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Le canalblog de Sylvain Rakotoarison
17 juillet 2023

Le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du lundi 17 juillet 2023

« On avait un homicide involontaire par conducteur (…). Demain, au lieu de parler d’homicide involontaire, on parlera d’homicide routier : on ne change rien d’autre, on change la dénomination des faits. (…) C’est une reconnaissance des victimes. » (Matignon, le dimanche 16 juillet 2023).




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Pour le gouvernement, la journée du lundi 17 juillet 2023 a été consacrée à la sécurité routière : une visite de la Première Ministre Élisabeth Borne avec le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin et le Ministre de la Santé et de la Prévention François Braun au centre de soins de suite et de réadaptation à Coubert, en Seine-et-Marne, qui accueille des victimes d'accidents de la route, puis, l'après-midi, la tenue à Matignon du Conseil interministériel de la sécurité routière, le premier depuis le 9 janvier 2018 : « L’ambition de ce CISR est de porter des mesures protectrices, équilibrées et adaptées aux quotidiens des millions de Français qui partagent les routes de notre pays. » (Matignon).

En tout, la "feuille de route" (c'est le cas de le dire !) de la Première Ministre adoptée le 17 juillet 2023 comporte sept "axes" et trente-huit mesures, au risque de diluer les importantes dans les moins importantes, autour de trois "maillons" : éducation, prévention et répression. En fait, très globalement, il n'y a aucune mesure révolutionnaire, aucune parmi celles qui ont compté pour réduire nettement la mortalité routière depuis cinquante ans (ceinture obligatoire, permis à points, radars automatiques, limitation à 80 kilomètres par heure, etc.).

Il y a eu 3 260 personnes tuées sur la route en 2022, revenant au niveau de 2019 (après deux années très impactées par la pandémie de covid-19). Cette inquiétante stabilité devrait être, espère-t-on, passagère et les six premiers mois de 2023 semblent repartir à la baisse, même s'il y a des disparités avec une augmentation des victimes à vélo et en trottinette, et aussi géographiquement, avec une hausse dans les outre-mer. La situation des deux-roues motorisés n'est pas non plus meilleure : 2% du trafic routier et près de 25% des morts sur la route (d'où l'importance d'un véritable contrôle technique sur les deux-roues motorisés).

Avant d'évoquer quelques autres mesures notables, prenons la plus importante, celle qui a même bénéficié d'un "teasing" la veille par Matignon, la création du "délit d'homicide routier" à inscrire dans le code pénal ainsi que la notion de "blessures routières" à la place de "blessures involontaires". Lors d'un point de presse, Élisabeth Borne a exposé sa mesure ainsi : « Nous allons créer une qualification spécifique d’homicide routier. Tout conducteur qui tue une personne sur la route, et serait poursuivi aujourd’hui pour homicide involontaire, sera poursuivi demain pour homicide routier. Cette dénomination s’appliquera que le conducteur ait consommé ou non de l’alcool ou des stupéfiants. ».

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En effet, jusqu'à maintenant, les conducteurs responsables d'accidents mortels étaient mis en examen et éventuellement condamnés pour "homicide involontaire" et de nombreuses associations de victimes de violence routière trouvaient insupportable le mot "involontaire" quand le chauffard a pris consciemment le volant malgré l'alcool ou les stupéfiants. C'est donc une avancée sémantique qui a sa valeur symbolique, devenue très pressante après l'accident commis par Pierre Palmade, puis la mort de quatre personnes, dont trois policiers, percutées à Villeneuve-d'Ascq par un chauffard sous emprise de l'alcool et la drogue, mais, pour l'instant, cela ne va pas plus loin.

Et cette mesure fait peut-être l'amalgame entre celui qui prend consciemment sa voiture alors qu'il est imbibé d'alcool ou d'autres substances qui renforcent énormément la probabilité d'un accident mortel, qu'il faut punir sévèrement et si possible avant l'accident, et celui qui, sans alcool, sans drogue, sans vitesse excessive, sans utilisation de smartphone, etc., commet un accident mortel par distraction, négligence, faute d'inattention. Ce dernier est évidemment responsable et doit être sanctionné, mais il n'est pas dans la même catégorie d'intentionnalité.

À l'issue du CISR, le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a ainsi commenté la mesure : « Il n’y a rien d’involontaire à consommer des stupéfiants et de l’alcool, les gens qui sont victimes de cela sont dans un désarroi total lorsqu’on leur annonce que le conducteur sera jugé pour homicide involontaire. (…) L’homicide involontaire, c’est de l’“imprudence”, le pot de fleurs qui se détache de votre balcon et qui vient percuter un voisin et le tue (…). Tuer un gamin quand on est sous l’emprise de l’alcool ou [de] stupéfiants, ça ne peut pas être assimilé à cet homicide involontaire. ».

Certains juristes se sont inquiétés de rendre confus un fondement du droit pénal français, la distinction entre "infraction volontaire" et "infraction involontaire". Ce qu'a rejeté la sénatrice LR Alexandra Borchio-Fontimp, auteure d'une proposition de loi qui introduit justement cette expression "homicide routier", sur Public Sénat : « En droit, chaque mot à un sens. Volontaire, involontaire, routier… ces mots ne veulent pas dire la même chose. Il s’agit de reconnaître que l’acte n’est pas purement accidentel. De par son comportement, le conducteur ne peut ignorer qu’il transforme son véhicule en machine à tuer. ».

