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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
6 novembre 2020

Il y a 20 ans, le match électoral incertain George W. Bush vs Al Gore

« Stop the count ! » (Donald J. Trump, tweet du 5 novembre 2020 à 3:12 pm, heure de Washington).


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Deux jours que les bureaux de vote sont fermés et le pays dont la tradition démocratique n’est pourtant plus à démontrer est incapable de dire quel a été le message de son peuple. Quand un candidat, qui plus est Président sortant, crie depuis deux jours pour dire : "stop ! arrêtez de compter ! ça suffit ! j’ai gagné !", comment ne pas se croire dans un vaudeville surréaliste ? Les États-Unis sont aussi un peuple d’artisans bricoleurs, chaque État, chaque comté bricole son code électoral.

À cette heure, aucun candidat n’a encore été proclamé vainqueur, mais cela risque de durer encore longtemps, peut-être plus d’un mois. Joe Biden semble avoir un peu d’avance (et je m’en réjouis), mais ceux qui parlent de coup d’État pour évoquer le cri désespéré de Donald Trump se trompent : s’il devait y avoir un coup d’État, Donald Trump aurait recruté une armée de miliciens armés de fusils-mitrailleurs jusqu’aux dents, pas une armée de (mille ?) avocats armés… de leur tarification d’honoraires. Après tout, ce pays est aussi celui des avocats et la loi, à la fin, devrait triompher.

Mais comment ne pas se rappeler il y a exactement vingt ans, une autre élection présidentielle américaine, le 7 novembre 2000 ?  Le match entre le Vice-Président démocrate sortant Al Gore (futur Prix Nobel) et le gouverneur du Texas, républicain, et par ailleurs fils de son père, George W. Bush avait également fait vibrer de nombreux avocats à défaut du peuple américain.

Un peu comme dans le match Joe Biden vs Donald Trump, le candidat républicain avait recueilli la majorité des contrées rurales, des États du Sud, etc. tandis qu’Al Gore avait séduit les grosses agglomérations de la côte est, de la côte ouest et des Grands lacs. À Bush Jr l’espace, le territoire, à Gore la population, les villes.

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Très vite, les résultats de tous les États furent reconnus, sauf ceux de la Floride (et du Nouveau Mexique, mais ce dernier très brièvement). Sans compter les 25 délégués de la Floride, Al Gore avait obtenu 266 délégués et George W. Bush 246 délégués. Pour gagner, il en faut 270 : la Floride devenait ainsi l’État clef non seulement de l’élection, de la vie politique américaine, mais aussi de tous les avocats américains !

Les résultats partiels en Floride étaient extrêmement serrés : du genre 2 890 321 voix pour Bush Jr et 2 884 261 pour Gore, en sachant que celui qui remporte le plus grand nombre de voix remporte la totalité des délégués attribués à la Floride, à savoir 25 délégués.

Pour corser le tout, le gouverneur de la Floride n’était autre que le frère du candidat républicain, Jeb Bush (qui a tenté sa chance aux primaires républicaines de 2016), dont certains démocrates ont accusé d’un manque de neutralité dans cette élection. Après le dépouillement, le 8 novembre 2000, Bush Jr a eu une avance de 1 784 voix par rapport à Gore (soit moins que 0,5%).

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Parmi les choses contestées, la conception même des bulletins de vote. Dans certains comtés, il s’agissait de perforer au bon endroit pour choisir son candidat. Très mal conçu (par une démocrate pourtant !), la position des candidats faisait que l’électeur qui voulait choisir Gore pouvait se tromper et perforer au niveau de Pat Buchanan. Ces perforations ont le but d’être utilisées par une machine à voter, chaque trou permet d’incrémenter le nombre de voix correspondant. Mais certains électeurs n’ont pas perforé jusqu’au bout, si bien que la machine à voter a considéré le vote nul au lieu de prendre en compte le nom du candidat "mal perforé". Wikipédia a publié un exemple de bulletin à Palm Beach, qui est éloquent.

