Annick de Souzenelle et le grand retournement
« Aujourd'hui, il ne s'agit plus de croire ou ne pas croire, mais de devenir. » (Annick de Souzenelle, 2016).
La théologienne Annick de Souzenelle fête son 100e anniversaire ce vendredi 4 novembre 2022. Je pourrais la qualifier d'essayiste spirituelle. Elle semble en bonne forme pour cet âge si canonique, son mari, décédé l'année dernière, avait atteint 106 ans ! C'est l'occasion de présenter très succinctement et modestement ses travaux (très mal car ce n'est pas dans un petit article qu'on peut présenter plus d'une trentaine d'années d'écriture, parfois un peu difficile, voire une soixantaine d'années de réflexions et d'études).
Annick de Souzenelle a fait après son baccalauréat des études supérieures de mathématiques qui lui ont apporté une certaine rigueur intellectuelle. Elle a bifurqué vers des études d'infirmière et elle a commencé sa vie professionnelle comme infirmière anesthésiste pendant une quinzaine d'années, puis psychothérapeute, avant de rencontrer en 1958 le fondateur de l'Église orthodoxe en France. Catholique, elle s'est convertie au christianisme orthodoxe et elle a commencé à étudier l'hébreu et les textes sacrés pour aller à la source. L'accès à la beauté, aux symboles, l'a beaucoup séduite intellectuellement.
Ses connaissances bibliques et aussi des lettres hébraïques, son cheminement intérieur lui ont permis de faire beaucoup de liens entre différents concepts, symboles, où elle met la théologie au service d'une certaine psychologie intérieure. Selon elle, tout être humain a un cheminement à connaître, à comprendre, à accomplir, un épanouissement à faire, un fruit à apporter, et cela passe par un retour sur soi selon ses propres voies, sans qu'on le lui dicte, on peut juste l'accompagner, c'est une expérience personnelle et intime. Cette introspection, ce retour intérieur sur soi, elle l'appelle (si j'ai bien compris) le grand retournement.
On peut être hermétique à son langage qui souvent fait appel à de nombreuses connaissances historiques et théologiques, avant tout bibliques. Se mettant à écrire au début des années 1990, elle a donné un peu plus d'une vingtaine d'ouvrages en trente ans sur des thèmes particuliers, ou des entretiens, tout en encourageant récemment la création d'une association, Arigah, qui signifie tissage en hébreu, qui permet de fédérer les différents groupes qui se sont formés autour de son œuvre, parallèlement à l'Institut d'anthropologie spirituelle qui propose des cycles de formation sur quatre ans.
N'hésitant pas à prendre l'actualité pour y proposer ses interprétations selon son propre mode de pensée, Annick de Souzenelle a ainsi comparé le mouvement des gilets jaunes au mythe du Petit Poucet, les parents (l'État) n'ont plus d'argent pour les nourrir et les abandonne à leur triste et angoissant sort. Sur la pandémie du covid-19, elle a aussi fait quelques réflexions sur le principe même de la couronne, du virus à couronne (coronavirus), et plus généralement, elle y voit un grand retournement pour la société, le besoin de changer radicalement de manière de penser, de vivre, changer ses modes de fonctionnement (ce qui a été le cas pour la société confrontée à cette tragédie sanitaire), mais elle y voit aussi une espérance, comme lorsqu'une femme accouche, une naissance se fait souvent dans la douleur.
Elle l'a exprimé en avril 2020, à une époque où l'on pensait que tout allait être bouleversé, différent ; deux ans plus tard, finalement, on a repris les habitudes d'avant la crise, et Michel Houellebecq a eu probablement la bonne intuition lorsqu'en mai 2020, il pronostiquait qu'on reviendrait au monde d'avant, mais plus exacerbé, en pire donc : « Je ne crois pas une demi-seconde aux déclarations du genre "rien ne sera plus jamais comme avant". Au contraire, tout restera exactement pareil. (…) Le coronavirus, au contraire, devrait avoir pour principal résultat d’accélérer certaines mutations en cours. (…) Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire. » (3 mai 2020).
La chance est qu'Annick de Souzenelle a laissé beaucoup d'entretiens sur l'Internet et sa pensée, si elle peut être difficile, ou du moins, parfois peu audible à des non croyants, reste relativement claire et simple, fluide en tout cas. J'en propose quelques-uns.
Le mythe du Petit Poucet dans l'interprétation de la crise des gilets jaunes. Elle s'est sentie très concernée par ce que vivaient les gilets jaunes, leurs angoisses, leur mal-être, mais en même temps, elle était convaincue que le gouvernement était de bonne volonté mais probablement impuissant. À la fin du conte, le Petit Poucet réussit à éviter d'être dévoré par l'Ogre seulement parce qu'il s'est radicalement changé. C'est ce message de transformation intérieure qu'elle voulait délivrer. L'entretien date du 9 janvier 2019.
Une autre réflexion sur l'homme à la main sèche, c'est-à-dire, dans l'incapacité de semer la semence dans les champs (le 1er mars 2021). Annick de Souzenelle parlait alors de la fécondité qui peut se faire soit par le sexe, comme pour les animaux, soit aussi par le verbe. Elle évoquait les couples stériles qui ne peuvent pas avoir d'enfant. Pour elle, Dieu se moque de savoir si on peut enfanter ou pas ; bien sûr, si on peut, la naissance d'un enfant, c'est toujours beau ; mais il y a aussi le stade du verbe, de créer à partir du verbe, d'aller vers son propre accomplissement. Elle l'expliquait aussi la symbolique de la circoncision : « L'enfant va être procréateur par le sexe en attendant de devenir créateur par le verbe. ».
Une troisième vidéo (et je m'arrêterai là) sur l'idée que l'humanité est l'épouse divine de Dieu (26 juin 2022). Elle expliquait que nous y étions, au grand retournement, comme si nous étions au septième mois de gestation avant la naissance : « L'humanité va passer de son pôle animal au pôle divin. (…) Nous allons vivre l'épreuve du désert. C'est pour atteindre le Royaume. ». Elle a cité quatre phénomènes important dans la société d'aujourd'hui : la réémergence de la femme ; le découverte du monde de l'inconscient personnel ou collectif ; la reprise en compte de la sexualité (pour aller vers le verbe : « Le Christ n'a jamais banni la sexualité. ») ; et l'arrivée de l'homme sur la Lune, qui est un symbole très fort, mais au lieu d'être à l'extérieur, il doit aussi être à l'intérieur de nous-mêmes. Fustigeant le transhumanisme et l'eugénisme, elle semblait aussi se choquer pour tout ce qui serait contre-nature, y compris dans la médecine actuelle.
Pour résumer très grossièrement la pensée d'Annick de Souzenelle, je reprends la fin de son entretien du 9 janvier 2019 qui sera aussi la conclusion de cette présentation inachevée : « Autrement dit, ou l'on meurt ; ou l'on devient Dieu. Ou l'on meurt de peur, ou l'on meurt de vengeance, ou l'on meurt de toutes les tragiques tueries d'aujourd'hui ; ou, en faisant le retournement, on met en place toutes les forces qui font de nous des dieux ! ». Bon centenaire, chère madame !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (01er novembre 2022)
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Pour aller plus loin :
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Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.
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https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/annick-de-souzenelle-et-le-grand-243998
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