Marina Foïs, décalée et en pleine évolution
« Tout en Marina Foïs respire l’intelligence. La profondeur du regard, encore plus beau qu’à l’écran. La mobilité du visage, où chaque élément, nez, bouche, pommettes, s’anime, participe, envoie des signaux de réflexion ou de perplexité. Le soin, enfin, que l’actrice a apporté à sa tenue. (…) Comme Isabelle Huppert, elle est cérébrale, pétrie de curiosité intellectuelle, boulimique du grand écran, capable de passer sans effort d’une tragédie à une comédie, du cinéma au théâtre, d’un block-buster à un film d’auteur. Et elle n’a jamais peur d’être ni glamour ni sympathique à l’écran. » (Justine Foscari, "Madame Figaro", le 8 février 2019).
Quand je l’ai découverte, jeune fille modeste faisant des sketchs chez Canal Plus, je l’ai tout de suite remarquée et adorée. Parler de coup de foudre ? Pourquoi pas. Seulement théoriquement, je rassure (je profite qu’elle ne lit jamais rien sur elle et elle a raison). Marina Foïs fête son 50e anniversaire ce mardi 21 janvier 2020. C’est un tournant important pour les actrices. Heureusement, elle est toujours aussi belle que jeune. Mais elle a évolué du comique au dramatique, un grand virage dramatique il y a une dizaine d’années, cela aurait pu être une catastrophe, c’est au contraire un succès. Elle s’est un peu tchaopantinisée !
50 ans, ce n’est pas déjà trop vieux, si ? Réponse : « En fait, je voudrais mentir sur mon âge. Pour que les metteurs en scène n’aient pas peur de me confier le rôle d’une femme de 36 ans… (…) Et puis, mes rides, mes cernes, je m’en fous. Enfin, je parviens à m’en foutre au deuxième visionnage du film. » ("Madame Figaro", le 8 février 2019). Comme tout le monde, elle aurait préféré rester jeune…
C’est sûrement son côté décalé qui l’emporte dans mon enthousiasme. Elle assure qu’elle ne fait jamais rire volontairement mais elle fait rire. Peut-être à ses dépens. Elle serait ainsi incapable de faire un one-woman-show. En revanche, comme elle a toujours l’humour créatif dans la tête, comme elle vit toujours au second degré, si elle est bien guidée, elle peut faire rire franchement. Elle explique que c’est probablement familial, son père, un chercheur en physique nucléaire, lui a donné le goût de trouver dans chaque événement de la vie des motifs d’humour, comme ses grands-oncles, si bien qu’elle peut s’enorgueillir d’être maintenant payée pour faire ce que sa famille faisait gratuitement. Plus futée, la fille !
J’adore aussi la voix de Marina Foïs (elle a d’ailleurs été sollicitée pour la série de films d’animation "Madagascar"). C’est une voix très particulière où l’on entend une émotion au fond du cœur. Un petit trémolo, très légèrement perceptible mais permanent. Une sorte de voix de petite fille (je l’imagine avec deux les nattes, quel fantasme !) et faisant ses caprices. Cette voix, c’est plutôt un ton, une diction qui accentue sur les finales.
Je m’aperçois que je ne l’ai pas vue très longtemps dans les Robins du bois (la troupe) car leurs sketchs quotidiens ne sont passés que deux saisons, entre 1999 et 2001. Marina Foïs a connu ses compagnons de route théâtrale au Cours Florent, dans le cours d’Isabelle Nanty. Ils ont commencé en 1996, d’abord pour jouer dans une pièce de théâtre mise en scène par l’un d’eux ("Robin des Bois, d’à peu près Alexandre Dumas"), d’abord à Fontainebleau puis à la Gaîté-Montparnasse et au Splendid. Dominique Farrugia les a repérés et ce fut l’aventure de la télévision, sur la chaîne "Comédie !" (1997 à 1999) puis Canal Plus en clair (1999 à 2001).
Ils étaient six : Marina Foïs et Élise Larnicol, Pierre-François Martin-Laval, Jean-Paul Rouve, Maurice Barthélemy et Pascal Vincent. Dans leurs sketchs qu’ils ont écrits eux-mêmes, Marina Foïs a joué plusieurs personnages récurrents comme Sophie Pétoncule, la naïve stupide ; Sylvie, l’assistante harcelée d’un avocat sans talent ; la prof de Gym Kilos ; une candidate du jeu néerlandais Frih Deh Bi De Uh, etc.
