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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
27 juin 2023

Pourquoi Laurent Berger n'a-t-il plus coopéré avec l'Élysée depuis Emmanuel Macron ?

« Nous avons le choix entre une société autoritaire, qui sera dans le "y qu’à, faut qu’on" et la recherche du bouc émissaire, et une société plus apaisée, du dialogue et de l’écoute. C’est plus compliqué, mais ce sera toujours mon choix. » (Laurent Berger, "L'Alsace" le 1er avril 2014).





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À l'époque, en 2014, il considérait que le FN (futur RN) était « une tache sur la démocratie ». Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a laissé la direction de la centrale syndicale le 21 juin 2023 à Marylise Léon. Il est probable qu'avec le départ de Laurent Berger, la secrétaire générale de la CFDT retrouvera son positionnement de partenaire réformiste coopérant avec le pouvoir comme cela a été la tradition depuis au moins une cinquantaine d'années, jusqu'à devenir même minoritaire au sein des adhérents, comme l'a montré l'exemple de Nicole Notat favorable à la réforme Juppé en 1995.

Né à Guérande (pas loin de La Baule) il y a 54 ans, Laurent Berger a été le secrétaire général de la Jeunesse ouvrière chrétienne de 1992 à 1994 après une maîtrise d'histoire (il a rédigé un mémoire sur l'histoire d'un évêque de Nantes). En 1996, il a été recruté comme un permanent de la CFDT à Saint-Nazaire et, petit à petit, a grimpé dans la hiérarchie, en 2003, responsable de la CFDT des Pays de la Loire et membre du bureau national de la CFDT, bombardé à la commission exécutive confédérale (l'équivalent du gouvernement de la CFDT) le 17 juin 2009.

Spécialisé dans toutes les questions d'emploi (et de chômage), Laurent Berger a été nommé secrétaire général adjoint de la CFDT (numéro deux) le 21 mars 2012 puis, après la démission de François Chérèque, élu secrétaire général le 28 novembre 2012 par le bureau national, réélu le 5 juin 2014 au congrès de Marseille, puis le 8 juin 2018 au congrès de rennes, ainsi que le 16 juin 2022 au congrès de Lyon.

Par un tweet, Laurent Berger a annoncé le 11 décembre 2018 que la CFDT était le premier syndicat de France, tout employeur confondu (public et privé), en nombre d'adhérents, supplantant la CGT, une petit victoire personnelle (et même grande). Élu depuis le 23 mai 2019, Laurent Berger est également le président de la Confédération européenne des syndicats (European Trade Union Confederation) qui regroupe 89 organisations syndicales issues de 39 pays européennes représentant plus de 45 millions d'adhérents, la seule organisation syndicale interprofessionnelle européenne représentative reconnue par toutes les institutions européennes (en France, la CFDT, la CGT, la CFTC, FO et l'UNSA en sont membres).

Arrivé à la tête de la CFDT au début du quinquennat de François Hollande, Laurent Berger a toujours eu d'excellentes relations avec l'ancien Président de la République. Il était un partenaire social attentif et constructif et croyait au "pacte de responsabilité" (futur "pacte de compétitivité") mis en place par le gouvernement pour favoriser l'emploi : « Potentiellement, ce pacte peut nous aider à sortir du chômage de masse et d’un modèle économique fondé sur la production à bas coûts qui nous conduit à l’échec. Pour cela, il doit comporter de vrais engagements sur l’emploi, la qualification des salariés, l’apprentissage et l’investissement. Il faut aussi un processus par étapes, afin de vérifier chaque année si les entreprises jouent le jeu de l’investissement, de l’emploi et de la transition énergétique. Pacte ou pas, la vraie question pour moi, c’est d’améliorer la compétitivité, l’emploi et la vie des salariés. » ("L'Alsace").

Ainsi, la parole de Laurent Berger était très écoutée à l'Élysée (François Hollande) et aussi à Matignon, à l'époque de Manuel Valls. Laurent Berger est un réaliste, il a toujours convenu que l'emploi ne pourrait venir que d'une meilleure compétitivité des entreprises et est resté un orthodoxe budgétaire :
« La CFDT dit depuis très longtemps qu'il faut maîtriser l'endettement de la France. » ("L'Alsace").

