Le monde perdu de Michèle Cotta
« Pourquoi la politique est-elle progressivement devenue, à partir de 1965, l’objet à peu près unique de ces chroniques ? Le plus simplement du monde. Parce que mes premiers souvenirs sont des souvenirs de campagnes électorales paternelles. Parce que rien, enfant déjà, ne me paraissait plus magique que l’éloquence de la politique ou du prétoire. (…) L’objectivité absolue n’existe pas. Pas plus chez un journaliste que chez n’importe quel citoyen. » (Michèle Cotta, 14 novembre 2007).
La journaliste politique Michèle Cotta fête son 85e anniversaire ce mercredi 15 juin 2022. Participant toujours de temps en temps à des émissions politiques pour commenter l’actualité, elle montre comme avec Alain Duhamel, Philippe Alexandre et quelques autres une exceptionnelle longévité professionnelle. Car lorsque vous attrapez le virus de la politique, c’est définitif et vous le gardez jusqu’au bout.
Or, cette passion de la vie politique peut généralement se décliner (au moins) de deux manières différentes, en s’engageant à fond dans l’action politique, ou, au contraire, au lieu d’en être l’acteur, en en étant l’observateur et dans ce cas, le métier de journaliste politique est tout indiqué, et finalement, la passion de la politique est nourrie de se trouver aux premières loges de l’histoire nationale. Parfois, d’ailleurs, le journaliste s’engage en politique (ce qui est très courant, comme le montrent les exemples de Jean-Jacques Servan-Schreiber, Françoise Giroud, Dominique Baudis, François Baroin, Claude Estier, Noël Mamère, Philippe Vasseur, Jean-Marie Cavada, Philippe Ballard, etc.). Certains ont même fait le chemin inverse, comme (entre autres) Roselyne Bachelot.
Michèle Cotta était tombée dans la marmite de la politique dès son enfance, grâce (ou à cause) de son père, Jacques Cotta, ancien résistant, avocat et maire SFIO de sa ville natale, Nice, juste après la Libération, une ville qu’il a conquise sur la municipalité communiste sortante mais qu’il a perdue à l’élection suivante par l’indépendant Jean Médecin (le père de Jacques Médecin). Pendant toute son enfance, Michèle Cotta allait aux meetings de son père (au grand dam de sa mère) et son ancrage à gauche date de cette époque un peu particulière où les consciences se forgent. Une gauche européenne et mendésiste, anticommuniste et européenne, probablement Macron-compatible aujourd’hui (mais je m’avance là un peu imprudemment).
Lorsque j’ai évoqué sa trajectoire précédemment, j’ai mis en opposition ceux des journalistes qui sont toujours restés dans leur métier, expert indépendant en quelque sorte (comme Alain Duhamel, Philippe Alexandre, Catherine Nay, etc.), et ceux qui, tentés par la lumière, ont pris des responsabilités managériales (comme Jean-Pierre Elkabbach, Patrice Duhamel, Jean-Marie Cavada, Jacqueline Baudrier, Jean-Luc Hees, Christian Barbier, etc.).
Parce qu’elle était une journaliste connue pour sa proximité avec le parti socialiste, Michèle Cotta, qui était très à l’aise dans son rôle d’électron libre de l’observation politique, a viré de bord et sur le "quota" (sans jeu de mot) des nominations de Pierre Mauroy (en 1981, l’Élysée et Matignon se répartissaient les nominations aux emplois publics), Michèle Cotta ne pouvait pas refuser d’être nommé présidente de Radio France en 1981 puis Présidente de la Haute Autorité de l’audiovisuel (l’arrière-grand-mère de l’Arcom) de 1982 à 1986. Une erreur selon elle car cela lui a coupé tous ses contacts, et elle s’est créée de nombreuses inimitiés (de droite comme de gauche, car la volonté de liberté des médias affichée par François Mitterrand était hypocrite et cachait la même volonté cynique du pouvoir de tout contrôler, même volonté que ses prédécesseurs).
Michèle Cotta a été à bonne école puisque, après l’IEP de Paris et une thèse préparée sous la direction de René Rémond, elle a été recrutée en 1963 à "L’Express" par Françoise Giroud, femme forte, exigeante mais très formatrice. Catherine Nay l’a rejointe d’ailleurs un peu plus tard (en 1968). C’est pendant cette période qu’elle s’est constituée un extraordinaire réseau parmi les acteurs de la vie politique, beaucoup autour de la gauche non communiste car elle était plus particulièrement chargée de couvrir l’actualité de cette tendance politique, mais aussi à droite. Ainsi, elle a très rapidement été une proche de François Mitterrand dont elle avait compris l’importance future malgré les années difficiles (échec aux législatives de 1958, discrédit après le faux attentat de l’Observatoire, etc.), ainsi que de Jacques Chirac dont elle a vu l’immense potentiel et l’immense ambition dès le début de sa carrière politique.
