La Presle du cinéma français
« Pendant longtemps une des trois stars préférées des Français avec Danielle Darrieux et Michèle Morgan, elle était aussi une des rares actrices établies qui donnèrent beaucoup à des cinéastes débutants. » (Anne Audigier, sur France Inter, le 21 février 2024).
Elle a tourné son premier film (et lequel, "La Fessée" !) il y a quatre-vingt-sept ans. Elle est devenue une très grande star il y a près de soixante-dix-sept ans avec "Le Diable au corps", un film de Claude Autan-Lara avec Gérard Philipe. Micheline Presle, qui a été une actrice monument de la culture française (exportée aux États-Unis au début des années 1950), vient de s'éteindre ce mercredi 21 février 2024 à Nogent-sur-Marne où elle habitait. Elle allait avoir 102 ans cet été et avait plus de 150 films au compteur. C'est son gendre qui l'a annoncé à l'AFP.
Bombardée même femme de la modernité par ce film, "Le Diable qu corps" qui était politiquement incorrect pour au moins deux bonnes raisons de l'époque, l'adultère et le pacifisme (aujourd'hui, cela semblerait excessif), elle a accompagné l'évolution de la société par ses rôles emblématiques.
Les téléspectateurs français l'ont aussi découverte comme héroïne de la série télévisée "Les Saintes Chéries" de 1965 à 1971 (elle avait alors entre 43 ans et 49 ans), jouant dans le couple héroïque (ou hystérique ?) la femme de Daniel Gélin. C'était de l'humour et de la chronique sociale dans une époque de reconstruction politique et économique où la femme commençait à prendre son indépendance matérielle (les femmes peuvent gérer leurs biens seules, sans leur mari, depuis la loi du 13 juillet 1965). Le producteur Dominique Besnehard, qui l'avait regardé quand il avait 10 ans à la télévision, se souvenait d'elle dans sa chronique du 10 février 2019 sur France Inter : « Cette série me semblait plus dynamique et originale que ce que je voyais à l’époque. Je la trouvais en mère farfelue, foldingue et sexy, absolument épatante. L’image contraire de ma mère. Très vite, j’ai découpé les articles la concernant dans notre "Télé 7 jours" familial, la seule revue à laquelle nous étions abonnés. Je les ai collées sur la couverture de mes cahiers à spirale avec une étiquette : VEDETTE PRÉFÉRÉE. ».
À l'instar de quelques autres anciennes jeunes stars comme Simone Signoret, Michèle Morgan, Jeanne Moreau, Danielle Darrieux, Annie Girardot, j'en oublie (pour les disparues, mais il y a aussi Line Renaud et d'autres parmi les vivantes), Micheline Presle a voulu jouer la comédie jusqu'au bout, malgré les rides et la vieillesse, car elle voulait encore vivre et n'imaginait s'arrêter que lorsque son état l'y obligerait, bref, le contraire de Brigitte Bardot qui a voulu laisser l'image de jeunesse au cinéma (ce qui est d'ailleurs son droit le plus respectable). Elle a même joué son propre rôle comme "guest star" dans la série télévisée hopistalo-loufoque déjantée "H" avec les comiques Djamel Debbouze, Éric Judor et Ramzy Bedia (elle avait alors 76 ans). Elle a arrêté le cinéma à l'âge de 84 ans en 2016, après une carrière bien remplie de quatre-vingt et un ans ! (au diable la retraite à 64 ans !). Mais elle était aussi une découvreuse de talents, de nouveaux réalisateurs, de nouveaux producteurs, elle encourageait la profession à se renouveler, à innover, à initier, à recréer.
Micheline Presle, qui ne manquait pas d'humour, a aussi participé au "Tribunal des flagrants délires" sur France Inter, jugée le 10 mai 1983. Son acte d'accusation était sans complaisance (le procureur n'était alors pas Pierre Desproges, mais Guénolé Azerthiope) : « Tout au long de votre carrière, de votre vie, vous avez dérouté vos admirateurs, vos confrères et consœurs, les producteurs et les critiques. Après des débuts prometteurs, vous devenez l'une des plus grandes stars du cinéma français. Les meilleurs rôles vous sont offerts. On vous propose même, fait très rare, de choisir vous-même vos réalisateurs, scénaristes et partenaires. Mais vous préférez partir aux États-Unis, tout abandonner pour épouser l'homme de votre vie, à l'époque. À votre retour, après un temps de pénitence, dans le domaine professionnel on s'entend, la chance vous a souri dans des films que l'on appelle très commerciaux, avec, entre autres, Jean Gabin. Et non, vous préférez le théâtre. Vous faites un triomphe avec un feuilleton télévisé et au lieu de persévérer, vous partez rejoindre la troupe du Grand Magic Circus en tournant des premiers films d'inconnus en participation (…). ».