Mais alors, pourquoi n'est-il pas devenu le partenaire privilégié du Président Emmanuel Macron depuis 2017 ? D'autant plus que l'hystérisation du climat social rendait sa coopération encore plus précieuse ?

C'est là un mystère qui pourrait être complet si on ne connaissait pas le passif de leurs relations. Ce sont Gérard Davet et Fabrice Lhomme, les deux journalistes que je dirais "trash" (car leurs investigations se résument principalement à regarder dans les poubelles de l'histoire, au-delà des interviews) qui ont pu donner une clef intéressante dans leur livre antimacroniste primaire "Le Traître et le Néant" publié en 2021 chez Fayard (dans l'optique de l'élection présidentielle de 2022).

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Dans ce livre qui n'est qu'un réquisitoire basé sur des anecdotes dérisoires, ils rappellent effectivement un épisode qui a laissé Emmanuel Macron plein de rancœur et d'amertume contre Laurent Berger. Dès le début de l'année 2015, Emmanuel Macron, alors inconnu du grand public, est devenu la coqueluche des médias et des entrepreneurs. Au point de voler la vedette (et aussi le marché électoral) du Premier Ministre Manuel Valls.

Emmanuel Macron, Ministre de l'Économie, a fait voter ce qu'on a appelé la "loi Macron" qui libéralisait certains secteurs de l'économie pour augmenter l'emploi (par exemple, les "bus Macron"). Une autre loi était en préparation, la "loi Travail", pour assouplir le code du travail et promouvoir l'emploi, qu'Emmanuel Macron voulait défendre au Parlement (on parlait d'ailleurs déjà de "loi Macron 2"). Il était sérieusement remonté contre le Premier Ministre qui lui avait imposé l'article 49 alinéa 3 de la Constitution pour sa première "loi Macron" alors qu'il était convaincu qu'elle aurait pu être adoptée sans cet outil de dissuasion (à l'époque contre les "frondeurs" du PS, de la majorité !).

Par ailleurs, un proche de François Hollande, ancien maire de Dijon, le Ministre du Travail François Rebsamen (qui aurait voulu être Ministre de l'Intérieur), a voulu quitter le navire gouvernemental pour se replier sur Dijon, ne "sentant" pas la fin du (plus mauvais) quinquennat (de l'histoire). Pour Emmanuel Macron, c'était l'occasion rêvée : cumuler au gouvernement l'Économie ainsi que le Travail pour (déjà) réindustrialiser et promouvoir l'emploi.

Comme souvent avant de procéder à des nominations, François Hollande a consulté certaines personnes. En particulier Laurent Berger le jeudi 27 août 2015 à l'heure du dîner.

Les deux journalistes cités se trouvaient justement à dîner à l'Élysée ce soir-là : « [Hollande] doit voir secrètement le patron de la CFDT, Laurent Berger, un allié fidèle et exigeant depuis le début de son mandat. Une drôle d'idée à lui soumettre. "Je le vois discrètement, pour le remplacement de Rebsamen, nous confie alors le chef de l'État. Il y a l'hypothèse Macron. Je pense qu'il [Berger] va être réticent". Hollande envisage de nommer Emmanuel Macron ministre du Travail. En plus de ses fonction à l'Économie ! François Rebsamen, le titulaire du poste, s'apprête à démissionner, il veut retrouver la mairie de Dijon ; il faut donc lui trouver un successeur en urgence, alors qu'une loi sur le travail est dans les tuyaux, et qu'elle promet de bousculer le PS. Or, à cette date, Hollande ne manque pas une occasion, devant nous, pour vanter l'action de son ministre de l'Économie. "Il y a deux choses qui font la force de Macron, nous expose-t-il ainsi ce soir-là. Un, il n'est pas du système politique, donc on le croit, ça en dit long... Et deux, il est jeune, donc il met un peu de nouveauté". Mais de là à lui confier la mise en œuvre d'une nouvelle loi appelée à déboussoler un peu plus l'électorat socialiste... Lui, le nouvel entrant en politique, fils de bourgeois, non encarté, énarque, en provenance directe de chez Rothschild ! ».

