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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
10 mars 2022

Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire

« Les bombes ne sont pas différentes quand elles tombent sur mes amis de Kiev que quand elles tombent sur mes amis d’Alep. » (Robert Ménard, le 9 mars 2022 sur LCI).



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Je dois reconnaître que la personnalité de Robert Ménard est intéressante. J’ai rarement les mêmes idées que lui, mais le personnage m'est sympathique et est plus nuancé qu’il n’y paraît, il dit parfois du bon sens et n’hésite pas à aller à contresens de ceux qu’il soutient. Il est libre, et cette liberté est très rafraîchissante dans un pays où la langue de bois n’égale pas bien sûr celle des régimes autocratiques (on le voit en Russie) mais reste très prévisible. En trois mots, Robert Ménard, à sa façon, est sincère, spontané et se veut honnête intellectuellement. C’est peut-être son métier de journaliste qui veut cela, une certaine rigueur déontologique. En ce sens, il se distingue de beaucoup de responsables politiques de tout bord et ce trait de caractère peut expliquer à lui seul qu’il a été élu et réélu maire de Béziers depuis 2014. Bref, personne ne voudrait lui enlever l’idée qu’il veut bien faire.

Je le dis en voulant rester le plus rationnel possible puisque beaucoup de ses prises de position, de ses soutiens, de ses convictions me heurtent l’âme, mais assurément, je pourrais avoir une discussion enrichissante avec lui : il écoute et raisonne, en dehors de tout appareil partisan.

Et ce qu’il a confessé ce mercredi 9 mars 2022 sur le plateau de David Pujadas, sur LCI, est très instructif du personnage, mais plus généralement, de la lente évolution des mentalités, celles de la France voire des pays européens. Avec l’Ukraine en guerre, "on" comprend mieux les guerres dans le monde. "On", c’est moi, c’est nous, c’est l’insaisissable "opinion publique", c’est les responsables politiques… On se disait qu’à Beyrouth, la guerre civile, les bombardements, la misère, c’était consubstantiel au pays. En Syrie, en Irak aussi. L’éloignement, seulement l’éloignement suffit à se dire cela, pour se rassurer : là-bas, c’est loin, "ils" ne sont pas encore "civilisés", "ils" se font la guerre, alors qu’ici, c’est la paix. Oui mais non : déjà parce que la France, par exemple, participe à des guerres, pour des raisons très louables, loin d’elle. Ensuite, parce qu’il n’y a plus d’éloignement avec Internet et les compagnies aériennes, tout pays est à moins d’un jour de vol. Village planétaire.

L’Ukraine en guerre a profondément ému les populations européennes, et en particulier, les Français. Je reviendrai sur l’exceptionnel élan de solidarité, spontané, rapide, intense, avec le peuple ukrainien volontairement bombardé par Vladimir Poutine. Tout le monde est choqué, traumatisé, certains n’en dorment plus. Quoi que ce dernier fasse, quel que soit l’avenir, ce sera une tache indélébile dans l’histoire de la Russie et dans la biographie de Vladimir Poutine. Un jour, cela se paiera. D’une manière ou d’une autre. Cet élan d’émotion et de solidarité, il provient d’une certitude : l’Ukraine, c’est la France. L’hôpital pour enfants bombardé à Marioupol, c’est comme si c’était là, près de chez nous. Cette fillette cyniquement sacrifiée, c’est ma fille.

Il y a bien sûr les informations qui arrivent en direct, à la minute près, qui permet de se sentir impliqué, mais pas seulement, car il y a des guerres lointaines avec les mêmes informations. Et puis il y a ce sentiment européen charnel, identitaire, et ceux qui, en France, ne l’avaient pas, sont en train de l’acquérir (merci Poutine). La plupart des Français s’identifient aux Ukrainiens. Kiev est devenu le centre de l’Europe.

