Présidence de LR : trois têtes pour un fauteuil (Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Aurélien Pradié)
« Je ne ferai pas la courte échelle à Emmanuel Macron sur la réforme des retraites (…). C'est peut-être le moment de ne pas lui servir la soupe. » (Aurélien Pradié, le 21 novembre 2022 sur LCI).
Le 4 décembre 2022 aura lieu le premier tour dématérialisé pour désigner le prochain président du parti Les Républicains (un éventuel second tour est prévu le 11 décembre 2022 si besoin). Son précédent président, Christian Jacob, avait en effet démissionné le 30 juin 2022 à la suite de l'épouvantable épreuve des élections du printemps, moins de 5% pour la candidate LR Valérie Pécresse en avril 2022 et une érosion de la moitié du nombre de députés LR élus en juin 2022 par rapport à juin 2017.
Trois candidats se sont déclarés dans les conditions demandées par les statuts et se disputent le rôle de leader futur du parti : Éric Ciotti (57 ans), député de Nice, ancien président du conseil général des Alpes-Maritimes et ancien candidat à la primaire fermée de LR en décembre 2021, Aurélien Pradié (36 ans), jeune député du Lot depuis 2017 et secrétaire général actuel de LR, enfin, Bruno Retailleau (62 ans), président très apprécié du groupe LR au Sénat, ancien président du conseil régional des Pays-de-la-Loire et ancien président du conseil général de la Vendée, ancien dauphin de Philippe de Villiers.
Un seul débat télévisé a été organisé pour participer à leur campagne interne. Il a duré un peu moins de deux heures, diffusé en direct par la chaîne LCI ce lundi 21 novembre 2022 à partir de 20 heures 30, animé par Ruth Elkrief et Adrien Gindre.
Je propose ici d'exposer l'impression générale et les différenciations politiques.
L'impression générale de la compétition d'abord : à l'évidence, les trois candidats sont des "seconds couteaux", très loin de la notoriété des Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon. Et encore plus loin de la stature des Jacques Chirac, Édouard Balladur, Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre. Depuis l'élection du Président Emmanuel Macron en 2017 flotte une impression de vide de leadership qui est à la fois étonnant (ce parti est l'héritier du mouvement gaulliste première formation historique pour la présidentialisation du débat politique et l'incarnation par un chef politique fort) et inquiétant (face aux autres partis qui ont, eux, un leader fort et bien identifié : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et bien sûr, Emmanuel Macron). Depuis 2017, LR subit aussi une lente érosion de ses cadres et élus rejoignant la majorité présidentielle (Édouard Philippe, Jean-Pierre Raffarin, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Christophe Béchu, Sébastien Lecornu, Christian Estrosi, Hubert Falco, Renaud Muselier, Éric Woerth, Damien Abad, Roselyne Bachelot, Caroline Cayeux, etc.).
Éric Ciotti est depuis décembre 2021 le chouchou des militants, ayant des convictions très fortes sur au moins deux thèmes, l'immigration et la fiscalité, ce qui lui apporte des adhésions très fortes à sa personne mais aussi certaines répulsions très fortes (plutôt externes) car l'expression claire de ses convictions fortes clive nécessairement. Pour les commentateurs politique, Éric Ciotti est le favori de cette élection interne.
Bruno Retailleau est supposé prendre le rôle du sage, le candidat des élus (il a recueilli le plus grand nombre de parrainages de parlementaires LR), très apprécié au Sénat pour son action de rassemblement et de proposition (le 12 novembre 2022, il a fait adopter au Sénat, dont la majorité est LR et alliés, un amendement sur la retraite à 64 ans avec quarante-trois annuités au détour de l'examen du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale, sans conséquence puisque le gouvernement fera passer le texte par un cinquième emploi de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution). Son credo est l'unité, avec le risque de laisser LR dans une position politique ambiguë qui a fait son effondrement depuis 2017.
Enfin, Aurélien Pradié est ce qu'on appelle un "jeune espoir" de LR qui a pris suffisamment d'envergure pour vouloir conduire son parti lui-même. Il bouscule les vieux caciques et il apporte du sang neuf, doublement, par sa jeunesse et nouveauté d'abord, et par l'originalité de ses thèmes, ensuite, puisqu'il refuse de se laisser piéger par les thèmes classiques de l'extrême droite (immigration, sécurité) pour aller sur le terrain d'un électorat populaire que LR a perdu depuis 2012.
