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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
4 avril 2023

Sophie Binet, la divine surprise de la CGT

« Il n'y a pas d'autre sortie de crise que le retrait de la réforme (…). On ne peut pas parler d'autres sujets tant qu'on ne retire pas cette réforme, le gouvernement doit le comprendre (…). D'une façon ou d'une autre, elle ne s'appliquera pas. » (Sophie Binet, le 3 avril 2023 sur France Inter).



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La succession de Philippe Martinez à la tête de la CGT (Confédération générale du Travail), annoncée depuis un an, n'a pas été un long fleuve tranquille. Sur fond de surenchères du mouvement social contre la réforme des retraites du gouvernement, le 53e congrès qui s'est tenu à Clermont-Ferrand du 27 au 31 mars 2023 fut particulièrement chaotique. La désignation de Sophie Binet (41 ans) comme secrétaire générale de la CGT le matin du 31 mars 2023 a donc été une surprise même si son nom faisait partie des possibles.

Surprise car Sophie Binet n'était pas du tout candidate à ce poste. À l'origine, Marie Buisson (54 ans), enseignante et secrétaire générale de la fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture de la CGT depuis 2017 (petite fédération) était proposée dès mai 2022 par Philippe Martinez pour être sa successeure. Mais elle a été vite contestée par les plus radicalisés.

Il y a d'abord eu le 28 mars 2023 le refus du congrès d'approuver le bilan de Philippe Martinez, mis ainsi en minorité. Il y a eu ensuite cette impossibilité de trancher entre trois candidats déclarés : Marie Buisson, donc, à qui on a mis en face une sympathisante mélenchoniste, Céline Verzeletti (54 ans), gardienne de prison et secrétaire générale de la CGT pénitentiaire, puis, secrétaire générale de l'Union fédérale des syndicats de l'État depuis 2021, mais elle n'a pas pu faire non plus le consensus.

Autre candidat également, Olivier Mateu (49 ans), membre du PCF, opposé à la fermeture des centrales nucléaires et des centrales au charbon, forestier sapeur et secrétaire de la fédération des Bouches-du-Rhône de la CGT depuis 2016, très médiatisé depuis l'été 2022, notamment par ses déclarations publiques contre Emmanuel Macron (le seul département où l'État n'a pas réquisitionné pour faire cesser la grève des raffineries), a aussi vu sa candidature être rejetée par le congrès.

Ce fut finalement Sophie Binet qui a été élue secrétaire générale de la CGT le 31 mars 2023, avec 82% des voix ; elle a fait le consensus après des discussions interminables sur fond de divisions pendant toute la nuit du 30 au 31. Il y a clairement deux axes au moins, des réformistes et des radicalisés.

Qui est Sophie Binet ?

Les médias l'ont donc présentée comme la première secrétaire générale de la CGT, et cela depuis sa création en 1895. Il faut saluer cela, même s'il y avait une forte probabilité qu'une femme allât succéder à Philippe Martinez dans tous les cas. Elle n'est cependant pas la première femme secrétaire générale d'un grand syndicat en France puisque la première femme est Nicole Notat qui a été secrétaire générale de la CFDT d'octobre 1992 à mai 2002. Du reste, Sophie Binet est également féministe et un tantinet écolo.

L'autre singularité est qu'elle émane des cadres et ingénieurs, ce qui est rare et nouveau. Déjà Philippe Martinez était technicien et pas ouvrier. Un cadre à la tête du syndicat supposé être le plus ouvrier est donc aussi une première. En effet, Sophie Binet est conseillère principale d'éducation (CPE), autrement dit, ce qu'était avant le surveillant général, ce qui est un cadre A de la fonction publique nécessitant un master. Elle a exercé son métier pendant neuf ans dans des lycées professionnels, d'abord à Marseille (dans les quartiers nord) puis au Blanc-Mesnil (en Seine-Saint-Denis). Son objectif personnel était d'aider les lycéens dans des quartiers difficiles pour qu'il s'en sortent et se retrouvent avec un vrai métier et une vraie situation.

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Permanente de la CGT à partir de 2013, elle a été élue secrétaire générale adjointe, en 2014, puis secrétaire générale de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT depuis mars 2018 et a acquis une bonne connaissance de l'industrie à ce poste, selon le magazine professionnel "L'Usine nouvelle".

Pourtant, plus que femme, plus que cadre, j'insisterais plutôt sur une troisième singularité qui me paraît de taille : Sophie Binet a eu d'autres engagements, et le plus singulier est qu'elle ne s'est pas engagée au sein du parti communiste, mais du parti socialiste dont elle a été militante de 2008 à 2012. Au congrès de Reims, elle a en effet soutenu Benoît Hamon, puis à la primaire socialiste de 2011, la candidature de Martine Aubry. Après l'élection de François Hollande en 2012, elle a soutenu la motion majoritaire au congrès du PS à Toulouse, mais s'est éloignée du PS avec la loi Travail défendue par le gouvernement de Manuel Valls.

