65 ans de Ve République (2) : les propositions constitutionnelles d'Emmanuel Macron
« Je crois, dès lors, que notre Constitution mérite d'être révisée quand cela est nécessaire, tout en assignant deux impératifs majeurs : être conséquents et être cohérents. La réforme institutionnelle doit toujours répondre à ces deux nécessités. On ne révise pas la Constitution sous le coup de l'émotion, pour répondre à des modes ou pour la beauté du geste. C'est là un acte grave, c'est la raison pour laquelle il n'est jamais simple à accomplir. » (Emmanuel Macron, le 4 octobre 2023).
Je bouleverse un peu l'ordre envisagé initialement de mes articles sur les institutions pour évoquer le discours du Président de la République Emmanuel Macron prononcé ce mercredi 4 octobre 2023 au siège du Conseil Constitutionnel (accueilli par un dinosaure de la vie politique française, Laurent Fabius, Président du Conseil Constitutionnel dont le mandat se termine en mars 2025). À cette occasion, j'ai trouvé les propos présidentiels globalement pertinents, alors que j'étais profondément opposé à son projet de révision constitutionnelle de 2018. Ce discours, en présence notamment de la Première Ministre Élisabeth Borne, du Président du Sénat Gérard Larcher (qui vient d'être réélu) et de la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet, consacrait le 65e anniversaire de la Cinquième République.
Au-delà d'une fresque historique sur les deux derniers siècles, dont l'intérêt était plus littéraire que politique, Emmanuel Macron a rappelé quelques évidences et cela me navre qu'elles sont parfois oubliées de responsables politiques qui se disent (encore) gaullistes.
L'importance de l'État de droit qui, quelquefois, peut entrer en opposition avec la volonté populaire du moment (c'est justement au Conseil Constitutionnel d'arbitrer) : « Un gouvernement élu qui ne respecterait plus l'État de droit reviendrait à acquiescer la tyrannie de la majorité, la persécution des minorités, l'oppression des oppositions. Une République tient toujours sur cet équilibre le plus souvent harmonieux entre la voix du peuple et la force de nos droits fondamentaux. Une République, c'est un peuple qui s'exprime et se détermine de manière souveraine, mais au sein d'un univers de valeurs démocratiques qui l'a précédé et lui survivra. ».
Ensuite, la souveraineté européenne qui, loin de s'opposer à la souveraineté nationale, la conforte : « Cette souveraineté du peuple, enfin, s’enchâsse dans notre Europe. Le Conseil Constitutionnel a dans son office la charge de s’assurer que la mise en conformité de nos lois nationales avec les règles européennes que nous choisissons respecte, chaque fois, "l’identité constitutionnelle de la France". L’Europe n’est donc jamais une dépossession. C’est au contraire la saisie plus forte de notre avenir, en toute souveraineté. Et il fallait sans doute cette Constitution-là pour nous permettre de bâtir l’Europe telle qu’elle est. Parce que cette Constitution est si française, dans son premier article 1er, dans l’Histoire qu’elle récapitule, qu’elle nous permet de nous dépasser avec confiance, d’être pleinement français et européen. ».
Il y a les textes fondamentaux et il y a ses acteurs, il ne faut pas croire que tout dépend des textes : « Une Constitution ne peut pas tout. Et face à ces défis du temps, on voudrait parfois voir dans le changement d'un texte constitutionnel la réponse aux situations que nous vivons. Elle ne peut pas tout. Et la morale publique, le sens des responsabilités, l'exemplarité des élites, comme le sens du devoir de chaque citoyen, sont des fondements qui ne dépendent pas d'un texte. ».
Enfin, il est rassurant que le garant constitutionnel de la Constitution ait réaffirmé haut et fort le trésor que nous possédons : « Caractère hybride, ismpur, c'est ce qui fait sa force. L'histoire l'a prouvé et elle a survécu durant ces décennies à tant de crises. Dès lors, cette Constitution stable, souple, adaptative (…), parce qu'elle permet d'agir, est un bien précieux à préserver. ».