Notons qu'aucun des trois candidats n'est énarque et que les deux premiers ont commencé leur carrière politique sous l'ombre d'une autre personnalité politique (Christian Estrosi pour le premier et Philippe de Villiers pour le deuxième). Quant à Aurélien Pradié, il a été vite "adopté" par Christian Jacob qui l'a bombardé au secrétariat général, à savoir, un poste opérationnel qui permet de connaître parfaitement l'organisation interne du parti, les fédérations locales, etc.
En d'autres termes, pour résumer, Aurélien Pradié est l'outsider qui aurait a priori peu de chance de gagner mais qui pourrait créer des surprises, avec une volonté de relance de LR particulièrement novatrice et de long terme (il est évident qu'il nourrit une ambition présidentielle mais il se garde bien de l'exprimer déjà et il est encore jeune), une modernité qui est adaptée à la situation des autres partis (RN, FI et Renaissance qui ont beaucoup de parlementaires jeunes). Éric Ciotti est le favori des militants et Bruno Retailleau est le favori des cadres et des élus.
Maintenant, venons-en à l'impression générale du débat télévisé.
Sans surprise, Éric Ciotti a le ton clair, la parole déterminée, il a une communication qui porte, même s'il dit n'importe quoi, il a un degré de conviction très fort, le plus fort de tous les trois. Il a par ailleurs taclé souvent son concurrent Bruno Retailleau qu'il a considéré comme son principal adversaire (alors qu'à mon avis, il aurait dû aussi contrer Aurélien Pradié qui pourrait faire bouger les lignes et contre lequel il se contentait de sourire !).
Bruno Retailleau, en revanche, a été souvent en retrait, vieilli par sa courtoisie d'un autre siècle qui laisse entendre une faible détermination, il est même apparu fatigué, sans enthousiasme, comme si sa candidature était une candidature de devoir auprès de ses amis grands élus (en particulier le Président du Sénat Gérard Larcher).
Enfin, incontestablement, Aurélien Pradié a largement survolé ce débat, n'hésitant pas à donner des rôles à ses contradicteurs en se mettant déjà à la place du futur président de LR, proposant à Bruno Retailleau de rester à la présidence stratégique du groupe LR au Sénat, et à Éric Ciotti d'aller conquérir la mairie de Nice en 2026 et de prendre le secrétariat général de LR. Ses deux concurrents ont souri mais ont peu protesté ! Aurélien Pradié est un audacieux et il sait bien qu'en politique, le bluff finit toujours par payer : Jacques Chirac en 1976 et Nicolas Sarkozy en 2002 le savent bien.
Passons au fond.
Éric Ciotti n'a donc pas étonné sur ses convictions qu'il avait déjà eu l'occasion de développer lors de la campagne interne de 2021 pour désigner le candidat LR à la dernière élection présidentielle. Une plus grande fermeté pour éviter l'arrivée de réfugiés par la Méditerranée en supprimant les "pompes aspirantes" que sont les généreux droits sociaux en France (il se trompe complètement : les candidats à une nouvelle vie se moquent complètement de l'état des droits sociaux, ils ont juste l'intuition générale, probablement trompeuse, que leur vie sera meilleure dans tous les cas en Europe et, de toute façon, ils ne suivent pas l'actualité législative de ces pays). Et surtout, une politique fiscale très audacieuse : baisse ou suppression de nombreux impôts, notamment l'impôt sur les successions (« impôt sur la mort », a-t-il dit) et les taxes sur les taxes pétrolières.
Les trois candidats ont fustigé avec force le Président de la République Emmanuel Macron, allant jusqu'à considérer que LR était aussi opposé à la majorité actuelle qu'au Rassemblement national et qu'à la Nupes. Les trois candidats ont aussi fustigé Nicolas Sarkozy qui s'était écarté de LR en soutenant Emmanuel Macron en 2022, même si Éric Ciotti et Aurélien Pradié ont rappelé qu'ils ont commencé leur carrière politique en collant des affiches de Nicolas Sarkozy (Éric Ciotti ne veut pas être wokiste dans son parti en reniant Nicolas Sarkozy !). Tous sont aussi partisans de changer d'appellation, mais c'est surtout Bruno Retailleau qui l'a exprimé le plus clairement, en constatant que la marque Les Républicains était pourrie et qu'il fallait redonner un nouvel élan à ce parti.
