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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
4 juin 2021

Marine Le Pen et l’effet majoritaire

La question est importante et se formule simplement : si Marine Le Pen était élue Présidente de la République, arriverait-elle à faire élire une Assemblée Nationale avec une majorité de députés RN ? Ma réponse est d’évidence.




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Sa campagne est lancée. En déplacement dans le département de la Loire ce jeudi 3 juin 2021, Marine Le Pen a ouvertement commencé sa campagne …pour l’élection présidentielle de 2022. Certes, il y a des élections régionales dans quelques jours et elle voudrait y croire, surtout en PACA (mais pas seulement, en Occitanie aussi, par exemple), mais ces régionales, dans son esprit, ne sont qu’un tremplin pour la présidentielle. D’ailleurs, pour éviter tout accroc, elle s’est bien gardé de concourir cette fois-ci, laissant à d’autres le soin de risquer l’échec.

Soyons clairs : Marine Le Pen n’est pas plus compétente en 2021 qu’en 2017 pour assurer  le job de Président de la République. Elle n’a pas plus appris en économie, en finances publiques, en entreprises françaises, en droit européen… mais elle jouit d’un paysage politique dévasté par l’absence totale de leadership de ses concurrents de l’opposition. Elle a beau avoir eu des défections chez elle, par exemple, Florian Philippot, c’est bien la marque Le Pen qui fait vendre, et Bruno Mégret l’a compris à ses dépens, lui qui avait réussi à emporter plus de la moitié des cadres dirigeants du FN en décembre 1998 dans son putsch contre Jean-Marie Le Pen. Le résultat, ce fut …Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle en 2002 !

Cela me fait sourire d’entendre des responsables du parti socialiste dire que le Président Emmanuel Macron joue un jeu dangereux en voulant placer Marine Le Pen en face de lui lors du prochain scrutin présidentiel. Emmanuel Macron n’y est pour rien, pas plus qu’en 2017, que les autres soient plus nuls que lui. Il jouit, lui aussi, de ce paysage dévasté par un PS incapable de redevenir un parti de gouvernementaux. Les deux anciens grands partis risquent de ne se transformer qu’en partis d’élus locaux, et rappelez-vous que c’était aussi l’évolution de deux anciens grands partis, le parti radical et le parti communiste français.

Je comprends donc bien Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, tenter le 30 mai 2021 de rompre ce duel tant annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Selon lui, si ce duel persévérait au second tour de l’élection présidentielle de 2022, ce serait Marine Le Pen qui gagnerait. Parce qu’il y aurait plus de rejet d’Emmanuel Macron que de Marine Le Pen.

J’approuve l’avertissement fait ici que la victoire de Marine Le Pen est possible. Il faut arrêter d’imaginer qu’une victoire soit impossible, et l’on a suffisamment démontré que ce que valaient les plafonds de verre tant professés : les Britanniques ne pouvaient pas voter pour le Brexit, les Américains ne pouvaient pas élire Donald Trump. Les Français ne pourraient-ils vraiment pas élire Marine Le Pen ? Je suis persuadé qu’il n’y a plus de rejet moral comme il pouvait y en avoir en 2002, mais rien n’empêche encore le rejet politique, comme ce fut le cas pour François Mitterrand en 1974 même si, finalement, il est parvenu à ses fins élyséennes sept années plus tard.

Je n’approuve pas cependant l’affirmation, qui ne peut être que péremptoire, de la certitude de la victoire de Marine Le Pen dans un tel duel. J’en conçois bien la raison politicienne mais en l’exprimant, cela aussi concourt à lui donner une stature présidentielle qu’elle n’a jamais eue et qu’elle n’aura jamais. Ce qui est certain, c’est que rien n’est joué et qu’une campagne électorale sert justement à cela, à faire bouger les lignes.

