totale décarbonée, ce qui donne au nucléaire tout son intérêt, reconnu récemment par Bruxelles (au même titre que le gaz) dans la chasse au carbone. Mairead McGuinness, la commissaire européenne aux services financiers, a en effet déclaré, dans sa conférence de presse du 2 février 2022 : « Aujourd’hui, nous franchissons une nouvelle étape importante dans la transition (…). Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition, car nous avons moins de trente ans pour y parvenir. ».

C’est une véritable repentance. Emmanuel Macron n’est pas tout seul, François Hollande, Lionel Jospin et François Mitterrand sont les véritables fossoyeurs de la filière nucléaire française qui représente quand même 2 600 entreprises et 220 000 emplois. Il vaut mieux tard que jamais. C’est pourquoi cette date du 10 février 2022 sera peut-être aussi importante que le 6 mars 1974 pour la politique nucléaire de la France.

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Emmanuel Macron évoquera aussi la stratégie industrielle de la filière nucléaire, avec une autre repentance, le rachat par EDF de la filiale d’Alstom qui fabrique à Belfort les turbines vapeur, rachat à General Electric qui l’avait acquise en novembre 2014 à l’époque où le Président actuel était le secrétaire général adjoint de l’Élysée chargé de l’économie puis le Ministre de l’Économie (en négociation depuis l’automne 2020). Je conseille de lire à ce sujet l’article de Marc Endeweld du 9 février 2022 dans "La Tribune", qui explique pourquoi ce sujet est peu abordé dans la campagne électorale, impliquant notamment des proches d’une candidate importante ou d’un chef de parti anciennement important (ce sujet « peut ainsi potentiellement éclabousser de nombreux réseaux politiques, de droite comme de gauche »).

Comme dans d’autres domaines où il pose les choses crûment (en disant par exemple que le terrorisme depuis dix ans vient de l’islamisme radical), même après hésitations et mûres réflexions, Emmanuel Macron n’a pas peur de rompre avec la passivité de ses prédécesseurs. Au-delà de la décision, ce sera effectivement l’explication qui sera importante : pourquoi la réduction du nucléaire n’est plus à l’ordre du jour alors qu’on en avait fait une sorte de "mantra".


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 février 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La repentance nucléaire : Emmanuel Macron à Belfort.
La filière nucléaire en crise, par Marc Endeweld dans "La Tribune" du 9 février 2022.
COP26 : face à l’alarmisme, le leadership mondial d’Emmanuel Macron.
Rapport de RTE sur les perspectives de production d’électricité, publié le 25 octobre 2021 (à télécharger).
Rapport du GIEC publié le 9 août 2021 (à télécharger).
François Bayrou relance le programme nucléaire français.
Note de synthèse du 23 mars 2021 du haut-commissaire au Plan sur le programme nucléaire français (à télécharger).
Interview de François Bayrou le 24 mars 2021 sur LCI (à télécharger).
Le débat rayonnant sur le nucléaire.
François Hollande coincé entre Jean-Pierre Chevènement et Eva Joly sur le nucléaire.
Andrei Sakharov.
Incompréhensions américaines : le nucléaire iranien.
Au cœur de la tragédie einsteinienne.
Marie Curie.
La Corée du Nord selon Guy Delisle.
Fukushima, dix ans après.
Le syndrome de Hiroshima.
Tchernobyl (1986).
Fukushima (11 mars 2011).
L’industrie de l’énergie en France.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220209-macron-epr.html

https://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/la-repentance-nucleaire-emmanuel-239298

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/02/09/39341368.html







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