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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
17 mai 2023

Sainte Bernadette de l'Élysée

« Son mari pataugeait encore dans la mare de la dissolution, Bernadette prenait des initiatives pour attirer les lumières vers elle, montrer de quoi elle était capable. Non, elle n'était pas une potiche. Elle avait invité son amie Hillary Clinton à venir voir la démocratie "en action" dans son fief de Corrèze. » (Catherine Nay, "Tu le sais bien, le temps passe", 2021, éd. Bouquins).




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Quelques semaines après Anne-Aymone Giscard d'Estaing, Bernadette Chirac fête à son tour son 90
e anniversaire ce jeudi 18 mai 2023. Les deux femmes ont pour point commun d'avoir été premières dames, épouses puis veuves d'ancien Président de la République, d'une génération (d'avant-guerre) où les couples étaient généralement stables (d'un point de vue officiel).

Bernadette Chodron de Courcel a connu Jacques Chirac alors qu'ils étaient tous les deux étudiants à Science Po Paris. Elle n'a pas achevé ses études pour se marier. Elle a obtenu une vingtaine d'années plus tard une maîtrise en archéologie. Très active dans les associations caritatives, elle s'est fait un prénom avec l'opération Pièces jaunes (qui finance les aménagements pour que les parents puissent accompagner leurs enfants hospitalisés). Elle a ainsi présidé la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France de 1994 à juin 2019 (Brigitte Macron lui a succédé), et elle a repris aussi la présidence de la Fondation Claude-Pompidou en septembre 2007, après la mort de la veuve du Président Pompidou (jusqu'en 2019 ; Alain Pompidou lui a succédé puis Claude Chirac en décembre 2022).

Très populaire par les Pièces jaunes, Bernadette Chirac l'est aussi pour être allé souvent rencontrer les gens en France. Après l'échec électoral de 1997, elle est devenue une véritable femme politique, au point d'être moquée dans les Guignols de l'Info (avec une forme injuste de fétichisme du sac à main), mais aussi de bien sentir le terrain et d'envisager le passage de Jean-Marie Le Pen au second tour : « Bernadette Chirac, qui faisait le tour de France avec ses signatures de livres, était à l'écoute du terrain, entendait le ras-le-bol des gens à propos de l'insécurité. Des communistes lui disaient qu'ils voteraient Le Pen à cause des trente-cinq heures. Ils en avaient marre des socialistes et de la droite. Elle avait prévenu son mari : "Vous allez voir, Le Pen peut arriver au second tour". Comme d'habitude, il l'avait envoyée sur les roses, il n'y croyait pas. » (Catherine Nay).

En observatrice chevronnée de la vie politique, Catherine Nay a ainsi décrit le jour de la réélection de Jacques Chirac : « Jacques et Bernadette Chirac s'étaient rendus place de la République (…). Le couple était monté sur scène l'air défait, paniqué presque. Je les revois, lui vêtu d'un manteau sombre, elle d'un tailleur noir, le visage sans maquillage. On aurait dit les Ceausescu le jour de leur arrestation. Dans la foule, des jeunes de banlieue en nombre agitaient des drapeaux bleu-blanc-rouge. On voyait aussi beaucoup de drapeaux algériens. "Je me demandais où j'étais", m'avouera plus tard Bernadette. ».

Bernadette Chirac se distingue des autres premières dames par deux caractéristiques importantes : la première, c'est qu'elle se plaisait au Palais de l'Élysée, c'était même la maîtresse de maison amoureuse du château qui s'occupait de tout, décoration intérieure, jardin, menus, etc., au point qu'elle était même en retard dans son déménagement lorsque Nicolas Sarkozy est arrivé. En général, les premières dames appréciaient très peu la fréquentation de l'Élysée, et cherchaient à l'éviter, habitant hors des murs. Elle, au contraire, a rayonné à l'Élysée entre le 17 mai 1995 et le 16 mai 2007.

La seconde caractéristique est plus intéressante : c'est sans doute la première dame qui a été la plus politique de toutes les premières dames de France ! Et cela de deux manières.