Cette exposition télévisuelle a permis à chacun des membres du groupe de démarrer sa carrière respective, au cinéma, au théâtre, dans l’écriture ou la réalisation, etc.
Revenons au début. Marine Foïs est d’origine multiple : elle n’a pas un seul grand-parent à avoir la même nationalité. Italienne, russe, allemande, égyptienne, et évidemment, elle est française. Elle a une sœur journaliste (à la radio), une autre sœur médecin, et elles ont eu un grand frère polytechnicien qui est mort accidentellement à 30 ans, une tragédie ineffaçable… Le côté italien : « Vous savez, les Italiens sont beaux, élégants, intelligents, ils ont de l’humour. Mais ça meurt tout le temps, il y a des accidents tout le temps. C’est un mélange de grande chance et de grands combats. » ("Madame Figaro", le 8 février 2019).
Adolescente, Marina Foïs voulait faire du théâtre (actrice, elle voulait l’être dès l’âge de 5 ans). Elle se voyait plutôt dans des rôles de tragédie au théâtre. Ses premières prestations furent pour "L’École des femmes" (de Molière) en 1986 (elle avait 16 ans). Elle joue régulièrement au théâtre jusqu’à obtenir le Molière 2019 de la meilleure comédienne pour "Les Idoles" (de Christophe Honoré) où Marina Foïs est …Hervé Guibert, écrivain trentenaire mort du sida, attendant au purgatoire (joué au Théâtre de l’Odéon à Paris).
Au cinéma, elle a tourné une cinquantaine de longs-métrages, avec un rythme assez fou de deux à trois films par an.
Certains films ont été joués avec d’autres Robins des Bois, et c’est vrai que certains sont de vrais navets, un peu rehaussés par le talent des acteurs, mais insuffisamment, comme "RRRrrr!!!" en, 2004 (très ennuyeux même s’ils ont dû se marrer avec Alain Chabat en réalisateur). Marina Foïs a véritablement démarré avec le rôle féminin principal dans "La Tour Montparnasse infernale" de Charles Némès (2001) avec les deux comiques de service qu’elle a adorés, Éric et Ramzy. Parodie de "La Tour Infernale", film catastrophe américain grandiloquent et un peu prétentieux, ce film comique à l’esprit potache, plutôt bien réussi à mon avis, était l’intermédiaire entre la Marina Foïs des Robins des Bois et la Marine Foïs du (vrai) cinéma.
Elle a ainsi fait partie de plusieurs films, eux aussi plutôt réussis à mon avis, même s’ils sont parfois un peu légers voire poussifs, comme "Le Raid" de Djamel Bensalah (2002), "Bienvenue au gîte" de Claude Duty (2003), "Un petit jeu sans conséquence" de Bernard Rapp (2004), "Un ticket pour l’espace" d’Éric Lartigau (2006), "Essaye-moi" de Pierre-François Martin-Laval (2006), j’ai beaucoup apprécié ces deux derniers films (qui, certes, ne sont pas de "grands" films), "Le code a changé" de Danièle Thompson (2009), etc. qui sont généralement des comédies sentimentales, chroniques sociales de l’époque contemporaine.
Marina Foïs a fait partie de belles productions, comme "Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre" d’Alain Chabat (2002), "Le Bal des actrices" de son amie Maïwenn (2009), "Polisse" de Maïwenn (2011), etc. Elle fut l’actrice principale de "Boule et Bill" d’Alexandre Charlot et Franck Magnier (2013), comme mère de Boule, le film n’a pas été terrible au point qu’elle a refusé de jouer dans un second opus. "Le Grand Bain" de Gilles Lellouche (201) fut au contraire une grande réussite du cinéma, un scénario original, des personnages décrits en profondeur.
Et puis, ce fut le "virage dramatique" : "Darling" de Christine Carrière (2007), en préparation dès 2001, "Un cœur simple" de Marion Laine (2008), avec Sandrine Bonnaire, "Maman" d’Alexandra Leclère (2012), avec Mathilde Seigner et Josiane Balasko, "L’Immortel" de Richard Berry (2010), "Orage" de Fabrice Camoin (2015), "Irréprochable" de Sébastien Marnier (2016), "L’Atelier" de Laurent Cantet (2017), etc.
