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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
15 octobre 2015

Pierre Laval, de l’arrivisme ordinaire à l’horreur politique (1)

« En elle-même toute idée est neutre, ou devrait l’être ; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démences : impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement ; le passage de la logique à l’épilepsie est consommée… Ainsi naissent les mythologies, les doctrines, et les farces sanglantes. » (Emil Cioran dans "Précis de décomposition", 1949, cité dans "L’œil de Vichy", 1993). Sur Pierre Laval, première partie.


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Ce jeudi 15 octobre 2015 a lieu un anniversaire qui ne sera ni célébré ni regretté, le soixante-dixième anniversaire de l’exécution de Pierre Laval. Si De Gaulle avait accepté de sauver la vie de Philippe Pétain pour beaucoup de raisons, le grand âge (« La vieillesse est un naufrage. ») et la bataille de Verdun notamment, il a été très sévère avec Pierre Laval : pas question de lui accorder la moindre indulgence de la République. Retour sur une personnalité qui est tombé dans les délices et poisons de la conquête du pouvoir au point de terroriser tout un peuple.

Pierre Laval, symbole angoissant de la collaboration de la France avec les forces d’occupation nazie. Le matin de son exécution, il avait tenté de se suicider avec une ampoule de cyanure pour ne pas être tué par des balles françaises : « C’est à proximité du château d’eau, en bordure de ronde, que fut fusillé, le 15 octobre 1945, Pierre Laval, jugé intransportable après sa tentative d’empoisonnement. Son exécution, bâclée, se déroula à quelques pas des fenêtres de la troisième division dont les détenus huèrent le procureur général Mornet. » ("L’Épuration" par Pierre-Denis Boudriot).

Maurice Garçon précisa : « Pierre Laval, qui s’était habillé et qui maintenant paraissait rétabli, marcha d’un pas ferme jusqu’à la porte de la prison et monta dans le fourgon qui le conduisit derrière la prison de Fresnes devant une butte qui pendant la guerre avait servi aux Allemands de lieu d’exécution. Quelques minutes suffirent pour le conduire au poteau. Il refusa l’escabeau qu’on lui proposait pour s’asseoir, se laissa lier au poteau et mourut. » ("Le Procès Laval : Compte rendu sténographique", 1946).



Un homme politique chevronné

Lorsque Philippe Pétain arriva au pouvoir le 16 juin 1940, Pierre Laval allait atteindre ses 57 ans et avait déjà acquis une expérience politique très grande. Pierre Laval était l’un des dirigeants les plus en vue de la IIIe République, encore plein de ressources et d’ambition. Sa trajectoire a cristallisé tout ce qu’il y a eu de pire chez un homme politique : électoralisme, opportunisme, vénalité, affairisme, et cela avant la haute trahison dont il fit preuve à partir de juin 1940 par sa collusion avec l’ennemi et par ses assassinats à grande échelle…

Après une licence en science naturelle, il est devenu avocat en 1909 (il défendait les militants CGT), gendre d’un maire radical, beau-frère d’un député socialiste, lui-même élu député socialiste de Saint-Denis en 1914, à l’âge de 30 ans. Exempté du service militaire (et donc pas mobilisable), pacifiste mais rallié à l’Union sacrée pendant la Première Guerre mondiale, appréciant Clemenceau au point que ce dernier lui proposa d’entrer dans son gouvernement en novembre 1917 (il avait 34 ans) comme Sous-Secrétaire d’État à l’Intérieur (auprès de Georges Mandel) mais son groupe socialiste avait renoncé à toute participation ministérielle, Pierre Laval fut élu maire d’Aubervilliers en mars 1923 (et constamment réélu jusqu’à la Seconde Guerre mondiale) contre une liste communiste, une liste SFIO (dont il était lui-même issu) et une liste du Bloc national.

Son fief électoral était un véritable champ d’amitiés et de clientélismes qui lui permettaient de s’affranchir des partis politiques grâce à son réseau d’élus locaux qui le firent élire sénateur en janvier 1927 (soutenu par le député-maire communiste de Saint-Denis Jacques Doriot). Sa carrière d’avocat, qu’il a menée en parallèle, lui assurera de très confortables revenus qu’il utilisa dans l’acquisition de journaux et de stations de radio, et aussi dans la création d’une agence de publicité. Sa fortune contribua à son impopularité.