La première, c'est d'avoir été élue elle-même. En effet, elle a fait une très remarquable carrière d'élue locale en Corrèze, élue sept fois conseillère générale de la Corrèze de mars 1979 à mars 2015 (trente-six ans !), ainsi que conseillère municipale (voire adjointe au maire à partir de mars 1977) de Sarran, commune de Corrèze, de mars 1971 à mars 2020 (quarante-neuf ans). Le château de Bity, propriété des Chirac depuis 1969, est situé dans la commune de Sarran. Dans ses mandats locaux, Bernadette Chirac a été très active, menant de nombreuses réalisations et profitant de sa notoriété et de son assise nationale pour faire avancer plusieurs projets. Elle sillonnait les routes corréziennes au volant de sa Peugeot 205. Sa carrière corrézienne s'est terminée avec la suppression de son canton (en 2015, la réforme régionale de François Hollande a réduit de moitié le nombre de cantons pour favoriser la parité : chaque nouveau canton a désormais deux élus, une femme et un homme).

Les plus médisants racontent que c'est son mari Jacques Chirac qui l'a vivement encouragée à prendre des mandats locaux en Corrèze, se disant qu'elle occupée ainsi en province, il serait, lui, plus tranquille à Paris de temps en temps ! La seule autre première dame à avoir reçu un mandat des électeurs est Anne-Aymone Giscard d'Estaing, et encore, après le départ de son époux de l'Élysée ; elle a été pour deux mandats conseillère municipale de Chanonat de mars 1983 à juin 1995, ville dont son beau-père fut le maire avant la guerre. Les époux Giscard d'Estaing possédaient en outre le château de la Varvasse qu'ils ont revendu en 2008.

Fine politique, Bernadette Chirac a su faire passer le Tour de France à Sarran en 2001, l'étape s'arrêtant devant le Musée Chirac, à quelques mois de la prochaine élection présidentielle. Et la venue, le 12 mai 1998, de Hillary Clinton, l'épouse du Président américain, en pleine polémique de l'affaire Monica Lewinsky (qui fut une humiliation pour elle), à Sarran (arrivée par la ligne aérienne Washington-Limoges !), a été un coup politique très réussi de la part de Bernadette : « C'était la rencontre de deux femmes trompées, bafouées par leurs maris,ce qui créait entre elles une forme de sororité. » dixit Catherine Nay.

La seconde manière de faire de la politique, c'est d'influer sur le cours des événements. Il est impossible de ne pas avoir la tentation, sur certains sujets qui tiennent au cœur, d'influencer celui qui dirige le pays et dont on partage la vie. Cette part d'influence sera toujours sujette à caution et souvent mystérieuse. Une première dame n'a aucune qualité pour avoir un quelconque rôle au sein de l'État, si ce n'est, et c'est le lot de tous les conjoints (souvent conjointes) d'officiels dans les cérémonies protocolaires, un rôle de représentation. La proximité fait nécessairement qu'une épouse peut confier à l'oreille du chef de l'État quelques éléments de réflexion, oreille généralement peu atteignable pour un simple citoyen. Mais rien ne dit que ces réflexions sont efficaces pour construire une décision.

Avec Bernadette Chirac, on subodore qu'elle a dû avoir un peu d'influence politique sur son mari parce qu'elle a elle-même l'esprit très politique. On peut citer deux exemples qui sont assez bien connus des médias et qui ont été déterminants dans la carrière de Jacques Chirac.

Le premier exemple est en 1979 : à la suite de l'appel de Cochin, profondément anti-européen, obtenu à l'arraché sur son lit d'hôpital (blessé par un accident de voiture), Jacques Chirac a échoué aux premières élections européennes en juin 1979. Il a alors congédié l'inspiratrice de ce mauvais appel, Marie-France Garaud, la conseillère politique (avec Pierre Juillet) de Jacques Chirac depuis une dizaine d'années.

Bernadette Chirac n'a pas été inactive dans ce renvoi qui a été important puisqu'il a motivé la candidature à l'élection présidentielle de 1981 de Marie-France Garaud, prenant ainsi des voix gaullistes à Jacques Chirac (d'autant plus que Michel Debré était aussi candidat). Laissant sa jalousie d'épouse s'exprimer librement, Bernadette aurait dit à Jacques Chirac : c'est elle ou c'est moi ! Ce qui a fait dire à Jacques Chirac, dans "VSD" le 20 septembre 1979 : « Ma femme est devenue un homme politique ! ».

Après coup, Bernadette Chirac a confié à la journaliste politique Christine Clerc, pour "Elle" le 17 septembre 1979 : « [Marie-France Garaud], c'est une femme intelligente et pleine de charme, mais elle a beaucoup de mépris pour les gens. Elle les utilise, et puis elle les jette. Moi, elle me prenait pour une parfaite imbécile. ».