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Le raisonnement des démocrates fut le suivant : dans les dépouillements, le candidat républicain est très légèrement en avance, mais beaucoup de bulletins favorables à Gore ont été comptabilisés comme des bulletins nuls, à tort, ce qui a eu pour conséquence d’inverser complètement le sens du vote en Floride et donc, aux États-Unis eux-mêmes ! Et on pourrait même ajouter le destin de l’Irak.

Ainsi, les démocrates ont demandé un recomptage des bulletins, mais de manière manuelle, pour pouvoir comptabiliser les bulletins mal perforés au nom de Gore. La loi électorale en Floride était cependant la suivante : le recomptage se faisait électroniquement, et seul, le recomptage manuel de quatre comtés au maximum était possible. Par ailleurs, la loi précise que si l’écart des voix est inférieur à 0,5% (ou 1%, selon d’autres États), le recomptage est gratuit et pas aux frais du demandeur.

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Le 10 novembre 2000, le premier recomptage, électronique, confirma la faible avance de George W. Bush, de 327 voix (sur environ 6 millions de voix !). Pour passer au recomptage manuel, le camp d’Al Gore a choisi trois comtés qu’ils considéraient comme les plus démocrates (dont Miami et Palm Beach). Mais les résultats n’ont pas changé l’avance de Bush Jr. Les démocrates ont alors demandé de nouveaux recomptages avec des méthodes différentes, mais certains comtés l’ont refusé car ils considéraient que leur premier recomptage était correct.

La secrétaire d’État de Floride (fonction interne à l’État généralement chargée des élections) Katherine Harris (républicaine) a accepté ces recomptages jusqu’au 14 novembre 2000. Mais saisie par les démocrates, la cour suprême de la Floride (avec six juges démocrates sur sept) a décidé de prolonger ces recomptages jusqu’au 25 novembre 2000. Katherine Harris a annoncé la victoire de Bush Jr en Floride avec 537 voix d’avance. Mais des recomptages manuels dans certains comtés ont continué.

C’est sur l’absence de norme fixée par la cour suprême de la Floride que les avocats du camp républicain ont riposté en portant l’affaire au niveau fédéral. En effet, en n’imposant pas une manière identique de recompter dans tous les bureaux de vote de l’État, la cour suprême de la Floride a violé le 14e amendement de la Constitution qui veut l’égale protection des lois.

Dans un premier temps, le 9 décembre 2000, la Cour Suprême des États (donc au niveau fédéral), pas moins partiale que celle de la Floride (à l’époque, sept juges républicains sur neuf), a ordonné l’arrêt des recomptages manuels (le "stop count !" de Trump, mais là, c’était du recomptage ; Donald Trump, lui, veut arrêter le premier comptage des voix !!!!).

Dans un second temps, le 12 décembre 2000, la Cour Suprême des États-Unis a continué à donner raison aux républicains en considérant que la cour suprême de la Floride a pris une décision anticonstitutionnelle. Pour sept juges sur neuf, le recomptage voulu par la cour suprême de la Floride était anticonstitutionnel, et pour cinq juges sur neuf, ces recomptages violaient le principe d’équité et d’égalité devant la loi, ce qui a eu pour conséquence d’annuler complètement les recomptages manuels (qui étaient presque achevés, mais de toute façon, Bush Jr avait gardé encore un peu d’avance malgré tout). Dans son jugement, la Cour Suprême fédérale était on ne peut plus stupéfiante : « Même si le recomptage était juste en théorie, il était injuste en pratique. » !

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Ainsi, George W. Bush fut proclamé vainqueur de la Floride, a obtenu ses 25 délégués et a donc gagné en tout 271 délégués, soit un de plus que la majorité absolue. Georges W. Bush fut donc déclaré élu Président des États-Unis (formellement élu par les délégués) avec 271 délégués contre 266 délégués pour Al Gore. Ce qui pourrait être troublant (mais ce n’est pas unique dans l’histoire des États-Unis, notamment en 2016), c’est qu’Al Gore avait, au niveau général, reçu plus de voix que son adversaire déclaré élu : 50 999 897 voix (48,4%) contre 50 456 002 voix (47,9%) pour Bush Jr.

