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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
27 septembre 2022

Majorité absolue confortable pour Giorgia Meloni en Italie

« Et je t’apprendrai à jouer à des guerres très compliquées, où la vérité ne se trouve jamais d’un seul côté, où l’on doit signer à l’occasion, des armistices. Tu te défouleras, dans tes jeunes années ; tes idées s’embrouilleront un peu, mais des convictions naîtront lentement en toi. Puis, une fois adulte, tu croiras que tout cela n’aura été qu’un conte (…). Mais si d’aventure, quand tu seras grand, il y a encore les monstrueuses figures de tes rêves d’enfant (…), peut-être que tu auras acquis une conscience critique à l’égard des fables, et que tu apprendras à te mouvoir de façon critique dans le monde réel. » (Umberto Eco, 1988).



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Contrairement aux précédentes élections générales italiennes du 4 mars 2018, celles qui se sont déroulées ce dimanche 25 septembre 2022 ont semblé être d'une clarté étonnante : vas-y Meloni ! En gros, c'est ce qu'ont dit les électeurs italiens, un peu plus d'un quart de l'électorat italien, et quand on connaît la structure très dispersée de la vie politique, réunir plus d'un quart des électeurs relève d'un exploit (on pourrait quasiment en dire autant pour la France).

Bien sûr, tous les résultats de dimanche n'ont pas été prédits par les sondages, mais la grande tendance, si, à savoir, l'irrésistible ascension de Giorgia Meloni. Pas étonnant d'ailleurs d'être devenue une "alternative" puisque son parti était le seul à s'être maintenu dans l'opposition lors de la constitution du gouvernement technique de Mario Draghi. Il y a une forme de cohérence électorale au dégagisme italien, ce qui a justifié d'ailleurs a posteriori le renversement de ce gouvernement en juillet 2022 après le retrait du soutien d'abord du Mouvement 5 étoiles puis de Forza Italia et de la Ligue, ces partis ayant pressenti que rester dans la majorité leur serait défavorable électoralement (trop tard pour eux).

Ceux qui, en Italie (et beaucoup en Europe, mais les électeurs italiens se déterminent-ils par les commentaires de leurs amis européens ?) avaient crié "au loup" en sont pour leurs frais. La moralisation excessive de la campagne, en particulier venant du Parti démocrate, contre une représentante de l'extrême droite a été d'autant plus inefficace que Giorgia Meloni s'est évertuée à sortir de cette prison étiquette de l'extrême droite.


Certes, à 15 ans, elle considérait que Benito Mussolini était un bon politicien et ses déclarations lui suivront jusqu'à la tombe. Mais elle a changé, elle a montré qu'elle a changé et il faut bien dire ce qui est : personne en Italie n'a peur de cette femme de 45 ans, très volontaire, indépendante (elle a un enfant sans être mariée, c'est à noter quand même pour une conservatrice), et elle n'a cessé de proclamer sa foi en l'Europe, certes, une Europe peut-être moins intégrée que ses partenaires le voudraient, mais exit l'Italexit, exit la sortie de l'euro, sans oublier qu'elle est déterminée à rester pleinement dans l'OTAN et à assumer les sanctions contre la Russie consécutives à la guerre en Ukraine (ce sera un sujet de forte tension avec son futur partenaire Matteo Salvini).

En France, on a connu le même genre de chose : crier ouh l'extrême droite n'a jamais empêché le vote extrémiste car ça n'a jamais expliqué ni compris ce vote. Au contraire, au lieu de rester dans le registre de la morale, une campagne électorale, c'est faire de la politique, présenter des propositions et s'opposer à d'autres, et argumenter, expliquer, rappeler, exposer, et il y a de quoi faire en Italie qui a presque 150% de PIB de dette (soit le pire endettement de l'Europe après la Grèce), avec une inflation galopante. Du reste, on comprend la position édulcorée de Giorgia Meloni sur l'Europe, elle a bien compris que l'Italie a besoin de ces près de 200 milliards d'euros d'aide européenne pour relancer son économie après la crise du covid.

