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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
25 août 2018

Françoise Dolto, les enfants d’abord ?

« En respectant l’enfant, on respecte l’être humain. » (Françoise Dolto, "La Cause des enfants", éd. Robert Laffont, 1985).


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La psychanalyste et psychiatre des enfants Françoise Dolto est morte à Paris il y a trente ans, le 25 août 1988, à l’âge de 79 ans (elle est née le 6 novembre 1908 à Paris). Très connue du grand public grâce à ses émissions quotidiennes de radio sur France Inter entre octobre 1976 et octobre 1978, elle a pu ainsi populariser ses très nombreux travaux sur l’enfance et l’adolescence. Ayant eu une enfance malheureuse, elle a voulu encourager les parents à respecter la liberté de leurs enfants ainsi que leurs différences.

Issue d’une famille catholique située plutôt à l’extrême droite, fille et petite-fille de polytechniciens, Françoise Dolto, sœur du futur ministre gaulliste Jacques Marette (1922-1984) et mère du futur chanteur de variétés populaires Carlos (1943-2008), n’a jamais caché son vague soutien à Pétain sous l’Occupation sans pour autant avoir commis des gestes de collaboration active ou des actes antisémites (elle fut recrutée par Alexis Carrel le 1er décembre 1942 pour travailler au département biologie de l’enfant et de l’adolescent de sa fondation).

Sa mère ne voulait pas qu’elle fît d’études et elle a dû batailler au milieu des années 1920 et au début des années 1930 pour en faire. Elle a finalement soutenu sa thèse de doctorat en médecine en 1939 (avec pour titre de sa thèse "Psychanalyse et pédiatrie" publiée en 1971, éd. du Seuil). Pendant sa carrière professionnelle, Françoise Dolto fut une praticienne et a beaucoup travaillé avec Jacques Lacan (1901-1981) qui recommandait auprès d’elle ses "cas" les plus difficiles. De son expérience, elle a écrit beaucoup d’ouvrages. Catholique, elle a également tenu une conférence à Rome sur le thème "Vie spirituelle et psychanalyse".

Encore enfant, Françoise Dolto avait déjà choisi sa vocation, elle voulait devenir "médecin d’éducation" qu’elle précisait de manière étonnamment mature : « un médecin qui sait que quand il y a des histoires dans l’éducation, ça fait des maladies aux enfants, qui ne sont pas des vraies maladies, mais qui font vraiment de l’embêtement dans les familles et compliquent la vie des enfants qui pourrait être si tranquille ». Une réflexion qui me fait sens puisque, enfant, je m’étais moi-même promis qu’une fois adulte, je n’oublierais jamais que j’avais été enfant…

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Originaire de Crimée, son mari Boris J. Dolto (1899-1981) fut l’un des précurseurs de la kinésithérapie en France, fondateur de l’École française d’orthopédie et de massage (un de leur fils, le chanteur Carlos, fut diplômé masseur-kinésithérapeute de cette école) et leur fille Catherine Dolto-Tolitch (72 ans) est une médecin pédiatre et haptopsychothérapeute, également désigné exécutrice testamentaire de Françoise Dolto peu avant sa mort.

Parce que son frère Jacques Marette, sénateur (suppléant d’Edmond Michelet), puis député, fut nommé Ministre des Postes et Télécommunications du 15 avril 1962 au 1er avril 1967 dans les gouvernements de Georges Pompidou, Françoise Dolto fut chargée de rédiger la première réponse-type aux lettres au Père Noël en décembre 1962 : « Mon enfant chéri, ta gentille lettre m’a fait beaucoup de plaisir. Je t’envoie mon portrait. Tu vois que le facteur m’a trouvé, il est très malin. J’ai reçu beaucoup de commandes. Je ne sais pas si je pourrai t’apporter ce que tu m’as demandé. J’essaierai, mais je suis très vieux et quelquefois, je me trompe. Il faut me pardonner. Sois sage, travaille bien. Je t’embrasse fort. Le Père Noël. ». Ce fut une initiative (lancée en fait par une employée des Postes dans les années 1950 qui répondait en cachette aux lettres adressées au Père Noël dans son village) dont le succès ne fut jamais démenti. En 2008, 1,6 million d’enfants avaient ainsi adressé un courrier au Père Noël en France.

Depuis plusieurs années, la pensée de Françoise Dolto est parfois un peu caricaturée et même contestée. Il faut dire que la société du XXIe siècle n’a rien à voir avec celle des années 1950. Aujourd’hui, l’enfant est roi, il est le cœur de cible marketing des publicitaires grand public, il est le prescripteur des achats des adultes, il amorce la pompe de la société de consommation en l’assommant par des marques, il est même décérébré dès le plus jeune âge avec tous les moyens technologiques modernes.

Bon, évidemment, j’exagère un peu, je grossis le trait, et il y a des avantages à cela, ce n’est pas de faire perdurer le Père Noël ni de rendre tristes ceux qui passent Noël seuls, mais c’est toujours plus agréable de penser aux enfants car en pensant aux enfants, on pense à la société de demain, à l’avenir, et il est probablement plus efficace de faire des campagnes sur le respect des autres, de l’environnement et même des limitations de vitesse (avez-vous remarqué qu’au sortir de certains péages d’autoroute, des affichettes exhortent les enfants à surveiller le compteur de vitesse de papa… ou de maman ?) que de dimensionner toute la société pour les plus de 65 ans (et pourtant, les plus âgés auraient besoin aussi d’adaptation pour leur déambulateur et leur fauteuil roulant, disons, autant que pour les poussettes de leurs petits-enfants). D’ailleurs, elle qui fut sa secrétaire, Françoise Dolto le disait : « Moi, j’y crois au Père Noël. Je crois à un jour par an où nous donnons à tout le monde pour le plaisir de donner. ».