Et de compléter par la foi de l'expérience : « De là où je suis, c'est ainsi que j'entends la charge qui m'a été deux fois confiée par les Français. Je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt de la France, ni dans la cohérence de son histoire de changer de République. Je le dis comme Président investi du devoir de la défendre, mais aussi avec la conviction du citoyen qui, pendant ces années, a observé et réfléchi au mouvement de notre peuple, à ce que nous apprend notre histoire et à ce que nous devons conclure des accidents des autres démocraties. Pour moi, ce serait tout à la fois inutile et présomptueux, nos institutions conservent, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, toutes leurs forces. ».
Au lieu de vouloir faire un "toilettage" complet de la Constitution, ce qu'a fait Nicolas Sarkozy en 2008 et qu'ont échoué de faire François Hollande et aussi Emmanuel Macron pendant son premier quinquennat, comme si chaque nouveau Président de la République se devait de refaçonner la Constitution à son image ! Au lieu de cela, l'Emmanuel Macron du deuxième quinquennat est devenu plus modeste et plus focalisé sur l'essentiel dans les objectifs d'amélioration et d'évolution de la Constitution, même si « préserver la Constitution, ce n'est pas la figer ».
La première piste vise à renforcer le référendum. À l'évidence, la défiance du peuple vient aussi du fait qu'on ne le consulte pas suffisamment. Le Président de la République voudrait ainsi ouvrir le chantier référendaire, au risque d'imiter François Mitterrand pendant l'été 1984 (ce qui a terminé par un fiasco politique après le rejet du Sénat).
Cela consisterait d'abord à élargir le champ référendaire : « Il existe encore des domaines importants pour la vie de la nation qui échappent au champ de l'article 11 de notre Constitution. J'ai ouvert ce chantier, à Saint-Denis, avec l'ensemble des forces politiques représentées au Parlement (…), et je souhaite que nous puissions trouver, collectivement, les moyens de mener à son terme ce chantier, en lien étroit avec les Présidents de nos assemblées. Mais disons-le avec clarté, étendre le champ du référendum ne peut permettre et ne saurait permettre de se soustraire aux règles de l’État de droit, comme je l'ai rappelé. ».
Ensuite, cela voudrait dire aussi assouplir les conditions irréalistes du référendum d'initiative partagée : « Cette procédure utile est aujourd'hui excessivement contrainte. Sa mise en œuvre doit être plus simple et les seuils permettant son usage, comme peut-être ses procédures, devraient dès lors être revus. ».
Emmanuel Macron veut aussi se pencher sur la concurrence entre Parlement et référendum : « Une troisième question émerge, derrière le sujet du référendum, celle qui consiste aussi à établir des garanties solides pour éviter la concurrence des légitimités. J'ai été frappé, durant ces dernières années, en écoutant nos concitoyens, comme plusieurs formations politiques, au fond du ressentiment qui était né du vote de 2007 revenant sur les résultats du référendum de 2005. Et il nous faut en tirer la substantifique moelle et cette question, au fond, de la bonne articulation entre les légitimités démocratiques est une question essentielle qu’il nous faut trancher dans la réforme du référendum. Vouloir faire un référendum sur le sujet, qui vient d’être débattu par le Parlement et d'être tranché par une loi, n'est, je crois, pas de l'ordre du bon gouvernement car il ferait bégayer la République et consisterait en quelque sorte à créer un système permanent de balancier, ou ce que le Parlement aurait décidé une année, un référendum d'initiative partagée pourrait le défaire un an, deux ans ou trois ans plus tard. (…) À l'inverse, si le peuple sollicité par un référendum venait à décider de tel ou tel sujet et que le Parlement pouvait y revenir un an, deux ans plus tard, dans les mêmes termes et défaire ce qui venait d'être dit, le peuple se sentirait légitimement floué. Nous avons aussi, dans le cadre de cette réforme, je crois essentielle, et que nous ne devons pas écarter, éviter toute forme de confusion et préserver la force de notre démocratie représentative, préserver évidemment la force de la démocratie directe et de ses voix, mais assurer leur respect réciproque et la bonne organisation de ces expressions. Sinon l'une et l'autre se brouilleraient, s’affaibliraient et c'est toute la République qui en perdrait cet équilibre et cette force que je défends depuis tout à l'heure. ». Au-delà de l'incohérence politique, c'est aussi la stabilité du cadre juridique français qui est en jeu.
