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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
7 avril 2023

Picasso et …nous !

« La notoriété de Picasso tient en partie à des facteurs extra-artistiques, sa longévité prolifique, sa médiatisation, son engagement politique. Mais elle est surtout due à ce qu’il résume dans son œuvre la plupart des courants artistiques du siècle : innovateur, il est plus encore, par son génie protéiforme, un formidable amplificateur de toutes les recherches d’avant-garde ; aussi son itinéraire artistique est-il très artistique. (…) C’est parce qu’il est le "medium" artistique des turbulences de son siècle que Picasso occupe une place privilégiée dans l’histoire culturelle. Sans véritables "disciples", il n’en a pas moins influencé tous les jeunes peintres des années 1940-1950 ; au-delà, il est un de ceux qui ont le plus contribué à "libérer la vision" des artistes. C’est par tous ces aspects que, mythifié d’ailleurs par le rôle des médias, il incarne aux yeux du grand public, dans un sens laudatif ou péjoratif, l’art moderne. » (M. Fragonard, "Dictionnaire d’histoire culturelle", éd. Bordas, 1995).




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Je voulais initialement mettre le titre "Picasso et moi", mais c'était beaucoup trop égocentrique et vaniteux. Et vous ? Et eux ? Alors, va pour : "et nous" ! Nous, c'est qui ? Tout le monde, tout le monde sauf quelques génies comme Picasso. Le peintre, et sculpteur, et etc., Pablo Picasso est mort il y a cinquante ans, le 8 avril 1973 à Mougins à l'âge de 91 ans (il est né le 25 octobre 1881 à Malaga). C'est l'occasion de parler de cet homme qui a fait rayonner la culture, d'un charisme aussi fou que son charme. Un vivant, quoi.

Quoi qu'on pense de ses travaux artistiques, Picasso est sans doute le plus grand artiste de la période "moderne" ou "contemporaine", ou plutôt, disons plus prosaïquement, de la période "récente", que je définis un peu arbitrairement à partir des années 1850. Je n'écris pas de tous les temps car il y a Léonard de Vinci. On pourra mettre tout le monde d'accord en écrivant plus prudemment : "l'un des plus grands artistes". C'est un fait et la question est donc : faut-il être savant pour comprendre son art ? l'apprécier ? ou seulement se faire briefer pour briller dans un dîner en ville ? On pourra le dire aussi de Soulages et de Dali.

Ma réponse d'instinct, c'est bien sûr non : l'art doit être accessible à tous et il l'est quand il émeut. C'est une définition qui est peut-être arbitraire, mais le talent de l'artiste, s'il est bien sûr technique, ce n'est pas suffisant et même sans technique, parfois, l'émotion passe. Il ne faut pas grand-chose pour faire passer un message. Les dessins de Sempé le prouvent. Trois traits et nous voici dans le trip angoissant du travailleur parisien qui doit prendre le métro à l'heure de pointe. Ou alors la vaisselle valse et le divorce se prépare.

La preuve qu'il ne faut pas faire l'École du Louvre pour apprécier un tableau, c'est que les musées n'ont jamais cessé de se remplir (sauf pendant l'horrible période covid). L'art peut être parfois difficilement accessible, mais "les gens", de toute condition, de tout horizon, de tout bagage, sont friands d'art, et chaque exposition temporaire est désormais un calvaire pour s'y rendre, il faut maintenant réserver bien avant le jour dit (merci l'Internet), il faut souvent atteindre dans des queues monstrueuses, j'ai le souvenir d'une attente tellement longue au Grand Palais qu'un employé est venu m'expliquer qu'à notre niveau, nous n'arriverions jamais à l'entrée avant l'heure de fermeture, ce fut donc cinéma. Et tristesse, car dernier jour de l'exposition en question.

Picasso, Dali et Soulages ont été des artistes qui ont plu au-delà de leur plus fol espoir d'enfant. Reconnus très vite. Considérés comme des génies. S'ils ont été provocateurs, c'est une conséquence et pas une cause de leur notoriété. J'exclus Soulages qui semble sage et respectueux par rapport aux deux autres. Mais excluons aussi Dali car il s'agit de Picasso, ici.

Beaucoup de mes contemporains ont cette idée très superficielle de l'œuvre de Picasso qui pourrait se résumer à : mon petit frère de 5 ans est capable de faire la même chose ! Mis à part que je n'ai pas de petit frère de 5 ans, je n'étais pas loin de penser la même chose au sortir de mon adolescence et à mon éveil culturel. En fait, c'est une pensée très prétentieuse, très arrogante. Qui suis-je pour dire cela ? Où sont mes toiles pour comparer ?

Mais j'ai évolué. Je ne peux pas dire que j'ai progressé mais j'ai réfléchi et j'ai surtout visité. C'est la question, finalement, de l'art contemporain en général. Et plus généralement encore, qu'est-ce l'art ? Je l'ai proposé plus haut, je tente cette reformulation : une œuvre est artistique si elle transmet une émotion, ne serait-ce qu'à une seule personne (la précision pourrait être supprimée).