Plus exactement, on aurait du mal à ranger Sophie Binet dans une case. Ainsi, dans sa jeunesse, elle a d'abord milité à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) à Nantes avant de rejoindre le syndicat étudiant UNEF dont elle fut par la suite membre du bureau fédéral. L'ancien secrétaire général de Force ouvrière Jean-Claude Mailly l'a rencontrée dès début 2006 à l'époque des manifestations contre le CPE (contrat première embauche, pas conseiller principal d'éducation), alors qu'elle avait 23 ans.

Au contraire des militants CGT habituels qui sont plutôt favorables à la filière nucléaire (car pourvoyeuse de beaucoup d'emplois), Sophie Binet a plutôt des convictions écologistes. En 2016, elle s'est engagée dans le combat contre la loi Travail. En 2022, elle s'est lancée aussi dans un combat contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde du travail (elle est par ailleurs membre du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes de 2022 à 2025).

Plus généralement, Sophie Binet a toujours été une militante particulièrement efficace dans ses prises de parole. La CGT, qui a perdu la première place au profit de la CFDT sous son prédécesseur Philippe Martinez, tente ainsi un grand coup de renouvellement, plus jeune, féminin, pour relancer la centrale. Toutefois, lorsqu'on lit les réactions des nombreux internautes dans différents endroits du Web (articles de journaux, vidéo Youtube, etc.), on trouve très majoritairement, sinon exclusivement, des réactions scandalisées qui crient à la magouille et qui regrettent qu'Olivier Mateu ne fût pas désigné (avec lui, "on" aurait été défendus et renforcés dans le mouvement contre la réforme des retraites, selon eux).

Pour l'heure, il n'est pas question de ramollissement. L'élection de Sophie Binet a mis un coup d'arrêt aux divisions internes à la CGT, confortant l'unité de l'intersyndicale en annonçant dès le 31 mars 2023 sa participation à l'invitation de la Première Ministre Élisabeth Borne à venir discuter avec elle le 5 avril 2023 à Matignon tant sur le travail que sur la réforme des retraites. À la fin du congrès de la CGT, elle a chanté des paroles en menaçant Emmanuel Macron de coupures d'électricité.

Invitée de la matinale de France Inter le lundi 3 avril 2023, Sophie Binet a justifié la surprise du chef du congrès : « C'est le propre des organisations démocratiques de réserver des surprises et donc c'est ce que la CGT a fait (…). Ce sont des débats qui durent depuis longtemps et je pense que c'est d'abord ce que l'on appelle à la CGT notre culture des débats, notre capacité à dialoguer ensemble et à trouver des solutions plutôt que de s'enfermer dans des logiques de blocs qui ne correspondent pas du tout à l'identité et au mode de fonctionnement de la CGT. ».

Elle s'est aussi exprimée sur la valeur symbolique d'une femme à la tête de la CGT : « Je sais que cela représente un message très fort pour les syndiquées, les travailleuses et c'est aussi une responsabilité importante (…). Mais pour moi, il y a une chose importante, c'est que je ne serai pas l'arbre qui cache la forêt et donc d'avoir une impulsion à tous les niveaux dans la CGT et au-delà pour permettre qu'il y ait des femmes qui arrivent à tous les niveaux de responsabilités. L'émancipation des femmes se fait par les femmes elles-mêmes. ».

Secrétaire générale de compromis, elle laissera certainement exprimer pleinement sa personnalité dans ses nouvelles fonctions. En plein combat contre la réforme des retraites, Sophie Binet est donc immédiatement mise à l'épreuve dans ce mouvement social finalement très traditionnel. Sa référence, c'est le CPE, qui a été retiré il y a dix-sept ans par Jacques Chirac malgré son adoption au Parlement et sa future promulgation. La différence avec aujourd'hui, c'est que la contestation du CPE s'était propagée jusque dans les rangs de la majorité, avec un Nicolas Sarkozy préférant jouer le rôle d'un médiateur dont la prudente neutralité n'égalait que son désir de mettre des bâtons dans les roues de son possible rival Dominique de Villepin...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Sophie Binet.
Philippe Martinez.
Henri Krasucki.
Edmond Maire.
François Chérèque.
Georges Séguy.
Marc Blondel.
André Bergeron.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230403-sophie-binet.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sophie-binet-la-divine-surprise-de-247617

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/04/04/39867666.html








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