Jiang Zemin, admirateur de la culture française
« Les informations qui ont circulé sur la mort de l'ancien numéro un chinois Jiang Zemin sont de "pures rumeurs", a rapporté (…) l'agence officielle Chine nouvelle, citant des "sources sûres". (…) Pour tenter de mettre un terme aux rumeurs, les censeurs de l'internet en Chine ont récemment bloqué les recherches sur le nom de Jiang Zemin sur le service de micro-blogging Weibo, ainsi que sur les mots "secrétaire général" et "infarctus du myocarde", entre autres. (…) Des médias chinois à Hong Kong et à l'étranger avaient annoncé mercredi le décès de l'homme qui a dirigé la Chine de 1989 à 2003. » (Dépêche de l'AFP du 7 juillet 2011).
Ces fausses rumeurs, démenties rapidement, sur la mort du successeur de Deng Xiaoping, ont été émises il y a plus de onze ans, en juillet 2011. Aujourd'hui, c'est le régime communiste chinois lui-même qui l'a annoncée, avec le cérémonial qu'il convient d'adopter en de pareilles circonstances. L'ancien dirigeant suprême de la Chine communiste Jiang Zemin est en effet mort ce mercredi 30 novembre 2022 à Shanghai, terrassé par une leucémie à l'âge de 96 ans (il est né le 17 août 1926 à Yangzhou).
Jiang Zemin représentait depuis longtemps le fameux "clan de Shanghai", le patriarche avait "formé" à ses côtés bien des responsables politiques, en particulier l'ancien Premier Ministre Zhu Rongji (à peine plus jeune que lui) de 1998 à 2003, qui avait été maire de Shanghai de 1989 à 1991. Parmi les dirigeants chinois, cette faction avait une influence non négligeable à Pékin. Lors de l'une de ses dernières sorties publiques en juillet 2019, Jiang Zemin avait assisté difficilement à l'enterrement de l'ancien Premier Ministre Li Peng, surnommé le boucher de la place Tiananmen. Parmi les dirigeants communistes en 1989, Jiang Zemin fut de ceux qui avaient soutenu la répression sanglante.
Ingénieur en électrotechnique, il a adhéré au parti communiste chinois (PCC) dès 1946 (avant donc l'arrivée au pouvoir de Mao en 1949). Ce qu'est que sexagénaire que Jiang Zemin a commencé à prendre de l'importance politique, après avoir occupé quelques postes ministériels en poursuivant une carrière technocratique. Il fut maire de Shanghai de 1985 à 1988, puis secrétaire général du comité du PCC de Shanghai à partir de 1987 et bombardé membre du bureau politique à l'issue du 13e congrès, en novembre 1987. Il se retrouvait projeté au cœur du pouvoir communiste suprême, aux côtés de Li Peng, Yang Shangkun (Président de la République de 1988 à 1993 et partisan de la répression), Zhao Ziyang et Hu Yaobang.
Hu Yaobang était le Secrétaire Général du PCC entre 1980 et 1987 et justement, il venait d'être limogé de son poste (le poste le plus élevé dans la hiérarchie communiste chinoise) en raison de son comportement trop réformateur et pas assez ferme face aux manifestations d'étudiants. Il a été remplacé à ce congrès par le Premier Ministre d'alors, Zhao Ziyang qui allait aussi être sanctionné pour son manque de fermeté en juin 1989. En outre, Li Peng avait pris le poste de Premier Ministre de Zhao Ziyang.
La mort de Hu Yaobang le 15 avril 1989 a précipité les événements : considéré comme un héros par les manifestants étudiants, la contestation politique du régime n'a fait que grandir jusqu'au tristement célèbre massacre de la place Tiananmen à Pékin le 4 juin 1989, les chars communistes reprenant la place occupée depuis des semaines par des étudiants faisant des rêves de démocratie et de liberté. J'ai écrit que le poste de Secrétaire Général du PCC était le plus important, mais c'est en fait inexact entre la mort de Mao en 1976 et la mort de Deng Xiaoping en 1997.
Ce dernier, en effet, n'a plus occupé de fonctions officielles malgré son influence politique déterminante, sauf deux postes cruciaux dans les faits : le poste de président de la Commission militaire du parti et le poste de président de la Commission militaire de l'État, ce sont à peu près les mêmes organismes (l'État est un État parti, c'est l'un des principes du communisme), à quelques dates de transition près.
Alors que le pouvoir politique vacillait et envisageait sérieusement de négocier avec les étudiants un assouplissement de la dictature communiste, Deng Xiaoping a finalement choisi la seule méthode qu'il connaissait, dont parfois il a été victime sous Mao, à savoir la méthode forte, c'est-à-dire la répression sanglante. Le solde politique du massacre s'est fait assez rapidement à la suite : Li Peng, l'opérateur du massacre, a vu sa position renforcée, il est resté à la tête du gouvernement chinois encore près d'une décennie, tandis que Zhao Ziyang, sans surprise, a été évincé du bureau politique. Deng Xiaoping a choisi alors Jiang Zemin pour le remplacer, probablement parce qu'il était parmi les partisans de la répression, et pour tenter de tourner définitivement la page de ces événements du printemps.