…Et le dernier en date, sorti le 6 février 2019, "Une intime conviction" d’Antoine Raimbault, qui a fait écrire Olivier de Bruyn, le 11 février 2019 dans "Marie France" : « L’actrice accomplit un grand retour dans "Une intime conviction", un film judiciaire où elle confirme qu’aucun registre ne résiste à son talent. (…) L’art de surprendre et de toujours savoir se renouveler… (…) Marina Foïs n’a jamais cessé d’arborer des panoplies différentes, pour notre plus grand plaisir. Aussi à l’aise dans les comédies acides (…) que dans les drames. ».
Marina Foïs a raconté pour ce magazine son grand intérêt pour la justice : « Ayant participé de près à un procès et ayant été témoin de certaines dérives, je me garde d’avoir un avis sur des dossiers que je ne connais pas. C’est une question de décence par rapport aux personnes concernées. (…) Je ne pense pas que je me serais engagée si le fait-divers avait constitué le cœur de ce film. Comme tout le monde, je suis pourtant un peu voyeuse et les faits-divers m’intéressent. Ils renseignent sur l’état de la société et montrent combien la frontière est parfois ténue entre ceux qui dérapent et ceux qui restent dans les clous. ».
D’ailleurs, en second choix, si actrice n’était pas possible, elle aurait voulu être juge : « J’ai une capacité certaine à me débarrasser de mes présupposés, une des conditions nécessaires à cette fonction, et je pense modestement que j’aurais été en mesure de bien mener un procès. Bien sûr, ce désir était enfantin et irréaliste. (…) Je ne supporte pas quand on envisage les protagonistes comme des animaux de foire. » ("Marie France", le 11 février 2019).
Pour terminer sa filmographie, citons son rôle central dans deux comédies noires "Papa ou Maman" (2015) et "Papa ou Maman 2" (2016), toutes les deux de Martin Bourboulon : elle est la maman face au papa Laurent Lafitte. L’idée originelle était intéressante et originale (les deux parents qui se séparent se battent pour ne pas prendre la garde des enfants !), l’humour n’est pas absent, les acteurs plutôt bons (et grâce à Marina Foïs, ils évitent même les clichés et blagues sexistes), mais malheureusement, dans le premier comme dans le second numéro, il n’y a pas d’histoire, on s’ennuie, la série de sketchs ne suffit pas à faire une histoire longue, ce qui est dommage.
Bref, pour résumer, Marina Foïs est depuis une dizaine d’années une actrice de haut niveau, c’est-à-dire, interprétant les premiers rôles dans le cinéma français. Mine de rien, elle a maintenant une expérience très importante, ses personnages sentent la sincérité, l’authenticité, dégagent la sensibilité aussi. Elle a été nommée déjà cinq fois aux Césars (2003, 2008, 2012, 2017 et 2018), nul doute qu’elle en obtiendra un vrai un jour (en 2013, elle a même fait un sketch, en présentant une partie de la cérémonie, pour remercier d’en avoir reçu un), mais sans doute lui manque-t-il encore un "grand" film avec elle dans le premier rôle, celui qui la décrira le mieux dans sa complexité et ses nuances.
Car justement, elle déteste être mise dans une case, d’où des films au style très différent dans lesquels elle accepte de jouer : « J’ai des goûts très éclectiques et ma carrière rassemble à la femme que je suis. J’aime l’alternance et m’éloigner des zones de confort. En fait, je déteste ronronner. Je me félicite que l’on m’ait toujours proposé des projets divers. Je bénéficie d’une chance inouïe. » ("Marie France" le 11 février 2019).
Elle est en position de pouvoir en refuser beaucoup, surtout ceux, nombreux, qui continuent à faire des personnages féminins des personnes soit incapables d’aimer soit nymphomanes, alors que les femmes sont comme les hommes, avec des enjeux qui n’ont rien à voir avec leur sexe : « Je déteste l’entre-soi, je voudrais de la mixité partout » (25 septembre 2017).
Cette idée de la différence entre l’homme et la femme est même pour elle contre-nature. Dans "Madame Figaro" du 8 février 2019, Marina Foïs a expliqué : « Je ne sais pas ce que c’est, être une fille ou un garçon. J’ai été élevée par des soixante-huitards. Chez moi, il n’y avait pas de Barbie et, à 4 ans, j’ai reçu un garage à Noël. ». Mais dans cette interview, plongeant dans les révélations du MeToo, elle a surtout révélé qu’elle a été « victime d’abus sexuels perpétrés par l’un de mes baby-sitters » à l’âge de 8 ans : « Cela a perturbé mon sentiment intérieur de féminité. Du jour au lendemain, j’ai cessé de porter des jupes et je me suis coupé les cheveux. ».
