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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
10 avril 2022

Un flamant rose au milieu des éléphants

« C’est la génération Mauroy qui tire sa révérence. (…) Delebarre à Dunkerque aura copié et reproduit la machine électorale qu’il avait réglée pour son maître lillois, capable de compenser par sa manière pateline et paternelle. (…) Volontiers autoritaire, Delebarre ne compense pas comme Mauroy. » (Marc Prévost, le 3 avril 2014 dans le "Daily Nord").




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Le jugement de ce journaliste du Nord en forme d’éloge funèbre était sévère pour commenter l’échec surprenant de Michel Delebarre en 2014, détrôné de son siège de maire de Dunkerque qu’il occupait depuis un quart de siècle (1989). Malade depuis quelque temps, Michel Delebarre a quitté cette terre à quelques jours de ses 76 ans ce samedi 9 avril 2022 à Lille. Il aura été un symbole de ce socialisme de gouvernement qui a fait les beaux jours de la Mitterrandie des années 1980 et 1990 et qui a probablement précipité le parti socialiste trente année plus tard dans l’impasse de l’élection qui allait se dérouler le lendemain, avec même pas 2% des voix au niveau national.

Protégé de Pierre Mauroy, maire de Lille et premier Premier Ministre de François Mitterrand, Michel Delebarre fut le technocrate qui a construit le "système Mauroy" à Lille, basé sur du clientélisme politique intense. À son départ de Matignon, Pierre Mauroy, au-delà de l’avoir nommé préfet, l’a imposé dans la composition du gouvernement suivant, dirigé par Laurent Fabius. De collaborateur, il est devenu acteur de la vie politique : Michel Delebarre, ami des patrons, s’est transmuté en collectionneur de mandats pendant trente ans, ministre pendant sept ans, maire de Dunkerque pendant vingt-cinq ans, parlementaire du Nord, président du conseil régional et président de nombreuses structures annexes qui en ont fait un champion de France du cumul des mandats.

Apprécié par l’ancien Premier Ministre Raymond Barre pour sa rigueur et sa compréhension des milieux économiques, Michel Delebarre a été, pendant le second septennat de François Mitterrand, un socialiste très en vue, jeune, dynamique, l’image que voulaient laisser les vieux éléphants après l’insupportable guerre interne du congrès de Renne en 1990. On projetait sur Michel Delebarre toute sorte de destin, en particulier celui de diriger le gouvernement (cité régulièrement parmi les premiers ministrables comme Michel Charasse ou encore Louis Mermaz) et celui de diriger le parti socialiste. Son potentiel était d’être un éléphant au plus haut niveau : « On m’a vu Premier Ministre, premier secrétaire du PS, cela fait plaisir… C’est à Mitterrand et Mauroy que je le dois. ». Mais les circonstances ne sont pas allées dans ce sens : en 1993, il a été battu aux législatives et il n’a finalement été qu’un seigneur féodal de grande influence locale, politique mais aussi économique.

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Bien que les deux hommes étaient "complices", Pierre Mauroy ne l’a pas choisi comme dauphin à la mairie de Lille : « [En 1989,] la logique voulait que je devienne adjoint au maire de Lille. Mais Pierre Mauroy s’est dit que, lui maire, s’il me faisait son adjoint, les gens penseraient immédiatement à sa succession. C’était un peu tôt. ». De plus, Bernard Roman comptait prendre cette succession. Finalement, Martine Aubry a préempté l’héritage, à l’élection suivante, en juin 1995, en se faisant parachuter comme première adjointe au maire de Lille. Quand il s’est attaqué à la mairie de Dunkerque en 1989, tenue par l’inamovible maire indépendant Claude Prouvoyeur, Michel Delebarre ne pensait pas gagner. Daniel Percheron, ancien président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, disait qu’il avait « une chance sur cent de l’emporter ». Il a gagné en deux coups, la première fois avec 115 voix d’avance qui a abouti à une invalidation à cause du trop faible écart de voix, mais la nouvelle élection a confirmé le premier résultat. Le début d’une grande histoire d’amour avec la ville portuaire qui s’acheva sur un divorce, un premier adjoint qui l’a emporté sur le maire sortant en 2014 en pleine Hollandie triomphante (Michel Delabarre avait apporté son soutien à François Hollande bien avant la "chute" de Dominique Strauss-Kahn dans une chambre du Sofitel).

