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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
16 février 2019

La Chine communiste peut-elle devenir une grande démocratie ?

« Si le parti communiste ne se réforme pas lui-même, s’il ne se transforme pas, il perdra sa vitalité et mourra de mort naturelle. » (26 février 2003).


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Ce samedi 16 février 2019 à Pékin s’est éteint l’historien, poète et homme politique chinois, Li Rui. Il avait 101 ans (né le 13 avril 1917) et il avait participé à la Révolution chinoise en s’engageant au parti communiste chinois en 1937. Lycéen à Hubei, il a dirigé la rébellion étudiante contre les chefs de guerre locaux. Étudiant ayant combattu les Japonais, il fut emprisonné par le Kuomintang pour prosélytisme marxiste. Une fois libéré, il a rédigé des éditoriaux politiques pour le journal du parti communiste. Il fut emprisonné encore un an pour espionnage.

Li Rui fut un collaborateur très proche de Mao Tsé-Toung dans les années 1950 puisqu’il fut très brièvement son conseiller personnel chargé des affaires industrielles, ce qui lui a permis de fréquenter l’élite dirigeante communiste. Il fut, en 1958, nommé vice-ministre des Travaux hydrauliques. Mais il fut disgracié en 1959 et enfermé dans un camp de travail pendant vingt ans, pour avoir osé critiquer le Grand Bond en avant. La disgrâce était totale puisque même sa propre fille, Li Nanyang, a refusé de le revoir parce qu’il était considéré comme ennemi du peuple (ils se sont retrouvés seulement après sa réhabilitation).

En effet, il fut réhabilité après la mort de Mao, en 1979, nommé au comité central du parti communiste en 1982, et a repris ses fonctions de vice-ministre des Travaux hydrauliques et de l’Électricité. Il s’était opposé à la construction du barrage des Trois-Gorges sur le Yang-Tsé-Kiang, dont les travaux ont finalement commencé le 14 décembre 1994 et qui fut mis en service en 2009 (une centaine de personnes seraient mortes à cause de cette construction, près de 2 millions de personnes furent déplacées, 15 villes et 116 villages ont été engloutis).

Dans une interview accordée le 2 juin 2005 à Jonathan Watts, correspondant du journal "The Guardian" à Pékin, Li Rui a décrit l’extrême froideur de Mao : « Sa façon de penser et de gouverner était terrifiante. Il ne valorisait pas la vie humaine. La mort des autres ne lui était rien. ». Il a estimé que les crimes de Mao étaient « le plus grand problème de la Chine » : « Mao était trop autocratique. Il ne supportait pas d’entendre les désaccords. Il croyait superstitieusement qu’il avait toujours raison. Mais le problème de Mao était aussi le problème du système. Il a été causé par le système du parti unique. ». À l’évidence, il n’aimait pas son ancien patron : « Les méthodes de Mao étaient encore plus sévères que celle des empereurs des temps anciens. Il a essayé de contrôler l’esprit des gens. ».

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Auteur d’essais et de poèmes qui fustigeaient la corruption, Li Rui a soutenu le secrétaire général du parti communiste chinois de l’époque, un "modéré" favorable au dialogue, Zhao Ziyang, lors du mouvement de la Place Tiananmen au printemps 1989 : « Les dirigeants n’ont pas compris les étudiants. Ils ont eu peur qu’ils fussent manipulés par des puissances étrangères et que ce fût une opération de prise de contrôle du parti. Les mesures prises ont été une erreur. Les appels des étudiants à plus de démocratie et moins de corruption étaient justes. (…) Nous devrions réévaluer ce qui s’est passé le 4 juin [1989]. Mais nous devons le faire correctement, pas maintenant. (…) Il est difficile de dire si cela prendra cinq, quinze ou vingt ans. » (2 juin 2005).

Li Rui n’était pourtant pas considéré comme un dissident. Il a toujours été un cadre du parti communiste depuis sa réhabilitation. Pendant sa longue retraite, il a vécu dans un immeuble réservé aux cadres retraités du régime communiste. Il a d’ailleurs admis qu’il y a eu beaucoup de progrès depuis les années 1970, puisque maintenant, il est possible de s’enrichir, en Chine, il est possible d’exprimer des points de vue différents du gouvernement aux étrangers, il est possible même de voyager à l’étranger : « Maintenant, je peux vous parler. Dans le passé, si j’avais parlé comme ça, j’aurais été tué ou emprisonné. ».

Cela ne l’a pas empêché d’être censuré par le gouvernement à partir de 2004. Il a commencé à écrire en 2002 pour demander des réformes politiques (il a eu le courage de le demander au moment du 16e congrès du PCC).

Sa dernière initiative politique a eu lieu à un moment symbolique : deux jours avant l’ouverture de la session plénière annuelle du parti communiste chinois, et quelques jours après l’attribution du Prix Nobel de la Paix au dissident chinois Liu Xiaobo (le 8 octobre 2010), dont il a trouvé la condamnation excessive.