Mais revenons à des comparaisons qui n'ont pas lieu d'être avec la vie politique française. J'expliquais avant le scrutin que Marine Le Pen doit observer avec beaucoup d'attention la destinée de Giorgia Meloni qui est partie de beaucoup plus loin qu'elle (franchement fasciste chez les jeunes du MSI) et qui, en une dizaine d'années, a réussi à probablement atteindre le pouvoir. Mais il ne faut pas se tromper de comparaisons. S'il y avait un parti proche du FN en Italie, ce ne serait pas Frères d'Italie mais plutôt la Ligue de Matteo Salvini, et pour lui, c'est la dégringolade.

Il faut aussi rappeler que la coalition de droite qui est basée principalement sur l'union de Forza Italia (ancien grand parti de gouvernement de Silvio Berlusconi), la Ligue et Frère d'Italie (plus un mini parti centriste), a déjà gouverné l'Italie, ce n'est donc pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est la répartition des rapports de force à l'intérieur de cette coalition. D'ailleurs, Giorgia Meloni a déjà été membre du gouvernement italien, elle était ministre dans la quatrième gouvernement Berlusconi il y a déjà plus de dix ans. Elle n'est pas une inconnue et j'aurais presque tendance à dire qu'elle arrivera à la Présidence du Conseil avec plus d'expérience gouvernementale que François Hollande quand il est arrivé à l'Élysée en 2012 ! On est très loin d'une Marine Le Pen qui n'a jamais gouverné, qui n'a jamais été aux responsabilités.

J'ai voulu attendre les résultats complets pour évoquer ce scrutin. Rappelons que le mode de scrutin a changé par rapport aux dernières élections. Je ne l'expliquerai pas car il est encore plus compliqué qu'en Allemagne. Ce qu'il faut retenir, c'est que la Chambre des députés et le Sénat sont désignés exactement de la même manière, avec une part de scrutin de circonscription (un tiers des sièges) et une part de scrutin proportionnel (deux tiers des sièges), la seule différence est que le Sénat compte deux fois moins de sièges que la Chambre des députés (200 et 400), très en dessous du nombre de sièges précédemment (en tout, 345 sièges de parlementaires de moins, attention quand je donnerai la perte des sièges, c'est normal à audience constante).

Ce qui signifie qu'il y a quatre résultats : l'audience électorale d'un parti à la proportionnelle, celle au scrutin majoritaire, et cela pour les deux chambres. Arbitrairement, je vais utiliser les pourcentages pour la proportionnelle de la Chambre des députés, probablement les plus significatifs. Il y a peu de différence avec la proportionnelle au Sénat.

Le parti de Giorgia Meloni a atteint 26,0% des voix pour une participation d'environ 63,9% (soit une baisse de participation de 9 points par rapport à 2018). Ce score de Frères d'Italie est historique et la progression est exceptionnelle (il a septuplé !), puisqu'en 2018, il ne représentait que 4,4%. Incontestablement, FdI domine la coalition de droite car ses deux principaux partenaires font des performances très médiocres : Forza Italia, mené par un vieillard (86 ans !) n'a eu que 8,1% (au lieu de 14,0% en 2018), mais l'effondrement le plus spectaculaire est celui de la Ligue de Matteo Salvini dont le leadership est désormais contesté, dépassant à peine Forza Italia avec 8,8%, la moitié de 2018 (17,4%).

En tout, la coalition de droite a obtenu 43,8% des voix, ce bloc serait puissant s'il parvenait à rester politiquement soudé pendant toute la législature. La coalition de droite a conquis 237 sièges sur les 400 de la Chambre des députés, lui assurant ainsi une majorité absolue très confortable, dont 119 sièges pour Frères d'Italie, 66 pour la Ligue, 45 pour Forza Italia (ces deux derniers partis ont perdu chacun 59 sièges par rapport à 2018) et 7 pour le partenaire centriste (Nous, Modérés).