Je crois que ce dernier point est un élément majeur qui pose problème, et cela montre qu'Emmanuel Macron a étudié la question. En effet, en rappelant le court-circuitage (légal) du référendum sur le TCE de 2005 par le Traité de Lisbonne en 2008, il a mis le doigt sur la cicatrice qui pourrait faire mal, même si, à mon sens, on oublie un peu trop vite, lorsqu'on évoque ces sujets, qu'il s'est passé entre les deux dates un élection présidentielle et que le candidat élu à la Présidence de la République avait très clairement dit ce qu'il ferait dans ce domaine.
Il reste que le concurrence des légitimités est un réel problème constitutionnel. Jusqu'à maintenant, on l'évoquait seulement le rapport de force entre le Président de la République élu par le peuple et l'Assemblée Nationale élue aussi par le peuple. Cela a valu de nombreuses discussions parfois théologiques sur la cohabitation. Mais aujourd'hui, il ne s'agit pas d'une rivalité entre deux camps politiques (à la légitimité différenciée), mais plutôt de la rivalité entre la classe politique dans son ensemble et le peuple français. On a bien observé dans les postdébats sur la réforme des retraites que vouloir un référendum qui abrogerait une loi votée par le Parlement peu de temps auparavant ne paraît pas pertinent sauf à vouloir revisiter tout le travail parlementaire. Il s'agirait donc surtout de codifier les unités de temps : on ne peut pas abroger une loi par référendum avant un certain nombre d'années de sa promulgation (Emmanuel Macron envisagerait trois ans).
Le deuxième chantier institutionnel choisi par le Président de la République est la décentralisation et l'aménagement du territoire. Là aussi, ce choix est ultra-pertinent, il y a un réel besoin de redéfinir les objectifs et les moyens, et surtout, d'en finir avec la réforme à la va-vite de 2014 qui posent d'énormes problèmes notamment financiers à de nombreuses collectivités territoriales. Dans son discours, Emmanuel Macron a introduit ce thème en évoquant d'abord les statuts particuliers de la Nouvelle-Calédonie et de la Corse (et on pourrait ajouter de la Polynésie française), mais pour déboucher sur le plus important : « Toute notre architecture territoriale est à repenser, parce que depuis 40 ans, l'idéal de démocratie locale a organisé l'empiétement, la concurrence parfois, la coexistence en tout cas de collectivités et de l'État, parfois des collectivités entre elles, sans que l'écheveau des compétences ne soit réellement tranché. Cette décentralisation inachevée produit de l’inefficacité pour l’action publique. Elle produit aussi de la perte de repères pour nos concitoyens. Qui est responsable de quoi ? Quand et comment sont désignés les dits responsables ? Quel impôt concourt à quel service public ? Une grande majorité de Français ne connaissent plus les réponses à ces questions simples. Je l’ai dit au début de mon propos, la République a gagné dans les urnes et dans l’esprit des Français quand elle a su leur offrir la clarté et la légitimité. (…) J'ouvrirai ce chantier d'une nouvelle étape de la décentralisation avec l'ensemble des forces politiques et en coordination étroite avec le Président du Sénat et la Présidente de l’Assemblée Nationale. ». Là encore, ce sujet est particulièrement compliqué et demanderait beaucoup d'innovation, de nouvelles idées.