Certains ne savent que se coller aux sondages, et justement, les sondages sont hésitants, et montrent à l’évidence que tout est possible. Je pense que le rejet de Marine Le Pen reste plus grand que celui d’Emmanuel Macron qui, dans le dernier sondage IFOP, réussit quand même à convaincre 41% des sondés, ce qui est beaucoup plus, au même stade de son mandat, que Nicolas Sarkozy (21%) et François Hollande (16%), pour ces deux derniers chiffres, je les cite de mémoire avec une petite réserve.

L’histoire depuis les chocs pétroliers et la crise économique qui n’a jamais jugulé le chômage de masse depuis quarante-cinq ans, c’est qu’à l’exception notable de 2007, pas une majorité sortante n’a été reconduite dans le pays. Et pas un gouvernant n’a été confirmé par les électeurs. François Mitterrand et Jacques Chirac ne doivent leur réélection qu’au fait qu’ils étaient dans l’opposition au gouvernement, dans la situation particulière de cohabitation. Si Emmanuel Macron était réélu en 2022, ce serait alors un précédent historique. Être sortant devient plus un handicap qu’un atout dans notre monde des réseaux sociaux, des émotions, des réactions à l’emporte-pièce et des râleries.

Comme à chaque élection présidentielle, on peut d’ailleurs être sidéré par certaines motivations pour choisir tel candidat plutôt que tel autre. Ainsi, certains opposants à Marine Le Pen souhaitent malgré tout voter pour elle, pour qu’elle soit élue, qu’elle montre son incompétence, et qu’on solde définitivement l’hypothèse Le Pen. Stratégie de la terre brûlée qui n’a rien de constructif. C’est typiquement la réaction du type qui a le vertige et qui saute dans le vide. Tant qu’à faire, écartons-nous plutôt du précipice ! La France ne peut pas se permettre cinq ans d’incompétence dans un monde qui va si vite. On a vu ce que cela a donné sous François Hollande, tous les pays voisins ont prospéré pendant que nous, Français, sous prétexte idéologique et électoraliste, nous ruminions nos 30 milliards d’euros de hausse des impôts et taxes et notre incapacité à sortir de la stagnation économique.

Je conçois le mal être des crypto-gauchistes qui ont une haine morale contre Marine Le Pen et une haine idéologique contre Emmanuel Macron. Qui peut gagner dans ce dilemme, quelle haine peut submerger l’autre ? Alors, certains y vont avec leur bonne conscience. Enfoncer Emmanuel Macron, cela leur ferait trop plaisir, ce serait enfoncer le grand capital, les méchants patrons, les suppôts de l’impérialisme (américain), etc. Cela les soulagerait, à l’évidence, et puis, ils affirment ensuite qu’élire Marine Le Pen à l’Élysée ne fait rien risquer politiquement puisque tout se décide …au Parlement.

Sur l’idée générale, ils ont raison et la cohabitation a prouvé que c’était effectivement la majorité parlementaire à l’Assemblée Nationale qui dirigeait la politique de la nation, quel que fût le locataire de l’Élysée. Ce qui confirme que la Cinquième République est avant tout un régime parlementaire. Mais ils ont tort s’ils vont jusqu’au bout de leur pensée, à savoir que le Rassemblement national serait incapable d’obtenir une majorité à l’Assemblée Nationale.

Mon article ici veut plus se porter sur les institutions que sur la politique en elle-même.

Ceux qui pensent que l’élection de Marine Le Pen est impossible se trompent éperdument, mais faut-il vraiment argumenter : c’est surtout qu’ils n’ont rien compris au principe de la démocratie et du peuple, qui veut que rien n’est jamais joué d’avance dans une élection libre et sincère tant que les urnes ne sont pas closes.

Mais ceux qui pensent qu’en cas d’élection de Marine Le Pen, il lui serait impossible d’obtenir une majorité parlementaire RN, alors, à mon sens, ils se trompent encore plus, parce qu’ils n’ont rien compris à nos institutions. Mais vraiment rien.

