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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
11 mai 2022

De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré (1)

« Dans un monde comme le nôtre où tout se ramène à la menace d’un conflit mondial, l’idée d’une Europe unie et qui aurait assez de force, assez de moyens et assez de cohésion pour exister par elle-même, cette idée-là apparaît tout naturellement. Et elle apparaît d’autant mieux que les inimitiés qui l’avaient séculairement déchirée, et en particulier l’opposition entre l’Allemagne et la France, ont actuellement cessé. Alors, du coup, voilà, mis en lumière, d’abord le caractère qu’on peut appeler complémentaire au point de vue géographique, stratégique, économique, culturel, etc. (…), et puis, en même temps, la capacité globale qu’ils [les caractères communs] représentent en fait de puissance, en fait de production, de création, d’échanges, etc., par rapport à l’activité générale de l’univers. » (Charles De Gaulle, conférence de presse du 15 mai 1962). Première partie.



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Il y a soixante ans, le 15 mai 1962, le Général De Gaulle a tenu une conférence de presse très importante qui a exprimé sa doctrine en matière de relations internationales. Elle est très connue car son vocabulaire, son ironie ont fait le tour du monde.

Revenons au contexte de cette conférence presse. Le 8 avril 1962, les Français ont ratifié à une ultralarge majorité les Accords d’Évian lors du référendum organisé par De Gaulle. Même si hélas, les massacres n’ont pas été interrompus immédiatement, ce référendum a tourné toutefois la première page du septennat de De Gaulle, arrivé au pouvoir à cause de l’Algérie, affaire considérée désormais comme "classée".

Une nouvelle période s’est ainsi ouverte à De Gaulle, celle de pouvoir enfin exprimer toutes ses idées politiques, et en particulier à l’échelle internationale. Le 14 avril 1962, le Premier Ministre Michel Debré, loyal jusqu’au bout, a été remercié et est remplacé par Georges Pompidou, ancien collaborateur de De Gaulle, un normalien "qui sait écrire", et à l’époque membre du Conseil Constitutionnel. Inconnu du grand public, Georges Pompidou allait vite faire de se bâtir lui-même une destinée politique au point que dès l’automne 1965, il a fait partie des hypothèses pour succéder à De Gaulle à la première élection présidentielle au suffrage universel direct en décembre 1965.

La politique étrangère de De Gaulle s’articulait alors autour de trois axes : la rupture des liens coloniaux, la mise en place d’une force militaire indépendante (sous-entendue, indépendante des Américains), et la construction de l’Europe. Il se trouvait que la France avait proposé le plan Fouchet qui avait été un échec diplomatique important. Effectivement, la Belgique et les Pays-Bas avaient rejeté ce plan car la Grande-Bretagne en était exclue (De Gaulle n’a jamais transigé sur ce point, ses motivations devraient être mieux analysées), et surtout parce qu’il rejetait toute supranationalité (le fédéralisme européen, défendu notamment par le Benelux).

Pour De Gaulle, une Europe supranationale serait impuissante et supervisée par les États-Unis, tandis que lui proposait une Europe des nations, fondée sur la coopération entre des États souverains dans les domaines de la politique, de la défense, de l’économie et de la culture. L’objectif gaullien était ainsi résumé : « Contribuer à construire l’Europe dans le domaine de la politique, c’est-à-dire de la défense comme dans celui de l’économie, de telle sorte que l’expansion et l’action de cet ensemble aident à la prospérité et à la sécurité française, et en même temps, fasse renaître les possibilités d’un équilibre européen vis-à-vis des pays de l’Est. ». Le "en même temps" présidentiel existait déjà ! À l’époque, l’URSS avait mis la pression sur l’Allemagne fédérale et sur Berlin.

De Gaulle a fait remonter sa politique de construction européenne du temps de la guerre : « Déjà pendant la guerre mondiale (…), je proclamais que cette évolution était un des buts essentiels de la France. ». Et de présenter une action concrète, la création de la Communauté Économique Européenne (CEE) par le Traité de Rome, en insistant bien que si elle existait, c’était grâce au plan de redressement économique et financier qu’il a mis en œuvre en 1958-1959, aussi grâce à l’acceptation d’une revendication française d’intégrer l’agriculture dans le domaine communautaire.

