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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
29 avril 2023

Faut-il en finir avec le permis de conduire à vie ?

« En termes d’aptitude à la conduite, si on n’est plus capable de conduire, c’est très difficile de laisser soi-même les clés de sa voiture. Il faut du courage, et tout le monde n’en a pas, c’est pour cela qu’il faut un cadre législatif, et c’est ce que je défends. » (Pauline Déroulède, le 26 avril 2023 sur Actu.fr).




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Interrogée par Michel Seimando et Jean-Jacques Peyre le 26 avril 2023 pour le site Actu.fr, Pauline Déroulède, originaire de Voisins-le-Bretonneux, championne de France du tennis fauteuil et se préparant aux championnats du monde avant de représenter la France aux Jeux paralympiques de 2024, mène un combat depuis quatre ans : la jeune femme, joueuse de tennis de très bon niveau selon le site, avait perdu sa jambe gauche dans un accident provoqué par un conducteur âgé de plus de 80 ans qui avait perdu la maîtrise de sa voiture. Elle souhaite ainsi que la législation évolue pour conditionner la validité du permis de conduire à un test d'aptitude.

Elle réagissait à un grave accident de la circulation qui a eu lieu le samedi 22 avril 2023 dans une rue de Berck-sur-Mer (la rue du docteur Victor Ménard), vers 18 heures 30, qui a fauché douze piétons, en particulier une femme dont le pronostic vital était engagé et qui a été transférée au CHU de Lille. Le bilan aurait pu être pire car les personnes blessées ont bénéficié de la proximité du quartier général des secouristes installés à 200 mètres pour veiller à la sécurité des Rencontres des cerfs-volants, ce qui a permis une intervention rapide.

Le responsable de l'accident est un conducteur de 76 ans en situation de handicap qui aurait confondu la pédale de frein avec celle de l'accélérateur, sans pouvoir reprendre le contrôle de son véhicule, selon les premiers éléments annoncés par le procureur de Boulogne-sur-Mer.

Pour Pauline Déroulède, ce drame aurait pu être évité : « On voit que vraisemblablement ce conducteur n'avait pas bu, pas pris de stupéfiant, mais il a apparemment inversé les pédales d'accélérateur et de frein. L'inversion de pédales, c'est le système nerveux, ce sont les réflexes qui sont apparemment altérés. C'est l'occasion malheureuse de parler de ce projet de loi que je défends, et sur lequel je travaille depuis, à présent, quatre ans. ». Elle travaille notamment avec le député de l'Hérault (Renaissance) Patrick Vignal qui prépare une proposition de loi sur le sujet.

La joueuse de tennis se permet ainsi d'envisager l'avenir :  « On peut imaginer que, tout en respectant le secret médical, on puisse déclarer une personne inapte à la conduite comme cela se fait dans la médecine du travail, en mettant en place un protocole clair pour tout le monde. (…) Ce que je défends va de paire avec mise en place de solutions alternatives de mobilité. ». Mais ce dernier point n'a guère de solution possible : dans certains cas, la voiture est indispensable.

Dans l'état actuel du permis de conduire, il n'y a pas de condition d'aptitude au fil des années pour le permis B (au contraire des chauffeurs de poids lourd et de transport en commun qui doivent faire valider leur permis tous les cinq ans). On l'a obtenu généralement autour de 20 ans et il est encore valable lorsqu'on a 90 ans, ce qui peut parfois inquiéter. C'est d'ailleurs la crainte de tout enfant et petit-enfant vis-à-vis d'un ascendant "qui se fait vieux" et dont le déclin des fonctions cognitives se fait aussi avec le déclin de sa lucidité.

Rappelons d'ailleurs un peu d'histoire. Le permis de conduire n'a été véritablement créé en France que le 31 décembre 1922 (il y a cent ans). Le premier document qui voulait prévenir les nombreux accidents de la route avait alors une trentaine d'années. Le préfet de Paris Louis Lépine avait en effet institué le certificat de capacité (à conduire une voiture à pétrole) en 1893, nécessaire pour circuler dans la capitale (ce qui était demandé était très succinct). Ce certificat délivré par les préfets a été généralisé à toute le France le 10 mars 1899.

La réglementation s'est renforcée le 27 mai 1921 puis le 31 décembre 1922 en prenant le nom de permis de conduire, accessible aux femmes et dès 18 ans (auparavant, le certificat était réservé aux seuls hommes de 21 ans ou plus), avec un véritable examen pour l'obtenir passé par un expert agréé par la préfecture. (À cette date, mon arrière-grand-père, refusant obstinément de le passer, il avait alors 36 ans et deux enfants, laissa sa traction-avant au garage). C'était le fameux papier rose.