Retournons en arrière. En 1981, François Mitterrand a été élu Président de la République. Bien que source de démocratie, l’alternance est une preuve de démocratie, comme on parle de preuve d’amour, cette élection était loin d’être pronostiquée à un moment où Michel Rocard était nettement plus apprécié et populaire et où la réélection de Valéry Giscard d’Estaing ne semblait pas engendrer le moindre doute, du moins chez le principal concerné.

La surprise ou l’émotion passées, sont arrivées des élections législatives anticipées. Avant l’élection présidentielle, la majorité sortante ne cessait de clamer l’impossibilité du candidat socialiste à obtenir une majorité socialiste. Pas de surprise sur la tenue de ces législatives, le candidat avait annoncé la couleur bien avant son élection qu’il dissoudrait l’Assemblée Nationale pour demander aux Français une nouvelle majorité. Démarche tout à fait logique qui a manqué tant à Valéry Giscard d’Estaing qu’à Jacques Chirac à leur propre élection en 1974 et en 1995 (si bien que l’idée de rouspéter contre une supposée inversion du calendrier électoral me fait sourire : un nouveau Président a forcément besoin d’une majorité à ses couleurs, même si la majorité sortante reste politiquement compatible avec le nouveau Président).

Les plus légitimistes étaient à l’époque les gaullistes : gros problème lorsqu’ils se sont retrouvés dans l’opposition. C’est peut-être cela qui a fait que le parti gaulliste est devenu un parti comme les autres, juste une écurie pour conquérir le pouvoir. En tout cas, j’avais des amis gaullistes, genre RPR droite musclée, qui, par légitimisme, ont voté aux élections législatives de juin 1981 pour le candidat du parti socialiste. Leur argument : il était normal que le nouveau Président de la République puisse gouverner, donc, il fallait lui apporter une majorité parlementaire conforme.

Cette abnégation dans le légitimisme devait finalement être rare (je ne crois pas qu’il y a eu une étude sur le sujet), mais en 2017, un tel légitimisme s’est plutôt traduit par l’abstention : j’ai perdu à l’élection présidentielle, je les laisse choisir leurs députés, car je ne suis plus dans la boucle. Cela peut être du légitimisme, de la bouderie, de la colère, de la tristesse mélancolique, qu’importe, Emmanuel Macron a eu une majorité absolue de députés LREM dont la plupart étaient complètement inconnus de leurs électeurs et du monde politique en général.

La preuve, c’est que la plupart des arguments des candidats aux législatives qui avaient perdu à l’élection présidentielle, c’était souvent ceux de la revanche, de l’équilibre, de la complémentarité, de l’opposition, mais aucun de ces arguments n’a porté véritablement. En tout cas, Emmanuel Macron a fait la démonstration que tout est possible avec nos institutions et a répondu à un vieil argument de 2007.

À cette époque, François Bayrou, le candidat centriste, était monté en mars 2007 jusqu’à 21% d’intentions de vote dans les sondages (il termina à 18,4%, c’était pas mal mais insuffisant pour aller au second tour). Il mettait surtout en péril la présence de Ségolène Royal au second tour en la talonnant. Ses concurrents l’ont donc noyé de son incapacité à gouverner, donc de l’inutilité à voter pour lui (remarquons que maintenant, on retourne l’argumentation en disant qu’on peut voter pour Marine Le Pen puisqu’elle ne pourrait pas faire de mal, même élue Présidente ; tout cela pour assouvir tranquillement sa rage et sa haine contre Emmanuel Macron).

Ainsi, le principal argument pour dégommer la candidature de François Bayrou, ce fut de dire qu’il serait incapable d’obtenir une majorité centriste à l’Assemblée Nationale. Du reste, François Bayrou avait confirmé cette idée lui-même lorsqu’en 2017, il disait qu’il était impossible qu’il fût désigné Premier Ministre car il ne représenterait qu’une faible partie de la majorité et jamais une forte. Dans ce concert d’hypocrisie bien comprise, seul, un homme avait à l’époque fait une déclaration dissonante, Jean-Luc Mélenchon, qui disait : si François Bayrou était élu Président, bien sûr que oui qu’il aurait une majorité à l’Assemblée. Tous les élus proches de l’UMP retourneraient leur veste pour donner des gages de loyauté au nouveau Président.

