Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
« Bien sûr, ce n’est pas la Seine,
Ce n’est pas le bois de Vincennes,
Mais c’est bien joli tout de même,
À Göttingen, à Göttingen. »
(Chanson et paroles de Barbara, 1967).
Le titre, du Molière revisité (au pluriel), qui continue ensuite par deux autres vers : « Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées ». À l’évidence, la décision de la municipalité de Göttingen, une ville universitaire de Basse-Saxe en Allemagne (112 000 habitants dont près de 30% sont étudiants et où 42 prix Nobel sont vendus enseigner) en date du 28 avril 2022 a franchi allègrement les frontières de la ville, et du pays, peut-être même du continent européen.
En effet, elle vient d’autoriser les femmes à laisser les seins nus dans les piscines municipales. Cette tolérance du topless entre en vigueur ce dimanche 1er mai 2022 jusqu’au 31 août 2022, mais seulement les week-ends. Pendant les jours de la semaine, parce que les piscines sont réservées surtout aux scolaires, les seins devront être couverts pour ne pas perturber les cours de natation, mais elles sont aussi utilisées par les nageurs professionnels dont le maillot est obligatoire dans les réglementations sportives.
Dans une France entre deux élections nationales de grande importance, dans une Europe inquiète par l’invasion russe en Ukraine et les menaces de guerre nucléaire de la Russie, ce sujet des seins nus dans les piscines publiques peut faire sourire, être dérisoire et très léger, et ce l’est, effectivement. Néanmoins, c’est aussi un sujet très sensible, paradoxalement, car il s’agit d’une règle du vivre ensemble. En été 2016, la France s’était échauffée sur un vêtement de plage, le burkini, que les femmes portaient en couvrant tout leur corps, et que certains auraient voulu interdire.
D’ailleurs, le directeur d’un centre aquatique à Göttingen expliquait qu’il fallait trouver un compromis avec des « usagers issus d’autres cultures » pour qui la nudité dérangerait. Il répondait à d’autres usagers qui avaient fustigé la décision de n’autoriser le topless que les week-ends et pas les jours de la semaine. De toute façon, il y aura toujours des mécontents.
Si c’est une première dans les piscines en Allemagne, ce pays a une approche de la nudité et de la pudeur très différente de la France. Il peut arriver qu’au Grosser Tiergarten, le plus grand parc au centre de Berlin, on puisse voir certaines personnes profiter de leur pause de midi en s’étalant au soleil de manière "intégrale" sans que cela choque. D’ailleurs, la nudité est obligatoire dans la plupart des saunas (pour des raisons d’hygiène) où la mixité est généralisée.
C’est la raison qui justifie la décision que mérite attention : cette autorisation des seins nus vient de l’égalité des femmes et des hommes, en particulier celle d’être torse nu quel que soit son sexe. La mesure a pour origine un incident en automne 2021 : un surveillant avait demandé à un baigneur de recouvrir son torse car il le considérait comme une femme, mais "il" avait refusé car il se considérait comme un homme. Dès lors que le sexe auquel on s’identifie devient différent du sexe reconnu, les différences de règles entre les deux sexes deviennent très difficiles à gérer.
La décision n’est donc pas tombée du ciel mais a fait l’objet de très vifs débats au "sein" des élus et des associations sportives de la ville. La décision paraît raisonnable dans la mesure où elle expérimente pour l’été cette possibilité et la municipalité aurait le loisir de revenir sur la décision si elle créait des problèmes insurmontables.
Mais forcément, cette décision est contestable, dans sa logique en tout cas, car on pourrait aussi imaginer le soutien-gorge ou le bikini obligatoire à tous, y compris les hommes, plutôt que le torse nu à tous (et à toutes). En tout cas, des féministes continuent de militer pour que les seins nus soient autorisés aussi les jours de la semaine, considérant qu’il n’y a pas de raison de considérer les tétons des hommes comme anodins et pas ceux des femmes placés alors comme objets sexuels.
En Suède, il s’est passé la même chose il y a six ans, avec un incident identique dans une piscine de Stockholm. Une personne transgenre a été exclue de la piscine car qu’elle se baignait torse nu alors qu’elle était considérée comme une femme. Mais la personne a saisi le médiateur chargé en Suède de la lutte contre les discriminations (un équivalent du défenseur des droits en France, ou de l’ancienne HALDE, haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), et ce médiateur a donné raison à cette personne le 16 juin 2016 en confirmant le cas de délit constitué de discrimination sexuelle. Néanmoins, le porte-parole du médiateur a précisé : « La décision vaut pour une situation particulière, elle n’édicte pas de règle générale s’appliquant à toutes les piscines. ». Une nuance peu compréhensible car la décision a fait jurisprudence, ce qui a inquiété en particulier la directrice d’une piscine de Stockholm : « Certaine femmes se baignent en maillot intégral (…). Il y a un risque de collision avec les autres cultures et religions, mais même les personnes sans attache religieuse ou culturelle peuvent être offensées par des femmes qui se baignent torse nu. ».