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À partir de 1923, certaines infractions au code de la route pouvaient être sanctionnées par la suspension du permis de conduire. Les limitations de vitesse ont été instituées en 1954 (ainsi qu'un contrôle médical régulier pour les professionnels poids lourd et transport en commun) et la formation théorique au code de la route est devenue obligatoire dans les auto-écoles en 1957 (et la possibilité de conduite accompagnée est arrivée en 1986, avant le permis à points en 1992).

On aurait pu croire que la directive européenne 2006/126/CE du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire, qui a pour but d'harmoniser le permis de conduire en Europe (à l'origine, il existait 130 modèles de permis !) et qui s'est traduit, en France, par le décret n°2011-1475 du 9 novembre 2011 portant diverses mesures réglementaires de transposition, allait peut-être faire évoluer cette règle d'attribuer le permis de conduire à vie, une fois pour toutes, sans examen médical par la suite.

Certes, depuis 16 septembre 2013, le bout de carton rose a été remplacé par une élégante (et moderne) carte rose sécurisée, au format d'une carte bancaire, avec puce électronique et divers éléments pour rendre plus difficile son imitation frauduleuse. Si les 38 millions de détenteurs des permis de conduire délivrés avant le 19 janvier 2013 peuvent encore garder le format cartonné, les cartes sécurisées seront, elles, valides seulement quinze ans et ceux qui ont encore l'ancien format devront quand même faire la demande du nouveau format avant le 20 janvier 2033 (oui, 2033, n'oubliez pas !).

Le renouvellement de la carte sécurisée tous les quinze ans ne concernent pas l'aptitude médicale à conduire, mais seulement la mise à jour de la photographie et de l'adresse postale (la puce électronique ne contient pas le nombre de points restants ni l'historique des éventuels PV). Du moins pour l'instant.

Mais revenons à cette évolution que souhaiterait Pauline Déroulède et quelques autres acteurs de la sécurité routière, à savoir, organiser régulièrement, à partir de 65 ans (ou d'un autre âge), un examen d'aptitude médicale à la conduite.

Sur le papier, cela éviterait certainement certains accidents. Mais la réalité est que le conducteur âgé, souvent, conduit en fonction de ses moyens, de ses réflexes plus lents, et adapte généralement sa vitesse en conséquence (la plupart des autres automobilistes, derrière lui, rouspètent d'ailleurs de sa lenteur alors que le danger vient plus du trop vite que du trop lent).

De plus, ma modeste expérience de proche de personnes très âgées (je parle d'au-delà de 90 ans), ou alors de personnes malades (qui peuvent être plus jeunes), celles-ci ont renoncé à conduire d'elles-mêmes, sans qu'on le leur demande, car se sentant trop affaiblies pour continuer à conduire. Souvent, d'ailleurs, la voiture reste au garage et n'est pas revendue, comme pour empêcher un deuil et se croire toujours en état de conduire. Rester dans cette illusion aide parfois à vivre. Mais probablement que la sécurité aurait été d'arrêter de conduire un peu plus tôt.

Il y a eu des accidents de personnalités connues. J'ai en mémoire l'accident qui a tué Mgr François Marty, l'ancien archevêque de Paris, le 16 février 1994 à Villefranche-de-Rouergue : le vieux cardinal, à presque 90 ans, s'était retrouvé coincé à un passage à niveau et n'a pas réagi assez vite pour se dégager de la voie ferrée avant l'arrivée du train (il conduisait la 2 CV que les fidèles de Paris lui avait offerte en 1981 pour sa retraite et il leur avait répondu : « Elle me conduira au paradis ! »).

L'ancien dissident polonais Bronislaw Geremek est mort, lui aussi, dans un accident de la route le 13 juillet 2008 alors qu'il avait 76 ans, après une collision avec une camionnette, parce qu'il s'était endormi et avait dévié sa trajectoire. De même, l'ancien acteur historique du Printemps de Prague, Alexander Dubcek, est mort à presque 71 ans le 7 novembre 1992 des suites de ses blessures provoquées par un accident le 1er septembre 1992 sur une autoroute tchèque (l'enquête a conclu qu'il s'agissait bien d'un accident et pas d'un assassinat).