Alors, évidemment, quand on entend au début de cette guerre un Éric Zemmour dire : pas question d’accueillir les immigrés ukrainiens chez nous, cela choque. Il ne recueille pas l’aval de ceux qui ne sont pourtant pas gênés de crier "les étrangers, dehors !" (ou même avec une composante raciste, du genre "les bougn…, dehors !"). Cela choque parce que c’est comme si, devant un grave accident de la route où l’on voit des hommes à terre, ensanglantés, la première réaction était : pas question que je paie la réparation de la voiture, alors qu’il faut d’abord sauver ces hommes, ces vies, tant que possible.

Ces réfugiés ukrainiens, ils sont plus de 2 millions déjà à être sortis de cet enfer, de ce massacre. On parle de 4 millions en tout, mais ce sera probablement plus. Et ceux-là se retrouvent exactement dans la même situation que les Syriens et les Irakiens qui ont dû fuir l’avance rapide des jihadistes de Deach. Certains croyaient que ces réfugiés étaient des pauvres, de la racaille, des germes à problème, certes, c’est toujours difficile de s’adapter à un nouveau pays, inconnu, mais c’est souvent le résultat de l’accueil du pays, pas de ceux qui arrivent. Sommes-nous accueillants ?

Ces réfugiés syriens, c’étaient aussi des ingénieurs, des médecins, des avocats, des commerçants, des ouvriers, des personnes qui avaient une position sociale, une famille, une célébrité locale, que sais-je ? comme chez nous, comme nous avec des réussites et des échecs. Moi, je l’avais bien compris. Il ne faut pas faire beaucoup de voyages dans le monde pour s’apercevoir que tout le monde est pareil, avec plus ou moins de chance, qu’on raisonne pareillement, qu’on est heureux pareillement. Certes, il peut y avoir des idéologies qui lessivent les cerveaux, politiques ou religieuses, mais l’humain, le terreau initial, est fait de la même chair. Nous ne sommes pas si différents.

Il suffit aussi de voir les images de la Seconde Guerre mondiale, les villes détruites par la guerre en France. C’était il y a 80 ans, pas plus. Pourtant, il y a comme un sentiment de ne pas être concerné quand la guerre se passe loin dans le temps ou loin dans l’espace. L’Ukraine, c’est tout le contraire : elle est immédiate et elle est sous nous yeux, à nos portes. C’est aussi la différence avec la guerre en ex-Yougoslavie, il y a trente ans, pourtant encore plus proche de la France : il n’y avait pas cette multiplicité de l’information immédiate et le sentiment européen était beaucoup moins développé que maintenant. L’Europe a fait un grand pas avec cette guerre en Ukraine parce que nous avons enfin conscience que ce n’est pas qu’un slogan quand l’on dit que l’Europe défend vraiment nos valeurs, la paix, le respect, la solidarité, etc. Emmanuel Macron l’a dit le 2 mars 2022 : « Notre liberté, celle de nos enfants, n’est plus un acquis. Elle est plus que jamais un système de courage, un combat de chaque instant. ».

Alors, que vient faire Robert Ménard dans tout cela ?

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D’abord, il est maire, et pour l’Ukraine, les maires ont une position cruciale : c’est à l’échelle des municipalités que la solidarité des gens s’organise pour aider le peuple ukrainien. Et lui, comme les autres maires, observe qu’il y a un énorme besoin d’aider, de se sentir solidaire. Cette question revient sans cesse : que puis-je faire pour alléger la souffrance des Ukrainiens ? Et au-delà des dons, il y a aussi les offres d’hébergement. La France n’est pas la solution idéale des réfugiés qui ne parlent pas le français : la langue est difficile, le pays est très loin et ils préfèrent rester près des frontières ukrainiennes dans l’espoir d’y retourner rapidement. Ne nous leurrons pas, le "problème humanitaire ukrainien" durera très longtemps. Même après la paix retrouvée, le retour se fera dans des conditions difficiles, des centaines de milliers de familles ont tout perdu.

Ensuite, parce qu’en soutien ordinaire de l’extrême droite, en soutien à Marine Le Pen, Robert Ménard s’est toujours prononcé contre l’immigration, contre l’entrée des réfugiés en France, on ne peut pas porter toute la misère du monde etc. Mais avec l’Ukraine en guerre, il s’est rendu compte d’un truc : ce que je disais à propos des Syriens ou des Irakiens, c’était horrible. Je n’oserais pas le dire des Ukrainiens.