Sa carrière ministérielle fut très riche : Ministre des Travaux publics du 17 avril 1925 au 29 octobre 1925 (gouvernement Paul Painlevé), puis Sous-Secrétaire d’État à la Présidence du Conseil du 28 novembre 1925 au 3 mars 1926 (gouvernement Aristide Briand), puis Ministre de la Justice du 9 mars 1926 au 19 juillet 1926 (gouvernement Aristide Briand), puis Ministre du Travail et de la Prévoyance sociale du 2 mars 1930 au 13 décembre 1930 et du 20 février 1932 au 3 juin 1932 (gouvernements André Tardieu) où il fit adopter des assurances sociales pour six millions de personnes (loi du 30 avril 1930 ; la sécurité sociale pour tous n’a été créée que le 4 octobre 1945, par une ordonnance de De Gaulle, il y a soixante-dix ans).


Quatre fois chef d’un gouvernement de la IIIe République

Enfin, il a atteint la direction du gouvernement le 27 janvier 1931 (à 47 ans) soutenu par une majorité composée des radicaux et des républicains modérés, poste qu’il occupa en dirigeant quatre gouvernements dont trois successivement : du 27 janvier 1931 au 6 février 1932 (cumulant avec le Ministère de l’Intérieur, puis, le 14 janvier 1932, avec le Ministère des Affaires étrangères). Son gouvernement fut renversé par le Sénat en raison de sa volonté de réformer le mode de scrutin pour les élections législatives.

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Il fut également Ministre des Colonies du 9 février 1934 au 13 octobre 1934 (gouvernement Gaston Doumergue à la suite des émeutes du 6 février) puis a pris la succession de Louis Barthou, assassiné dans l’attentat qui tua aussi le roi de Yougoslavie Alexandre 1er (en tout, six morts le 9 octobre 1934 à Marseille), comme Ministre des Affaires étrangères du 13 octobre 1934 au 24 janvier 1936 (gouvernements Gaston Doumergue, Pierre-Étienne Flandin, Fernand Bouisson et sous son propre gouvernement). Rejetant la politique de Briand de rapprochement avec l’Allemagne (devenue entre temps sous l’emprise nazie), Pierre Laval esquissa une alliance avec l’Italie de Mussolini pour contrer Hitler (c’était aussi le but de la venue du roi de Yougoslavie prévue à Paris). Mais l’invasion de l’Éthiopie par Mussolini entraîna des sanctions inévitable de la France et du Royaume-Uni et poussa Mussolini dans les bras de Hitler.

Chef du gouvernement, Pierre Laval fit une visite officielle aux États-Unis en octobre 1931 qui fut un véritable triomphe médiatique, au point d’avoir été considéré par le magazine "Time" comme "l’homme de l’année". Il retrouva la tête du gouvernement du 7 juin 1935 au 22 janvier 1936 (cumulant avec le Ministère des Affaires étrangères) et appliqua à l’aide de décrets-lois une politique économique très austère pour résister à la crise financière (entre autres mesures impopulaires, il baissa de 3% à 10% le salaire des fonctionnaires), ce qui n’a pas empêché le chômage de s’accroître. Les radicaux lui retirèrent leur confiance et le gouvernement fut renversé en janvier 1936, peu avant la victoire du Front populaire.


La préparation du pétainisme

Éloigné du pouvoir de 1936 à 1940, Pierre Laval chercha à trouver des soutiens auprès de Franco pour former un gouvernement dirigé par Philippe Pétain (qui fut par la suite ambassadeur de France en Espagne du 2 mars 1939 au 16 mai 1940, date à laquelle le maréchal fut nommé Vice-Président du Conseil dans le gouvernement de Paul Reynaud).

Celui qui avait milité pendant plusieurs années en faveur d’un gouvernement dirigé par Pétain (considéré à l’époque comme un républicain de centre gauche mais nationaliste) retrouva enfin la voie des ministères le 23 juin 1940. Pétain voulait le nommer le 16 juin 1940 Ministre de la Justice mais il refusa car il voulait les Affaires étrangères. Finalement, après la signature de l’Armistice, Pierre Laval intégra le gouvernement comme Ministère d’État sans portefeuille (numéro deux du gouvernement avec qualité de Vice-Président du Conseil).