Dans l'opposition, les autres grands partis font des scores assez décevants. Le Parti démocrate mené par Enrico Letta n'est pas parvenu à franchir le seuil de 20%, seulement 19,1%, à peine mieux que les 18,7% de 2018 et en sièges, il perd 43 sièges avec 69. La coalition de centre gauche a rassemblé en tout 26,1% (22,8% en 2018), beaucoup trop faible pour espérer mener une coalition gouvernementale, d'autant plus que son nombre de sièges au total n'est que 85 (37 en moins par rapport à 2018). Le Mouvement 5 étoiles (M5S) de Giuseppe Conte a, comme l'autre gagnant de 2018 (Salvini), subi un effondrement, avec seulement 15,4% (le double en 2018 : 32,7%), 52 sièges (175 de moins qu'en 2018). Attention avec les chiffres, je le répète : la plupart des partis ont perdu des sièges malgré parfois des progressions car la Chambre des députés est passée de 630 sièges à 400 sièges. Dans cette configuration, le large gain de Frères d'Italie (+87) est donc un exploit.

Enfin, il faut aussi porter attention sur un autre parti, un parti centriste indépendant, Action, fondé en 2019 mené par Carlo Calenda (allié à Matteo Renzi qui avait quitté en 2019 le Parti démocrate) qui a atteint 7,8% des voix (21 sièges), ce qui est loin d'être négligeable, surtout partant de zéro, même si l'hypothèse d'un pôle centriste reste encore exclue à ce jour. Action a été rejoint aussi par des anciens membres de Forza Italia déconcertés par le revirement de Silvio Berlusconi en juillet 2022.

Au Sénat en sièges, la coalition de droite bénéficie aussi d'une majorité absolue confortable, 115 sièges sur 200, dont 65 Frères d'Italie, 30 Ligue, 18 Forza Italia et 2 Nous, Modérés. La coalition de gauche est représentée par 44 sénateurs dont 38 du Parti démocrate. Le M5S a acquis 28 sièges et le pôle centriste de Carlo Calenda 9 sièges.

L'affaire est donc entendue parce que la coalition de droite a atteint la majorité absolue des sièges à la Chambre des députés et au Sénat, néanmoins, en pourcentages de voix, il aurait pu être tentant d'imaginer une autre coalition au pouvoir si l'on totalise la coalition de centre gauche, le M5S et le parti centriste, qui, à eux trois, feraient 49,3% des voix, bien plus que les 43,8% de la coalition de droite. Mais le mode de scrutin leur imposait de s'unir avant l'élection s'ils voulaient capitaliser en sièges.

Pour résumer, Giorgia Meloni a les mains libres : son parti d'origine extrémiste détient la majorité absolue de la force de la coalition de droite, et cette coalition de droite détient la majorité absolue tant à la Chambre des députés qu'au Sénat (ce qui est primordial en Italie car les deux chambres sont en capacité chacune de renverser le gouvernement). Le scrutin du 25 septembre 2022 a donc été on ne peut plus clair, dès lors que la coalition de droite est unie.

Pour Silvio Berlusconi, son parti a encore perdu des parts de marché mais son adhésion dans la nouvelle majorité reste indispensable pour maintenir une stabilité. Il s'en servira certainement, habile politique qu'il est.

Giorgia Meloni devrait avoir un mois pour négocier la formation de son gouvernement. Il ne fait aucun doute qu'elle aura les moyens de gouverner à court terme. La double question est de faire quoi et pendant combien de temps, car de larges divergences existent avec son allié très encombrant Matteo Salvini.

Quant aux partenaires européens et plus généralement étrangers, il ne sert à rien de mettre en garde ou de condamner a priori. Au contraire, l'attitude la plus constructive devra être celle du pragmatisme, juger sur les faits, et rien que les faits, et comprendre que l'Italie, malgré ses éruptions politiques régulières, a toujours su naviguer bien intégrée dans l'Europe, même lorsque Matteo Salvini a été Ministre de l'Intérieur il y a quelques années...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 septembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Majorité absolue confortable pour Giorgia Meloni en Italie.
L'Italie face à son destin en 2022.
Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
David Sassoli.
Super Mario Draghi, l’homme providentiel de l’Italie ?
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Pourquoi Giuseppe Conte a démissionné le 26 janvier 2021.
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220925-italia2022b.html

https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/majorite-absolue-confortable-pour-243999

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