Robert Ménard a avoué effectivement : « Moi, je vais plaider coupable. J’ai dit, écrit, publié à Béziers un certain nombre de choses au moment des combats en Syrie, en Irak et l’arrivée des réfugiés chez nous, que je regrette, que j’ai honte d’avoir dit et fait, parce que ce n’était pas bien. ». Honte, le mot est fort. Il n’est pas seulement "pas fier", il est "honteux".

Et il poursuit sur le plan moral : « Moralement, ce n’était pas bien. Il n’y a pas deux sortes de victimes, il n’y a pas des Européens chrétiens qu’il faudrait défendre et des gens (…) qui seraient au Moyen-Orient et musulmans qu’on aurait eu raison de ne pas accepter chez nous. (…) Je crois que cette attitude est une faute, et je me l’applique. Je crois qu’il y a une solidarité de quasiment tout le monde pour les réfugiés, même Éric Zemmour même s’il le fait avec des bémols. (…) Je pense que nous, ce courant de la droite, que moi, j’ai eu tort. ». Le fonds de commerce de l’extrême droite remis en cause ! C’est un bouleversement de paradigme.

Et d’insister comme maire de Béziers : « Aujourd’hui, moi, j’accueille tous les réfugiés qui le demandent, mais il y a trois ans, quatre ans, non, ce n’était pas bien. Les bombes ne sont pas différentes quand elles tombent sur mes amis de Kiev que quand elles tombent sur mes amis d’Alep. Ce deux poids deux mesures n’est pas glorieux pour moi, ni pour nous. Ce n’est pas une erreur, c’est une faute. ».

Robert Ménard a donc profondément regretté ses propos très dur de 2015 et son refus d’accueillir les réfugiés syriens et irakiens et a martelé qu’il ne pouvait pas y « avoir deux poids deux mesures : quand ils nous ressemblent, ils sont les bienvenus, et quand ils nous ressemblent moins, ils ne sont pas les bienvenus. ».

Parce que c’est une grande gueule de la mouvance d’extrême droite, la prise de conscience de Robert Ménard est salutaire. Le refus de l’immigration est un thème de campagne récurrent de la vie politique française depuis 1978 (utilisé systématiquement par l’extrême droite et parfois par les communistes). Cette prise de conscience qui fait simplement appel autant à la raison qu’au cœur, est une énorme inflexion dans le discours des extrêmes depuis une dizaine d’années. Les trois mois de zemmourisme enflammés dans les médias de l’automne dernier seraient peut-être mal digérés et le principe humanitaire, l’humanisme, revenir au galop par contre-réaction. La bouillie zemmourienne revomit.

Décidément, on n’en finit pas de mesurer le réveil de conscience des Français qu’auront au moins provoqué cette guerre en Ukraine et les massacres qui s’y déroulent : indifférence, refus d’accueil des réfugiés, nationalisme, anti-européanisme sont désormais très réprouvés. Nous sommes tous conscients et interdépendants et j’ai beaucoup d’émotion d’observer que cette solidarité, sur le terrain, partout en France, s’exerce quasi-unanimement. Tout le monde veut apporter sa part. Si cela n’arrête pas la guerre, c’est quand même très réconfortant sur notre capacité d’indignation et de réaction : les Ukrainiens ne sont pas seuls au monde et nous ne les oublieront pas ! Les autres peuples victimes des guerres désormais aussi, espérons-le !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 mars 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire.
La misère du monde.
Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
Les réfugiés de Syrie et d'Irak.
François Bayrou, le parrain de Marine Le Pen.
Jean Roucas.
Éric Zemmour et l’obsession de l’immigration.
Faut-il craindre un second tour Éric Zemmour vs Marine Le Pen ?
Jean-Marie Le Pen.
Marine Le Pen et l’effet majoritaire.
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La création de Debout la Patrie.
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Peuple et populismes.
Les valeurs de la République.
Être patriote.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220309-robert-menard.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/robert-menard-l-immigration-et-l-240054

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