« Vive la République quand même ! »

La présence de Pierre Laval le 10 juillet 1940 fut décisive au Casino de Vichy où se sont réunis les parlementaires. Ce fut lui qui persuada la plupart des parlementaires de voter les plein pouvoirs à Pétain. Sans lui, il serait très probable que le vote désapprouvât Pétain. Tout le monde était conscient qu’en les votant, ils enterraient la IIIe République et la démocratie.

Il n’y avait que 846 parlementaires inscrits au 10 juillet 1940 (544 députés élus lors de la victoire du Front populaire et 302 sénateurs) sur les 907 inscrits en 1939 (61 parlementaires communistes avaient été déchus de leur mandat le 16 janvier 1940 en raison du Pacte germano-soviétique signé le 23 août 1939). 670 ont pris part au vote (426 députés et 244 sénateurs) car 176 étaient absents, dont 27 avaient embarqué au bord du "Massilia"(en particulier Jean Zay et Pierre Mendès France). Le président de séance (comme c’est de coutume),  Jules Jeanneney n’a pas pris part au vote.

Sur 649 votes exprimés, 569 ont approuvé les plein pouvoirs et seulement 80 courageux ont voté contre. Enfin, 20 se sont abstenus. Parmi les opposants, on peut citer Léon Blum, Vincent Auriol, Jules Moch, André Philip, Paul Ramadier, Auguste Champetier de Ribes, Félix Gouin, Joseph Paul-Boncour, Jean Perrot… 36 parlementaires SFIO (socialistes) ont voté contre Pétain, mais 90 parlementaires SFIO ont voté pour Pétain. Vincent Badie (PS) a voté contre en criant : « Vive la République quand même ! ».

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Vincent Auriol, Ministre des Finances du Front populaire et futur premier Président de la IVe République, expliqua la solitude des socialistes opposés à Pétain : « Voici Léon Blum. Quelques rares et fidèles amis autour de lui. Où sont les 175 parlementaires socialistes ? Quelques-uns sans doute n’ont pas pu venir… mais les autres ? (…) Sur 150 députés et 17 sénateurs socialistes, nous ne sommes que 36 fidèles à la glorieuse et pure mémoire de Vaillant, de Guesde, de Jaurès. ».

Léon Blum lui aussi témoigna de sa solitude, Pierre Laval ayant réussi à retourner un à un beaucoup de parlementaires réticents : « Tel camarade qui, à mon entrée dans la salle, s’était précipité vers moi la main tendue, m’évitait visiblement au bout d’une heure. (…) Le sentiment cruel de ma solitude ne m’avait pas trompé : j’avais bien eu raison de me juger désormais comme un étranger, comme un suspect au sein de mon propre parti. ».

Une autre figure socialiste Daniel Mayer commenta le vote des socialistes ce jour-là : « Les socialistes représentaient un pourcentage relativement important du total des opposants [45%], mais il s’agit d’un pourcentage infime en face de la composition du parti socialiste [21%]. ».

En votant les plein pouvoirs à Pétain, les parlementaires lui ont adressé un chèque en blanc qui se révéla très coûteux à la France, aux Français, et aussi aux Juifs français ou étrangers qui résidaient en France.

Dans le prochain article, j’évoquerai la politique de Pierre Laval sous l’Occupation.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu

Je conseille de lire la biographie par le gendre de Pierre Laval, René de Chambrun : "Pierre Laval devant l’Histoire" (éd. France-Empire, 1983).


Pour aller plus loin :
De Gaulle.
Pierre Laval.
Pétain.
Hitler.
La Shoah.
Mai et juin 1940.
Daniel Cordier.
Jean Zay.
Germaine Tillion.
Stéphane Hessel.
Irina Sendler.
Élisabeth Eidenbenz.
Céline.
Charles Péguy.
Jacques Chirac.
Le mythe gaullien de la rafle du Vel’ d’Hiv’.
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).
Discours de François Hollande du 22 juillet 2012 (texte intégral).
L’Europe, c’est la paix.
Ce qu’est le patriotisme.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151015-pierre-laval.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pierre-laval-de-l-arrivisme-172762

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/15/32748617.html


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