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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
20 mai 2022

Élysée 2022 (53) : la composition sans beaucoup de surprises du premier gouvernement d’Élisabeth Borne

« Ce choix souverain m’oblige car c’est bien le peuple français, celui qui désigne ses représentants et en particulier le Président de la République, qui m’investit de ce mandat en ce jour. Oui, le peuple français n’a pas prolongé le mandat qui s’achève, commencé le 14 mai 2017. Ce peuple nouveau, différent d’il y a cinq ans, a confié à un Président nouveau un mandat nouveau. Le temps qui s’ouvre sera celui d’une action résolue pour la France et pour l’Europe. » (Emmanuel Macron, le 7 mai 2022 au Palais de l’Élysée).



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À force d’attendre, on aurait pu oublier que la France n’avait plus de gouvernement depuis le 16 mai 2022. Le Président Emmanuel Macron a sans doute battu le record de durée de réflexion pour nommer un nouveau gouvernement. Il a été réélu le 24 avril 2022 à 20 heures, le nouveau gouvernement a été nommé ce vendredi 20 mai 2022 à 16 heures 30, près d’un mois plus tard. Pourtant, quand on est candidat à l’élection présidentielle, a fortiori quand on en est le favori, on doit avoir une petite idée de son futur gouvernement.

Peut-être aussi qu’il y a une part de calculs : plus tard est nommé le nouveau gouvernement, plus courte est la campagne des élections législatives des 12 et 19 juin 2022. Mais après tout, le nouveau quinquennat a démarré seulement ce 14 mai 2022, il y a moins d’une semaine.

Le premier exercice a d’abord été de trouver un nouveau Premier Ministre : l’éviction de Jean Castex était une nécessité pour promettre un nouvel élan plus social, et aussi pour enfin nommer à nouveau une femme à Matignon. La recherche a été laborieuse, parce qu’Emmanuel Macron aurait voulu faire au PS ce qu’il avait fait à LR en 2017 avec Édouard Philippe en débauchant une pointure mais encore sans existence politique propre. Il aurait pu choisir à droite Nathalie Kosciusko-Morizet, à gauche Marisol Touraine (très chaleureusement saluée lors de la seconde investiture présidentielle à l’Élysée), et le choix porté sur Valérie Rabault (qui a refusé) donnait une idée du profil (solide, pas connue, de gauche, et bien sûr, une femme).

Faute d’avoir abouti, Emmanuel Macron s’est replié sur une valeur sûre, excellente technicienne, capable d’autorité et de décision, expérimentée au gouvernement (cinq ans déjà) et connaissant bien le milieu politique, Élisabeth Borne. Il lui manquait de sourire, d’être affable (ce que Jean Castex sait être), mais elle semble apprendre vite et son premier déplacement aux Mureaux le 19 mai 2022, sur la place des femmes dans la société, montre à l’évidence qu’elle pourra surprendre les Français à Matignon, et c’est tant mieux.

La nomination d’Élisabeth Borne à Matignon peut d’ailleurs être perçue comme la réussite d’une ancienne candidate à l’élection présidentielle, à savoir Ségolène Royal qui l’avait choisie comme directrice de cabinet lorsqu’elle était Ministre de l’Écologie. Matignon dont aurait eu fort envie Ségolène Royal pour elle-même. L’amertume l’emportera certainement sur la fierté. C’était la dernière occasion pour elle d’être encore ministre, cela fait depuis 2016 qu’elle reluquait le Quai d’Orsay et visiblement, elle attendra encore.

Le choix d’attendre le 20 mai 2022 pour rendre publique la composition du gouvernement qui, a priori, démissionnera à l’issue des élections législatives dans un mois (c’est cher payé un mois de réflexion pour un mois d’existence !), est en tout cas très habile politiquement, que ce soit par hasard ou calculé, car à 18 heures ce vendredi 20 mai 2022, c’est la fermeture des dépôts de candidature pour les élections législatives.

Ainsi, certains candidats (en particulier de LR) se demandaient quelle étiquette revendiquer pour se présenter, selon qu’ils seront retenus ou pas dans le nouveau gouvernement. L’exemple se porte ainsi sur Damien Abad, influent président du groupe LR à l’Assemblée Nationale, qui, après une demande pressante et publique de Christian Jacob, le président de LR, a démissionné de son poste et s’est mis en congé de LR le 19 mai 2022. Son absence du gouvernement aurait donc été assez incompréhensible.

Il faut reconnaître que le choix des ministres est beaucoup plus compliqué que dans les temps moyennement anciens. Ainsi, au-delà de l’étiquette politique (toutes les composantes de la majorité doivent être servies), au-delà des compétences, au-delà des origines géographiques (la France des territoires doit être complètement représentée, y compris en Outre-mer), il faut bien sûr assurer la parité homme-femme (devenue une absolue nécessité) et aussi, il faut vérifier que la fonction de ministre soit compatible avec le CV de la personne pressentie, en particulier en relation avec la déontologie, les conflits d’intérêts, et pire encore, les éventuelles casseroles (affaires judiciaires sorties ou qui vont sortir).