Wikipédia s'était intéressé à la mettre dans la catégorie des actrices centenaires encore en vie, et cite ainsi d'autres comédiennes encore de ce monde malgré leur âge plus que canonique (j'avoue n'en avoir connue aucune de nom) : la Belge Sabine André (plus de 110 ans et demi !), doyenne du monde des actrices (elle a tourné au cinéma de 1941 à 1966), la Britannique June Spencer (plus de 104 ans et demi), connue pour sa participation dans "The Archers", le feuilleton radiophonique (diffusé à la BBC) le plus long de l'histoire (plus de 20 000 épisodes depuis 1954), la Française Jacqueline Ferrière (102 ans et demi) connue pour les doublages notamment d'Ava Gardner, Jane Russel, Sophia Loren, etc., et la Britannique Annable Maule (101 ans et demi) qui a tourné entre 1938 et 1985.
Au-delà du seul métier d'acteur (ou actrice), il est notable que notre époque héberge beaucoup de personnes de grand talent devenues maintenant centenaires. Quand j'étais gosse, à l'école, on citait allègrement Fontenelle comme (rare) centenaire, ce qui était faux (il lui a manqué quelques semaines), laissant ainsi l'Académie française avec des Immortels qui n'avaient jamais été centenaires. Cela jusqu'à Claude Lévi-Strauss qui fut le premier centenaire académicien, d'autres allaient suivre, au moins un, René de Obaldia, et avant eux, Antoine Pinay était aussi connu pour être invité à la radio à son anniversaire, dépassant aussi le centenaire tout en commentant l'actualité politique avec un esprit encore alerte. À l'instar d'Edgar Morin qui ne comprend pas comment le temps passe plus vite que lui (103 ans cet été), on avait annoncé que la société allait voir ses centenaires croître exponentiellement, cela semble s'affirmer parallèlement aux personnes connues (il faudra se demander aussi à quel prix ? ou dans quel état ?).
Mais revenons à Micheline Presle dont l'esprit vif était aussi jeune que ses années étaient nombreuses. Théâtre, cinéma, télévision, radio, elle a joué sur tous les supports, à tous les âges, donc, la jeune héroïne émouvante qui a marqué à vie de ses éclats le cinéma français jusqu'à la vieille grand-mère qui ne pouvait être que cela, plus longtemps, vu la tête de l'emploi, mais les yeux brillaient tellement.
Pourquoi ne pas retenir un navet, puisqu'elle en a tourné aussi, mais un film, même un téléfilm, sympathique, bon enfant, sans prétention, juste l'amour de la comédie, comme "Le Voyage de Pénélope" réalisé par Patrick Volson et diffusé le 26 mars 1996. Elle y jouait une vieille dame avec son complice, joué par Claude Piéplu, un petit couple de vieux qui ne voulaient pas s'ennuyer et qui ont pris leur liberté. Avec ces deux acteurs, le navet a brillé le temps de l'incandescence de leur jeu d'acteurs un tantinet cabotin. Et par ce message plein de tendresse sur la vieillesse : laisser les vieux libres !
Laissons encore Dominique Besnehard rappeler quelle fut cette femme si brillante qu'était Micheline Presle : « Ce qui me frappe dans un film comme "Paradis Perdu" d’Abel Gance de 1940, film à tout point décisif dans sa carrière, c’est de constater à quel point son jeu est moderne. Sa performance ne ressemble en rien à la manière de jouer des comédiennes de cette époque. D’une certaine façon, bien avant Jeanne Moreau dans "Jules et Jim", Brigitte Bardot dans "Et Dieu créa la femme", Sophie Marceau dans "La Boum", ou Béatrice Dalle dans "37°2 le matin", Micheline Presle a porté une liberté de jeu et un souffle nouveau chez les actrices. Micheline est une actrice qui a, selon moi, le regard droit, qui a de l’humour, et qui sait se moquer des autres autant que d’elle-même. Micheline Presle, après une carrière unique faite d’immenses succès inscrits dans des réalités sociales différentes et de traversées du désert affrontées avec dignité sans jamais verser dans la médiocrité, est une femme en mouvement. » (France Inter, le 10 février 2019).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L'étoile de la voûte céleste du cinéma.
Légende centenaire.
Micheline Presle.
Lee Marvin.
Françoise Hardy.
Affaire Alain Delon : ce que cela nous dit de la fin de vie.
Michel Bouquet.
Juliette Carré.
Gérard Depardieu.
Carole Bouquet.
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Claude Villers.
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Les Randonneuses (série télévisée).
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240221-micheline-presle.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-presle-du-cinema-francais-253264
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/02/21/40213910.html