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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
15 avril 2021

L’Église de Benoît XVI

« La cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. » (Benoît XVI, "Caritas in veritate", le 29 juin 2009).



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Le "pape émérite", c’est-à-dire l’ancien pape, le pape ayant renoncé à ses fonctions de pape, Benoît XVI atteint ce jeudi 16 avril 2021 l’âge de 94 ans. Un pape probablement très affaibli, dont des rumeurs folles annonçaient en octobre dernier les pires informations sur sa santé. Sa décision de quitter le pontificat de son vivant a été sage et humaine : il l’a annoncée peu avant ses 85 ans le 11 février 2013 pour prendre effet le 28 février 2013.

Il a expliqué de nouveau cette démarche le 27 février 2013 lors de sa dernière audience publique : « Ces derniers mois, j’ai senti que mes forces étaient diminuées, et j’ai demandé à Dieu avec insistance, dans la prière, de m’éclairer de sa lumière pour me faire prendre la décision la plus juste non pour mon bien mais pour le bien de l’Église. J’ai fait ce pas en pleine conscience de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais avec une profonde sérénité d’âme. Aimer l’Église signifie aussi avoir le courage de faire des choix difficiles, douloureux, en ayant toujours à cœur le bien de l’Église et non soi-même. ».

Dès lors qu’on vit plus âgé, comment peut-on accepter à vie une fonction épuisante à très forte responsabilité ? À moins d’être soit un dictateur (et c’est le clan qui continue à gouverner) soit un surhomme (je n’écris pas ici une surfemme, le contexte s’y prête mal même si, théoriquement et originellement, rien n’interdisait à une femme d’accéder à cette fonction).

D’ailleurs, son successeur, le pape François, va lui-même, cette année, atteindre l’âge de 85 ans et probablement qu’il n’hésitera pas à quitter ses fonctions comme Benoît XVI si la fatigue l’étreint trop. On pourrait d’ailleurs imaginer une réforme qui donnerait un âge limite à la fonction : après tout, les évêques doivent prendre leur retraite à 75 ans, ce qui est déjà bien âgé pour certains, et les cardinaux de plus de 80 ans ne votent plus lors des conclaves. Pourquoi un pape pourrait continuer même centenaire ce que les autres prélats sont interdits de responsabilités ?

Rassurant tous les fidèles, les deux papes ont été vaccinés contre le covid-19 très tôt : le pape François a eu sa première dose le 13 janvier 2021 et Benoît XVI le 14 janvier 2021. Cette rapidité était d’autant plus nécessaire pour le pape actuel qu’il porte peu souvent le masque quand il parle en public et qu’il courait donc un grand risque d’être contaminé dans une enclave d’un pays très durement touché par la pandémie de covid-19.

Féru des auteurs catholiques français François Mauriac, Paul Claudel et Georges Bernanos, Joseph Ratzinger a été ordonné prêtre il y a presque soixante-dix ans, le 29 juin 1951, mais parallèlement à sa trajectoire de prêtre, puis archevêque de Munich (le 28 mars 1977), cardinal (le 27 juin 1977), préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (le 25 novembre 1981), enfin, 265e pape Benoît XVI (élu le 19 avril 2005), il a eu aussi une très longue carrière d’universitaire, de théologien, à Munich.

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Lorsqu’il a quitté la Curie romaine le 28 février 2013 pour se retirer définitivement de son magistère, Benoît XVI a fait ses adieux, à la Salle Clémentine, aux cardinaux présents à Rome en citant Romano Guardini : « Je voudrais vous laisser une pensée simple, qui me tient beaucoup à cœur : une pensée sur l’Église, sur son ministère, qui constitue pour nous tous, pouvons-nous dire, la raison et la passion de notre vie. J’emprunte, pour m’aider, une expression de Romano Guardini, écrite précisément l’année où les Pères du Concile Vatican II approuvèrent la Constitution "Lumen gentium", dans son dernier livre, avec une dédicace personnelle également pour moi ; c’est pourquoi les paroles de ce livre me sont particulièrement chères. Romano Guardini dit : L’Église "n’est pas une institution conçue et construite de façon théorique (…) mais une réalité vivante (…). Elle vit au cours du temps, en devenir, comme tout être vivant, en se transformant (…). Et pourtant, dans sa nature, elle demeure toujours la même, et son cœur est le Christ". ».