C’est cette dernière phase qui est très difficile et longue, et si elle est bâclée, il est possible de devoir renvoyer un ministre au bout de quelques jours ou semaines (cela s’était déjà passé sous François Hollande avec un rétif aux contraintes administratives qui ne payait pas ses impôts, il me semble). Et tout cela sans compter avec les imprévus de dernières minutes, un pressenti qui finalement renonce et qui provoque une chaîne de complication en déséquilibrant tout l’édifice. Ceux qui ont déjà eu à faire le plan de table à un mariage peuvent avoir une idée de l’exercice !

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Dans l’ensemble, cette composition (qu’on peut lire ici) est du "changement dans la continuité". Il y a 28 membres, dont 17 ministres, 6 ministres délégués et 4 secrétaires d’État. Le premier conseil des ministres se réunira le lundi 23 mai 2022 à 10 heures. Cette semaine qui va se terminer n’aura donc pas eu de conseil ministre, ce qui est très rare hors des périodes de vacances.

Parmi les départs, il y a Jean-Yves Le Drian, Barbara Pompili, Jean-Michel Blanquer, Florence Parly, Roselyne Bachelot, Annick Girardin, Frédérique Vidal, Julien Denormandie, Emmanuelle Wargon, Jean-Baptiste Djebbari, Roxana Marcineanu, Geneviève Darrieussecq, Marlène Schiappa, Brigitte Klinkert, Sophie Cluzel, Jean-Baptiste Lemoyne, Bérangère Abba, Sarah El Haïry, Cédric O, Laurent Pietraszewski et Adrien Taquet. Certains sont volontaires (Jean-Yves Le Drian, Julien Denormandie), d’autres "moins volontaires". Et certains départs envisagés n’ont finalement pas eu lieu, comme Éric Dupond-Moretti qui a réussi à se maintenir et même à monter dans l’ordre protocolaire (son maintien est d’ailleurs une petite surprise). Notons au passage que Jean-Yves Le Drian est resté dix ans sans discontinuité au gouvernement à deux postes régaliens, Défense puis Affaires étrangères. En ce sens, il a surpassé Michèle Alliot-Marie.

Parmi les autres "maintenus", le plus puissant est Bruno Le Maire, devenu numéro deux du gouvernement, au Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Michel Houellebecq avait donc raison dans son dernier roman (le ministre y durait deux quinquennats). De même, c’était attendu, Gérald Darmanin reste à l’Intérieur avec la place de numéro trois du gouvernement. Clément Beaune est promu Ministre délégué chargé des Affaires étrangères. Franck Riester ne change pas au Commerce extérieur et à l’Attractivité.

Plusieurs ministres sortants restent au gouvernement avec des portefeuilles différents. Les grands promus sont : Amélie de Montchalin à la Transition écologique et à la Cohésion des territoires, Sébastien Lecornu qui accède à 35 ans au Ministère des Armées, Brigitte Bourguignon à la Santé et à la Prévention, Olivier Dussopt, issu du parti socialiste (il a été élu député PS et pas LREM en juin 2017), au crucial Ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, Marc Fesneau (MoDem) à l’Agriculture et à la Souveraineté alimentaire, et Agnès Pannier-Runacher à la Transition énergétique.

De plus, Gabriel Attal est nommé Ministre délégué aux Comptes publics (c’est-à-dire le Budget), un poste essentiel, ce qui, à 33 ans, est gage de grand avenir politique. Il est remplacé comme porte-parole du gouvernement, avec le titre de secrétaire d’État, par Olivia Grégoire au franc-parler réputé, beaucoup moins lisse que Gabriel Attal.

Le plus étonnant est le cas du Ministre sortant de la Santé et des Solidarités Olivier Véran qui n’avait pourtant pas démérité à tenir à bout de bras la gestion de la crise sanitaire pendant plus de deux ans et qui se retrouve rétrogradé au rang de Ministre délégué, chargé des Relations avec le Parlement et de la Vie citoyenne, un poste beaucoup plus politique qui pourrait lui ouvrir ensuite d’autres perspectives (l’Intérieur ou la Justice, par exemple).

Dans les arrivées, presque aucun ancien ministre (à l’exception de Catherine Colonna) ne redevient ministre, c’est à noter car beaucoup "d’ex" pouvaient espérer des retours en grâce (comme ce fut le cas de Roselyne Bachelot en 2020), mais Emmanuel Macron a préféré un plus profond renouvellement de l’équipe gouvernementale. Exit donc les supputations sur Manuel Valls, sur Éric Woerth ou sur Jean-Pierre Raffarin, pour ne prendre que ces exemples.