En fait, on a vraiment commencé à s’inquiéter de l’enfant-roi lorsque celui-ci accusait gratuitement des adultes d’actes graves devant un juge. La parole de l’enfant n’est pas aussi sacrée qu’on a voulu le dire, elle peut se tromper, elle peut tromper, mais est-ce pour autant qu’il faut reléguer les enfants à leur place des années 1950 ? Heureusement, non !

Car la société est partie de très bas dans sa considération et son respect de l’enfant. Jusque dans les années 1980, les médecins ne s’occupaient pas de la douleur des bébés à l’hôpital, comme s’ils n’étaient que des larves végétales sans sensation, sans émotion (juste des tubes digestifs). Les enfants asociaux étaient parqués dans des bagnes pour enfants jusque dans les années 1930 ! Françoise Dolto a connu les premières résistances. La Convention internationale des droits de l’enfant a été adoptée deux siècles après la Déclaration des droits de l’homme… C’est avec ce lourd passif qu’on peut raisonnablement dire que Françoise Dolto fut une femme révolutionnaire, bien plus efficacement d’ailleurs que bien des féministes autoproclamées (Françoise Dolto fut d’ailleurs une grande référence du féminisme en France).

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Interrogée par Catherine Robin et Dorothée Werner, la psychanalyste Claude Halmos, qui fut une élève de Françoise Dolto, a essayé de remettre les idées au clair : « Sa pensée était révolutionnaire, elle continue de l’être. Dolto reste souvent mal comprise et caricaturée. Ses théories ont émergé dans une société où les familles répressives bénéficiaient d’un consensus social. L’enfant n’était pas considéré alors comme une personne et sa parole n’avait pas de valeur : il était supposé avoir des petites idées, des petits chagrins, des petites joies, des petites choses à l’image de sa petite taille. Dolto nous a fait comprendre que la parole d’un enfant a autant de valeur que celle d’un adulte. Mais en aucun cas elle ne dit qu’un enfant est un adulte. (…) Quand Dolto a commencé à parler à la radio, elle a réhabilité la souffrance de l’enfant dans chaque personne qui l’écoutait. Elle disait : "Votre souffrance d’enfant était légitime". C’est cet effet de vérité qui a fait le succès de Dolto… et suscité, en miroir, la haine que l’on sait. » ("Elle", le 11 octobre 2013).

Probablement que le principal contresens commis par ceux qui s’opposent à Dolto est justement de croire que réhabiliter la parole de l’enfant, cela reviendrait à discréditer l’autorité des parents. Rappelons d’abord que la cellule familiale est beaucoup plus éclatée qu’auparavant et que cette autorité a été réduite mécaniquement, notamment dans les familles monoparentales. Claude Halmos répondrait ceci : « Dolto m’a appris avant tout à ne jamais juger les parents, mais plutôt à écouter l’enfant dans le parent. Cette phrase a été une bascule dans ma pratique de jeune analyste. ».

Pour Dolto, tous les désirs des enfants sont légitimes, mais ils ne sont pas tous réalisables car il y a la loi, et avant la loi, avant tout, le respect de l’autre. Or, pour respecter l’autre, il faut d’abord se mettre à la place de l’autre. Cette réflexion des limites est en fait essentielle dans le développement de l’enfant et plus tard, du jeune adulte. Claude Halmos l’a ainsi expliqué : « Pour intégrer véritablement les lois, il faut être capable de se mettre à la place de l’autre que l’on pourrait faire souffrir. Ce n’est possible que si l’on se sent soi-même une personne. ».

En fait, la vraie difficulté de la théorie de Françoise Dolto, c’est d’imaginer une nouvelle forme d’autorité parentale qui soit basée sur l’intelligence et la compréhension (qu’on pourrait assimiler à du management participatif) et pas sur de la simple obéissance (management directif). Le laxisme éducatif, la permissivité, le laisser-aller de certains parents, leur renoncement parfois, ne doivent pas faire oublier que l’enfant reste une personne fragile à respecter et à protéger.

Toute sa vie, Françoise Dolto a développé des idées qui s’approchaient d’un certain humanisme, l’essentiel étant de pouvoir communiquer pour éviter tout malentendu et pour formaliser certaines pensées fortes. Elle a ainsi rejeté la compatibilité entre la jalousie et l’amour, la jalousie est le contraire de l’amour dans la mesure où c’est une défiance et pas une confiance : « La jalousie n’est pas une preuve d’amour mais d’immaturité. ».

Je termine enfin sur cette très belle phrase d’elle qui devrait être placardée dans toutes les collectivités, de la famille …aux États : « Tout groupe humain prend sa richesse dans la communication, l’entraide et la solidarité visant à un but commun : l’épanouissement de chacun dans le respect des différences. ». Uni dans la diversité, c’est justement la devise de l’Europe !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 août 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Françoise Dolto.
Sigmund Freud.
Maurice Bellet.
Simone Veil.
Marie Trintignant.
Barbara Hannigan.
Micheline Preesle.
Pauline Lafont.
Annie Cordy.
Jeanne Moreau.
Lucette Destouches.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
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Marguerite Yourcenar.
Marie Curie.
Paula Modersohn-Becker.
Germaine Tillion.
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Mère Teresa.
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Hannah Arendt.
Anna Politkovskaia.
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Jane Austen.
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Élisabeth II.
Édith Piaf.
Margaret Kean.
Fadwa Suleiman.
Mireille Darc.
Gisèle Casadesus.
Mimie Mathy.
Grace Kelly.
Alice Sapritch.
Christina Grimmie.
Monique Pelletier.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180825-francoise-dolto.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/francoise-dolto-les-enfants-d-207089

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/08/24/36653584.html






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