Et il a poursuivi : « C’est l’expérience que nous avons faite, me semble-t-il, hier place Saint-Pierre : voir que l’Église est un corps vivant, animé par l’Esprit Saint et qu’elle vit réellement par la force de Dieu. Elle est dans le monde mais elle n’appartient pas au monde : elle appartient à Dieu, au Christ, à l’Esprit. (…) C’est pourquoi l’autre expression célèbre de Romano Guardini est également vraie et éloquente : "L’Église se réveille dans les âmes". L’Église vit, grandit et se réveille dans les âmes qui (…) offrent à Dieu leur propre chair et, précisément dans leur pauvreté et leur humilité, elles deviennent capables d’engendrer le Christ aujourd’hui dans le monde. À travers l’Église, le mystère de l’Incarnation demeure présent pour toujours. Le Christ continue à marcher à travers les temps et tous les lieux. ».

"L’expérience" dont le pape émérite parlait place Saint-Pierre le 27 février 2013, c’était sa dernière audience générale donnée aux fidèles venus très nombreux le saluer une dernière fois en plein soleil : « Je vous remercie d’être venus si nombreux (…). Je suis véritablement ému et je vois l’Église vivante ! ».

Et son message était le suivant : « Quand, le 19 avril il y a presque huit ans, j’ai accepté d’assumer le ministère pétrinien, j’ai eu la ferme certitude qui m’a toujours accompagné : cette certitude de la vie de l’Église par la Parole de Dieu. En ce moment, comme je l’ai déjà exprimé plusieurs fois, les paroles qui ont résonné dans mon cœur ont été : Seigneur, pourquoi me demandes-tu cela et que me demandes-tu ?.C’est un poids grand celui que tu me poses sur les épaules, mais si tu me le demandes, sur ta parole, je jetterai les filets, sûr que tu me guideras, aussi avec toutes mes faiblesses. Et huit années après, je peux dire que le Seigneur m’a vraiment guidé, m’a été proche, j’ai pu percevoir quotidiennement sa présence. Cela a été un bout de chemin de l’Église qui a eu des moments de joie et de lumière, mais aussi des moments pas faciles (…). Cela a été une certitude, que rien ne peut troubler. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui mon cœur est plein de reconnaissance envers Dieu parce qu’il n’a jamais fait manquer à toute l’Église et aussi à moi sa consolation, sa lumière, son amour. ».

Et pour lui, tous constituent l’Église : « Je voudrais que mon salut et mes remerciements parviennent (…) à tous : le cœur d’un pape s’élargit au monde entier. (…) On peut toucher du doigt ce qu’est l’Église, non pas une organisation, une association à des fins religieuses ou humanitaires, mais un corps vivant, une communion de frères et de sœurs dans le Corps de Jésus-Christ, qui nous unit tous. Expérimenter l’Église de cette façon et pouvoir presque pouvoir toucher de la main la force de sa vérité et de son amour, est un motif de joie, en un temps où beaucoup parlent de son déclin. Mais nous voyons combien l’Église est vivante aujourd’hui ! » (27 février 2013).

Comme on a pu s’en apercevoir lors de son dernier discours le 28 février 2013, Benoît XVI a cité Romano Guardini. C’était un peu normal et le contraire aurait été étonnant. Qui fut-il ? Romano Guardini (1885-1968) fut un des théologiens catholiques les plus importants du XXe siècle qui définissait ainsi sa vocation : « expliciter et interpréter la réalité chrétienne dans son ensemble, avec bien sûr le sérieux scientifique voulu et un niveau spirituel aussi élevé que possible ». Il fut également le professeur (enseignant la "vision chrétienne du monde") de Joseph Ratzinger lorsque ce dernier était un étudiant de 18 ans et qu’il suivait ses études à l’Institut supérieur de philosophie et de théologie de Freising, près de Munich, et en quelque sorte, son "mentor" intellectuel et spirituel. Le futur pape a confié : « Quand j’ai commencé mes études de théologie, au début de 1946, l’une de mes premières lectures a été le premier ouvrage de Romano Guardini "L’Esprit de la liturgie", un petit livre publié à Pâques 1918. ».