Ce qui était intéressant, c'est que les clivages politiques ne sont pas venus là où l'on aurait pu le croire. Ainsi, il n'y a pas eu de clivage ni sur le besoin de fermeté face à l'immigration (en disant : « Il faut stopper l’invasion migratoire. », Éric Ciotti s'est référé à Valéry Giscard d'Estaing qui évoquait dans un quotidien en 1991 l'invasion migratoire dans un autre contexte, à l'époque, cela avait créé la polémique). Aurélien Pradié, qui a aussi insisté sur le fait qu'il y avait trop d'immigration, est allé dans le sens de ses deux concurrents en proposant surtout de faire adopter le nouveau concept de crime de passeurs, et de l'internationaliser (« le crime de passeur comme un crime relevant de la cour pénale internationale »), ce qui permettrait de mobiliser plus de forces pour empêcher l'activité de ces passeurs et les traduire en justice. De plus, pour lui, Frontex doit être le seul à pouvoir faire des sauvetages en mer : « Frontex serait cantonné aux sauvetages, déposerait les passagers dans des zones tampons et ne les ferait pas entrer sur nos territoires. ».
En revanche, le clivage a été net sur la réforme des retraites. En effet, Bruno Retailleau, qui a été au Sénat parmi les partisans d'encourager le gouvernement à adopter les conditions LR est pour la retraite à 64 ans. Donc, il a annoncé qu'il voterait la réforme des retraites si certaines conditions étaient contenues dans le projet, se montrant paradoxalement le plus macronien des trois. Éric Ciotti, lui aussi, veut cette réforme des retraites (à 65 ans), et la voterait sous condition également. Tandis qu'Aurélien Pradié a été très clair et est contre un allongement de l'âge de la retraite. Il a cité son jeune frère boulanger qui travaille tous les jours à 2 heures du matin et à qui il n'est pas la peine de lui expliquer ce qu'est la valeur travail. Il a souvent insisté le besoin pour LR de retrouver un électorat populaire (à l'écouter sur le vocabulaire, il pourrait ainsi refonder le MRP : mouvement républicain populaire !).
Autre clivage intéressant : Éric Ciotti veut baisser les impôts immédiatement. Aurélien Pradié et Bruno Retailleau lui ont répondu que ce n'était pas sérieux. Mais c'est Aurélien Pradié qui a été le plus convaincant en proposant d'abord de réduire les dépenses de l'État, puis, seulement ensuite, de réduire les impôts. Éric Ciotti pense au contraire qu'il faut faire un choc fiscal qui ferait rentrer plus d'argent dans les caisses de l'État. Aurélien Pradié veut faire voter chaque année, après la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, une « loi de finance et de gestion de la dette »). Dans ce débat, Bruno Retailleau a été dépassé par son orthodoxie sans aspérité en voulant réduire la dette publique, et donc en recherchant d'abord des comptes équilibrés : « Il faut être sérieux. On ne peut pas faire une baisse massive des impôts sans commencer aussi par récupérer de l’argent de l’État. ».
Reprenant un engagement de François Fillon en 2017, Aurélien Pradié a tenté de rallier les adhérents les plus conservateurs de LR en se disant favorable à l'uniforme à l'école et aussi à cette tenue unique à l'université.
Autre thème étonnant de clivage, l'IVG et la proposition ou le projet d'intégrer le principe du droit à l'avortement dans la Constitution, un engagement d'Emmanuel Macron soutenu très fortement par l'ultragauche. Pour Bruno Retailleau, pas question de le faire car c'est inutile ; aucun parti politique ne propose la remise en cause de la loi sur l'IVG et le Conseil Constitutionnel a même considéré que l'avortement faisait partie des acquis constitutionnels (comme la laïcité de 1905 seulement régie par une simple loi mais qui a été considérée à valeur constitutionnelle par le Conseil Constitutionnel il y a déjà quelque temps). En d'autres termes, il refuse de rentrer dans un débat américain qui n'a aucun sens en France.
Mais les deux autres n'ont pas du tout la même position. Éric Ciotti, sans développer, voterait cette constitutionnalisation en affirmant que la droite devait être ouverte, que ce sont les gaullistes qui ont autorisé le droit de vote aux femmes (De Gaulle en 1945), la contraception (Lucien Neuwirth en 1967) et l'avortement (Simone Veil en 1974). Et qu'il ne fallait pas laisser ces thèmes à une ultragauche féministe qui voudrait remettre tout en cause. Quant à Aurélien Pradié, le plus construit sur ce sujet, il a rappelé qu'il s'était engagé à l'UMP aussi avec cet héritage essentiel de Simone Veil et qu'il voterait l'inscription dans la Constitution du principe de la loi Veil.
