Dmitri Vrubel et son hommage à Berlin libre
« Mein Gott, hilf mir, diese tödliche Liebe zu überleben. »
En russe : « Господи! Помоги мне выжить среди этой смертной любви ». En français, cela signifie : « Mon Dieu, aide-moi à survivre à cet amour mortel ». C'est le nom de l'œuvre très connue de l'artiste russe Dmitri Vladimirovich Vrubel. Ce dernier était dans le coma depuis plusieurs jours, en raison de complications cardiaques engendrées par le covid-19 (oui hélas, on meurt encore du covid-19). Les médecins ayant perdu tout espoir de réanimation, la famille a accepté de débrancher les appareils qui le maintenaient en vie. Il est mort le 14 août 2022 à Berlin, à l'âge de 62 ans (il est né le 14 juillet 1960 à Moscou).
La peinture du baiser mortel, c'est probablement l'œuvre la plus connue de la centaine d'œuvres qui ont été peintes sur le mur de Berlin, sur le tronçon de 1 300 mètres de l'East Side Gallery, le bout du mur de Berlin qui est encore resté debout pour des raisons artistiques et historiques. Près de la Ostbahnof, dans le quartier de la Friedrichshain.
La photographie d'origine qui a servi de modèle à Dmitri Vrubel a été prise par le journaliste français Régis Bossu pour l'agence Sygma le 5 octobre 1979 à Berlin, à l'occasion du trentième anniversaire de la création de la République Démocratique d'Allemagne (RDA), la partie sous administration russe du territoire allemand à la fin de la guerre. Elle représente Leonid Brejnev, le "chef" de l'URSS, le grand-frère, embrassant, à la manière des personnalités des États socialistes (le "baiser à la russe"), son homologue est-allemand Erich Honecker. Cette photographie a fait la double page de "Paris Match".
Lorsqu'il a découvert cette photographie en 1979, Dmitri Vrubel s'était promis de la reproduire en géant sur un mur. Comme une idée fixe. Il a réalisé ce projet en 1991, juste après la chute du mur de Berlin et la Réunification.
Régis Bossu a raconté plus tard, le 17 novembre 2009 : « C'était la première fois que deux leaders politiques du bloc de l'Est étaient si intimement et clairement exposés au reste du monde de façon grotesque. (...) [L'œuvre de Vrubel], avec son slogan connu, prenait le relais de ma photo avec ses détails encore plus évidents d'un amour forcé. Au hasard de mes reportages sur la rapide métamorphose de la nouvelle capitale, je découvris la peinture, vérifiai que c'était bien ma photo qui avait servi de modèle, et en fus quelque peu satisfait. Pendant vingt ans, je pouvais constater que le succès de la fresque ne faisait que grandir en célébrité, mais très peu de gens en connaissaient l'original provenant d'une photo de presse. » ("Boulevard Extérieur").
En juin 2009, Dmitri Vrubel a pu reproduire de nouveau le Baiser, car les travaux de rénovation de cette partie du mur avaient détruit la peinture originale. Régis Bossu lui a même remis la photographie originale à cette occasion, n'ayant rien à prouver avec ce cliché qui avait déjà fait le tour du monde. Il avait été le seul à prendre une telle photographie ; étant trop éloigné de deux personnalités, il avait dû zoomer pour éviter de mettre ses confrères sur le cliché et il a appuyé au moment fatidique du baiser. D'autres artistes furent également invités à restaurer leurs propres œuvres sur le mur vingt ans après la chute.
Dmitri Vrubel a aussi peint une autre figure importante de l'URSS, le physicien et dissident Andreï Sakharov, Prix Nobel de la Paix en 1975, avec cette inscription « Danke Andrej Sakharow » [Merci Andreï Sakharov]. De nationalité soviétique, puis russe, puis allemande, Dmitri Vrubel était d'abord un artiste engagé, pratiquant le street art. Il peignait souvent par provocation politique. Souvent incompris, son objectif était de rapprocher l'art des gens.
Dmitri Vrubel a commencé à l'âge de 15 ans et a ouvert une galerie d'art quelques années plus tard. Il a réalisé son fameux Baiser peu de temps après de la Réunification de l'Allemagne, année où il s'est installé à Berlin. Il a beaucoup travaillé avec sa femme Viktoria Timofeieva. Ils ont en particulier réalisé un calendrier grand format en 2001 représentant des images différentes de Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie depuis un an, avec le titre "les douze humeurs de Poutine". Ce calendrier a eu un grand succès auprès des Moscovites. Cet été, Berlin pleure son peintre.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 août 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Dmitri Vrubel.
Le mur de Berlin.
La chute du mur de Berlin.
La Réunification allemande.
Berlin 1989 : le 9/11 avant le 11/9.
La fresque qui fait polémique.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220814-dmitri-vrubel.html
https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/dmitri-vrubel-et-son-hommage-a-243307
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