Longtemps collaborateur de Pierre Mauroy, en particulier secrétaire général de la mairie de Lille puis, dircab à Matignon entre 1982 et 1984, fonction qui l’a conduit à se faire condamner le 9 novembre 2005 par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire des écoutes téléphoniques contre Jean-Edern Hallier, Michel Delebarre était un dingue de travail. Une appréciation de Pierre Mauroy interrogé par Florence Muracciole dans "Le Point" le 27 janvier 2011 : « Michel Delebarre, c’est un ami. Il a été un collaborateur formidable, doté d’une force de travail incroyable. Je n’ai jamais vu un homme aussi amoureux de ses dossiers. Il n’est jamais aussi heureux que quand il en a une pile devant lui : il les caresse… ».

De 1984 à 1986, il est devenu Ministre du Travail de Laurent Fabius puis il a multiplié les ministères de 1988 à 1993 dans les gouvernements de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy. Il a été le premier Ministre de la Ville en 1990, pendant deux ans (transmettant son portefeuille à Bernard Tapie), avec le rang prestigieux de Ministre d’État. Si en 1997, il n’a pas été membre du gouvernement de Lionel Jospin, c’était probablement parce qu’il avait misé sur Henri Emmanuelli pour la désignation du candidat socialiste à l’élection présidentielle de 1995.

Marc-Philippe Daubresse (à l’époque UMP), ancien Secrétaire d’État au Logement sous Nicolas Sarkozy, aimait bien Michel Delebarre, son voisin de circonscription : « Le Delebarre national est un homme cordial, avec qui je me suis très bien en entendu quand j’étais au Logement et lui président de l’Office HLM. À côté, le Delebarre maire est autoritaire. Certes, il a réussi un bel aménagement du territoire dans son secteur, mais sa gestion est très centralisée et l’opposition peu considérée. Décentralisateur à Paris, il est centralisateur à Dunkerque. ». Ce qu’admettait dans le même hebdomadaire Michel Delebarre, qui se disait « Je suis flamand, un Flamand rose ! » : « Ici, je suis le patron et je m’assume comme tel. Je travaille avec des copains, et ce n’est pas l’armée ni la dictature. Même si je suis exigeant, ça ne nous empêche pas de bouffer ensemble. Il n’y a pas de système Delebarre, c’est une façon de vivre. ».

L’apparatchik socialiste Daniel Percheron voyait même en Michel Delebarre un futur Président du Sénat, aux élections sénatoriales de 2011 (où la gauche allait remporter la majorité sénatoriale) : « De Gérard Larcher il aurait la convivialité, de René Monory l’intelligence territoriale, et de Pierre Mauroy la dimension nationale. ». Finalement, le socialiste Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, fut élu Président du Sénat en octobre 2011 pour le temps d’un seul mandat de trois ans.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 avril 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

Portrait de Florence Muracciole dans "Le Point" du 27 janvier 2011 : "Un Flamand rose à la barre".

Michel Delebarre.
Jean-Pierre Bel.
Bernard Tapie.
Daniel Mayer.
Léon Blum.
Jacques Delors.
Bertrand Delanoë.
Manuel Valls.
Jean-Pierre Chevènement.
Jean-Luc Mélenchon.
Christiane Taubira.
François Hollande.
Anne Hidalgo.
Le technotable de Dunkerque.
Pierre Moscovici.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220409-michel-delebarre.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/un-flamant-rose-au-milieu-des-240805

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/04/09/39427470.html












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