Voici les principales entrées, selon l’ordre protocolaire. La nomination de Catherine Colonna à l’Europe et aux Affaires étrangères, qui est actuellement ambassadrice à Londres et qui était ancienne ministre de Jacques Chirac (une très fidèle de ce dernier, ancienne collaboratrice), va sans doute rassurer les diplomates qui étaient en opposition avec le gouvernement dans la réforme administrative au sein de leur ministère. La plus grosse surprise semble être l’historien Pap Ndiaye au Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Normalien, agrégé d’histoire, docteur et professeur à l’IEP Paris, il est également le directeur général du Musée de l’Histoire de l’immigration. J’aurai certainement plusieurs occasions de revenir sur la trajectoire et les idées de Pap Ndiaye dont les travaux sur l’histoire sociale des États-Unis et des minorités sont remarquables.

En revanche, la venue de Damien Abad était attendue, il reçoit le portefeuille des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. Le secrétaire général de LREM, Stanislas Guérini fait son entrée au gouvernement par la grande porte comme Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, tout comme Rima Abdul Malak, conseillère culture à l’Élysée, au Ministère de la Culture. Yaël Braun-Pivet, actuelle présidente de la commission des Lois à l’Assemblée Nationale, fait partie aussi de l’équipe gouvernementale, comme attendue, et son portefeuille est les Outre-mer. Le maire d’Angers, ancien sénateur LR, Christophe Béchu, actuel secrétaire général de Horizons et proche de l’ancien Premier Ministre Édouard Philippe, considéré depuis longtemps au sein de LR comme jeune espoir, fait également son entré au gouvernement comme Ministre délégué chargé des Collectivités territoriales.

Malgré la promotion de quelques ministres issus de gauche, comme Olivier Dussopt, la part des ministres issus de la droite est très importante en contrôlant des ministères clefs : les Finances, l’Intérieur, les Affaires étrangères, les Armées, etc. Malgré quelques nominations d’anciens hauts fonctionnaires ou personnalités dites de la "société civile" (je n’aime pas ce terme), ce gouvernement a l’air beaucoup plus politique que le premier gouvernement du premier quinquennat, malgré l’absence de grands poids lourds (Gérard Collomb, François Bayrou, etc.). On peut en effet citer : Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Olivier Dussopt, Damien Abad, Marc Fesneau, Stanislas Guérini, Olivier Véran, Gabriel Attal, Christophe Béchu, Franck Riester et Olivia Grégroire, entre autres, sont des personnalités très politisées qui sont déjà bien introduites dans le monde médiatique et politique.

En conclusion, la composition du nouveau gouvernement Borne I n’est pas un exemple exceptionnel d’innovation en politique, elle montre un renouvellement plutôt classique des ministères (à noter que Jean-Michel Blanquer, en restant cinq ans, a probablement battu un record de longévité au Ministère de l’Éducation nationale, du moins depuis 1958 mais sauf erreur de ma part, je pense que c’est le cas aussi toutes républiques confondues). On y comprend dans les intentions une prise en compte du social, de l’insertion, de l’autonomie. La vraie surprise, comme indiquée plus haut, est Pap Ndiaye à l’Éducation nationale, je pense que cela préfigure des changements importants dans la manière de voir l’école de demain, mais je suis pour l’instant incapable d’en donner le sens à moyen et long termes.

La vraie question est celle-ci : ce gouvernement sera-t-il un gouvernement de combat pour mener la majorité présidentielle à la victoire aux élections législatives ? Car il ne faut pas se tromper, ce sera son principal boulot. Un autre gouvernement sera nommé à l’issue des législatives…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 mai 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Élysée 2022 (53) : la composition sans beaucoup de surprises du premier gouvernement d’Élisabeth Borne.
Composition du gouvernement Élisabeth Borne I du 20 mai 2022 (liste officielle).
Élysée 2022 (52) : Élisabeth Borne succède à Jean Castex à Matignon.
Élisabeth Borne.
L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
Discours du Président Emmanuel Macron le 9 mai 2022 au Parlement Européen à Strasbourg (vidéo et texte intégral).
Élysée 2022 (51) : le serment d’Emmanuel Macron.

Discours du Président Emmanuel Macron le 7 mai 2022 au Palais de l’Élysée à Paris (vidéo et texte intégral).
Élysée 2022 (50) : Macron II succède à Macron I.
Élysée 2022 (49) : vers une quatrième cohabitation ?
Élysée 2022 (48) : qui sera le prochain Premier Ministre d’Emmanuel Macron ?
Élysée 2022 (47) : la victoire historique d’Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron réélu Président de la République le 24 avril 2022.
Discours du Président Macron le 24 avril 2022 au Champ-de-Mars à Paris (texte intégral et vidéo).
Interview d’Emmanuel Macron le 22 avril 2022 sur France Inter.
Résultats du second tour de l’élection présidentielle du 24 avril 2022 (Ministère de l’Intérieur).

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220520-gouvernement-borne-i.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/elysee-2022-53-la-composition-sans-241702

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/05/20/39484991.html








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