La proposition française, à ce stade, a été de créer deux institutions. D’une part, ce qui allait devenir le Conseil Européen : « Réunissons périodiquement nos chefs d’État ou de gouvernement pour qu’ils examinent en commun les problèmes qui sont les nôtres et pour qu’ils prennent, à leur égard, des décisions qui seront celles de l’Europe. ». D’autre part, ce qui allait devenir le Parlement Européen : « Nous avons une assemblée parlementaire européenne qui est composée des délégations de nos six parlements nationaux, mettons, et qui siège à Strasbourg, mettons cette assemblée à même de discuter des questions politiques communes, comme elle discute déjà des questions économiques. ». Ces deux points, exprimés en mai 1962, ont été les deux avancées européennes majeures sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing une quinzaine d’années plus tard. Dans cette idée, De Gaulle voulait mettre cette expérimentation pendant trois ans : « Tout au moins, nous aurons commencé à prendre l’habitude de vivre et d’agir ensemble. Voilà ce que la France a proposé. ».

La proposition française était pragmatique, concrète, basée sur l’efficacité et le "vivre ensemble". Christian Fouchet (ancien et futur ministre) était le président de la commission intergouvernementale chargée de faire des propositions pour renforcer l’Europe des Six. Une première version du plan Fouchet a été exposée le 2 novembre 1961, puis une seconde version le 18 janvier 1962 sous le titre "Traité établissant une Union d’États". On y trouvait des bases de l’Union Européenne avec quatre institutions : le Conseil, les Comités des ministres, la Commission politique et l’Assemblée Parlementaire Européenne.

Dans les arguments des opposants plan Fouchet (la proposition française), De Gaulle pointait d’ailleurs une contradiction : d’une part, les opposants voulaient la supranationalité, d’autre part, ils voulaient intégrer la Grande-Bretagne : « Tout le monde sait que l’Angleterre, en tant que grand État, et que nation fidèle à elle-même, ne consentirait jamais à se dissoudre dans quelque utopique construction. ».

Puis, et c’est le passage le plus intéressant et le plus connu de sa conférence de presse, De Gaulle a poursuivi plus généralement : « Vous allez être étonnés, mais je n’ai jamais, quant à moi, dans aucune de mes déclarations, parlé de l’Europe des patries, bien qu’on prétende toujours que je l’ai fait. Ce n’est pas, bien sûr, que je renie, moi, la mienne, bien au contraire. Je lui suis attaché plus que jamais. Et d’ailleurs, je ne crois pas que l’Europe puisse avoir aucune réalité vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l’Allemagne avec ses Allemands, l’Italie avec ses Italiens, etc. ».

Puis est venue la démonstration par l’exemple : « Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment italien, allemand et français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et qu’ils avaient pensé, écrit en quelque esperanto ou volapük intégré. ».

Je voudrais m’attarder sur l’argument de De Gaulle avec Dante et Goethe car justement, à mon sens, ils étaient des contre-arguments. À l’époque de Dante, il n’y avait pas de nation italienne, et Dante a été justement le premier auteur du sentiment national italien, au même titre qu’à l’époque de Goethe, il n’y avait pas d’Allemagne et qu’il a été le premier auteur du sentiment national allemand. Ces deux nations, italienne et allemande, n’existaient pas, et elles se sont formées progressivement, culturellement bien sûr mais aussi politiquement (l’unité allemande et l’unité italienne datent de la seconde moitié du XIXe siècle).

L’exemple pris par De Gaulle de Dante et Goethe pourrait donc, au contraire, laissait entendre que progressivement émergeraient un ou plusieurs auteurs typiquement européens et pas seulement d’un pays européen spécifique. Après tout, c’était le cas aussi lors de la centralisation de la France et de l’uniformité de la langue française (qui est finalement assez récente). Les auteurs bretons, basques, corses, lorrains, etc. sont d’abord des auteurs français, désormais. Certes, il n’existe pas de langue européenne en tant que telle, mais si on prend la musique, qui est d’un langage plus universel, il y a peut-être des musiciens français, des musiciens allemands, mais Beethoven est typiquement un musicien européen, et il n’est pas le seul, Mozart aussi, etc.

Après cet exemple incertain, De Gaulle a évoqué aussi un sujet toujours d’actualité soixante ans plus tard, la majorité qualifiée, que je présente dans le prochain article.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 mai 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
De Gaulle chef de parti.
La création du RPF.
Philippe De Gaulle, entre père et mer.
L'autre De Gaulle.
Philippe De Gaulle.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Daniel Cordier.
Le songe de l’histoire.
Vive la Cinquième République !
De Gaulle et son discours de Bayeux.
Napoléon, De Gaulle et Macron.
Pourquoi De Gaulle a-t-il ménagé François Mitterrand ?
Deux ou trois choses encore sur De Gaulle.
La France, 50 ans après De Gaulle : 5 idées fausses.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220515-de-gaulle.html

https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/de-gaulle-l-europe-et-le-volapuk-241509

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/05/01/39459022.html










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