Mais quelle mouche a donc piqué François Bayrou ?!
« Je ne fais pas carrière. Je ne candidate pas. Je ne suis candidat qu'à une seule chose, c'est un lien avec le pays dans ses profondeurs pour identifier ce qui va mal et le résoudre. » (François Bayrou, le 8 février 2024 sur France Info).
Alors que la composition du nouveau gouvernement était encore en pleine négociation (après quatre semaines des premières nominations), le président du MoDem François Bayrou a annoncé à l'AFP, dans la soirée du mercredi 7 février 2024, que finalement, il abandonnait l'idée d'être membre de ce gouvernement (c'est d'ailleurs peut-être plus prudent : le parquet de Paris vient de faire appel ce 8 février 2024 du jugement du tribunal de Paris relaxant François Bayrou).
Coup de gueule, peut-être coup politique, assurément coup d'ego. Le plus dur est sans doute venu du président de la commission des affaires étrangères, le sage Jean-Louis Bourlanges, qui semble considérer en substance que François Bayrou n'aidait ni le MoDem, ni la majorité, ni la France. Son communiqué est sans complaisance : « Le MoDem est en pleine incohérence. François Bayrou a décidé sans aucune concertation avec personne d'afficher un désaccord de fond avec la majorité présidentielle tout en recommandant aux députés de rester à bord et de participer au gouvernement ! Si nous n'étions vraiment pas satisfaits de la place qui nous était proposée, il eût été envisageable de pratiquer le soutien sans participation. Nous sommes en train de choisir l'inverse : la participation sans soutien. Ce qui revient à affaiblir dangereusement notre camp tout en nous discréditant nous-mêmes. C'est politiquement inepte et moralement dégradant. » (8 février 2024). François Bayrou rejette l'idée d'un "caca nerveux" ou d'un "caprice" (« Je sais bien qu'on peut toujours caricaturer les choses ! »), mais son attitude interroge quand même.
Depuis qu'il est relaxé par la justice après près de sept années de cauchemar, selon son expression, François Bayrou est revenu en grandes pompes dans l'actualité politique. Celui qui a démissionné du Ministère de la Justice après un mois en juin 2017, s'est retrouvé au centre des réflexions sur les prochaines nominations gouvernementales. Évidemment, le Ministère de l'Éducation nationale était dans tous les esprits (bien que sa nomination aurait fait un petit côté vintage, vu qu'il hantait déjà ce ministère il y a trente ans), et ce poste était d'autant plus facilement libérable que le principe de l'éviction de son actuelle locataire Amélie Oudéa-Castéra semblait acquis à l'Élysée. (On parle maintenant de l'ancienne Garde des Sceaux Nicole Belloubet pour la rue de Grenelle, alors qu'elle n'avait vraiment pas brillé pour ses talents politiques).
Mais apparemment, pour le maire de Pau, les mesures envisagées pour l'enseignement par le Premier Ministre Gabriel Attal ne sembleraient pas en phase avec la philosophe générale du leader centriste (ce qui ne m'étonne pas, on l'imagine mal prôner des classes de niveau !). Gabriel Attal lui aurait alors proposé le Ministère des Armées, qu'il a refusé dans la mesure où la Défense est l'un des rares domaines qui, selon lui, irait bien depuis cinq ans. Du reste, ce n'est pas très valorisant pour l'actuel locataire, Sébastien Lecornu, de se savoir considéré comme une simple variable d'ajustement !
François Bayrou aurait alors souhaité un grand ministère des territoires, de la réforme de l'État, de l'aménagement du territoire, de la simplification (là, il aurait pris une part des attributions de Christophe Béchu). Il a critiqué le fait que sur quatorze ministres, onze viennent de la région parisienne, et aucun d'une région en dessous de la Loire. On aurait pu aussi imaginer le Quai d'Orsay pour lui qui en avait rêvé en mai 1995, lors de l'élection de Jacques Chirac, mais Valéry Giscard d'Estaing avait fait en sorte que cela n'arrivât pas !