Cette définition, je ne l'avais pas du tout à l'origine. Je crois bien que je mêlais l'art au Beau, à la Beauté avec un grand B. Alors, bien sûr, le figuratif est un art plus "facile". La peinture reproduisait la réalité, du moins, la réalité voulu par l'ordonnateur. Si la peinture a terriblement changé de perspective au milieu du XIXe siècle, c'est simplement à cause de la photographie. Décrire la réalité ? La photographie fait mieux que la peinture, alors, à quoi va servir la peinture ? À exprimer un point de vu très engagé, très personnel, très subjectif au contraire d'une photographie plus neutre (encore que la prise de vue, le sujet, la composition sont également des éléments d'engagement et de subjectivité). C'est la révolution des impressionnistes (aller au Musée d'Orsay, par exemple, ou à Marmottan). Il faut voir les œuvres de Caillebotte pour comprendre à quel point la peinture a quitté ses rails de peindre la réalité pour en faire du cinéma, au sens propre du terme.

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En clair, dans l'art, ce qui compte, c'est moins le sujet que le message. Mais l'esthétique ne peut pas ne pas rentrer en ligne de compte. Une œuvre laide est-elle de l'art ? Et quelle est la définition de la laideur ?

Je détestais Picasso mais j'adorais Dali car j'aimais à la fois sa technique et sa créativité, son imagination, son originalité. Les Montres molles, basées sur un vieux camembert coulant. Il fallait le faire ! J'adorais Dali car il savait exprimer ses rêves, si étranges, si imprécis, si partiels, si loufoques, avec ses obsessions. Et puis, il faisait des toiles ambivalentes, des compositions qui pouvaient tromper.

J'ai commencé à m'interroger sur ma détestation de Picasso quand je suis tombé par hasard, sur la chaîne Arte je crois (à moins qu'elle n'existât pas encore ?), lors de la diffusion d'un excellent film de Henri-Georges Clouzot, réalisateur connu aussi pour "Le Salaire de la peur" (sorti le 22 avril 1953) avec Charles Vanel et Yves Montand, et pour "Les Diaboliques" (sorti le 29 janvier 1955) avec Simone Signoret, Véra Clouzot et Paul Meurisse. Ce film, c'est bien sûr "Le Mystère Picasso" (sorti le 2 mai 1956) : le réalisateur a réussi à filmer la toile que Picasso était en train de peindre sans filmer le peintre lui-même.

Et là, j'ai découvert que Picasso peignait "bien" mais qu'il effaçait ensuite tout et repeignait dessus des formes "moins belles" (selon ma vision). Il y aurait d'ailleurs beaucoup à redire sur les différentes couches des peintures, en particulier de peintres d'il y a plusieurs siècles. La technologie y arrive maintenant et certaines études sont très intéressantes (et instructives).

J'avais regardé ce film un peu distraitement, par hasard, un peu passivement. Ce que j'ai néanmoins retenu, c'est que Picasso maîtrisait excellemment la technique, mais j'avais cette question : pourquoi diable repeignait-il des "horreurs" sur du "beau" qu'il était capable de faire ? J'ai eu un semblant d'explication de la part d'une amie : Picasso aimait tellement les femmes qu'il voulait voir, "en même temps", leur profil et leur face ! Il voulait voir le sexe et les fesses en même temps. Je disais oui du bout des lèvres, un peu dubitatif quand même sur ce drôle petit retour de l'art égyptien antique.

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J'ai eu le déclic un peu plus tard, je peux presque donner la date exacte, dans la nuit du 30 au 31 janvier 2009. C'est assez simple, il ne restait plus que le week-end avant la fermeture définitive de l'exposition "Picasso et les maîtres" au Grand Palais à Paris (du 8 octobre 2008 au 2 février 2009), qui a eu beaucoup de visiteurs et pour les derniers jours (j'avoue que je m'y prends toujours en retard), le musée faisait nocturne, mais vraiment nocturne, pas jusqu'à vingt et une heures ni même minuit. Toute la nuit, sauf entre cinq et six heures du matin pour le nettoyage et l'entretien. Il fallait prendre rendez-vous et j'avais donc pris un ticket pour trois heures du matin.

Que fait-on un vendredi soir quand on a musée à trois heures du matin ? On ne se couche pas sinon, on est sûr qu'on dormira. Donc, j'ai fait de la veille. Arpenter un musée à trois heures du matin a été une expérience exceptionnelle. Je n'étais pas tout seul, évidemment, mais ce n'était pas la foule du dimanche après-midi, c'était calme, je pouvais prendre mon temps (trop : j'ai quand même été expulsé par l'heure de fermeture).