Dans ses "Cahiers secrets", la journaliste Michèle Cotta a confirmé la haine mutuelle entre les deux femmes en évoquant une conversation avec Michel Debré le 29 septembre 1979 : « Bien sûr, Michel Debré avait eu Marie-France Garaud et Pierre Juillet à l'appareil, la semaine dernière. Marie-France lui a parlé de l'interview de Bernadette Chirac dans "Elle", puisque c'est à ce journal féminin qu'elle a dit avoir demandé à son mari de choisir entre sa femme et sa conseillère. Elle en est apparemment affectée. Plus que cela, blessée. "Toute la France, a-t-elle dit à Debré, croit que j'ai été la favorite renvoyée par la reine mère !". ».

Et Michèle Cotta de compléter : « Affectée, peut-être, mais elle a toujours la dent dure, car, après tout, Bernadette a son âge ! La traiter de "reine mère" est particulièrement vachard. Pour quelqu'un qui, comme Marie-France, a une tendance instinctive à mépriser (intellectuellement du moins) les autres femmes, le coup a dû être rude : elle avait toujours pris cette femme pour une sotte, et voilà qu'elle se fait congédier par elle. Congédier, au demeurant, n'est pas le mot, puisqu'elle était déjà partie ! ».

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Le deuxième exemple, c'est la relation avec Nicolas Sarkozy. Entre 1993 et 1995, Bernadette Chirac a été aussi meurtri que son époux de la "trahison" de Nicolas Sarkozy au profit du Premier Ministre Édouard Balladur. Mais une fois élu, Jacques Chirac l'a laissé en disgrâce tandis que Bernadette était convaincue qu'il fallait renouer avec Nicolas Sarkozy et jeter la rancune à la rivière. Après sa réélection en 2002 et deux ans déjà de sarkozysme à outrance dans les médias, Jacques Chirac a tenté de réduire les ardeurs de son potentiel successeur le 14 juillet 2004 en assénant à la télévision : « Je décide, il exécute. ». Un recadrage brutal et humiliant.

Nicolas Sarkozy, hésitant à donner sa démission, a été rattrapé de justesse le lendemain par Bernadette : « "Nicolas, les Français veulent que vous travailliez avec mon mari", elle m'a réconforté ! ».

Beaucoup d'autres exemples ont montré qu'elle s'occupait beaucoup de politique intérieure, n'hésitant pas à exprimer son mépris pour Dominique de Villepin
(qu'elle appelait Néron, le grand stratège ou encore le poète du Président), ou encore pour Alain Juppé lorsque ce dernier était à Matignon, qui a foiré la dissolution, sympathisant même avec des ministres socialistes comme Claude Allègre.

Catherine Nay, dans le deuxième tome de ses mémoires, a retranscrit le témoignage de Pierre Moscovici, alors Ministre délégué aux Affaires européennes : « Parfois, Bernadette était du voyage. C'était toujours un grand moment. Le couple s'envoyait des vannes, j'étais au spectacle. Elle aussi cherchait à séduire. Lors d'un voyage à Saint-Pétersbourg, elle me disait admirer la "dream team" de Jospin. ».

Bernadette soutenait politiquement son époux quand les affaires ont commencé à sortir. Chez Michel Drucker, invitée à la télévision le 22 mai 2001, elle lâcha, majestueuse dans sa communication politique : « Je voudrais simplement dire que je partage la vie d'un homme qui a donné l'essentiel de son existence au service de l'État, au service des autres, avec une très grande générosité et beaucoup de rigueur. En ce moment, je suis animée d'un sentiment un peu de révolte. ».

La journaliste a évoqué aussi le successeur de Lionel Jospin à Matignon le 6 mai 2002, Jean-Pierre Raffarin : « Il plaisait à Bernadette. "J'ai trouvé votre homme !" lui avait-elle dit au retour d'une visite politico-hospitalière dans le Poitou. Sa proximité avec le terrain l'avait séduite. Raffarin plaisait aussi à Claude [Chirac], qui appréciait ses talents de communicant. (…) Bref, il arrivait à Matignon avec la bénédiction de la trinité chiraquienne : le père, la fille, le Saint-Esprit. ».