En ce sens, Bruno Retailleau a montré ce qu'il était, un conservateur au sens classique du terme, tandis qu'Éric Ciotti a montré qu'il était plutôt un libéral dans le sens très réformiste du terme, un peu à l'instar d'Alain Madelin qui, sur les thèmes de société, a toujours été libéral. La position d'Aurélien Pradié est moins surprenante dans la mesure où il revendique la représentation de l'aile sociale de LR.
Inversement, un thème politique crucial, facteur récurrent de divisions pour LR, a rassemblé les trois candidats : aucun ne souhaite être candidat à l'élection présidentielle de 2027 et tous les trois ont admis que le meilleur candidat possible de LR actuellement était Laurent Wauquiez. Éric Ciotti a expliqué qu'il souhaitait que Laurent Wauquiez soit désigné par LR explicitement candidat le plus tôt possible pour pouvoir être une incarnation des Républicains pendant tout le second quinquennat d'Emmanuel Macron. Bruno Retailleau et Aurélien Pradié sont opposés à une désignation trop rapide afin de protéger Laurent Wauquiez d'aléas électoraux, en repoussant la désignation à après les élections européennes de 2024 (mais Éric Ciotti connaît trop son parti et a répliqué qu'après 2024, on dirait alors qu'il y a les élections municipales et sénatoriales, en 2026 et on repousserait encore jusqu'à trop tard). En tout cas, l'idée de désigner le candidat LR par une primaire, fermée ou ouverte, est exclue, ainsi que l'agenda, à quelques mois de l'échéance. Aurélien Pradié voudrait revenir aux pratiques autocratiques du RPR, où le bureau politique désignait unanimement son leader comme candidat à l'élection présidentielle, avec ratification des militants. Bruno Retailleau semble le plus prudent dans ce thème, plus collectif, souhaitant éviter de montrer un cynisme trop ouvertement explicite !
Enfin, à la fin de l'émission, alors que ses deux autres compétiteurs n'ont pas été aussi clairs, Aurélien Pradié a sans doute été, paradoxalement, le champion le plus opposé à Emmanuel Macron, en déclarant clairement que, lui président de LR, Les Républicains déposeraient une motion de censure dans deux cas : la volonté du gouvernement d'adopter rapidement la réforme des retraites sans débat, et la régularisation massive des personnes immigrées sur le sol français. Or, seule une motion de censure déposée par le groupe LR peut avoir des chances d'être adoptée par une majorité absolue de députés, puisque le RN et la Nupes pourraient la voter, alors que LR ne voterait jamais une motion de censure déposée par la Nupes ou par le RN. Sur le thème des retraites, le groupe LR est très divisé sur la position à prendre puisque sur le principe, la majorité des élus LR est d'accord avec le gouvernement, et sur le thème des régularisations massives, il serait étonnant que la Nupes rejoignent LR et le RN en contredisant ses propres positions. Donc, le gouvernement a encore peu de chance d'être renversé, mais la phrase claire d'Aurélien Pradié l'a placé en premier opposant d'Emmanuel Macron.
En conclusion, je pense que le débat, s'il a été regardé par les adhérents de LR, pourrait faire bouger les lignes. Le moins connu en interne était sans doute Aurélien Pradié qui a montré de la pugnacité (il a souvent rembarré les journalistes voulant l'interrompre), de la vision politique avec des propositions concrètes et parfois originales, en tout cas, novatrices, et un indéniable sens du leadership. De plus, il a rassuré les partisans de Laurent Wauquiez puisque sa candidature pour 2027 n'est plus en discussion. De son côté, Bruno Retailleau a montré un évident coup de vieux, un manque de punch, et surtout, un grand manque d'originalité pour proposer de nouvelles solutions. Quant à Éric Ciotti, excellent comme d'habitude en communication (esprit clair aux idées exprimées clairement), ses idées sont les plus clivantes, ce qui a pour effet un bon score au premier tour mais peut-être un mauvais à l'éventuel second tour, comme lors du congrès de décembre 2021.
À l'évidence, cette élection interne reste très ouverte, et va juger surtout la capacité du candidat président de parti à redresser LR, à le remettre en ordre de marche pour l'élection présidentielle de 2027. En s'exonérant de manière salutaire d'un débat sur l'identité d'un futur candidat qui semble déjà connue...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 novembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Présidence de LR : trois têtes pour un fauteuil.
Trois candidats et un enterrement ?
Lucien Neuwirth.
Bruno Le Maire.
Patrick Balkany.
Claude Malhuret.
Xavier Bertrand.
Bruno Retailleau.
Caroline Cayeux.
Christophe Béchu.
Aurélien Pradié.
Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20221121-debat-lr.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/presidence-de-lr-trois-tetes-pour-245098
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