On apprenait aussi le soir du 7 février 2024 que les députés du MoDem étaient réunis au Ministère de l'Agriculture autour de François Bayrou. Certes, François Bayrou est lui-même un ancien agriculteur, mais la raison du lieu de cette réunion, c'est que Marc Fesneau, le seul ministre MoDem, est à l'Agriculture (personne n'a posé la question sur : pourquoi le Ministère de l'Agriculture financerait-il la réunion d'un groupe parlementaire au lieu de l'Assemblée Nationale ?). Beaucoup de députés MoDem étaient remontés contre François Bayrou dont ils ne comprenaient pas la position (dont Jean-Louis Bourlanges, donc).
Alors que les nominations n'ont toujours pas été décidées, François Bayrou était l'invité de la matinale de France Info ce matin du jeudi 8 février 2024 pour tenter d'expliquer pourquoi il ne rentrerait pas au gouvernement tout en assurant que le MoDem restait partie intégrante de la majorité gouvernementale et qu'il continuerait à participer au gouvernement. Il m'a peu convaincu.
On aurait pu comprendre un véritable clash politique (qui aurait été majeur), le MoDem se retirant de la Macronie et François Bayrou de nouveau sur orbite d'une nouvelle candidature à l'élection présidentielle de 2027 (même s'il aurait dans ce cas-là déjà 76 ans, après tout, c'est très jeune par rapport à Joe Biden et juste un an de plus que Vladimir Poutine !). Emballé dans un certain nombre de raisons politiques plus ou moins convaincantes, cela aurait été cohérent. Alors, candidat quand même ? La réponse on ne peut plus floue : « Je n'ai jamais renoncé à aucun des devoirs qui sont les miens, aucune des responsabilités qui sont les miennes ! ».
Mais à partir du moment où le MoDem continue à rester un partenaire de la majorité, comment expliquer que le MoDem soit au gouvernement, mais sans François Bayrou sinon comme une crise aiguë d'égocentrisme plus que de centrisme ? Peu, parmi les députés MoDem, auront du mal à l'expliquer à ceux qui le leur demanderont.
Qu'il n'ait pas eu toute la reconnaissance politique du Président Emmanuel Macron comme il l'aurait espéré, c'est probable voire certain. Mais cet épisode semble un peu comme un événement particulièrement dérisoire dans l'océan des urgences politiques actuelles.
Pourtant, François Bayrou est loin d'être vide et creux en politique. Il a beaucoup de choses à dire, et originales : « Le pays a besoin de plus de compréhension politique de ce qui se passe à la base et de moins de technocratie gestionnaire. Ça va, c'est clair ? (…) Mon soutien [au nouveau gouvernement] ne se marchande pas, à condition que soit entendue l'inquiétude qu'un très grand nombre de Français ressentent, qui se traduit dans tous les sondages et qui se traduit dans des intentions de vote qui sont, pour moi, pas normales. (…) Oui, nous sommes membre à part entière de la majorité qui veut reconstruire le pays. ».
Alors, François Bayrou a dû ainsi rassurer les macronistes mais en donnant un horizon : « L'enjeu de 2027, c'est précisément qu'on arrive à réconcilier la France qui se bat en bas avec la France qui décide en haut. Je pense que c'est très important, que c'est une crise qui vient de loin, de décennies, et cette crise-là, il faut que 2027, et les années qui précèdent, servent à montrer un chemin pour en sortir. ». Son obsession, c'est bien sûr la perspective insupportable pour beaucoup d'une possible arrivée au pouvoir du RN.
Je me suis bien amusé, le soir du 7 février 2024 en regardant quelques chaînes d'information continue, notamment BFMTV, de voir des personnalités qui, jusqu'à maintenant, n'avaient pas montré un seul epsilon d'idées proches de François Bayrou, commençaient à lui rendre hommage, à l'admirer (comme un homme de l'ancien monde qui avait plus de densité que les petits jeunes des réseaux sociaux d'aujourd'hui qu'on a aujourd'hui en politique) simplement parce qu'il avait rouspété contre Emmanuel Macron.
C'est vrai que toute ambition présidentielle au centre va nécessiter un certain doigté politique au futur candidat pour dire qu'il comprend les opposants du peuple à Emmanuel Macron mais qu'il en est aussi l'héritier. Après tout, Nicolas Sarkozy avait bien réussi à convaincre ses électeurs que son élection en 2007 allait créer un changement après la Présidence de Jacques Chirac, pourtant l'un était l'enfant terrible de l'autre au sein du RPR. C'est peut-être ce qu'a commencé François Bayrou ce 7 février 2024.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 févvrier 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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