Ainsi, Jiang Zemin fut Secrétaire Général du PCC du 24 juin 1989 au 15 novembre 2002 (16e congrès) où il a pris sa retraite (il avait alors déjà 76 ans !). Il fut "réélu" aux 14e et 15e congrès, respectivement le 19 octobre 1992 et le 19 septembre 1997. Les dates des congrès tous les cinq ans sont immuables, chaque fois en automne xxx2 et xxx7. Toutefois, Deng Xiaoping s'est laissé le temps de le tester pendant quelques mois, puisque ce dernier est resté à la tête des commissions militaires encore quelque temps. En effet, Jiang Zemin lui a succédé à la présidence de ces commissions militaires respectivement le 9 novembre 1989 (date symbolique !) pour le parti (jusqu'au 19 septembre 2004) et le 19 mars 1990 pour l'État (jusqu'au 13 mars 2005).
Enfin, le 27 mars 1993, choisi officiellement par l'Assemblée Nationale Populaire, Jiang Zemin s'est fait "élire" Président de la République à la fin du mandat de Yang Shangkun (qui avait alors 85 ans !), écarté du bureau politique du PCC en octobre 1992 par Deng Xiaoping pour lui laisser le pouvoir absolu, et il s'est fait "réélire" le 17 mars 1998, pour un double mandat de dix ans au total, jusqu'au 15 mars 2003. C'est donc à partir de mars 1993 que Jiang Zemin a concentré tous les pouvoirs : chef du parti, chef des armées et chef de l'État. Il a en outre amené la Chine communiste dans un calendrier relativement régulier de ses dirigeants, jusqu'à 2022. En effet, lors de sa "réélection" en 1997 et en 1998 selon les fonctions, il a décidé de prendre sa retraite à la fin de ces mandats, et a ainsi régi la limite de deux mandats de cinq ans pour ses successeurs.
Au cours de sa Présidence, on retiendra surtout le retour sous l'autorité chinoise de Hong Kong et de Macao (rétrocession), tandis que Taïwan reste encore dans l'objectif lointain des dirigeants chinois. On rappellera sans doute aussi la répression au Tibet dont sont responsables Li Peng et Jiang Zemin. En mai 1997, le Président chinois a reçu son homologue français Jacques Chirac et lui a confié qu'il avait lu pendant ses études Victor Hugo, Alexandre Dumas, Romain Rolland, Alphonse Daudet, et qu'il admirait beaucoup la culture française qui l'a partiellement formé. Dommage que ces bagages littéraire ne l'aient pas encouragé à renoncer définitivement aux méthodes répressives.
En novembre 2002 et mars 2003, Jiang Zemin a cédé sa place à son dauphin, Vice-Président de la République en 1998 : Hu Jintao. Lui aussi adopta le double mandat de dix ans au total avant de prendre sa retraite. Jiang Zemin est toutefois encore resté au pouvoir pendant une période transitoire, en différant de deux ans son départ de la présidence des commissions militaires. À grand renfort de paroles officielles et de posters, Jiang Zemin est ainsi représenté en successeur de Mao et de Deng, oubliant les autres secrétaires généraux entre Mao et lui. Ses successeurs Hu Jintao et Xi Jinping allaient compléter le tableau, même si Xi Jinping se proclame désormais l'égal historique de Mao.
En effet, adoubé au 18e congrès du PCC (le 15 novembre 2012), tant par Hu Jintao, son prédécesseur direct, que par Jiang Zemin, Xi Jinping a continué cyniquement la concentration des pouvoirs et entame depuis un peu plus d'un mois son troisième mandat à la tête du régime communiste. Il l'a fait en éliminant l'influence de Jiang Zemin dès 2012, en disgraciant l'un de ses proches, Zhou Yongkang, influent Ministre de la Sécurité publique de 2002 à 2007, évincé du bureau politique en novembre 2012 et exclu du PCC en décembre 2014 pour "corruption".
Le fils même de Jiang Zemin, Jiang Mianheng, docteur en génie électrique, fondateur de Grace Semiconductor Manufacturing Corporation et vice-président de l'Académie chinoise des sciences de 1999 à 2011, n'était pas parvenu à se faire "élire" au bureau politique en 2007, et avait été disgracié en novembre 2011 pour corruption et détournement de fond.
Aujourd'hui, des larmes de crocodiles vont être associées aux communications officielles pour honorer celui qui n'était plus qu'un vieillard sans influence. Xi Jinping n'a même plus cet œil pseudo-paternel qui aurait pu le freiner dans son exercice solitaire du pouvoir, comme pouvait justement le ressentir Jiang Zemin avec Deng Xiaoping. Après avoir été la patrie du capitalisme d'État, le communisme chinois est désormais devenu une monarchie bonapartiste. Jiang Zemin y a contribué.
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Sylvain Rakotoarison (30 novembre 2022)
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