Et d'expliquer le raisonnement de l'ancien Président : « Hollande frétille d'envie : "Si c'est accepté. Si ça ne paraît pas être une provocation. Mais je vais essayer de tester". Il s'agit, dans l'esprit du Président, de créer un effet "jeune", de remettre de la dynamique dans la machine gouvernementale. "Pour mettre de la force, de l'envie, du mouvement, nous dit-il. C'est là-dessus que ça va se jouer. Pour montrer que c'est vraiment la priorité. On y met l'élément qui est supposé le plus dynamique, et puis je pense qu'il a un peu épuisé son domaine à l'Économie. Il a fait voter sa loi. J'ai peur qu'il ne vienne sur les domaines du ministère du Travail". Traduction : quitte à avoir installé au gouvernement une tête brûlée, autant qu'elle soit aux commandes de l'ensemble de son secteur, histoire d'éviter de nouvelles querelles interministérielles. Les couacs, Hollande en a soupé. ».

Résultat de l'entrevue "discrète" :
« Le boss de la CFDT a (…) fait la moue (…) dans le bureau du Président. "Tu fais comme tu veux, mais je ne sens pas les choses, a-t-il dit à Hollande. Il faut avoir la fibre, une connaissance du monde du travail, du côté des salariés...". Ce qui n'est pas exactement le profil de l'ancien banquier d'affaires. Berger n'est donc franchement pas enthousiaste à la perspective de négocier les conditions d'application d'une future loi sur le travail avec un libéral de la trempe de Macron... Peut-être, aussi, a-t-il déjà eu des échos du discours de clôture de l'université d'été du Medef, tenu par ce même Macron. "La gauche a cru que la France pouvait aller mieux en travaillant moins, c'étaient de fausses idées", s'est permis le ministre de l'Économie, en terrain conquis devant un parterre de patrons hexagonaux. Le vendredi 4 septembre 2015 (…), l'hypothèse Macron au ministère du Travail a fait long feu. Son discours enflammé devant des patrons enamourés a eu raison de ses ambitions. ».

Mais pour Davet et Lhomme, cela ne fait aucun doute que Laurent Berger a été la cause de cette non-nomination :
« L'ex-Premier Ministre Manuel Valls nous l'assure aujourd'hui : "Laurent Berger, qui avait un très bon rapport avec Hollande et moi, avait dit : 'Non, ce n'est pas possible, Macron au ministère du Travail'...". Aucun doute, c'est bien Laurent Berger qui a opposé son veto à une promotion d'Emmanuel Macron. Ne cherchez pas plus loin la détestation vouée par l'actuel chef de l'État aux corps intermédiaires, en particulier à la CFDT. Ils sont, pour lui, au mieux, des empêcheurs de réformer en rond ; au pire, les fossoyeurs de l'économie française. Hollande nous explique les raisons pour lesquelles il a alors finalement renoncé à agrandir le périmètre du ministre de l'Économie : "J'avais senti, avec les échos qui me revenaient, les organisations syndicales ne pas adhérer à cette idée. Donc, avant même qu'il n'ait fait cette sortie [au Medef], il ne m'était pas apparu que c'était possible de faire ce choix. La polémique qui a suivi ses propos a fait que cela n'avait même plus de sens, cela aurait été vécu comme une provocation". (…) Emmanuel Macron apprend très vite la mauvaise nouvelle. Son nom avait beaucoup circulé, agité les rédactions, avant ceux d'Alain Vidalies ou de Stéphane Le Foll. La promotion lui passe sous le nez. Une nouvelle gifle publique, une de plus. (…) Étonnez-vous (…) que Macron s'estime maltraité. Peu considéré, à tout le moins. ».

Finalement, c'est une élue parisienne, Myriam El Khomri, qui a été choisie au Ministère du Travail pour défendre la dernière réforme du quinquennat, avec les conséquences que l'on connaît aujourd'hui, l'impossibilité politique de François Hollande à se représenter.

Pas sûr que la successeure de Laurent Berger parviendra à travailler plus facilement que lui avec Emmanuel Macron, mais au moins, elle ne lui a pas barré la route dans le passé...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Marylise Léon.
Laurent Berger.
José Bové.
Sophie Binet.
Philippe Martinez.
Henri Krasucki.
Edmond Maire.
François Chérèque.
Georges Séguy.
Marc Blondel.
André Bergeron.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230621-laurent-berger.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pourquoi-laurent-berger-n-a-t-il-248960

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/06/22/39948326.html






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