Probablement à cause de cela, pendant son adolescence, elle s’est sentie très mal à l’aise avec son corps, un véritable "calvaire" (le mot est d’elle). Cet aspect tragique de son enfance pourrait ainsi faire comprendre pourquoi elle a souvent du tragique dans son comique. Une sorte de faille intérieure qui l’a rendue plus grande et plus belle. Surtout, très authentique.
Son courage, c’est aussi de dire les choses qu’elle pense, c’est de savoir se mettre en colère, répondre par exemple à Yann Moix quand il dit qu’il ne peut pas aimer une femme de 50 ans, ce qui a fait tweeter Marina Foïs : « Plus que 1 an et 14 jours pour coucher Yann Moix, inchallah ça se fait ». Trop tard ! Elle les a, maintenant.
Pour des relations de couple, elle croit à la création continue : « Je pense que c’est une manière d’aimer quelqu’un que de lui dire "Stop, ça ne vaut plus le coup", "Je ne m’y retrouve plus, je suis obligée de te le dire". Quitter quelqu’un quand on s’aime mal, c’est presque une forme de respect. Moi, c’est la pire insulte qu’on pourrait me faire que de rester par habitude. » ("Version Femina", le 1er novembre 2010).
Dire ce qu’on pense, ce n’est pas toujours du mal, et Marine Foïs n’hésite pas à dire son admiration et sa fascination pour de grands acteurs, comme Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert et Romain Duris. Sans s’empêcher une petite "vacherie" : « Ce qui me gonfle (…), c’est que les gens ne parlent que des morts. Je l’ai déjà dit, mais j’en ai marre qu’on me cite Jean Gabin et Lino Ventura comme acteurs. Ils sont évidemment incontournables et indispensables au cinéma (…), mais il faut aussi que les gens regardent autour d’eux. » ("Version Femina", le 1er novembre 2010).
Ce qui est appréciable chez elle aussi, c’est qu’elle n’est pas vraiment dans le star-system. Certes, elle va de temps en temps à Cannes avec une belle robe, quelques paillettes et des talons aussi haut que son humour décalé, mais c’est un peu comme le conseiller bancaire qui doit garder sa cravate pour approcher un client, c’est l’uniforme du métier, un passage obligé. Marina Foïs est dans une posture plutôt humble, elle se moque totalement du qu’en-dira-t-on, elle n’est pas obsédée par l’image qu’elle peut donner à des personnes qu’elle ne connaîtra de toute façon jamais personnellement et c’est là toute sa fraîcheur et sa jeunesse.
À l’image de ce titre d’une interview réalisée par Laurent Rigoulet pour "Télérama" et publiée le 25 septembre 2017 : « Marina Foïs : "On devrait se foutre de son image quand on est comédien" ». Et elle dit ce qu’elle pense : « La rage me va mieux que la tristesse, je ne suis pas cool. Quand je n’aime pas quelqu’un ou un film, je le dis. » (8 février 2019).
Dans certaines interviews, Marina Foïs explique encore qu’elle est beaucoup plus réservée, mesurée qu’elle n’est audacieuse devant une caméra. Elle peut se débrider au cinéma parce qu’elle campe un personnage et ce n’est pas elle, c’est le réalisateur qui décide, ce n’est pas sa personnalité, tandis que lorsque c’est elle, dans la vie de tous les jours, elle retrouve plus la conscience d’être elle-même. Comme vouloir être "regardable" quand elle fait ses courses (bon, le problème, c’est que maintenant, dans tous les cas, elle est connue, alors oui, elle a maintenant intérêt de se faire belle en faisant ses courses, même avec des lunettes de soleil).
Je termine par une série de portraits vidéos qui complètent ce que je viens de présenter.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (19 janvier 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Marina Foïs.
"Le Cercle des Poètes disparus".
Robin Williams.
Suzy Delair.
Michel Piccoli.
Gérard Oury.
Pierre Arditi.
"J’accuse" de Roman Polanski.
Roman Polanski.
Adèle Haenel.
Michel Bouquet.
Daniel Prévost.
Coluche.
Sim.
Marie Dubois.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-2020121-marina-fois.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/marina-fois-decalee-et-en-pleine-220820
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/01/16/37946934.html