D'autres propositions de révision, plus accessoires, ont été abordées par le Président de la République. D'abord, l'inscription de l'IVG dans la Constitution : cela me paraît juste un gadget plus inutile qu'autre chose, car personne dans la classe politique ne remet en cause sérieusement l'IVG. Du reste, il est à parier que le Conseil Constitutionnel considérerait la loi sur l'IVG incluse dans le bloc de constitutionnalité, bien que simple loi, au même titre que la fameuse loi du 9 décembre 1905 de séparation de l'État et des Églises. Autre point : « L'idée d'inscrire la protection du climat au cœur de nos normes constitutionnelles peut s'avérer aussi un signe d'engagement de notre nation en train d'inventer son propre chemin de progrès, de science et de justice dans la lutte contre le réchauffement climatique. ». Mais là aussi, ce n'est que symbolique et n'exonère pas de faire le travail pour réagir. Enfin, un sujet récurrent, l'indépendance du parquet : « Il nous appartiendra, ensemble, dans les mois à venir, d'apprécier si une majorité est possible dans cette direction. ». Il a aussi évoqué la procédure législative, mais ce sujet est tellement polémique qu'il y a peu de chance d'aboutir à un consensus.
Bien que réduite à ces cinq points (deux chantiers compliqués et trois plus faciles à rédiger), cette révision constitutionnelle qu'a proposée Emmanuel Macron a le mérite d'être claire et sans risque d'un bouleversement désastreux de nos institutions, à la réserve près que le risque de déséquilibre peut provenir d'une modification du référendum mais il a été précisé justement le danger, celui de mettre en alerte notre État de droit et nos valeurs fondamentales. J'ai donc trouvé ces objectifs sages par à la fois leur modestie politique mais aussi leur difficulté technique.
Les trois derniers points sont, à mon sens, des paillettes pour la vitrine qui ne serviront pas à grand-chose sinon à l'affichage. En revanche, les deux premiers chantiers sont au cœur du malaise démocratique d'aujourd'hui et c'est heureux de se focaliser sur eux sans diversion et sans ouvrir la boîte de Pandore.
Après, peut-on parler de cynisme de la part d'Emmanuel Macron sur ce sujet ? Car toute réforme institutionnelle a besoin de l'approbation des deux chambres du Parlement puis d'une majorité des trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès (ou du peuple en cas de référendum). Autant donc dire que les chances de réussir à aller jusqu'au bout de la procédure sont quand même assez maigres, et le Président le sait, même si elles ne sont pas nulles. Ce serait au moins l'occasion de montrer aux citoyens que la classe politique se préoccupe d'abord de l'intérêt général avant de ses petits intérêts partisans en coconstruisant une telle réforme qui, évidemment, redonnerait une certaine vitalité politique à Emmanuel Macron mais dont il ne pourra de toute façon pas bénéficier pour se représenter.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
65 ans de Ve République (2) : les propositions constitutionnelles d'Emmanuel Macron.
Discours du Président Emmanuel Macron le 4 octobre 2023 sur la Constitution de la Cinquième République (texte intégral et vidéo).
Ve République (1) : 65 ans et toutes ses dents !
L'autonomie de la Corse ?
Discours du Président Emmanuel Macron le 28 septembre 2023 à Ajaccio sur le statut de la Corse (texte intégral et vidéo).
Les Rencontres de Saint-Denis : une innovation institutionnelle d'Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron et la menace de la dissolution.
De Gaulle : soixante ans de Constitution gaullienne.
De Gaulle, kamikaze référendaire au nom de la démocratie.
La proportionnelle éloigne les élus du peuple.
Montesquieu, Alain Juppé et l’esprit des institutions.
Valéry Giscard d’Estaing et sa pratique des institutions républicaines.
Les risques d’un référendum couplé aux européennes.
Grand débat national : un état des lieux plutôt que des opinions.
Les questions prioritaires de constitutionnalité.
Institutions : attention aux mirages, aux chimères et aux sirènes !
Gilets jaunes : un référendum sur l’ISF ? Chiche !
Ne cassons pas nos institutions !
Vive la Cinquième République !
Non à la suppression des professions de foi !
Le vote obligatoire.
Le vote électronique.
Démocratie participative.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231004-macron-institutions.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/65-ans-de-ve-republique-2-les-250765
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