Hubert Deschamps dans le box des accusés
« Cet homme, cet homme qui est là, prostré, diminué, chafouin, cacochyme, malhonnête à coup sûr, communiste peut-être, cet homme (…) porte en lui une double personnalité. Oui (…), je suis en mesure de l'affirmer aujourd'hui : Hubert Deschamps en a deux ! (…) Sous ses dehors de plouc faux-jeton, Hubert Deschamps cache en réalité une âme de vrai faux-cul. C'est pour ça qu'exceptionnellement, je demande la réclusion criminelle à perpétuité avec sursis. » (Pierre Desproges, le 5 mai 1981).
Le prévenu de ce mythique "Tribunal des flagrants délires" diffusé sur France Inter juste avant l'arrivée de la gauche au pouvoir, n'a pas pris ombrage du n'importe-quoi débité par l'avocat général Pierre Desproges parce qu'à l'époque, les comiques aimaient bien se taquiner entre eux. Hubert Deschamps, comédien et acteur, a sans doute plus hurlé cinq jours plus tard quand la Bastille était une nouvelle fois prise d'assaut par le peuple, lui, le monarchiste gentillet, le bourgeois parisien qui ne faisait qu'aller et venir du sixième au septième arrondissement et qui ne traversait la Seine que le 21 janvier de chaque année pour commémorer la mort du roi à Saint-Germain-l'Auxerrois. Il s'appelait parfois Hubert Deschamps de Saint-Germain-des-Prés (à l'époque, c'était un honneur d'être germanopratin !).
Petit jour particulier aujourd'hui puisqu'il y a 100 ans, le 13 septembre 1923, Hubert Deschamps est né à Paris. Il est mort d'une crise cardiaque à l'âge de 75 ans le 29 décembre 1998, à Paris également, il y a donc près de vingt-cinq ans. À 20 ans, pour refuser le STO, il s'est engagé dans la résistance à Grenoble et dans la 2e division blindée (la division Leclerc) ; au cours des combats, lors de la Bataille de Royan, il a été blessé, avec quatorze éclats d'obus dans la jambe, ce qui lui a valu de boiter un peu et de recevoir la Médaille militaire et la Croix de guerre 1939-1945, comme l'indique sa tombe au cimetière de Chêne-Arnoult, dans l'Yonne (il n'en était pas pour autant un gaulliste, il considérait au contraire De Gaulle comme un... c@n !).
Hubert Deschamps n'a peut-être pas connu les heures de gloire des grandes stars du cinéma français (il n'a eu qu'un seul premier rôle, dans "La Gueule ouverte" de Maurice Pialat, sorti le 8 mai 1974, avec Philippe Léotard et Nathalie Baye ; Maurice Pialat avait hésité entre lui et Francis Blanche pour jouer le mari d'une personne malade du cancer, qui s'apparentait à la mère du réalisateur). Cependant, il fait partie de notre mémoire nationale comme un talent d'après-guerre qui en a imposé par la subtilité de son humour. Et aussi par la somme de ses participations pendant plus de cinquante ans de carrière : plus de cent trente films au cinéma sortis entre 1950 et 1999, plus de soixante-dix téléfilms ou épisodes de série à la télévision diffusés entre 1954 et 1994 (comme "L'Affaire Seznec", réalisé par Yves Boisset dans une adaptation du livre de Denis Langlois, diffusé sur TF1 le 7 janvier 1993), sans compter ce qu'il préférait, à savoir les quelque soixante-dix pièces de théâtre qu'il a jouées sur scène entre 1949 et 1998. Il n'était pas peu fier que le dramaturge Jean Anouilh a imaginé un personnage en pensant à lui pour plusieurs de ses pièces, comme "L'Hurluberlu ou le Réactionnaire amoureux", créée le 5 février 1959 (avec Paul Meurisse et Édith Scob).
Fils de l'académicien Paul Deschamps, historien médiéviste qui a fait l'École des Chartes, conservateur de musées et de monuments, Hubert Deschamps était très cultivé et assurait à la fin de sa vie qu'il regardait peu la télévision, sauf les journaux télévisés et aussi une série humoristique qu'il ne ratait jamais, "Les Deschiens" centrée sur une famille de fromagers peu cultivés, créée par son neveu Jérôme Deschamps et la compagne de celui-ci, Macha Makeïeff. Pour Hubert Deschamps, cette troupe de théâtre (composée notamment de Yolande Moreau, François Morel et Philippe Duquesne) lui rappelait de bons souvenirs, à ses débuts : « Je retrouve chez lui et cette bande de Deschiens l'esprit de compagnie que j'ai pu connaître chez Grenier-Hussenot (quatre années de fous rires) ou chez les Branquignols de Robert Dhéry. ».
