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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
18 août 2023

Roman Polanski et son double nommé Violanski

« Rions gaiement de la censure, des culs gelés, des pisse-froid, en un temps où règne quotidiennement la poursuite pour outrage aux mœurs, c’est à ce bon vieux pédéraste d’André Gide qu’on a donné le Prix Nobel, ce qui donne à tous ces phénomènes un estimable relent de pataphysique. » (Boris Vian,1958).




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Le réalisateur franco-polonais Roman Polanski fête son 90e anniversaire ce vendredi 18 août 2023. Cinq Césars du meilleur réalisateur, une Palme d'or au Festival de Cannes, un Oscar du meilleur réalisateur, un Ours d'or, un grand prix du jury de la Mostra de Venise... Ces récompenses prestigieuses ont toutes honoré un grand cinéaste de talent pourtant très controversé. L'occasion de revenir sur la polémique des dernières années concernant l'auteur de nombreux excellents films, notamment "Le Bal des vampires" (1967), "Rosemary's Baby" (1968), "Chinatown" (1974), "Tess" (1979), "Frantic" (1988), "Le Pianiste" (2002), "The Ghost Writer" (2010) et "J'accuse" (2919).

Effectivement, le 10 mars 1977, le réalisateur qui travaillait à Hollywood a abusé sexuellement d'une adolescente de 13 ans à la suite d'une séance photographique. Lui-même avait 43 ans et il fut arrêté le lendemain, accusé d'avoir drogué et violé la jeune fille. Il a plaidé coupable pour "rapports sexuels illégaux avec une mineure" en contrepartie de l'abandon des autres charges, et a été condamné à 90 jours de prison et libéré au bout de 42 jours (pour "conduite exemplaire"). Mais le juge qui l'a relâché est revenu en arrière et a voulu l'arrêter à nouveau, mais anticipant ce revirement, le réalisateur a quitté les États-Unis le 31 janvier 1978 pour s'installer définitivement en France... et n'y est jamais revenu car la justice n'ayant pas bouclé l'affaire, il y est toujours recherché par la police américaine.

En 1979, Roman Polanski a publiquement reconnu qu'il était attiré par les "jeunes filles". En 1997, sa victime de 1977, entre-temps mariée, a annoncé publiquement qu'elle lui pardonnait, a retiré sa plainte et a demandé aux juges de ne plus revenir sur cette affaire :
« Je lui ai pardonné pour moi, pas pour lui. Tout le monde veut me voir traumatisée, brisée, mais c'était il y a trente-six ans, maintenant, ça va, merci. Et tant pis si je ne suis pas la victime idéale, celle que veulent voir les médias ou le procureur. » affirma-t-elle en 2009.

L'affaire a rebondi en septembre 2009 lorsque Roman Polanski s'est rendu à Zurich et a été arrêté par la police suisse pour examiner une demande d'extradition de la justice américaine. En France, cette arrestation a indigné de nombreux artistes, ce qui a suscité une forte polémique au point que le Ministre de la Culture lui-même, Frédéric Mitterrand, neveu de l'ancien Président, s'est retrouvé dans la tourmente en tant qu'auteur d'un roman vaguement autobiographique qui évoquait son amour des "jeunes hommes".

Après deux mois de détention, puis une assignation à résidence dans son chalet de Gstaad de huit mois, Roman Polanski fut de nouveau libre quand la justice suisse a annoncé le rejet de la demande d'extradition en juillet 2010. En raison des risques d'extradition, le réalisateur ne peut circuler sans crainte d'être arrêté que dans trois pays, la France, la Suisse et la Pologne qui avait rejeté une autre demande d'extradition en 2014 lors de son passage à Cracovie.