Certes, tout le monde peut s'endormir sur la route ou ne pas réagir assez vite dans des circonstances qui mériteraient d'être très rapide. Pas seulement les plus âgés.

Actuellement, il existe déjà de nombreuses maladies qui interdisent de conduire même avec un permis valide, et la reprise du volant doit alors se faire après la consultation d'un médecin agréé (néanmoins, le système s'est assoupli à cause d'un trop grand nombre de demandes). C'est le cas pour un AVC, même sans séquelles.

Dans la réalité, à part les quelques restrictions indiquées dès le premier jour sur le permis (par exemple, porter des lunettes), il est très difficile d'appliquer cette restriction médicale sans y mettre plus de moyens. Devoir faire revalider le permis de conduire tous les x années (un peu sur le principe du contrôle technique du véhicule) est un complet changement de paradigme puisque par défaut, et la puce électronique est là pour y veiller, le permis ne serait plus valide sans une démarche pour le revalider.

Pourtant partisan généralement des mesures qui améliorent la sécurité routière, je considère que cette évolution serait inadaptée car le résultat serait faible pour des contraintes énormes. Car, au-delà des moyens considérables (en personnel médical notamment) qu'il faudrait mettre en œuvre, c'est carrément la liberté de circulation des personnes âgées qui serait atteinte, qui engendrerait même un sentiment de culpabilité d'exister (surtout si, d'un autre côté, on commençait à leur proposer l'euthanasie).

Non seulement les personnes âgées sont responsables et savent ce qu'elles peuvent faire (certes, pas toutes), mais les statistiques sont têtues : ceux qui sont le plus souvent les responsables des accidents mortels, ce sont les plus jeunes, pas les plus vieux !

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De nombreuses études l'ont démontré. Je peux citer celle-ci publiée par la revue "Le Travail humain" en 2010 (volume 73) intitulée "Des conducteurs âgés moins dangereux pour les autres : étude des accidents corporels en France en France entre 1996 et 2005" par S. Lafont, Catherine Gabaude, L. Paire-Ficout, Colette Fabrigoule (éd. PUF). Elle analyse des données d'il y a une vingtaine d'années (1 040 912 accidents corporels), et il n'y a aucune raison que cela ait changé car il n'y a pas eu de changement sociologique ou réglementaire très important depuis cette époque.

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La conclusion de cette étude est sans ambiguïté :
« La prise en compte de l'âge des impliqués par le calcul des années de vie disponibles et perdues pour les conducteurs eux-mêmes et pour les autres impliqués montre que les conducteurs âgés représentent une menace plus faible pour les autres usagers que les conducteurs plus jeunes, et cela quelle que soit la situation de conduite dans laquelle ils étaient engagés avant l'accident. ».

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Pour résumer sommairement, les personnes âgées se tuent elles-mêmes mais ne tuent pas les autres (contrairement aux jeunes). Il y a donc évidemment des actions à imaginer pour réduire le nombre de ces accidents (car il y a effectivement, à cause du vieillissement, un
« ralentissement des processus de prise d'information et de décision »), mais mettre toutes les personnes âgées (ou considérées comme telles, c'est-à-dire à partir de 65 ans) sur le grill d'un examen médical régulier ne me semble pas pertinent, rajouter des contraintes alors que les contraintes de leur santé parfois défaillante sont déjà très prégnantes ne renforcerait pas leur esprit de responsabilité, leur lucidité, en un mot, leur sagesse qui est déjà relativement importante.

Dans les zones rurales, la personne âgée qui veut rester vivre chez elle pourrait être très isolée sans pouvoir prendre le volant pour aller rencontrer les gens ou faire leurs diverses démarches pour continuer à vivre de manière autonome. Leur mettre cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête pendant vingt voire trente ans ne me paraît pas raisonnable face aux très légers progrès de la sécurité routière que cela entraînerait finalement. Les pouvoirs publics doivent prendre des décisions au juste équilibre, sinon, il leur suffirait d'interdire la conduite d'automobile sur les routes pour réduire drastiquement ce qui nous reste de mortalité routière. Mais dans ce cas, on entrerait dans une autre société...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (29 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Faut-il en finir avec le permis de conduire à vie ?
L'avenir du périph' parisien en question.
Fin du retrait de point pour les "petits" excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?
Les trottinettes à Paris.
L'accident de Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
Anne Heche.
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100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230429-permis-de-conduire.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/faut-il-en-finir-avec-le-permis-de-248098

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/04/28/39893072.html










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