Ce fut la diffusion le 13 octobre 2010 d’une lettre ouverte au comité permanent de l’Assemblée populaire nationale (texte intégral ici) demandant notamment la liberté de la presse et des réformes politiques, en particulier, la fin du parti unique et du candidat unique aux élections. La lettre commençait ainsi : « Chers membres du comité permanent de l’Assemblée populaire nationale, l’article 35 de la Constitution chinoise adoptée en 1982 stipule clairement que : "Les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté d’expression, de presse, de réunion, d’association, de procession et de manifestation". Pendant vingt-huit ans, cet article n’a pas été appliqué, après avoir été neutralisé par des règles et des règlements détaillés en vue de son "application". Cette démocratie d’aveu formel et de déni concret est devenue une marque scandaleuse dans l’histoire de la démocratie mondiale. ».

Cette lettre ouverte, signée par vingt-trois anciens dignitaires communistes (dont Li Rui et Hu Jiwei, ancien rédacteur en chef du "Quotidien du peuple", organe officiel du parti communiste chinois), fut immédiatement censurée par le pouvoir chinois mais a pu être diffusée par des journaux étrangers comme le "Washington Post", le "New York Times", "The Guardian", etc. : « Les citoyens ont le droit de connaître les côtés sombres du parti au pouvoir. ».

Li Riu a cité, dans la lettre ouverte, plusieurs déclarations qui devaient être encourageantes, et pourtant, qui n’ont été que des mots.

La première est du Président de la République de l’époque Hu Jintao qui a déclaré le 26 février 2003 lors d’une réunion de consultation démocratique entre le comité permanent du bureau politique du comité central du parti communiste chinois et des paris démocratiques chinois ; « La levée des restrictions sur la presse et sur l’ouverture de l’opinion publique est une vision et une revendication dominantes de la société, elle est naturelle et devrait être acceptée par le processus législatif. Si le parti communiste ne se réforme pas lui-même, s’il ne se transforme pas, il perdra sa vitalité et mourra de mort naturelle. ».

La deuxième est du Premier Ministre de l’époque Wen Jiabao qui a répondu le 3 octobre 2003 à Fareed Zakaria dans une interview à CNN : « La liberté de parole est indispensable à toute nation. La Constitution confère à la population la liberté de parole. Les revendications du peuple en matière de démocratie ne peuvent faire l’objet d’une résistance. ».

Toujours Wen Jiabao, dans un discours le 21 août 2010 à Shenzhen : « Seules des réformes progressives permettront à notre pays d’avoir de brillantes perspectives (…). Nous ne devons pas seulement impulser des réformes économiques, mais aussi promouvoir des réformes politiques. Sans la protection offerte par les réformes politiques, les gains obtenus grâce aux réformes économiques seraient perdus et notre objectif de modernisation ne pourrait pas être atteint. ».

Propos répétés par Wen Jiabao le 22 septembre 2010 à New York, peu avant son discours à la 65e session de l’assemblée générale des Nations Unies : « En ce qui concerne les réformes politiques, j’ai déjà indiqué que si les réformes économiques ne bénéficiaient pas de la protection qui peut être donnée par les réformes politiques, nous n’aurions pas réussi entièrement et même, peut-être que les gains de nos progrès jusqu’à maintenant seraient perdus. ».

Cependant, ces belles déclarations n’ont jamais été suivies par des mesures concrètes en faveur des libertés politiques. Le rêve de Li Riu serait que le parti communiste chinois se transforme en parti social-démocrate "classique" et autorise la concurrence politique en instituant le pluripartisme.

Aujourd’hui, une autre génération de responsables sont au pouvoir en Chine et Xi Jinping ne semble pas favorable à de réelles réformes politiques, alors qu’une classe moyenne commence à se développer dans le pays…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Li Rui.
Lettre ouverte pour démocratiser la Chine communiste, publiée le 13 octobre 2010 (texte intégral avec la liste des signataires).
Li Peng.
La maoïsation de Xi Jinping.
Zhou Enlai.
La diplomatie du panda.
Xi Jinping et la mondialisation.
La Chine à Davos.
Deng Xiaoping.
Wang Guangmei.
Mao Tsé-Toung.
Tiananmen.
Hu Yaobang.
Le 14e dalaï-lama.
Chine, de l'émergence à l'émargement.
Bilan du décennat de Hu Jintao (2002-2012).
Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine.
Xi Jinping, chef du parti.
La Chine me fascine.
La Chine et le Tibet.
Les J.O. de Pékin.
Qui dirige la Chine populaire ?
La justice chinoise.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190216-li-rui.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-chine-communiste-peut-elle-212703

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/16/37104593.html





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