En Espagne, la même année, la maire de Madrid a créé la surprise en instituant la "Journée sans maillot" également nommée "Journée du maillot optionnel" le 24 juillet 2016 dans toutes les piscines municipales de Madrid, également valable pour les enfants s’ils sont accompagnés d’un adulte. Son promoteur, le président de l’association pour le développement du naturisme, a ainsi expliqué dans "El Pais" : « Le corps n’a rien de criminel, et la meilleure manière que nous ayons trouvée pour transmettre cette idée est de ne pas utiliser de vêtement quand cela n’est pas nécessaire. ». Mais cette initiative n’a rien à voir avec les seins nus autorisés ou interdits, qui, eux, relèvent de la discrimination entre les sexes et pas d’une certaine liberté de comportement en public.
Au Canada, il y a eu le même type d’incident (qu’en Suède) à Cornwall, une ville de près de 50 000 habitant dans l’Ontario, à 100 kilomètres d’Ottawa et 100 kilomètres de Montréal. Une femme a déposé plainte au tribunal des droits de la personne contre la ville pour discrimination, car la ville interdisait les seins nus dans les piscines municipales. Le conseil municipal s’est réuni le 10 juillet 2017 sur le sujet qui a suscité beaucoup de discussions. La maire a admis que la réglementation méritait d’être modifiée car une telle interdiction était effectivement une discrimination sexuelle. Un juriste d’Ottawa, spécialiste en droit civil, a confirmé : « C’est discriminatoire, parce que c’est une interdiction qui s’applique aux femmes et non aux hommes. C’est inconstitutionnel pour cette raison. ». La plainte devrait donc donner raison à la plaignante contre la ville.
En France, la situation est contrastée : s’il y a de très nombreuses plages carrément naturistes sur le littoral atlantique (et aussi méditerranéen) et même un espace naturiste au bois de Vincennes, près de Paris, depuis quelques années, la règle dans les piscines municipales est plutôt à l’interdiction des seins nus. En fait, les situations restent toujours compliquées.
Ainsi, un incident dans une piscine municipale de Toulouse a créé la polémique comme l’a rapporté "La Dépêche" du 5 juillet 2018 : une jeune femme de 35 ans au torse nu, installée au bord de l’eau, s’est fait réprimander par un surveillant qui lui a signifié qu’elle pouvait être seins nus allongée mais pas debout ! En fait, c’est un peu plus subtil que cela : l’article 11 du règlement intérieur des piscines municipales à Toulouse indique que « l’accès au bassin se fait uniquement en tenue correcte de bain (string et seins nus interdits) » et que « tout baigneur doit porter un vêtement de bain spécifique à la pratique d’une activité aquatique et de natation », pour les femmes « un maillot de bain une ou deux pièces traditionnels ». Donc, on peut être seins nus même debout tant qu’on n’entre pas dans le bassin pour s’y baigner. L’adjointe au maire chargée des sports en a profité pour rappeler cette règle aux surveillants : « Il relève de la liberté de chaque femme de bronzer et de s’exposer comme elles le souhaitent. (…) Mais pour se baigner, il faut se couvrir ».
Mais la jeune femme impliquée rejetait aussi cette partie du règlement : « Au nom de quoi peut-on interdire aux femmes d’être seins nus dans l’eau alors que les hommes, eux, y sont autorisés ? Sous prétexte que leur poitrine pourrait susciter le désir et qu’il est incorrect de la montrer ? Le corps de la femme ne lui appartient donc pas ? Elle en est dépossédée, réduite au statut d’objet. ».
L’IFOP a réalisé un sondage publié le 10 août 2017 pour mesurer la baisse du nombre de femmes seins nus : en 1987, 43% des femmes déclaraient qu’elles bronzaient topless et elles n’étaient plus que 22% en 2017, en raison d’une plus grande pudeur, d’un complexe sur son propre corps, et aussi d’une meilleure prévention contre le cancer. Et probablement (car on n’ose pas trop le dire), l’islamisme a pris plus d’influence chez de nombreuses femmes.
Cela dit, cette liberté de pouvoir délaisser le haut dans les lieux de baignades, à mon sens justifiée au-delà de l’acte revendicatif et d’une meilleure esthétique (les traces du maillot au bronzage), ne devrait pas s’alourdir de considérations purement féministes sur l’égalité entre l’homme et la femme, car cette logique poussée à son paroxysme pourrait rendre la vie quotidienne des citoyens complètement folle, ne serait-ce que dans l’occupation des toilettes publiques.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (29 avril 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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Alexandra Richard, coupable ou victime ?
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La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
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Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220428-piscine-topless.html
https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/couvrez-ces-seins-que-je-ne-241257
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/04/29/39455738.html