Depuis mai 2010, onze autres femmes (dont cinq restées anonymes) ont accusé Roman Polanski d'agressions sexuelles ou de viols (alors qu'elles étaient pour la plupart mineures), faits que ce dernier a fermement contestées. La crédibilité de la première accusatrice, Charlotte Lewis, a été vite attaquée par l'avocat du cinéaste, Georges Kiejman, qui faisait remarquer que l'accusatrice aurait reconnu publiquement en 1999 qu'elle se prostituait à l'époque et que trois ans après les faits allégués, elle était choisie par Polanski pour tourner dans son film "Pirates" (1986). Depuis treize ans, de nombreux militantes féministes ont perturbé les déplacements du réalisateur ou les événements l'honorant (comme la rétrospective Polanski à la Cinémathèque française en 2017), pour fustiger "Violanski".

Ces accusations, fondées ou non fondées, ont conduit Roman Polanski à renoncer à présider la cérémonie des Césars en 2017 et le réalisateur a été aussi exclu de l'Académie des Oscars en 2018, dans la suite de l'affaire Harvey Weinstein. En 2020, la polémique a resurgi lorsqu'il a été porté en triomphe le 28 février 2020 aux Césars (avec trois prix) pour son (excellent) film "J'accuse" (qui n'est pas le dernier, puisqu'il a réalisé ensuite "The Palace" avec Fanny Ardant et Mickey Rourke, entre autres, qui sortira après septembre 2023).

À l'
occasion de la sortie de "J'accuse" (sorti le 13 novembre 2019), Roman Polanski y a vu une analogie avec l'antisémitisme : « Je ne parlerais pas d'une identification, ou alors dans un sens assez général. L'essentiel de cette affaire, c'est quoi ? Le refus d'une institution, l'armée en l'occurrence, de reconnaître son erreur, et son obstination à s'enfoncer dans le déni en produisant de fausses preuves. Moi, je connais ça, même si ce n'est pas avec l'armée. » (mai 2019). Répondant à l'écrivain Pascal Bruckner qui lui a posé en août 2019 cette question polémique : « En tant que Juif pourchassé pendant la guerre, que cinéaste persécuté par les staliniens en Pologne, survivrez-vous au maccarthysme néo-féministe d'aujourd'hui ? », Roman Polanski se serait implicitement comparé à Dreyfus : « Je peux voir la même détermination à nier les faits et me condamner pour des choses que je n'ai pas faites. ». Une fois la polémique enflée, la défense du film a changé d'argument et l'identification à Roman Polanski a été mise en sourdine.

On se retrouve dans la difficulté de deux permanentes questions, celle de l'accusé qui revendique son innocence (qui a raison, ses accusatrices de faits datant de presque cinquante ans ou lui qui les dément ?) et aussi de celle de l'œuvre d'art et de l'artiste, peut-on voir une œuvre sublime d'un artiste supposé horrible ? L'art n'excuse pas tout, ni la célébrité, mais un film n'est pas l'œuvre d'un seul, c'est un projet collectif.

Y a-t-il un nouvel ordre moral ? Ce que Boris Vian soulignait dans un ouvrage paru en 1958 (voir au début de l'article), à savoir la contradiction entre une sorte d'ordre moral et de promotion d'auteurs qui seraient plongés dans la débauche (en l'occurrence, ici André Gide), on pourrait le retrouver dans cette réflexion de l'ancien député UMP Christian Vanneste, qui ne renierait pas ses sympathies zemmouriennes, publiée dans son blog le 8 mars 2020 : « Une sorte de puritanisme renaissait à partir d’une répulsion à l’encontre de la pédophilie ou de la sexualité sans frein des "dominants". Inévitablement, ce retour devait se heurter à liberté d’expression. Sade était un grand malade qui a écrit des choses monstrueuses et abjectes… mais c’était un écrivain, comme Gide était pédophile et Céline antisémite. Ils avaient écrit, et tout leur était pardonné. Matzneff n’a plus cette chance, et Polanski dont le cinéma n’est pas lié à une monomanie perverse est cependant censuré par certains en raison d’actes sans rapport avec son œuvre. Le ministre de la culture est même redevenu le censeur des arts pour le disqualifier non pour ses films mais pour les turpitudes que la rumeur lui prête. Quel retour ! Celui de l’ordre moral ! ».