Si on regarde dans l’histoire complète de la Cinquième République, à quasiment aucune occasion un Président fraîchement élu ou réélu n’a pas pu obtenir de majorité parlementaire. J’ai écrit "quasiment" car en juin 1988, après la réélection de François Mitterrand, aucune majorité absolue n’a été élue. Mais ici, c’était peut-être voulu car François Mitterrand espérait ne plus avoir d’hégémonie du PS, dans la mesure où il ne le contrôlait plus. Le "quasiment" peut être supprimé si je reformule ainsi : à aucun moment, un Président fraîchement élu ou réélu n’a pas pu obtenir la majorité parlementaire de ses vœux à l’Assemblée Nationale, et dans le cas de 1988, le vœu présidentiel, c’était de ne pas dégager de majorité absolue clairement délimitée.

Dans ce que je viens d’écrire, il y a une partie floue : j’écris parfois "majorité" et parfois "majorité absolue". La majorité absolue est sans doute la configuration la plus aisée, la plus confortable, la plus stable d’un gouvernement. Mais la Cinquième République est bien plus subtile que les précédents : la majorité relative suffit à gouverner. Pourquoi ? Parce que l’important, ce n’est pas d’avoir une majorité absolue de députés prêts à faire confiance au gouvernement, l’important, c’est dans le système à l’envers, qu’il n’y ait pas une majorité absolue de députés prêts à défier le gouvernement, prêts à proposer une autre possibilité de gouvernement. Contrairement au régime des partis, cette notion de motion de censure qui nécessitait de bâtir une majorité absolue autre a rendu très stables les gouvernements depuis 1959. S’il y a une instabilité, elle n’est ni politique ni électorale, mais selon le bon caprice du prince.

Donc, pour gouverner, Marine Le Pen n’a pas besoin d’une majorité absolue RN, elle a juste besoin d’une majorité relative RN. C’est-à-dire que ne se forme pas, contre elle, d’autre majorité. Je ne dis pas que c’est impossible, mais que c’est oublier la logique électorale de nos institutions : l’élection de Marine Le Pen, malgré ce qu’elle représente, ferait lever un vent d’espoir que beaucoup ressentiront avec un peu de retard à l’allumage. Et ils rejoindraient imprudemment les nouveaux vainqueurs.

Au-delà des inévitables transfuges, et on voit que Les Républicains se posent la question publiquement sur son éventuelle lepenocompatibilité, il y aurait inévitablement des centaines de nouveaux députés RN élus. Comme ce fut le cas en juin 2017 avec le parti LREM, un parti qui existait seulement depuis quatorze mois.

Alors, méfiez-vous des stratégies à la mords-moi-le-nœud, Si Marine Le Pen était élue Présidente, rien ne s’opposerait à l’élection d’une majorité RN à l’Assemblée Nationale, et rien ne s’opposerait à ce qu’elle puisse, juridiquement, gouverner sans partage pendant cinq ans. C’est pourquoi avant d’être naïf et bisounours, il faut bien réfléchir à cette logique majoritaire de la Cinquième République : elle est implacable, et fonctionne dans tous les types d’alternance…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 juin 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La proportionnelle en 2021 ?
Vive la Cinquième République !
Marine Le Pen et l’effet majoritaire.
Les Républicains et la tentation populiste.
Marine Le Pen piégée par des militaires apprentis sorciers.
La Vaine Le Pen.
Jean-Marie Le Pen.
Rassemblement oxymore.
La création de Debout la Patrie.
Le débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen du 3 mai 2017.
Les nationautes de la Marine.
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Ensemble pour sauver la République.
Choisis ton camp, camarade !
Fais-moi peur !
Peuple et populismes.
Les valeurs de la République.
Être patriote.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210603-marine-le-pen.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/marine-le-pen-et-l-effet-233508

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/06/03/39000025.html





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