Dans son livre reprenant le même titre que celui de Guardini, "L’Esprit de la liturgie", sorti en 1999, le cardinal Ratzinger a expliqué son parallèle avec le livre d’origine : « Je voudrais tenter une comparaison, largement inappropriée comme toutes les comparaisons, mais qui aide à comprendre. On pourrait dire que la liturgie ressemblait alors, en 1918, par certains aspects, à une fresque restée intacte, mais presque recouverte d’une couche ultérieure, dans le missel avec lequel le prêtre la célébrait, sa forme était pleinement présente, telle qu’elle s’était développée depuis son origine, mais pour les croyants, elle était en grande partie cachée par des instructions et des formes de prière à caractère privé. Grâce au mouvement liturgique et, de manière définitive, grâce au Concile Vatican II, la fresque a été nettoyée et pendant un moment, nous avons été fascinés par la beauté de ses couleurs et de ses dessins. ».

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Cette extrait de préface a été citée dans un long article retraçant la proximité intellectuelle entre Guardini et Ratzinger publié en 2008 par Silvano Zucal, professeur de philosophie à l’Université de Trente et éditeur des œuvres de Romano Guardini, dans "Vita e Pensiero", la revue de l’Université catholique de Milan (traduit en français par Charles de Pechpeyrou).

Silvano Zucal a notamment présenté la conception de l’Église du futur pape : « Les deux hommes s’interrogent (…) sur l’Église, son sens et son destin. Si Guardini prophétisait en 1921 "qu’un processus de grande portée a débuté. L’Église se réveille dans les consciences", Ratzinger, dans un registre plus dramatique, posait tout aussi radicalement le problème ecclésiologique à partir de ce qu’il considérait comme le renversement de la thèse guardinienne : "Le processus de grande portée est que l’Église s’éteint dans les âmes et se désagrège dans les communautés". En ce sens, il suffit de penser à la très forte résonance de l’émouvant discours prononcé par Ratzinger le 4 juin 1970 à l’Académie catholique bavaroise de Munich devant mille personnes. À la question "Pourquoi suis-je encore dans l’Église aujourd’hui ?", il avait répondu : "Je suis dans l’Église pour les mêmes raisons pour lesquelles je suis chrétien : parce que l’on ne peut pas croire tout seul. On ne peut être chrétien que dans l’Église, pas à côté d’elle". ».

On ne peut pas croire tout seul. C’est avec cette compréhension de 1970 qu’il faut comprendre comment Benoît XVI a abordé sa renonciation en 2013, lorsqu’il a dit : « La gravité de la décision [d’accepter d’être pape] a été vraiment aussi dans le fait qu’à partir de ce moment, j’étais engagé sans cesse et pour toujours envers le Seigneur. Toujours, celui qui assume le ministère pétrinien n’a plus aucune vie privée. Il appartient toujours et totalement à tous, à toute l’Église. (…) Le "toujours" est aussi un "pour toujours", il n’y a plus de retour dans le privé. Ma décision de renoncer à l’exercice actif du ministère, ne supprime pas cela. (…) Je ne porte plus le pouvoir de la charge pour le gouvernement de l’Église, mais dans le service de la prière, je reste, pour ainsi dire, dans l’enceinte de saint Pierre. Saint Benoît (…) nous a montré le chemin pour une vie qui, active ou passive, appartient totalement à l’œuvre de Dieu. ».

C’est pour cette raison que Benoît XVI n’est pas un ex-pape mais est resté pape, émérite. Il ne s’est pas reclus, seul loin des hommes, en attendant la mort, il s’est juste dégagé des responsabilités mais pas de son universalité. C’est donc bien une retraite dans l’Église et pas un retrait de l’Église. Retraite que je lui souhaite la plus douce possible et la plus communiante possible.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 avril 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le pape du développement humain intégral.
L’Église de Benoît XVI.
Michael Lonsdale.
Pourquoi m’as-tu abandonné ?

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210416-benoit-xvi.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/l-eglise-de-benoit-xvi-232291

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/10/30/38618464.html








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