À la fin de la Présidence, "Le Figaro" a consacré un court article sur Bernadette Chirac (le 13 juillet 2007) : « Longtemps son rôle d'épouse sera tout entier dévolu à l'appétit de pouvoir de cet homme insatiable adepte du mouvement perpétuel. Elle avait décidé de lui être utile sans être ni trop exigeante ni trop regardante. En 1995, quand il accède enfin à l'Élysée, après deux échecs et autant de traversées du désert, Bernadette Chirac a, elle aussi, beaucoup appris de la politique, de ses mirages, de ses pièges et de ses coups bas. La campagne électorale s'est pratiquement déroulée sans elle. Sa fille Claude est devenue "la" conseillère du candidat. La First Lady devient presque une intruse dans le palais où elle réside. Son époux l'ignore, ses collaborateurs aussi. Elle souffre en silence. (…) Elle profite des cinq ans de cohabitation dominée par Lionel Jospin pour s'imposer aux côtés de son mari. Les militants RPR l'adorent. Ils l'acclament à chaque apparition. Soudain, la femme effacée laisse place à une battante qui a requinqué un chef de l'État laissé groggy par la défaite électorale. Sa popularité soudaine atteint des sommets (…). Le quinquennat lui fera oublier des années d'abnégation, pour ne pas dire d'humiliation. Après des décennies à avoir joué les utilités au service de l'ambition d'un homme, Bernadette Chirac a fini par s'imposer comme un premier rôle, voire la pièce maîtresse de la Présidence. ».

Dans ses mémoires, Catherine Nay a attribué à Bernadette un véritable brevet d'animal politique : « Longtemps après, je mesurais combien Bernadette n'avait cessé de conspirer à la réélection de son mari en 2002, convaincue qu'en politique, on ne subit pas l'avenir, on le façonne. Jamais rien d'improvisé avec elle. (…) Mine de rien, par petites touches successives, presque invisibles depuis Paris, elle engrangeait des soutiens pour lui par un travail en profondeur. Le seul à s'en rendre compte était Nicolas Sarkozy. (…) Tout le contraire de Dominique de Villepin qui tenait, lui, la première dame pour quantité négligeable, frôlant parfois l'insolence. Elle le détestait. (…) Parler aux gens, elle savait faire. Snob autant qu'il est possible d'être parfois, la première dame savait se montrer aussi à l'aise accoudée sur une toile cirée, dans une cuisine à la ferme qu'avec les ministres, les artistes, les têtes couronnées. (…) Sa popularité montait en flèche. Elle se donnait beaucoup de mal : "Vous savez que pour beaucoup de gens, Chirac est le mari de Madame Pièces Jaunes", ironisait-elle devant moi. Ça n'était pas qu'un trait d'humour. Traduction politique : ma popularité rejaillit sur mon mari, principe des vases communicants. ».

Après l'Élysée, Bernadette Chirac continua à assurer le service après-vente du chiraquisme en soutenant activement Nicolas Sarkozy en 2007 et surtout, en 2012 alors que son mari plaisantait vaguement en annonçant son vote pour François Hollande, corrézien. Elle a également soutenu Nicolas Sarkozy lors de la primaire LR de novembre 2016.

L'état de santé de Bernadette Chirac, ébranlée par la disparition de sa fille Laurence en avril 2016 et de son mari en septembre 2019, est faible selon ses proches. Sa fille Claude, elle, a pris la relève de ses parents en se faisant élire, en juin 2021, conseillère départementale du canton de Brive-la-Gaillarde dans le département de la Corrèze, dont le président du conseil général fut longtemps un certain Jacques Chirac (entre mars 1970 et mars 1979).

Elle-même un peu peau de vache, Catherine Nay a assuré sur la chaîne C8 le 19 janvier 2023 que Bernadette Chirac était parfois une "peau de vache effrayante et snobe" : « Bernadette Chirac, je la voyais chez le coiffeur, c'était une peau de vache effrayante et snobe ! Elle était très lunatique (…). Parfois, elle ne disait pas bonjour. On ne savait pas pourquoi ! (…) [Elle] pouvait dire des choses très drôles (…). Elle me disait toujours "il me trompe" et c'est vrai qu'il la trompait ! (...) Elle a souffert, elle n'a jamais voulu divorcer. Malgré tout, ils riaient ensemble ! Ils avaient des rapports qui n'appartenaient qu'à eux. ». Et depuis 2018, la famille Chirac s'est éloignée des journalistes.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (14 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jacques Chirac.
Bernadette Chirac.
Brigitte Macron.
Anne-Aymone Giscard d'Estaing.
Carla Bruni.
Ségolène Royal.
Valérie Trierweiler.
"Merci pour le moment".
Julie Gayet.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230518-bernadette-chirac.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sainte-bernadette-de-l-elysee-248213

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/05/14/39908502.html






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