J'y ai découvert les toiles de Picasso. 210 œuvres. Surtout celles de Picasso jeune. À 18 ans, Picasso était capable de faire tout ce que la peinture comptait de grands maîtres ! Avant même ses 30 ans, il était déjà connu, reconnu et il avait sans cesse des commandes. Comment démarrer une carrière d'artiste quand tout marche sur des roulettes (grâce au talent de la technique) ? Assurément, mon petit frère de 5 ans serait incapable de reproduire ces toiles-là ! Ça rend un peu plus humble.

Cette grande exposition a ainsi mis à jour qui était Picasso : sa diversité, sa fécondité, il a produit plus de 50 000 œuvres dont environ 7 000 dessins, 2 000 tableaux, 1 300 sculptures, 300 tapisseries !..., sa grande originalité. Et sa longévité (il a commencé à peindre à l'âge de 8 ans, il est mort à 91 ans) a fait qu'il a côtoyé ce XXe siècle si mouvementé, si terrifiant. Il a adopté aussi les engagements du moment, il était républicain en Espagne (alors que Dali était monarchiste), comme l'illustre le fameux tableau Guernica (reproduit à chaque page de "L'Almanach" de Pierre Desproges avec une légende différente), peint en 1937 en commande du gouvernement républicain espagnol pour l'exposition universelle de Paris, transféré aux États-Unis, et dont le rapatriement à Madrid a été négocié par l'avocat et futur ministre Roland Dumas après la mort de Picasso et après la mort de Franco. Après la guerre, Picasso était communiste, membre du parti communiste français, comme de nombreux intellectuels français.

J'imagine que la personnalité rayonnante de Picasso devait être très difficile pour son entourage, une sorte de gourou d'une secte d'adeptes fanatisés non seulement par l'œuvre mais aussi par le personnage. Ses femmes ne devaient pas être heureuses, plus soumises qu'indépendantes. Elles voyaient la fin de la relation en auscultant l'évolution de ses toiles. Sa petite-fille Marina Picasso l'a décrit durement, dans ses mémoires sorties en 2003, parlant de son grand-père et de ses compagnes ainsi : « Il les soumettait à sa sexualité animale, les apprivoisait, les ensorcelait, les ingérait et les détruisait sur ses toiles. Après avoir passé de nombreuses nuits à extraire leur essence, une fois qu’elles étaient asséchées, il les délaissait. ».

Il faut regarder, pour se faire une idée (peut-être un peu caricaturale), le très beau film "Surviving Picasso" de James Ivory (sorti le 11 décembre 1996), où Anthony Hopkins joue magistralement Picasso (Natascha McElhone dans le rôle de Françoise Gilot, née le 26 novembre 1921 et toujours vivante, qui fut à la fois peintre et la compagne de Picasso entre 1943 et 1953).

Je n'ai toujours pas répondu à cette question : pourquoi a-t-il eu autant de styles différents ? Comme il avait assuré l'aspect alimentaire de sa subsistance (ainsi que celle de sa progéniture, ou une partie d'elle), Picasso était totalement libre d'innover, de prendre des risques, au lieu de s'ennuyer sur du convenu et conventionnel. Il a fait en quelque sorte de la recherche, exactement comme Soulages qui a toujours recherché un aspect de lumière par opposition au noir.

Pour savoir si ses œuvres transmettent l'émotion, rien de mieux que de les éprouver. On peut ainsi aller voir 5 000 de ses œuvres (dont 300 tableaux) au Musée Picasso de Paris (rue de Thorigny, dans le troisième arrondissement), musée qui a fermé pour travaux entre 2010 et 2014. Il abrite donc la plus grande collection des œuvres de Picasso au monde.

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Une exposition événement s'y tient aussi du 7 mars au 27 août 2023 pour célébrer Picasso de manière plus éclatante. Son directeur artistique, le styliste britannique Paul Smith invité par le musée, a donné son objectif : « J'espère offrir un point de vue moins conventionnel, qui suscite une expérience plus visuelle, capable de retenir l'attention des jeunes publics et des personnes qui n'ont pas une connaissance approfondie du travail de Picasso. C'est une approche plus spontanée, qui relève davantage de l'instinct. ». Mon petit frère, en tout cas, a déjà réservé une place...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (02 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Picasso et …nous !
Lucien Freud.
Le Petit Prince.
Le trèsor de Toutankhamon.
Sarah Bernhardt.
Pierre Soulages.
La fresque d’Avignon.
Sempé.
Dmitri Vrubel.
Margaret Keane.
Maurits Cornelis Escher.
Christian Boltanski.
Frédéric Bazille.
Chu Teh-Chun.
Rembrandt dans la modernité du Christ.
Jean-Michel Folon.
Alphonse Mucha.
Le peintre Raphaël.
Léonard de Vinci.
Zao Wou-Ki.
Auguste Renoir.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230408-picasso.html


https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/picasso-et-nous-247621

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/04/03/39867272.html








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