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Parce que j'ai beaucoup apprécié
"J'accuse" qui, loin de seulement dresser un portrait du capitaine Dreyfus, s'est avant tout focalisé sur la personnalité du colonel Picquart (qui allait ensuite devenir ministre), revisitant ainsi une affaire historique sous un angle original, je salue l'Académie des Césars qui a attribué les trois Césars à ce film en toute indépendance en dehors de toute pression (le conseil d'administration de cette académie a démissionné à la suite de la polémique provoquée par l'annonce du palmarès), comme je salue les juges qui auront éventuellement à juger l'homme en toute indépendance en dehors de toute pression.

Il faut vraiment insister sur le fait qu'un film n'est pas l'œuvre du seul réalisateur mais de toute une équipe, nombreuse, ce projet est collectif et ne doit pas être confronté à des éventuels faits allégués à une seule personne. Au même titre qu'on ne va pas ne plus acheter de véhicule Renault sous prétexte que son patron Carlos Ghosn serait en mis en accusation de malversations financières au Japon.

À
l'occasion de la Journée pour la femme le 8 mars 2020, plus d'une centaine d'avocates (114 exactement) ont apporté dans "Le Monde" leur soutien à Roman Polanski en ces termes : « Roman Polanski a fait l’objet de plusieurs accusations publiques, parmi lesquelles une seule plainte judiciaire qui n’a donné lieu à aucune poursuite : il n’est donc pas coupable (…). ». Ce soutien de femmes juristes est important car il rappelle un élément majeur dans le droit français, la présomption d'innocence, principe qui doit protéger tout le monde, y compris les célébrités. S'il est coupable, qu'il soit jugé et condamné !

Roman Polanski a été pourchassé lorsqu'il était enfant par les nazis, au ghetto de Cracovie. En 1943, sa mère enceinte et sa grand-mère ont été assassinées à Auschwitz et son père, interné à Mauthausen, a échappé à la mort. La question de l'antisémitisme est très forte dans l'esprit de Roman Polanski et ce n'est pas un hasard si un antisémitisme s'exprime aussi à l'occasion des dernières polémiques. Certes, ni les militantes féministes ni les prétendues victimes qui se sont indignées des dernières récompenses attribuées à Roman Polanski ne peuvent être taxées d'antisémitisme, mais leurs actions confortent celui-ci : quand on parle d'esprit de classe, de défense communautaire, on laisse entendre que c'est parce qu'il est Juif qui serait protégé (en l'occurrence, en 1943, c'était bien parce qu'il était Juif qu'il était pourchassé).

Nul doute que la sortie, cet automne, de son dernier film "The Palace" fera rejaillir la polémique, d'autant plus qu'il se déroule dans un environnement qui est familier au réalisateur : dans un luxueux chalet à Gstaad...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 août 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Polanski césarisé au milieu des crachats.
"J’accuse" de Roman Polanski.
Faut-il boycotter Roman Polanski ?
Roman Polanski.
Roger Pierre.
Jean-Marc Thibault.
Richard Attenborough.
Jean-Pierre Melville.
Maria Pacôme.
Serge Gainsbourg.
Jane Birkin.
Justine Triet.
Clint Eastwood.
Les Randonneuses (série télévisée).
L'Affaire d'Outreau (documentaire télévisé).
Lycée Toulouse-Lautrec (série télévisée).
À votre écoute, coûte que coûte !
Tina Turner.
Florent Pagny.
Claude Piéplu.
Arielle Dombasle.
Jacques Dutronc.
Richard Gotainer.
Sarah Bernhardt.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230818-polanski.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/roman-polanski-et-son-double-nomme-249693

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/08/13/40008334.html





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