D'autres ont critiqué la valeur seulement cosmétique de la mesure. Ainsi, le président de la Ligue contre la violence routière Jean-Yves Lamant a regretté à l'AFP que le gouvernement ne soit pas allé plus loin : « On pensait quand même qu’ils iraient plus loin que le changement sémantique. C’est mieux que rien mais quel est le message ? On voulait surtout des sanctions plus sévères et des mesures d’accompagnement. ».

En effet, les sanctions n'ont pas été revues à la hausse contre les conducteurs responsables d'un accident mortel. Elles sont déjà lourdes (selon l'article L. 221-6-1 du code pénal) : cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende « lorsque la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité (…) est commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur », sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende avec une circonstance aggravante (alcool, stupéfiants, défaut de permis, délit de fuite, vitesse très excessive), et dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende lorsqu'il y a plusieurs circonstances aggravantes.

C'est plutôt l'action des juges qu'il faudrait faire évoluer en sensibilisant la justice sur le caractère très grave de tuer une personne avec sa voiture (jusqu'à très récemment, les auteurs d'homicides routiers étaient très faiblement condamnés, et, pire, au début des années 1970, le fait d'avoir bu de l'alcool était considéré comme une circonstance atténuante et pas aggravante, car cela expliquait, sinon excusait, qu'on conduisît mal !).

Parmi les autres mesures adoptées au CISR du 17 juillet 2023, on peut citer un alourdissement de la sanction des grands excès de vitesse (supérieur à 50 kilomètres par heure), et si l'excès de vitesse est aggravé par l'alcool ou les stupéfiants, le conducteur se verra retirer huit points (au lieu de six), le permis sera systématiquement suspendu, le véhicule systématiquement immobilisé et mis en fourrière. Mais cet alourdissement ne contrebalancera pas l'effet pervers de l'indulgence pour les petits excès de vitesse (moins de 5 kilomètres par heure) annoncée par Gérald Darmanin pour le 1er janvier 2014 qui donne un signal de relâchement dans la politique volontariste du gouvernement.

D'autres mesures anecdotiques ont été prises comme la création d'une attestation scolaire de sécurité routière (sorte de pré-code de la route), des obligations renforcées pour les médecins sur l'aptitude à la conduite, des radars à signal sonore pour sécuriser les agents qui interviennent sur la route, la dématérialisation du permis de conduire (avec une application sur smartphone qui permet de connaître le nombre de points restant) et de la carte verte d'assurance (depuis 2019, il existe un fichier alimenté en temps réel par les compagnies d'assurance qui rend inutile l'affichage de la vignette verte sur le pare-brise et la présentation de la carte verte, cette mesure s'appliquera à partir du 1er avril 2024, et ce n'est pas un poisson), une campagne de sensibilisation à la sécurité routière spécifique à l'outre-mer dont la mortalité routière a empiré, etc.

Intervenant dans les médias à cette occasion, Vincent Julé-Parade, avocat spécialisé dans la défense des victimes de la violence routière, a fait le parallèle entre la voiture en France et l'arme à feu aux États-Unis, ce sont tous les deux des permis de tuer et les gouvernements ont toujours eu peur de prendre des mesures efficaces de protection à cause des pressions. Pour lui : « Malheureusement, cela ne changera pas grand-chose. C’est une opération de communication pour dire que le gouvernement s’intéresse à la sécurité routière et elle intervient surtout en réaction à l’affaire Pierre Palmade (…). Si on veut vraiment faire baisser le nombre de morts sur les routes, il faut oser prendre des mesures impopulaires. ». Par exemple, réduire la vitesse maximale autorisée à 110 kilomètres par heure sur les autoroutes (ce qui serait aussi un bon point pour l'environnement ; mais personnellement, j'y serais opposé), revenir sur l'assouplissement des 80 kilomètres par heure, renoncer à ne pas retirer de point pour les petits excès de vitesse, etc.

Le journal "Le Monde" ne disait pas autre chose dans son éditorial (non signé) du 5 juin 2023 intitulé très clairement "Démagogie automobile contre sécurité routière" : « En matière de sécurité routière et d’environnement aussi, les mauvais choix se traduisent en nombre de morts. Cette vérité, moins largement admise qu’en ce qui concerne la santé, les responsables politiques devraient l’avoir en tête dans un pays, la France, où, chaque année, la route tue plus de 3 000 personnes et en laisse lourdement handicapées plus de 3 000 autres. (…) À l’heure où, à la tête de l’exécutif, on s’inquiète d’un "processus de décivilisation", pourquoi ne pas considérer que le comportement des citoyens dans leurs usages des modes de transport individuels est précisément, par le respect des autres, de la santé et de la vie de chacun, l’un des marqueurs de notre civilité ? ».

Le mot de la conclusion peut revenir à Jean-Yves Lamant qui a lâché amèrement à l'AFP : « Ce n’est pas un recul mais c’est une occasion ratée. Ça n’aura aucun effet dans la réalité des choses. ». Espérons que ce CISR sera suivi d'un autre assez rapidement qui viendra renforcer sur le plan pénal les avancées administratives.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
Le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du lundi 17 juillet 2023.
Le refus d'obtempérer est un délit routier.
Faut-il interdire aux insomniaques de conduire ?

Faut-il en finir avec le permis de conduire à vie ?
L'avenir du périph' parisien en question.
Fin du retrait de point pour les "petits" excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?
Les trottinettes à Paris.
L'accident de Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
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100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230717-securite-routiere-qt.html

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