L'expérience de la scène était inégalable. Pour se faire de l'argent dans les années 1950, il se produisait le soir, après le théâtre, dans des cabarets parisiens aux côtés de Fernand Raynaud, Darry Col, Yves Robert, Jean Rochefort, les frères Prévert, etc. Hubert Deschamps a formé un duo comique avec le très savoureux Jacques Dufilho (qu'il adorait et dont l'aplomb l'impressionnait beaucoup), un duo qui amusait beaucoup les spectateurs. Ils étaient notamment deux vieilles poinçonneuses dont les personnages ont probablement inspiré les Vamps. Dans un entretien accordé à Fabrice Guillermet en 1995, Hubert Deschamps parlait ainsi de son compère Jacques Dufilho : « Jacques est le type qui m'a fait le plus rire. Il n'y avait pas moyen de le démonter. Je n'ai jamais vu quelqu'un avoir autant d'aplomb pour trouver une réponse encore plus délirante à la réplique la plus saugrenue. ».
Au cinéma, très souvent présent dans les années 1960, 1970 et 1980, Hubert Deschamps avait rarement des rôles majeurs, mais ses apparitions apportaient des épices bienvenues dans les productions, même parfois lorsqu'elles étaient des navets. Au début, il était jeune (La Palisse), mais très vite, il campait des personnages sans âge ou "vieux", rarement séduisants, des Français moyens, des paysans, et son humour était très marqué. Il était un peu comme Michel Robin, Julien Guiomar, Jean-Luc Bideau, Roger Dumas, Jacques Marin, Michel Aumont ou encore Robert Dalban, et plein d'autres comédiens qui servaient l'œuvre et pas l'inverse, ils n'étaient pas des stars du cinéma mais des inamovibles personnages du cinéma français. Des artisans qui manquent aujourd'hui, certainement.
Je propose de rappeler quelques excellents rôles de l'ami Hubert Deschamps. Faut-il s'étonner que dans quatre exemples sur les cinq que je cite, les films soient réalisés par Claude Zidi ?
D'abord, dans l'incontournable film "Les Sous-doués" (sorti le 30 avril 1980), Hubert Deschamps est le professeur de mathématiques et d'anglais, ce qui était étonnant alors qu'il a été un élève toujours nul en maths dans sa scolarité ; dans ce film, il est aussi le mari de Maria Pacôme, la "pétulante" directrice de l'école. Dans un autre numéro de la série, "Les Sous-doués en vacances" (sorti le 10 mars 1982), film connu pour l'agaçante et récurrente chanson de Guy Marchand !, Hubert Deschamps est un désopilant chirurgien : à chaque apparition, il coupe un bout de la jambe d'un même patient, alternant la jambe gauche et la jambe droite (pour tenter vainement de faire une hauteur commune !).
Dans la comédie policière "Inspecteur Labavure" (sorti le 3 décembre 1980) avec Coluche et Gérard Depardieu dans les rôles principaux, Hubert Deschamps est Marcel Watrin, le vieux flic proche de la retraite qui apprend le métier au p'tit jeune Coluche (Michel Clément), par ailleurs fils d'un flic tombé en service, héros posthume de la maison.
Dans "Tendre poulet" de Philippe de Broca (sorti le 18 janvier 1978), qui raconte les retrouvailles de deux amis d'enfance, un intello Philippe Noiret, helléniste anti-police, et une commissaire de police Annie Girardot, embarquée dans une affaire policière, une série de députés assassinés par un poinçon. Hubert Deschamps est dans le rôle du concierge Charmille et (attention, spoiler !), c'est lui le méchant !
Revenons à Zidi pour la fin avec "Association de malfaiteurs" (sorti le 11 février 1987), que j'ai adoré, film qui retrace la rivalité entre d'anciens élèves de HEC, en particulier entre François Cluzet et le requin sans-scrupules Jean-Pierre Bisson qui reluque la femme du premier. Hubert Deschamps est l'oncle Gadin, celui de Christophe Malavoy. François Cluzet et Christophe Malavoy, recherchés par la police dans une affaire de finances, sont hébergés clandestinement en banlieue par l'oncle Gadin... qui a une tortue. Chaque fois qu'il revient le voir, François Cluzet échange sa tortue avec une autre tortue, plus grande. La scène la plus drôle reste celle où la fiancée de François Cluzet le rejoint chez cet oncle. Pour remercier Hubert Deschamps de son accueil, il lui montre la beauté nue de la jeune femme qui dort encore sur le lit (jouée par la charmante Claire Nebout). C'est à ce moment-là que la formule utilisée par les vendeurs de fruits et légumes a tout son sens : touchez avec les yeux !
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Sylvain Rakotoarison (09 septembre 2023)
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Pour aller plus loin :
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Les Randonneuses (série télévisée).
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