Les contacts personnels étaient tels que Michèle Cotta a compris bien plus vite que ses collègues l’énorme ambition qui bouillait chez François Mitterrand et l’inéluctabilité de sa candidature en 1965 quand tout le monde (et d’abord son employeur "L’Express" avec la campagne sur "Monsieur X") imaginait Gaston Defferre à la manœuvre (mais le maire de Marseille devait réunir la SFIO et le MRP/Centre démocrate, mission quasiment impossible). Exemple de connaissance fine de la vie politique, le 9 septembre 1965, jour d’une allocution présidentielle de De Gaulle : « Dans l’après-midi, nous sommes tous devant la télévision, dans le salon du dernier étage de "L’Express", avec JJSS et Françoise Giroud. Je n’ai pas voulu trahir le scoop de la candidature de Mitterrand dès le matin. Mais, en début d’après-midi, à quelques minutes de l’événement, je veux faire la maligne : "François Mitterrand se présente aujourd’hui", dis-je à Jean-Jacques et à Françoise vers deux heures trois quarts. Jean-Jacques me regarde avec commisération : "Pendant que De Gaulle parle ? Vous n’y êtes pas ! ". (…) Vers 16 heures 15 ou 30 (…), je quitte la pièce (…). J’attends. Et je remonte, pas peu fière, quelques minutes après, pendant que De Gaulle continue de parler, avec la dépêche AFP [annonçant la candidature de Mitterrand] (…). Jean-Jacques (…) est interloqué. Françoise, elle, instinctivement, avait eu davantage tendance à me croire lorsque je leur en avais parlé à tous deux en début d’après-midi. Elle fait meilleure figure. Je ne suis pas sûre que JJSS me pardonne d’avoir été au courant avant lui. Il risque de le prendre mal. (…) Il n’empêche : je rigole. » (Michèle Cotta).
Elle avait ce qu’on appellerait une "source bien informée". Elle avait ainsi de nombreuses discussions "off" avec tous les acteurs de la politique qui ne voulaient faire aucune déclaration officielle mais faire comprendre aux médias leur état d’esprit. Bien sûr, ce genre de messes basses peut aussi être l’occasion de manipulation politique et comme journaliste compétente, elle vérifiait les indiscrétions qu’on lui révélait (par exemple, si une discussion était rapportée, aller voir un autre protagoniste de la discussion pour avoir sa propre version, parfois, les versions sont très différentes, ce qui fait qu’au moins un de ses interlocuteurs lui a volontairement menti). Ainsi, aux fils de ces nombreuses conversations off, elle pouvait démêler le vrai du faux, l’affichage du réel, les intentions des maladresses, comprendre l’origine d’une décision, l’influence des uns et des autres, etc.
Avec Michèle Cotta, tout cela est devenu transparent depuis 2007 grâce à la publication de ses très denses "Cahiers secrets de la Cinquième République" car elle tenait un journal depuis ses débuts dans le journalisme en 1965 (en fait, bien avant), et elle y notait toutes ces conversations confidentielles qu’elle ne pouvait pas diffuser publiquement au moment où elle les avait eues (sous peine de ne plus avoir d’informateur). Quatre tomes ont été publiés couvrant la période de 1965 à 2007, ce qui est un large spectre de l’histoire politique. Bien entendu, le détail de ces informations peut paraître parfois dérisoire, des faits politiques complètement oubliés, les amertumes, mesquineries, assez vaines, et le jeu des pouvoirs, des influences, réelles ou suggérées, sont très visibles : « La fréquentation des acteurs de la vie politique, si convaincus, quoique si changeants, si persuadés de la justesse de leurs vues, quoique incapables de résister à l’expérience du pouvoir, si déterminés, quoique si fragiles, est de nature à ouvrir les esprits à l’analyse, y compris les plus réfractaires. ».
Femme de presse papier ("L’Express") et de radio dans les années 1970 (France Inter, RTL), elle fut choisie (avec Jean Boissonnat) par les deux candidats qualifiés au second tour de l’élection présidentielle de 1981, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, pour animer le fameux débat d’entre-deux-tours. Elle n’avait pourtant jamais fait de télévision. Cela s’est plutôt bien passé pour elle puisqu’elle fut appelée une seconde fois pour la même prestation en 1988 (avec Élie Vannier qui représentait alors Antenne 2 et elle TF1) pour le débat entre François Mitterrand et Jacques Chirac, ses deux interlocuteurs privilégiés dans sa carrière.
Après la première législature socialo-communiste, débarquée de la Haute Autorité de l’audiovisuel par la dissolution de celle-ci par la nouvelle majorité et son remplacement par la (très brève) CNCL (avant d’être remplacée ensuite par le CSA), Michèle Cotta a dû retourner à son travail de journaliste politique dans de mauvaises conditions : acceptée pour ne pas dire tolérée à la rédaction de la radio Europe 1 à la rentrée 1986 (grâce à la volonté de Jean-Luc Lagardère), où elle a retrouvé Catherine Nay ainsi qu’un autre ami, Ivan Levaï, elle devait affronter l’hostilité de Jean-Pierre Elkabbach, Alain Duhamel et Guillaume Durand ainsi que l’humiliation de son contrat d’embauche ("à l’essai" !).
Heureusement pour elle, sept mois plus tard, elle a quitté cette rédaction pour l’aventure de la privatisation de TF1 (attribué à Bouygues et pas à Jean-Luc Lagardère le favori), bombardée directrice de l’information de la chaîne de télévision par Étienne Mougeotte. Elle le resta cinq ans puis, a eu diverses autres expériences dans la télévision publique (dont directrice générale de France 2 de 1999 à 2002, jusqu’à ses 65 ans).
Avec Philippe Alexandre, Alain Duhamel, Catherine Nay et quelques autres monuments du journalisme politique, Michèle Cotta fait partie de la mémoire politique de la Cinquième République, celle des passions du pouvoir, des ambitions, des convictions, des jeux d’influences, d’audace, de manipulation aussi, et connaît bien mieux l’histoire politique de la France que la plupart des acteurs de la vie politique actuelle. Bon anniversaire, Madame Cotta !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (12 juin 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Témoin privilégiée.
Michèle Cotta.
Ivan Levaï.
Jacqueline Baudrier.
La déplorable attention du journalisme à sa grande dame.
Aider les chrétiens d’Orient.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220615-michele-cotta.html
https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/le-monde-perdu-de-michele-cotta-242152
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