L’affaire s’est terminée par la reconnaissance de sa défaite par Al Gore le 13 décembre 2000 (tout en désapprouvant la décision de la Cour Suprême fédérale). On peut imaginer qu’en 2020, Donald Trump ne reconnaîtra jamais sa défaite, mais Joe Biden a aussi annoncé qu’il ferait valoir sa victoire jusqu’au bout. Le problème en 2020, c’est qu’il n’y a pas qu’un seul État litigieux (comme la Floride en 2000), mais plusieurs : la Pennsylvanie, le Wisconsin, le Michigan, le Nevada, l’Arizona. Or, pour contester l’élection de Joe Biden, il faut multiplier les recours, les affaires dans chaque État litigieux. L’armée d’avocats de Donald Trump a déjà fait 260 recours, dont de nombreux pour supposées fraudes en rapport avec le vote par correspondance (très nombreux).

L’épilogue fut moins connu : en mars 2001, un consortium privé regroupant des médias a finalement effectué, à ses frais, le recomptage manuel après s’être procuré, grâce à l’Université de Chicago, tous les bulletins de vote de la Floride, mais avec des méthodes différentes. 

Ce qu’avaient demandé les avocats d’Al Gore (recomptages manuels de certains comtés), selon ces recomptages privés, n’aurait pas inversé le sens de l’élection : en effet, Bush Jr serait resté encore victorieux avec une avance de 225 à 493 voix. En revanche, avec un recomptage de toute la Floride, ce que n’avait pas demandé Al Gore, ce dernier aurait été victorieux avec une avance de 60 à 171 voix sur le candidat républicain. Ces résultats contrastés renforcent l’impression de confusion générale qu’a engendrée cette élection très controversée.

Pour terminer, j’évoque l’un des candidats aux primaires républicaines de 2000, concurrent de George W. Bush, pour le but de faire le lien entre 2000 et 2020.

Il s’agit de l’homme d’affaires Herman Cain, issu de l’aile très conservatrice du parti républicain. Ayant eu beaucoup de succès dans le monde des affaires (exemple méritant de l’ascenseur social), Herman Cain fut le puissant représentant de près de 400 000 restaurateurs. Il renonça à sa candidature en 2000 pour soutenir celle du milliardaire Steve Forbes, puis, après le retrait de ce dernier, finalement celle de George W. Bush. Il rata d’être candidat républicain aux élections sénatoriales de 2004.

Herman Cain retenta sa chance aux primaires républicaines de 2012. Il concurrença sérieusement la candidature de Mitt Romney en octobre 2011 en séduisant le Tea Party, mais a dû renoncer deux mois plus tard après être mis en cause dans une histoire de harcèlement sexuel. En 2016, il a soutenu la candidature de Donald Trump qui, une fois élu, a même envisagé de le nommer à la tête de la Federal Reserve (banque centrale des États-Unis), Herman Cain avait été président de la FED Kansas City de 1994 à 1996.

L’homme se sentait manifestement avoir la baraka, puisqu’il a eu en 2006 un cancer métastasé dont il s’est sorti malgré de très faibles chances de survie. Probablement que cela, ainsi que son âge, 74 ans, ne l’ont finalement pas aidé. Opposant très fort au port du masque pour cause de pandémie de covid-19, Herman Cain a assisté au premier meeting de campagne de Donald Trump à Tulsa, dans l’Oklahoma, le 20 juin 2020. Sans masque, évidemment. Comme beaucoup d’autres dans ces meetings. Le 29 juin 2020, il a annoncé qu’il avait été contaminé au covid-19. Et il en est mort le 30 juillet 2020. Certains ont compté au moins 30 000 cas de contaminations provenant des meetings de Donald Trump, qui auraient provoqué …700 décès. Le coronavirus touche tout le monde, personne n’est à l’abri. Pas même les républicains.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 novembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Il y a 20 ans : George W. Bush vs Al Gore.
USA 2020 : le suspense reste entier.
Bill Gates.
Albert Einstein.
Joe Biden.
Rosa Parks.
Jean-Michel Folon.
Henri Verneuil.
Benoît Mandelbrot.
Covid-19 : Donald Trump, marathonman.
Bob Kennedy.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201107-gore-vs-bush-jr.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/il-y-a-20-ans-le-match-electoral-228388

https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/03/38628180.html






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